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mercredi 1 février 2017

Accordéon magique

Cette fois, Skountsev m'a offert de venir prendre un cours particulier, à l'Arbat dans son local magnifique. Je suis arrivée avec mes gousli, mais il y avait du monde, un spécialiste des guitares et instruments à cordes, un visiteur et un réparateur d'accordéons russes, garmochkas et baïans. Ce dernier apportait une merveille, de surcroît étincelante de verroteries que je regardais scintiller avec bonheur, une joie pour un coeur d'enfant. "Il joue tout seul, me dit Skountsev, on n'a rien à faire!" Et il s'est mis à jouer. Je pense que même avec un pareil instrument, je jouerais beaucoup moins bien.
Puis nous avons pris le thé. J'ai raconté que j'avais toujours adoré la musique, mais que plus personne n'en faisait en France, à part dans les conservatoires, ou les gamins qui rêvaient d'une carrière dans le showbiz, et que maman m'avait envoyée à une vieille fille qui me cassait les pieds avec le solfège et des ritournelles débiles. Ce n'est pas ainsi qu'on apprend la musique dans le peuple ou chez les folkloristes, on l'apprend en jouant et chantant, même si Skountsev a plus tard reçu une formation classique. Il nous a parlé du neveu de Tarkovski, qui s'est installé en Sibérie profonde, après être venu étudier la faune et la flore, il est resté sur place, subjugué par la nature locale. Skountsev est allé le voir. Là vivent des vieux croyants. Ils ont plein d'enfants qui, au fur et à mesure qu'ils grandissent, apprennent à remplir toutes les tâches de la communauté, et chacun a son rôle, chacun fait son travail, chacun est impliqué et nécessaire, personne ne s'ennuie ni ne rêve des podiums ou des sunlights. Ils connaissent tous les chants liturgiques, ils grandissent avec, et avec le slavon d'église. "Ce qui vous tue, en occident, me dit-il, c'est que vous n'avez plus le sens de la communauté." J'en suis bien persuadée. Pour moi, la vie et l'éducation normales, c'est celle de la communauté de vieux croyants qu'il nous a décrite. Les enfants s'élèvent en s'intégrant dans tout ce que fait la famille, y compris ce qu'on fait de beau avec ses mains, et en apprend naturellement les chants, les rites et les usages. Leur éducation n'est pas déléguée à l'état, pendant que les parents vont bosser du matin au soir pour un patron international afin de pouvoir s'acheter des merdes au supermarché du coin.
Ensuite nous avons travaillé les gousli. Il ne perd jamais son calme, il me montre autant de fois qu'il le faut, et des portes s'ouvrent, des éléments s'ajoutent. C'est comme cela qu'on devait apprendre à jouer, autrefois, quand on était un petit enfant des campagnes russes.


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