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lundi 3 avril 2017

Retour en France

Comme je disais à mon beau plombier que les libéraux m'inquiétaient, en Russie, il m'a répondu: "Ne vous en faites pas, s'ils essaient de déstabiliser la Russie, et de provoquer ce qui s'est passé en Ukraine, tout Pereslavl se dressera contre eux." Quand je lui ai raconté cela, le père Valentin a fait en riant un grand signe de croix.
Il semble que j'ai choisi le bon endroit pour venir mourir avec les icônes et les bannières, et la présence tutélaire de mes âmes chères, le prince Alexandre, le tsar Ivan, le tsar Feodor, et tous les saints locaux de saint Nicétas au bienheureux Michenka...
A part ça, qu'est-ce qu'on se caille, à Pereslavl Zalesski, neige fondue en rafale, la seule chose qui indique que nous sommes au printemps depuis presque un mois, car ici, les Russes sont optimistes, le printemps débute le 1° mars, ce sont les bourgeons de saule, ceux qui servent de rameaux au dimanche du même nom. Et puis les fameux freux, qui se doublent de l'arrivée, à tire-d'aile, des artistes-peintres que l'on voit se percher sur les rives de la rivière Troubej ou au pied des monastères...
Mais j'ai laissé Pereslavl, ma chatte Georgette qui comprenait très bien que je partais, pour Moscou, et demain pour la France, où je vais renouveler mon visa, en attendant le permis de séjour, qui est à l'horizon, semble-t-il. Le temps de voter et de réchauffer mes rhumatismes, mes sinus et mes poumons!
J'ai fait la route dans la super bagnole de Micha, en écoutant Iouri Chtcherbakov. A travers une tempête de flocons énormes et les gerbes de flotte projetées par les camions.


Iouri Chtcherbakov Koukouchka

dimanche 2 avril 2017

Printemps


Quand je suis rentrée de Moscou vendredi soir, le bus a traversé une tempête de neige. Un grave accident nous a arrêtés une demie heure. Le lendemain, j'ai promené le chien par un beau soleil, je suis allée prendre un repas spécial carême au café Montpensier, pour fuir la maison, où s'affaire le plombier. Il me fabrique une sorte de Beaubourg privé assez craignos, il paraît qu'on ne peut pas faire autrement, mais outre que je n'en peux plus des travaux, il va falloir de l'ingéniosité pour rendre cela moins moche. Il m'a aussi offert un massage pour me calmer les nerfs. Comme masseur, il est pas mal, le plombier. Il m'a étonnée, une fois de plus...
Aujourd'hui, pluie glaciale, ma soeur me dit qu'en France, il fait 20° et que le soleil est trop fort pour déjeuner dehors! Cela me console de devoir partir pour aller renouveler mon visa...
Par ce temps ignoble, je suis allée au monastère saint Théodore, où la soeur Larissa m'a accueillie comme le père du fils prodigue, à bras ouverts. Elle m'avait préparé des cadeaux pour la prochaine Pâques, un livre sur Pereslavl, une icône de voyage, de l'huile sainte issue de l'icône miraculeuse vénérée au monastère. Elle en avait pour la mère Hypandia de Solan, avec une carte de félicitations de l'higoumène de saint Théodore, la mère Varvara. Me voilà en train de faire la messagère entre higoumènes, comme au bon vieux temps de la sainte Russie.
Parmi les cadeaux, pour Solan et pour moi, de l'épilobe, ivantchaï, une grande fleur rose qui pousse partout en Russie et chez nous dans les montagnes, c'était ce qui tenait lieu de thé, avant que les Anglais n'en fournissent aux Russes. Malgré des frontières communes avec la Chine, avant les Anglais, ils n'en buvaient pas, et si j'ai bien compris Skountsev, certaines communautés de vieux croyants préfèrent encore l'ivantchaï et autres herbes locales au thé des Anglais.
Cela fera plaisir aux soeurs de Solan, qui ont elles-mêmes leurs infusions, et je repartirai sans doute pareillement chargée dans l'autre sens.
Voici la carte de la soeur Larissa qui accompagnait mes cadeaux:
Le Christ est ressuscité



Chère Laurence!
Le Christ est ressuscité!
C'est par ces  paroles joyeuses que se saluent tous les chrétiens orthodoxes.
Alors que la grâce du Seigneur ressuscité emplisse votre coeur d'amour
et vous fortifie sur le chemin du salut.
Avec amour en Christ
soeur  Larissa

J'ai vu aussi Lioudmila, qui pendant tout le temps où je ne l'avais pas rencontrée, était à l'hôpital avec une thrombose variqueuse. Elle a absolument voulu me céder sa place à l'église, et une soeur est allée lui chercher une chaise. J'avais honte, de ne pas l'avoir appelée, et de prendre sa place. Elle semble d'une abnégation totale, dont je suis très loin.
Pour me rattraper, je l'ai raccompagnée en voiture, avec une grosse dame qui se traîne avec difficulté. Car mon ami Micha m'a filé l'usage illimité de sa voiture qu'il n'utilise pas. J'en ai quelques complexes. Le père Païssios disait: "Accepte ce que l'on te donne, car si tu refuses tu prives l'autre du bénéfice de son acte salutaire."
Et moi, de mon côté, qu'est-ce que je donne? Je me fais voler mais je ne donne pas grand chose...


lundi 27 mars 2017

Le joueur de flûte



Depuis deux jours, je me prends de bec avec des libéraux sur différents fils de discussion russes. Ici aussi, je me trouve entre deux chaises, comme l'était d'ailleurs Soljénitsyne, je ne suis ni néostalinienne, ni libérale, je tombe dans la case orthodoxe monarchiste souvent en butte à l'hostilité des deux. Partir en Russie pour y retrouver ce genre de zozos prouve que l'ennemi est une toile d'araignée infiltrée partout. Je ne pensais pas qu'on avait eu à ce point le temps de pourrir les gosses en Russie. Pourtant, j'avais déjà remarqué au lycée qu'on les élevait hors sol, du moins dans les milieux qui m'amenaient leurs enfants dans cette école prestigieuse... J'invitais des ethnomusiciens, et les Français participaient volontiers, alors que les petits Russes prenaient des airs méprisants. Nikita Mikhalkov a démontré dans ses émissions comment la chose était menée, par les mêmes personnes qui, chez nous, ont défait la France.
Comme les européens connaissent mal la Russie, les Russes connaissent mal l'Europe et ont toutes sortes de clichés dans la tête. Dans "ce pays", pour les libéraux de Moscou et les gosses détachés de leur substrat millénaire, tout est merdique, en Europe, tout est merveilleux. Les médias, ou du moins une partie d'entre eux, contribuent à ce mirage. Un intellectuel trouve que les manifs illégales de Navalny sont une bonne façon de socialiser les enfants, de leur donner du sens civique et de les détourner de leur égoïsme et de leur écran d'ordinateur. Ce qui serait à mes yeux une bonne socialisation, ce serait de pratiquer leur folklore, le folklore se pratique en communauté, en relation étroite les uns avec les autres, avec la nature environnante, avec nos ancêtres, voilà qui apporterait vraiment quelque chose aux enfants, les détournerait de leur écran ou le leur ferait utiliser de façon plus intelligente. Sans compter toute oeuvre commune ou même combat commun concret, c'est-à-dire lutter dans son quartier ou sa maison contre la corruption ou la brutalité des fonctionnaires, pas à pas, pendant des mois, en convaincant les autres, en allant trouver différentes instances. Ou restaurer une église, ou bien secourir les gens dans le besoin. Pas en défilant au coup de sifflet d'un aventurier au service de la CIA d'une manière complètement irresponsable, au risque de déstabiliser son pays à un moment particulièrement dangereux pour lui.
Quand je vois l'ampleur du naufrage général, le mal qui a été fait à nos différents peuples, au nom du progrès, du bien être matériel et des lendemains qui chantent, je suis prise de vertige. Que de supercheries sanglantes avons-nous vu passer, en ce siècle qui va de la première et sinistre année 17 à notre année 17 présente, peut-être le début de la dernière et catastrophique conflagration dont nous ne nous remettrons pas. Et rien ne nous a ouvert les yeux, on voit toujours les mêmes foules hagardes suivre toujours les mêmes joueurs de flûte dans la rivière où ils vont les noyer.
Que Dieu nous vienne en aide.
                                                                            





dimanche 26 mars 2017

Petit bilan

Cela fait des mois que durent mes travaux, qui ont commencé avant mon arrivée, je ne pouvais pas faire autrement, mais c'est toujours risqué. Des mois que je vis dans un chantier. Je commence à installer vaguement quelques pièces, la cuisine, et la pièce à vivre pour les invités, la partie à louer ou à prêter. Pour l'instant, elle me sert de refuge, j'y travaille, loin des artisans qui écoutent de l'horrible musique du matin au soir à la radio, je ne sais pas comment ils n'en deviennent pas fous. La plupart des meubles que j'ai, c'est de la récup en plus ou moins bon état.
J'explore le jardin, qui ressemble à une décharge, il faudra faire venir un camion pour enlever tout ça. Le terrain est très inégal. On y voit courir des caniveaux pleins d'eau, j'ai l'impression que je vais vivre dans une Camargue froide. Mais les moustiques s'adaptent partout. Il paraît que dans la journée, ils nous fichent la paix. C'était le cas à Krasnoïé, et ils n'aiment ni le vent, ni le soleil. Je me trouve devant deux options, faire venir un jardinier pour tout mettre de niveau, ou bien utiliser le terrain comme il est, c'est un challenge...
Je commence à concentrer une partie des ordures contre la palissade, pour dégager le reste. On a balancé dans un coin la sciure qui servait d'isolant au grenier, et si on l'avait mise de côté, j'aurais pu l'utiliser pour les chats, mais en l'état actuel des choses, il n'y a plus qu'à fertiliser le terrain avec, le problème est qu'elle est mélangée avec les sacs en plastique explosés qui la contenaient. Le terrain est d'ailleurs sûrement fertile, une belle terre noire, et c'est pas l'eau qui manque...
Je ne pourrai faire de jardin d'agrément que devant la maison, en débordant un peu au nord-ouest, au sud, je n'ai qu'une bande de terrain, et je dois faire une haie entre les voisins et moi. J'aurai la place pour un petit potager en carrés au sud. au nord, eh bien c'est le nord, je ferai ce que je pourrai, et j'essaierai de cacher la baraque du voisin...
C'est la pièce de la partie à prêter ou à louer, qui pourra me servir de salle à manger si j'ai beaucoup de monde, ou de dortoir.
Pour l'instant, j'y travaille. L'étagère bizarre est un dessus de bahut, trouvé sur place.

bahut soviétique de base, que j'ai mis en remplacement
d'un autre bahut du même style très abîmé.

le seul endroit, au sud, où je pourrai faire un potager

La partie devant la maison, à l'ouest, on doit pouvoir y faire un petit jardin

La maison du voisin, au nord, en vrai, elle est beaucoup plus obsédante.

vendredi 24 mars 2017

Les "gens intelligents" n'ont pas d'ancêtres


Une chanson du fin fond des siècles dont nous savons si peu de choses, nous savons qui était tsar, ce qu'on construisait, ce qu'on détruisait, et nous ne savons pas comment on vivait, et ce qu'on pensait, de quoi on souffrait et de quoi on avait peur, de quoi on se réjouissait et ce qu'on espérait. Nous connaissons seulement sur quoi l'on faisait des chansons. Cette étonnante culture du chant ethnographique russe, qui ne ressemble à aucune autre, magique, chatoyante avec l'enchantement de ses demi tons, de son changement de rythme, quand on chante comme on respire, une mélodie tantôt espiègle, tantôt plaintive qui retourne l'âme et l'emplit à nouveau de lumière. Un homme intelligent et très cultivé m'a demandé aujourd'hui: "Et pourquoi conserver tout cela?" Comment, pourquoi? ... C'est à moi, c'est ma richesse, qui ne se chiffre en aucune monnaie, je la tiens de ces arrière-grands-mères dont je ne connais même plus le nom, mais dont l'âme vit dans ces chansons, magnifiques et éternelles.
Nathalia Terentieva. Ecrivain.

Песня из такой глубины веков, о которой мы мало что знаем - знаем, кто был царем, что строили, что ломали, и не знаем, как жили, о чем думали, о чем страдали и чего боялись, чему радовались, на что надеялись. Знаем лишь, о чем пели. Эта удивительная культура русского этнического пения, ни на что не похожая, волшебная, переливчатая, с магией полутонов, сменой ритма, когда поют, как дышат, то озорная мелодия, то плачущая, переворачивающей душу и снова наполняющая ее светом. Один умный и начитанный человек спросил меня сегодня:"А зачем это все сохранять?" Как - зачем?.. Это мое, это богатство, не выражаемое ни в какой валюте, это досталось мне от тех прапрабабушек, имен которых я даже не помню, но чьи души живут в этих песнях, прекрасных и вечных. 



J'ai trouvé ce poste dans Facebook, aujourd'hui, et j'ai tenu à le faire figurer dans les chroniques, car il illustre tout ce que je ressens et essaie de dire sur le sujet, et je ne saurais exprimer la colère et l'amertume que m'inspirent ces gens "intelligents et cultivés" qui ont perdu leur âme russe dans une culture de musée et de salles de conférences. Leur âme ne plonge plus ses racines dans l'extraordinaire substrat nourricier de cette tradition, sans laquelle, d'ailleurs, la culture distinguée qu'ils révèrent n'existerait sans doute pas, car les grands créateurs du passé baignaient dedans, elle était dans l'air qu'ils respiraient et le lait de leurs nourrices. Rimsky-Korsakov écrivit la grand Pâque russe après avoir vu un moujik danser au son des carillons. Stravinsky était fasciné par le chant populaire et son oeuvre en a été profondément marquée. Mais ces intellectuels de broussaille cultivés dans les amphithéâtres n'ont que mépris pour ce qui a transfiguré la vie de générations de gens à qui ces chants nous relient, ces chants qui nous mettent en prise avec toutes les dimensions du monde.

mercredi 22 mars 2017

Un filleul des 40 martyrs

La rivière Troubej
Hier soir, j'ai rencontré des amis de Moscou, qui m'ont appelée toute la journée sans arriver à me joindre, car je n'entends pas mon portable et le laisse se décharger n'importe où. Il s'agit du père Valéri et de sa femme Olga, de Serioja Loshakov, de sa femme Tania et de leur fils Timofeï. Ils vont voir aujourd'hui la croix miraculeuse de Godenovo. Le père Valéri sert dans la paroisse de mon père Valentin. Serioja est architecte, Tania fait des icônes émaillées, Timofeï est photographe. C'était la fête du père Valéri, car son saint patron faisait partie de ces 40 martyrs de Sébaste dont je parlais hier. En son honneur, il est allé visiter l'église dont je parlais également. Voici les photos de sa femme Olga. L'église des 40 martyrs et Pereslavl au printemps.
Le père Valéri est un grand amateur de tableaux. Sa femme est peintre, il est ami avec les Soutiaguine, Alexandre Chevtchenko. C'est un homme affable et délicieux qui prend une grande part à tout ce qu'on lui dit en confession. A un moment où j'étais choquée par ce qu'on me racontait de certaines attitudes de croyants ou de prêtres peu miséricordieux, il s'était exclamé avec douleur: "Que puis-je vous dire? Tout cela est vrai, pardonnez-nous au nom du Christ!" Ce qui m'avait délivrée de ma révolte et m'avait fait appréhender que l'Eglise sainte est cette communauté de pécheurs que le Christ réunit par son eucharistie, communauté où certains sont plus lumineux et plus aimants que d'autres, mais où nous nous perdons, nous repentons et nous rachetons ensemble.
C'est lui qui m'avait également raconté avec beaucoup de verve l'anecdote suivante: un de ses amis peintres de saint Pétersbourg va se confesser à un sévère hiéromoine: "Père, j'ai pris l'habitude de boire un verre de bière avant d'aller me coucher.
- Comment? s'exclame le hiéromoine. De la bière, tous les soirs? Mais mon cher, vous n'y pensez pas! Mais c'est très mauvais! La bière, on ne sait pas comment c'est fabriqué, là bas, en Occident. Non, je ne saurais bénir une pareille habitude, je vous conseille plutôt 50 grammes de vodka, c'est dans notre tradition..."

L'église des 40 martyrs de Sébaste

intérieur et fresque des 40 martyrs

intérieur de l'église

Le père Valéri et sa "matouchka" Olga

au café Troïka
Le père Valeri

Mon petit chien était de la fête

Toutes les photos sont d'Olga Kireïeva

mardi 21 mars 2017

Les 40 martyrs de Sébaste


Il y a, à Pereslavl, une église consacrée aux 40 martyrs de Sébaste, ces 40 jeunes guerriers qui ont préféré geler sur un lac en hiver que de renier le Christ. L'église des 40 martyrs de Sébaste a été construite par les pêcheurs de Pereslavl, à l'endroit où la rivière Troubej se jette dans le lac Plechtcheïevo.
C'est aujourd'hui la fête des 40 martyrs de Sébaste.
La tradition veut ici qu'on fasse des petits gâteaux en forme d'oiseaux et que l'on chante pour faire revenir les alouettes, et le printemps:

 Petites alouettes, petites voyageuses,
Volez jusqu’à nous !
Apportez-nous le beau printemps,
Apportez-nous l’été brûlant
Nous en avons assez de l'hiver
Il nous a tout mangé… [1]




[1] Жоворонушки, перепленушки
Прилетите к нам
Принесите нам
Весну красну
Лето теплое
Нам зима надоела
Весь корм поела


Quand j'étais instit au lycée français, nous faisions cuire de tels oiseaux en pâte à sel et nous les jetions dans la neige en chantant cette invocation. Le fokloriste qui venait nous apporter sa tradition nous avait fait chanter cela avec des sifflets globulaires, un instrument qui remonte à la préhistoire et qui a disparu en France. 

Voici ce que cela donnait:

classe de MS du lycée français de Moscou avec Alexandre Joukovski

Les 40 martyrs de Sébaste