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samedi 14 janvier 2017

Rien de nouveau sous le soleil

Je lis ce matin une homélie du père Dmitri Smirnov où, pour contredire les mauvaises excuses de ceux qui ne se convertissent pas en invoquant l'athéisme de leurs parents ou les circonstances de la vie moderne, il soutient que les gens simples du XVI° siècle ne différaient pas de ceux d'aujourd'hui, qu'ils étaient même plus ignorants et je ne suis pas du tout d'accord avec cette vision des choses, qu"on m'a présentée depuis mon enfance, à savoir que rien ne change jamais sous le soleil et que la nature humaine est ce qu'elle est.
Certes, la nature humaine est ce qu'elle est, et sur le plan des passions, des brutalités et des cruautés, en ce monde déchu, l'homme du XVI° siècle en voyait de toutes les couleurs, mais il y a des différences essentielles entre lui et nous, et elles ne sont pas à notre avantage.
Dès le ventre de sa mère, l'homme d'aujourd'hui entend le tohu-bohu de la vie contemporaine, des bruits mécaniques agressifs, la perceuse, la moto, la débroussailleuse, la musique discordante, obsédante, creuse et décervelante qui nous poursuit partout, à la radio, à la télé, dans les magasins. L'homme du XVI° siècle percevait les sons de la nature, les cloches, des prières psalmodiées, des chansons, des cantiques, les instruments de musique dont jouait son entourage.
Le monde qui l'entourait était fabuleusement beau, dur, parfois terrible, mais fabuleusement beau: les paysages grandioses et intacts, les maisons sculptées et décorées par leurs habitants eux-mêmes et il mettait vite la main à la pâte, ses jouets étaient faits main, les vêtements étaient confectionnés à la maison, dignes et nobles, chaque broderie était un symbole. La vie était pleine de rites, pleine de sens. Nous n'imaginons même pas la beauté qui régnait alors. Un enfant qui grandissait là dedans et s'y intégrait dès que possible, écoutant les contes, chantant les chansons, fabriquant des objets, utilisant ses mains, ses yeux et ses oreilles à tout moment, dans un cadre de vie ritualisé et sanctifié, où tous les événements avaient un caractère sacré ne pouvait ressembler aux gosses de notre époque, qui grandissent dans un environnement d'une colossale laideur, entièrement standardisé, fabriqué en usine, jetable, privé de sens, destiné aux décharges géantes que la terre ne peut plus absorber. Des enfants qui n'entendent plus de chansons, ne savent au mieux que des variétés ou des refrains de dessins animés, dessins animés qui défigurent tous les contes et leur contenu plein de sagesse et d'enseignement, et qui passent leur vie devant un écran au lieu d'utiliser leurs mains. des enfants dont on confie le développement à l'état, à des enseignants médiocres, et qui arrivent à l'adolescence profondément mutilés, pour nous offrir le spectacle de tristes petits cons agressifs au comportement, en réalité, parfaitement anormal. Pas de crise d'adolescence au XVI° siècle, on ne savait même pas ce que c'était, on était déjà intégré dans l'économie de la famille ou le service du souverain, on était même parfois marié, et cela venait naturellement. Pas de question à se poser sur le choix de son avenir, sur le bonheur ou sur le malheur, on n'était pas sur terre pour être heureux mais pour faire son salut, son devoir de paysan, d'artisan ou de guerrier. Je ne suis pas sûr qu'on était plus malheureux que nous, on avait moins de chances de vivre vieux, et l'on vivait plus durement d'un point de vue matériel, mais on avait la force intérieure que donne la structure d'une telle société, collective et ritualisée, avec tout un héritage de beauté, de sens, de noblesse.
Ce terreau était favorable à la spiritualité, notre mauvaise terre lui est terriblement défavorable, c'est une chose dont il faut prendre conscience. L'homme du XVI° siècle vivait en relation avec tout ce qui l'entourait, avec ses ancêtres, il avait une riche culture collective que l'homme de notre époque n'a plus, son âme était d'une meilleure étoffe, Il suffit de regarder les plantes élevées à coups de pesticides, les fruits et légumes qu''on nous vend, et ce qu'on trouve dans son jardin, cultivé avec amour. Des hommes qui ont manqué de tout sur le plan de l'âme, qui ont poussé de travers sur un mauvais terrain auront beaucoup plus de difficultés à être religieux, c'est à dire reliés entre eux, reliés au cosmos et à l'Origine du cosmos et de toutes choses, que ceux du XVI° siècle dont l'être était irrigué et traversé par tout ce qui est vital, fondamental et sacré.
Il serait important de prendre vraiment conscience de l'appauvrissement culturel et spirituel terrible du monde où nous vivons, et de ne pas limiter la notion de culture à celle de la caste cultivée qui, au fil des siècles, s'est détachée du reste du monde. si vénérables que soient les productions de cette élite intellectuelle, le "peuple obscur" avait sa culture, et elle nourrissait souvent encore celle de la noblesse ou de la bourgeoisie, comme on l'a vu avec la nourrice de Pouchkine, les modulations du chant populaire russe présentes dans la musique de Stravinski, l'amour de Gérard de Nerval pour les vielles chansons françaises, qui inspiraient aussi Marie Noël.
On ne peut établir le diagnostic de notre naufrage, venir éventuellement en aide à nos contemporains hagards, ensauvagés, disons le mot, abrutis, qu'en reconnaissant ce fait et en étudiant attentivement tous ses aspects. Il est vrai qu'alors, on en vient à la conclusion, qu'une réforme de l'école ou autre mesurettes ne changeront rien au fond du problème, que nous devons nous orienter vers un changement radical de vie. C'est cela, ou la fin des temps en accéléré, mais qui sait? C'est peut-être le moment, et dans les épreuves et la dégringolade qui se poursuivront, l'Eglise restera la seule orientation possible, l'étoile dans la tempête.

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