J’ai
rencontré un garçon qui veut prendre des cours de français avec moi. Dans un
sens, cela m’arrange, cela me fera un peu d’argent. Il est venu de Moscou faire
ma connaissance, visiter la ville et se reposer, mais il m’a pris beaucoup de
temps, et je dois préparer mon introduction, inviter des gens, travailler mes
chansons... Skountsev va venir deux jours avant Alexandrov, pour répéter avec
moi, avoir les époux Skountsev chez soi n’est pas de tout repos, bien que ce
soit aussi très intéressant, et que je sois ravie de leur présence à la
présentation. Je voudrais amener le maximum de gens au musée, le jour de cette
présentation, car les collaborateurs en sont si gentils, ils me donnent une
salle magnifique, ne savent que faire pour que l’événement soit grandiose. Ils
adorent leur musée et leur ville, et Ivan le Terrible, forcément... Mais ce ne
sera pas si facile, les gens que je connais ne vont pas obligatoirement faire
une expédition à Alexandrov depuis Moscou ou Pereslavl.
Ma cousine Anne
m’a écrit : «Tu te rends compte que tu vas présenter tes livres chez
Vanvan ! Quel chemin parcouru ! »
Et en
effet, l’événement a quelque chose pour moi de quasiment mystique. Je suis
venue vivre à Pereslavl, sur les bords du lac que je voyais dans
« Alexandre Nevski », quand, étudiante, j’allais au cinéma Cosmos qui
passait des films soviétiques. Je vais parler de mes livres à Alexandrovskaïa
Sloboda, dans la salle où le tsar recevait les ambassadeurs. Pouvions-nous nous
douter, Anne et moi, que ma bizarre existence rejoindrait tout cela en fin de parcours,
quand nous nous précipitions pour voir nos films favoris chaque fois qu’on les
passait quelque part ? Et que j’y chanterais des chansons d’époque avec un
cosaque vieux-croyant ?
Mon
futur élève a une espèce de lumière, quelque chose d’intelligent, de fin, de bon,
et il a de l’humour. J’ai cru comprendre, car il parle si doucement que souvent
j’ai du mal à le suivre, qu’il avait travaillé dans le domaine des sciences
politiques, mais il est maintenant salarié dans un hopital militaire, où il
s’occuppe des blessés. Au départ, il y allait comme bénévole, mais il a prié
pour être embauché par un sponsor à plein temps, et il a été exaucé. Il fait
tout le temps des heures supplémentaires, mais il est heureux, il se sent
utile. Son désir d’apprendre le français vient de sa francophilie, il en rêve.
Il a déjà des bases, mais manque de pratique et d’assurance. Nous avons suivi le bord de la rivière jusqu'au lac, qui prend des nuances automnales.
Il m’a
dit qu’on y soignait aussi bien les mercenaires de Wagner que les gars de
l’armée régulière, et que les premiers étaient payés en liquide. J’en ai conclu
que malgré la rumeur, la Russie nétait pas près de passer à l’argent numérique,
car en dehors des Wagner, il y a aussi les gens qui achètent leur appartement ou
leur voiture avec des sacs de billets... « Non, me dit-il, confirmant ce
que j’avais entendu par ailleurs, le rouble numérique concerne les transactions
internationales, pas les particuliers ».
A
l’église, c’était beaucoup plus calme que pour la saint Alexandre Nevski. J’ai
pu communier tranquille. Je me suis confessée au père Andreï. Je lui ai dit que
je manquais d’amour, que je ne détestais pas grand monde dans la vie courante,
mais que les persécuteurs des métropolites d’Ukraine et de leurs fidèles, ou
ceux qui nous ont organisé l’invasion migratoire, je leur souhaitais
méticuleusement une peste bubonique résistante aux antibiotiques, avec la vérole et la lèpre par dessus. Or j’ai bien
peu de temps devant moi pour prendre un peu d’élan, à défaut d’acquérir le
Saint-Esprit... « Ma pauvre Laurence, me répond-il, Dieu ne vous en
demande sans doute pas tant, Il nous demande ce qui est dans nos capacités.
Aimer de grands criminels, c’est l’affaire des moines au monastère, et encore
pas tous. Remettez tout cela à plus costaud que vous... Priez pour les victimes,
qui souffrent injustement, comme le Christ. »
En
effet, me suis-je dit, il faut avoir l’humilité de l’admettre. Et cela a ramené
la paix dans mon esprit.
Une
période difficile s’annonce, je dois aller samedi à Iaroslavl exposer des
tableaux dans une église, dont le prêtre finance la restauration par des
manifestations de ce type. Xioucha qui ne vient jamais, débarque vendredi soir
pour aller à la pêche ! Lundi je
vais chercher mes livres à Moscou, mardi, je ramène Skountsev et sa femme.
Mercredi, nous répétons, discutons, bouffons sans arrêt, jeudi, c’est déjà la
présentation à Alexandrov, chez « Vanvan » !
En plus
de l’éradication de la population est-ukrainienne
et de son Eglise des terres achetées par divers ploutocrates, il me reste à
avaler la submersion par toute l’Afrique de mon malheureux et minuscule
continent européen. Je vais scandaliser tous les neuneus de France et de
Navarre, mais je n’éprouve pas grande compassion pour les envahisseurs que nous
déversent dessus de gros crapauds qui ont volé et trompé tout le monde, et se
fichent d’eux comme de nous, j'en éprouve davantage pour le gilet jaune, le paysan au bord du suicide, ou plus simplement, mes proches. De l’Ukraine au grand remplacement, en passant par
la révolution bolchevique, c’est juste un grand génocide de chrétiens blancs
qui se déroule depuis plus d’un siècle, et s’accélère, dans la foulée des Boers
et des Indiens d’Amérique, on sent qu'on est pressé de nous voir crever, dégénerer, disparaître, avec nos cathédrales, nos livres et nos maisons de famille. Le génocide est la spécialité du cancer de l’Europe
qu’est l’empire anglosaxon et de ses virus mafieux bancaires et autres
succursales israéliennes. Ma compassion va aux victimes de ce forfait, à ceux
qui bientôt ne saurons plus où se cacher, si la Russie ne leur ouvre ses
portes, et si elle-même n’est pas victime du même processus et des mêmes
procédés. Quand aux imbéciles qui me chevrotent que c’est bien fait pour nous,
que nous l’avons mérité, qu’ils aillent se mettre eux-mêmes là où je pense le
manche à balai qu’un violeur exotique a récemment enfoncé dans sa victime jusqu’aux
poumons. Ca leur fera de l’entraînement pour la suite.
Bon, je
sens qu’il va falloir retourner se confesser... Heureusement, nous avons un été indien à rallonge, une douceur dorée et légèrement venteuse, et je fais, prévoyant la fête estivale de l'année prochaine, ma Sido de Colette, avec clématites, hortensias, astilbes, dauphinelles, hémérocalles et roses-trémières. La France à Pereslavl, en fin de compte, la France des jardins et des jolis salons, pleins d'âme et de souvenirs. Celle de Colette, justement, celle de Monet, celle de Proust, de Debussy et de Ravel que je ne peux plus écouter sans pleurer. Surtout en ce moment... Une jeune femme des réseaux sociaux, catholique, qui aimait Noël et avait le culte de l'enfance, stigmatise les éveillés et les lucides qui fichent le noir à tout le monde, alors qu'il faut cultiver la joie, pour lutter contre les monstres déchainés auxquels nous avons affaire. Elle n'a pas tort, et c'est ce que je m'efforce quand même de faire, entre mon jardin et mes diverses activités. "Je prie pour vous", me dit-elle.
J'ai préparé des plantes pour Katia, qui est venue dîner ici, et m'a proposé de regarder Ivan le Terrible, car elle ne l'avait jamais vu. Quelle lacune! Et donc, nous avons regardé ensemble la première partie. Le discours du couronnement, les étrangers fielleux, les boyards intrigants... "Mais finallement, me dit Katia, regardez, ce sont nos oligarques! C'était pareil à l'époque! Il faut qu'il revienne!" Elle m'a dit quelque chose qui m'a fait réfléchir: "Ce film, c'est un autre monde". Et oui, en effet, c'est un autre monde, où ma cousine, qui avait douze ans, et moi qui en avais dix-sept, nous nous réfugiions pour oublier le nôtre, pour nous évader de la bande dessinée de Lauzier qu'était le Paris des années 70 et les facs gauchistes où j'avais commencé à étouffer vive, processus qui devait se poursuivre plus ou moins jusqu'à mon départ en Russie, en 1994. Dans Ivan le Terrible, tout était magnifique, les costumes, les rituels, la musique, les mouvements, les visages médiévaux, les voix incantatoires, tout était héroïque, tout avait de la gueule. Le tsar était le genre de mari qu'on pouvait suivre avec dévouement jusqu'au bout du monde, le genre de chef qu'on pouvait admirer sans réserve, à qui on pouvait faire une confiance aveugle, pas un pantin en costume cravate sinistre et fourbe pour lequel on nous demandait de voter tous les sept ans et qui avait le bagout de Séraphin Lampion et le frétillement obscène d'une pute hollandaise dans sa vitrine. On a beau dire, on ne fait pas rêver les enfants avec un président de la république. Pas une minute nous ne voyions Staline dans la figure de notre Vanvan, mais le Tsar, l'idéal du monarque, oint du Seigneur, qui fédérait tout un peuple dans la conscience d'une mission mystique. C'était notre drogue. Les autres tâtaient du cannabis ou de l'héroïne, nous, nous allions voir Ivan le Terrible.