dimanche 31 mai 2020

Grisaille


Je suis retournée hier dans la cambrousse avec mes voisins, Kolia et Ania, voir l'accordéon, que nous avons acheté. Je m'attendais à trouver une vieille paysanne, mais c'était une femme de la ville qui avait travaillé longtemps à Koroliov, dans un établissement scientifique. Le coin où était sa maison était très joli, bien qu'infesté de moustiques, et j'étais fascinée par un merveilleux mélèze qui dansait avec grâce dans le jardin voisin. La dame s'ennuyait visiblement très ferme et ne voulait pas nous laisser repartir.
Kolia était très content de son acquisition. Au retour, il souffrait pour ma voiture, éprouvée par les nids de poule  invraisemblables, et me racontait qu’il avait été chauffeur de bus sur ce trajet pendant des années. Il en connaissait tous les recoins, il faisait la cueillette des fraises des bois, des framboises, des myrtilles et des champignons, se baignait dans les rivières. J’ai proposé que nous fassions de même mais il trouve la route trop mauvaise et propose des endroits plus proches, avec des chaussées en meilleur état. Je n’arrivais souvent même pas à passer la troisième.
Il m’a dit qu’il était d’origine paysanne, son père avait dirigé un kolkhose, et bien que membre du parti, il connaissait toutes ses prières, reprenait sa femme quand elle se trompait, et avait donné une éducation chrétienne à son fils. « C’était un homme bien, honnête et humain, et tout le monde le respectait ». Sa femme et lui aiment beaucoup la nature, ce sont des gens simples, mais ils ont l’âme fine, et ils élèvent bien leur garçon, dans les traditions. Ils m’ont expliqué que les parents du petit garçon qui venait me voir et se conduisait très mal picolent tous les deux et se tapent dessus. Ils ne nourrissent pas leur chien, que j’entends parfois hurler. Leur chat est en train de s’installer chez Kolia et Ania. Le destin du gosse, du chien et même des parents m’a serré le cœur. Je vais naturellement laisser le gamin venir même s’il m’emmerde, mais je ne sais pas trop par quel bout attraper cette âme en friche.
Kolia était très content de pouvoir reprendre l’accordéon, et moi ravie de l’avoir aidée à en avoir la possibilité, je n’aurai pas vécu pour rien, si la musique revient dans sa maison, si elle résonne à nouveau dans le quartier à la place du boum-boum pour débiles mentaux internationaux qu’un certain voisin nous assène quand il fait beau, et s’il la transmet à Aliocha.
Du coup, ils vont m’aider à nettoyer l’emplacement du futur poulailler, et Ania m’a donné des fleurs, ce sont des corbeilles d’argent, il y en avait chez maman.
Il pleut à nouveau à torrent, j’ai dû rallumer le chauffage. Tout ce que nous plantons pourrit, à part les choux.
Le climat général, les rues de Paris envahie par les illégaux qui affirment leurs prétentions de conquérants, la profonde pourriture des gouvernements, leurs brimades à l’égard de leur propre peuple, mes amis de Moscou que je ne peux pas aller voir, le père Valentin et ses filles, mes proches en France que je ne peux pas aller voir non plus m’inspirent un profond cafard. Ma cousine m’écrit : « Tu es si loin… » et tout d’un coup, j’en ai eu le vertige, de cette distance, je la revoyais petite, nous sommes si différentes, et pourtant, il y a entre nous cet amour fraternel, qui nous jetait dans les bras l’une de l’autre, alors que nous nous battions et nous disputions souvent, la détresse qu’elle a toujours cachée sous son agressivité.
Je suis allée ce matin à la liturgie à l’église du métropolite Pierre. On a mis une iconostase sommaire dans le sanctuaire du bas, il semble que la restauration soit enfin à l’horizon. L’acoustique est sensationnelle, on voit que le tsar Ivan, très amateur de chant liturgique, a dû y veiller. J’entendais tout, très nettement. Et je pleurais comme une Madeleine, en pensant à la France, à la cousine, à mon oncle et ma tante, à ma mère, au gosse et au chien. Le père André, en me confessant, m’a dit que la tristesse était un péché. La communion m’a fait du bien, et la gentillesse des gens.
Le père André a comparé, dans son homélie, l’église du métropolite Pierre à l’Etat russe, complètement ruiné, mais toujours debout, et j’ai trouvé cela très profond, car le fond de la résistance de l’une et de l’autre, c’est la qualité initiale de l’édifice.
Ensuite, on a béni les cloches qu’un bienfaiteur a offertes, dehors, dans une atmosphère sombre et pluvieuse, terriblement humide. Puis avec Katia, qui n’avait pas le moral non plus, nous sommes allées au café français, dans la réserve, au milieu des meubles accumulés, avec nos consommations respectives, et nous avons été rejointes par Gilles et le pâtissier Didier, dont la gouaille nous a changé les idées. Katia voudrait créer une sorte de petit centre folklorique où il y aurait des cours, des stages, et plus simplement des rencontres, de gens qui échangeraient leurs savoir-faire et se retrouveraient pour chanter et danser ensemble. Le voisin Kolia et son accordéon, elle et sa balalaïka, ma vielle et moi et ainsi de suite. Cela me paraîtrait une bonne idée qu’il nous faut mûrir.
Ce soir nous débutons des cours on line avec Skountsev, qui pourrait venir assurer un stage, un de ces jours.


Photos éparchie de Pereslavl