Translate

dimanche 31 décembre 2017

BONNE ANNEE 2018

Je trouve toujours un peu bête de le faire, mais le moment est venu de se souhaiter une bonne année. Depuis le temps qu'on en voit passer de pas franchement meilleures ou de pas toujours pires, on peut se dire que cela ne sert pas à grand chose, mais enfin oui, évidemment, souhaitons-nous le meilleur quand même!
J'ai cherché une carte de vœu russe. Je n'ai vu que des horreurs. Je suis allée sur carte de vœu soviétique, je dois dire que c'était nettement mieux, il faut dire qu'à l'époque, beaucoup d'artistes réfugiaient leur talent dans l'illustration et ce genre de choses, maintenant, les cartes sont commandées par des gens qui font du fric, qui ne sont intéressés que par le fric, et jugent de la qualité d'un artiste de par leur mauvais goût personnel.
Souhaitons plus de beauté, d'harmonie, de bonté et de simplicité, de respect pour nos cultures et nos traditions locales qui, à travers nos ancêtres, nous relient à toute l'humanité, elles nous relient, elles ne nous mélangent pas, n'importe comment, comme on croise des chiens ou des chats pour créer une nouvelle race. Souhaitons des prises de conscience salutaires: sans retour à un genre de vie plus simple, plus normal, plus respectueux de tout ce qui vit sur terre, plus digne, plus noble, nous allons nous créer un enfer qui nous rendra la mort facile.
Je souhaite que tout cela prenne fin avant de nous faire le monde irrespirable, hideux et révoltant au delà de ce que nous pourrons supporter. Je souhaite que soient défaits les serviteurs transnationaux de Mammon.
En un mot: maranatha... Viens, Seigneur Jésus!

Et donc, autant que possible, meilleurs vœux à tous ceux qui me lisent.

samedi 30 décembre 2017

Déco

Le temps dégueulasse ne me poussant pas à sortir, je fais comme les Russes dans le temps, et dans la même situation, sans doute, je décore.
J'avais deux chaises soviétiques en contreplaqué complètement destroy trouvées dans la maison, je les ai peintes et recouvertes d'un tissu trouvé au "Lin Russe", à Pereslavl.
J'avais un vieux tabouret certainement fabrication maison, endommagé par les artisans qui s'en servaient pour couper des planches, je l'ai peint de même, et décoré.
Et puis je me suis attaquée à ce que j'hésitais depuis longtemps à faire: des fresques intérieures. Cela doit être fait avec discrétion, quand même, si l'on veut suspendre des tableaux, il faut choisir les endroits, et les couleurs...
J'ai commencé sur la porte de ma chambre, un lion, comme il se doit! Il n'est pas fini, j'ai besoin de réfléchir.
J'espère que je n'ai pas fait une connerie...
Le froid arrivera vers la Théophanie, pas un grand froid, quelque chose comme moins cinq moins dix. J'espère qu'on n'aura pas moins trente au mois de mars...
Depuis deux jours, j'arrive à dormir sans être éveillée par des douleurs. Ca me repose.






vendredi 29 décembre 2017

Les rêves russes d’un « archimandrite français »


 

Voici un autre Français, un précurseur, qui est parti en Russie, comme moi, en 94, et cela sans retour. Le père Basile Pasquiet est maintenant définitivement russe, quoique très attaché à ses racines vendéennes. Je l'ai connu il y a déjà quelques années, grâce à mes cosaques qui étaient allés chanter dans sa ville. J'ai traduit ce petit article de la revue "Thomas", la revue orthodoxe à l'usage de ceux qui doutent, pour laquelle j'ai ouvert une page sur Facebook, "la Russie vue par les yeux de Thomas".

Il y a huit ans, le 25décembre, le saint Synode a confirmé dans le statut de supérieur du monastère d’hommes de la sainte Trinité à Tcheboksary l’archimandrite Basile (Pasquiet), moine russe, français d’origine. Le père archimandrite a pris la direction d’un monastère déjà restauré mais pas complètement remis en ordre : il avait encore à mettre en valeur le territoire du monastère et près de celui-ci, à restaurer l’église du grand martyr Théodore Stratilate, la chapelle de saint Nicolas le Thaumaturge, est apparu également une église domestique dans les appartements de l’higoumène.
L’année écoulée a aussi donné à l’archimandrite Basile une autre occasion de création : du désert de la Transfiguration du Sauveur de Gerontievo, qui était sous la juridiction du monastère de la Trinité de Tcheboksary, restait une source, dont les chroniques du monastère rappelaient l’existence. A cet endroit se poursuit aujourd’hui la reconstruction du quai, dans la beauté duquel il serait convenable d’éterniser la mémoire de l’ermitage.
- Figurez-vous comme ce serait bien si maintenant, l’hiver, depuis le monastère et le long du désert, les gens glissaient le long du quai en troïka !  Il faut à notre pays ressusciter des traditions russes de ce genre, dit l’archimandrite Basile pendant les prises de vues de cette histoire.


Crèche française pour les enfants de Tcheboksary
 

Texte et photos Alexandre Gavrilov pour "Thomas"
traduction Laurence Guillon

mercredi 27 décembre 2017

Jean le taxi

Voyage éclair à Moscou, toujours pour affaires. Je suis partie à travers une tempête de neige, on ne voyait rien, juste des ombres d'arbres et des phares pris dans une blancheur tourbillonnante, qui diffère du brouillard en cela que tout bouge, et que des draperies courent devant la voiture, comme si elle chassait devant elle des nuées de fantômes . Mais dans la journée, plus quatre degrés, et c'est reparti pour une dizaine de jours de moins un plus un, avec toutes les misères qui en découlent, toute cette neige fond, et va geler, dégeler, regeler. Nous avons un hiver gris, mou, lépreux et mouillé.
Au moment de reprendre le bus, le contrôleur qui examine mon passeport me dit avec un air ravi: "Laurence Guillon... On dirait un nom d'actrice!" J'ai dormi tout le long du trajet, car mon sommeil nocturne est très perturbé par mes douleurs au genou. Quand je suis arrivée aujourd'hui par le bus, depuis la rangée de taxis à l'affût près de la gare routière, une voix sonore me hèle de loin: "Neglinny pereoulok 3!! En avant, par ici! Venez ma chère!"
En chemin, nous commentons la météo. "Mais qu'est-ce qui vous a amenée ici, ma pauvre! s'exclame le joyeux taxi. Quel endroit pour passer votre retraite! Vous n'auriez pas pu choisir la Crimée? Et au fait, d'où venez-vous?
- De France.
- De France? Ouah ahha ah! Pas possible? Mais enfin, quelle idée? Et Neglinny pereoulok, en plus! Ah vous avez fait fort!
- Vous n'aimez pas Neglinny pereoulok?
- C'est un marécage!
- En effet, et je le regrette, je préfère les hauteurs ventées, mais la maison est finalement très bien, le coin tranquille et les voisins gentils.
- C'est déjà quelque chose, et ce qu'il vous faut faire, c'est une mare. Vous demandez à votre voisin dont je vois la pelleteuse, et vous faites épandre la terre retirée, ça va vous remonter tout ça, et vous verrez, après plus de problèmes.
- Je l'envisage, et un ami me l'avait conseillé, d'ailleurs."
Le joyeux taxi me laisse sa carte. "Je m'appelle Ivan, si vous avez besoin de moi, comment cela se dit, en français?
- Jean."
Il répète "Jean" plusieurs fois, tout content, comme s'il essayait un vêtement neuf.
Rosie m'accueille, trempée comme une soupe. Les animaux sont contents de me revoir, mais je ne sens plus aucun traumatisme, ils savent que de temps en temps, je pars un jour ou deux. Et que je reviens.
L'acquisition d'une voiture se profile. J'en aurais bien besoin. Mais l'achat m'intimide. Pourtant, que de possibilités cela m'ouvrirait... Tous les endroits enchantés qui ne sont pas accessibles autrement, à commencer par Pogost Krest, ses moines et son higoumène.

Le monastère de la Croix Vivifiante à Pogost Krest

lundi 25 décembre 2017

CHRONIQUES DES MIRACLES


IV LES NOMS : LA MONIALE SYNCLETIA SMIRNOVA

De l’histoire de la Croix Vivifiante du Seigneur. La suite.
Alevtina Ivanovna Kouznesova :
« Ma grand-tante, tante Setia, comme jel’appelais, était née en 1881 dans le village de Baskatch, non loin de Nikolski Pogost. Un jour, alors qu’elle avait quatorze ans et se promenait avec des amies, tante Setia vit un convoi d’un monastère de Pereslavl, ce monastère était pauvre et les moniales demandaient la charité. Le fait est que ma grand-tante avait rêvé de ce convoi la veille, et d’après ce rêve, elle savait précisément qu’elle devait le suivre. La fillette se jeta à sa suite, et les moniales la prirent avec elles à Pereslavl. Ses parents à leur retour la cherchèrent partout, et ses amies leur racontèrent tout. On la trouva au monastère saint Théodore à Pereslavl, mais la fillette refusa de revenir à la maison. Les parents décidèrent que c’était une tocade provisoire et partirent sans rien. La même chose se reproduit à leur seconde visite et ils virent que se déroulait déjà sa tonsure.  Mon arrière-grand-mère s’évanouit dans l’église ».
A l’époque du pouvoir soviétique, le monastère saint Théodore partagea le destin de la plupart des églises orthodoxes. Au début, on le transforma en commune agricole, et au milieu des années 20, on le ferma. Son dernier prêtre, Nikolaï Dounaïev, fut passé par les armes en 1937, la supérieure, l’higoumène Olympiade Gueorguievskaïa, fut arrêtée. Après la fermeture du monastère, Synclétia revint à sa région natale et s’installa à Godenov, auprès de l’église saint Jean Chrysostome. Bientôt en fut arrêté le prêtre, Nikolaï Vedenski.   A ce moment, furent aussi victimes des répressions le clergé de l’église de l’Exaltation de la Croix, du cimetière voisin de saint Nicolas, l’église fut-elle-même désertée et pillée, et transformée en orphelinat. Les paroissiens, qui avaient sauvé la Croix Vivifiante, l’avaient transportée à Godenovo. La moniale Synclétia elle-même raconte les détails du transport de la Crucifixion miraculeuse.
PROCES VERBAL DE L’INTERROGATOIRE DU TEMOIN SMIRNOVA SYNCLETIA MIKHAILOVNA, STAROSTE DE L’EGLISE DE GODENOVO, 14 mars 1941.
Question :
- C’est quoi cette croix que le père Nikolaï Vvedenski a acquise pour sa paroisse ?
- La Croix Vivifiante a été apportée par les croyants du district d’Ilinsko-Khovanskoïe de la région d’Ivanovo, en accord avec le père Nikolaï et le conseil de la paroisse. Mais ce n’est pas pour toujours, juste le temps qu’ils se construisent une chapelle. Cette Croix est vivifiante, elle a plus de 500 ans. Le père Nikolaï a conseillé de l’emporter dans un endroit isolé, pour qu’elle n’attire pas trop de monde. Et malgré tout, beaucoup  de croyants viennent, ils viennent d’autres districts et régions, comme par exemple, de la région d’Ivanovo, du district de Rostov de la région de Yaroslavl, et aussi d’autres paroisses. »(Les prêtres Alexis Prozorov et Sergueï Veriovkine étaient passés au sujet d’une affaire à régler avec Nikolaï Vvedenski, recteur de l’église de Godenovo)…
A partir de 1940, la moniale Synclétia protégea l’église des pillages. Des commissions étaient périodiquement envoyées  pour fermer l’église et chaque fois, instruite par de bonnes gens, elle fermait les portes, elle se préparait un balluchon avec des provisions et partait pour le marais Sakhoskoïe. La mère s’y cachait des semaines. Cela se passa plus d’une fois.
La commission venait, l’église était fermée, la décision était remise à plus tard. A la prochaine venue, c’était la même chose. C’est ainsi que par miracle, l’église n’a pas été fermée…
Un exploit ? C’en est un…

Alexandrina Viguilianskaïa


Traduite par Laurence Guillon
Pogost Krest avant la révolution
la Croix Vivifiante

Le monastère saint Théodore avant la révolution



dimanche 24 décembre 2017

Pogost Krest

Alexandrine et son ami Sacha font un film sur la Croix de Godenovo. Ils sont passés me chercher pour m'emmener au lieu de son apparition miraculeuse. L'église qui la gardait, comme il est raconté dans les chroniques des miracles d'Alexandrine, avait été fermée et peu à peu ruinée par les soviétiques, après avoir servi d'orphelinat dans les années 40. La Croix avait été alors recueillie par les paysans du village de Godenovo, où elle se trouve encore.
L'église initiale a été entièrement reconstruite par les moines du monastère qui s'est installé sur place, à l'initiative du père Boris, frère du père Dimitri, higoumène du monastère saint Nicétas à Pereslavl.
L'ensemble se dresse dans un paysage ouvert, vaste et désert, qu'il domine de  ses coupoles élégantes, à l'éclat doré dans le ciel gris et neigeux. Là bas, tout est très pur, très propre, blanc, mystérieux, silencieux...
Le père Adrien, dont il est question dans une chronique précédente est venu à notre rencontre. C'est un ancien spécialiste des arts martiaux, envers lesquels il a maintenant une grande méfiance, et à ma question sur les arts martiaux slaves, il m'a répondu que c'était du paganisme et des forces impures.
Il n'y avait pas grand monde aux vigiles, dans l'église, il faut dire que le monastère est dans un endroit vraiment très retiré.
Les icônes ont été faites dans le style fin XVII°, début XVIII°, très précis et stylisé, avec quelque chose qui rappelle des illustrations ou des enluminures. J'ai eu une impression étrange: l'une d'elles, illuminée par le spot électrique du choeur, m'a soudain évoqué les apparitions du métropolite Philippe dans mon livre, c'était tellement ce que j'avais imaginé que cela me faisait presque peur, et pourtant, je savais que c'était là le résultat de cette vive lumière sur les rehauts d'or, et que ce métropolite n'était pas Philippe mais Alexis de Moscou...
Je me suis prosternée devant la copie de la Croix qui, dit-on, fait des miracles à l'instar de l'original.
A l'issue de l'office, mes compagnons m'ont présenté l'higoumène Gabriel, qui a l'air d'une icône, d'une icône russe, s'entend, une dignité humble, une bonté pleine d'humour. Ses yeux verdâtres me regardaient avec une douce curiosité, et quand il a réalisé que j'étais française, il s'est mis à rire, absolument enchanté: "Oh, française, vraiment? Vraiment? C'est incroyable, je vous aurais prise pour une babouchka russe!"
Il nous a montré un livre sur les événements liés à la Croix. Une pensionnaire de l'orphelinat vit encore et a témoigné sur tout ce qui s'y passait, et sur les maltraitances qui s'y déroulaient. Le directeur qui avait arraché les croix avec enthousiasme est mort de façon prématurée d'un cancer.
Le monastère a fondé un orphelinat dans la ville d'Ivanovo.
Alexandrina a demandé au père Gabriel d'aller porter la communion à un homme tombé dans une misère noire à la suite d'une maladie orpheline épouvantable. Dépouillé de tout ce qu'il avait par son frère, il se meurt dans une masure avec sa mère. Cette maladie semble se soigner à l'étranger mais cela exige des sommes énormes. Alexandrina essaie d'obtenir qu'on lui procure un logement décent et une aide médicale.
Les moines nous ont retenus à dîner au réfectoire. Ils ont apporté un lit de camp pour le cinéaste Sacha: depuis qu'il a entrepris de tourner ce film, il lui est impossible de dormir dans une cellule, il est en proie à des étouffements et à toutes sortes de phénomènes désagréables. Le diable, observe-t-on, ne veut pas lui laisser achever son oeuvre. "Qu'il fasse ce qu'il veut, je finirai quand même, répond Sacha.
- Tu as tort de narguer le démon..." remarque le père Adrien, le nez dans son assiette.
S'ensuit un grand silence... Rien à ajouter!
Ce monastère m'a fait très bonne impression, il y règne une atmosphère amicale et paisible. Comme on dit ici, tel pope, telle paroisse.
Nous sommes reparties, avec Alexandrina, au travers d'une tourmente de neige qui nous a rendu le retour difficile. On ne voyait pas où était la route.
A notre arrivée, j'ai vu, dans la lumière et la vapeur qui émanaient de la cabane de l'étuve, le fils de ma voisine en maillot de bain, avec un ami, dans les flocons tourbillonnants. Il est tombé beaucoup de neige.



la route du monastère (photo Alexandrina)

Le monastère (photo Alexandrina)
L'higoumène Gabriel, photo Alexandre Matrossov.


jeudi 21 décembre 2017

Pourquoi l'exil

.Dans le district de Chatsk, les paysans s'étaient rassemblés devant le bâtiment de la Tchéka pour récupérer l'icône confisquée de la Mère de Dieu Vychenskaïa. Les Gardes rouges ouvrirent le feu sur la foule. Un témoin raconte: "Je suis un soldat, j'ai participé à de nombreux combats avec les Allemands, mais je n'avais jamais vu ça. La mitrailleuse les fauche un rang après l'autre, et ils avancent, ils ne voient rien, par dessus les cadavres, ils rampent de travers sur les blessés, ils ont des yeux terribles, les mères poussent leurs enfants devant elles, elles crient: "Notre Mère secourable, sauve-nous et prends-nous en pitié, c'est pour toi que nous tombons tous!" Il n'y avait plus en eux aucune espèce de crainte." (archiprêtre Vladislav Tsypine, histoire de l'Eglise russe 1917-1997)
В Шацком уезде крестьяне собрались к зданию ЧК выручать конфискованную Вышенскую икону Божией Матери. Красноармейцы открыли огонь по толпе. Очевидец рассказывал: " Я солдат, был во многих боях с германцами, но такого я не видел. Пулемет косит по рядам, а они идут, ничего не видят, по трупам, по раненым лезут напролом, глаза страшные, матери — детей вперед, кричат: " Матушка Заступница, спаси и помилуй, все за Тебя ляжем!" Страха уже в них не было никакого"."
(Прот Владислав Цыпин, ИСТОРИЯ РУССКИЙ ЦЕРКВИ, 1917-1997)

Cet épisode lu sur une publication de Facebook, et déjà cité mais non traduit, me poursuit: il est clair que ces paysans n'avaient plus rien à perdre, ils savaient qu'il n'y avait pas de place pour eux dans le "monde nouveau", et Sophie m'en a brusquement parlé, parce qu'elle ressentait la même chose, elle ressentait aussi que ce qui s'est passé à ce moment-là, en 17, pourrait se passer aujourd'hui dans le monde entier, et que nous pourrions éventuellement mourir ainsi. Oui, c'est une éventualité. Dans ce qui a déterminé mon départ, il y avait la conscience d'aller dans un endroit où d'abord, tout n'est pas encore joué, et où, ensuite, on pourrait mourir en procession, s'il fallait en venir là, derrière les bannières et les icônes, et comme dit Sophie, "ensemble". 
Non que je le souhaite ou que je sois pressée, mais dans les temps que nous traversons, c'est une éventualité.
J'ai toujours pensé qu'un héros n'était pas forcément un type téméraire qui aime braver la mort, mais plutôt quelqu'un qui s'aperçoit que vivre ainsi qu'on le lui propose, accepter certaines compromissions inacceptables dévaluerait tellement son existence qu'il n'a tout d'un coup plus d'hésitation à la risquer ou à la sacrifier.
Quand l'higoumène Philippe est parti à Moscou, convié par le tsar Ivan à occuper la chaire de métropolite, il savait probablement qu'il partait pour le Golgotha. Mais il n'avait pas d'autre choix: il allait dans le sens de son engagement de toute une vie. Un moine, un higoumène, se dérobe-t-il devant le Golgotha, quand il s'agit d'obéir à la volonté de Dieu et d'imiter le Christ dans sa soumission?
Ce Golgotha ne va pas toujours jusqu'au martyr effectif, concret, mais il peut simplement se présenter comme une manière plus difficile de vivre et de mourir, acceptée, consentie quand elle nous est offerte. Un jour, j'ai demandé à soeur Agnès, à Solan: "C'est parfois compliqué de discerner quelle est la volonté de Dieu. Serait-ce qu'entre deux choix, celui qui répond à sa volonté est le plus difficile?
- Comment vous dire? Bien souvent, oui." 
Sur vkontakte, je vois que mon album "animaux" n'a pas été complété depuis longtemps, et je décide d'y remédier. J'ai donc plongé dans mes dossiers de photos, et vu mes petits spitz. De Jules, j'avais mis déjà beaucoup de photos, mais presque pas de Doggie. Doggie, ma petite créature féerique, béate de bonheur sur la plage des Saintes-Marie-de-la-Mer. Les Saintes-Marie-de-la-Mer... J'avais voulu y retourner parce que je pressentais que je n'allais peut-être plus revoir la mer de ma vie, ou plutôt, je me disais qu'il fallait envisager que ce pût être la dernière fois, même si le ciel ne nous tombait pas tout de suite sur la tête. Que de lumière, aux Saintes Marie, que d'azur, et comme mon petit chien était joli et heureux... Je crois que c'est le plus beau moment que nous ayons passé ensemble. J'étais avec Cécile, qui garde jusque dans la vieillesse, son air d'étudiante nordique hippie. Et je jouais avec les tresses douces et salées de la mer, avec ses reflets, sous l'oeil inquiet du petit Doggie, clair comme le sable, duveteux, immatériel. Un petit nuage de simoun éperdu d'amour.
Et puis les chemins de Cavillargues: tout est brillant, éclatant, dans le Gard, exubérant, les pins, les cyprès, les arbres fruitiers, leurs fleurs miraculeuses qui surgissent au printemps directement sur leurs squelettes sombres, ressuscitant à travers les collines des foules entières de mariées et de communiantes fragiles, illuminées et odorantes, les oliviers, les coquelicots, le Ventoux et l'azur, le vent et les rayons. Le petit chien...
Le petit chien, inconsciemment sacrifié dans mon équipée, car moins soucieuse et moins bousculée, j'aurais peut-être remarqué les signaux de sa maladie et réagi plus vite. 
On pourrait penser que j'ai quitté la Russie pour aller vers une vie meilleure, mais en réalité, il n'en est rien, et réfléchir là dessus tombe à point pour moi, puisque une journaliste, Vera Polyt, me pose la question qui intrigue tous les Russes.
Pourquoi suis-je partie? J'étais bien planquée dans le Gard, au soleil, avec le climat idéal pour mon arthrose et ma sinusite, un excellent médecin généraliste, le monastère de Solan, la mère Hypandia. Les paroissiens m'aimaient bien, et aussi les commerçants du village, les clients du café. Il y a des chances pour que cela tourne très mal en France, en tous cas, les maîtres du monde et notre gouvernement à leur solde font vraiment tout pour cela, mais à mon âge, il est plus simple d'attendre la fin du monde là où l'on se trouve ...
 Je suis partie sans doute parce que je ne pouvais pas faire autrement, pour être en paix avec moi-même. Et je suis globalement en paix.
Tous les jours que je fais, je faillis à tous mes devoirs de chrétienne, j'oublie mes prières ou néglige le jeune, enfin je ne suis pas du tout à la hauteur, mais je suis partie quand même, à reculons, avec toutes sortes d'oreillers, de parachutes, de petites laines, de valises, de petits chiens et de petits chats, je suis partie accomplir ce pour quoi je suis née et suivre le sens de toute ma vie, parce que sinon, j'aurais eu l'impression de mourir à côté de la plaque. J'ai choisi la nuit polaire, la patinoire-pataugeoire moins un plus un, les douleurs arthrosiques, la sinusite et j'ai perdu mon petit chien chéri dans l'affaire. Mais comme toujours dans ces cas-là, et c'est le signe que je suis en bonne voie, je suis puissamment aidée. Les choses sont difficiles mais elles s'arrangent. Les gens sont avec moi extrêmement serviables et secourables. De tous côtés on m’accueille à bras ouverts. Je suis obligée de compter avant tout sur Dieu, c'est ce que je fais, et Il m'aide.
Je suis venue, entre autres, dire aux Russes de s'aimer tels qu'ils sont, et le message semble être bien passé. J'en suis même étonnée. Comme quoi, lorsqu'on parle avec sincérité et amour, on est entendu, on est aussi entendu de ceux qui écument de haine, mais ce sont des choses auxquelles il faut se préparer et s'attendre...
On m'a dit: "L'exil est une renaissance choisie, et c'est tout." En réalité, s'il s'agit de renaissance, c'est peut-être de celle qui suit la mort du "vieil homme". Je suis peut-être en train de mourir à ce que j'étais, mais il s'agit plus d'un accomplissement ultime que d'une renaissance.

Pourquoi suis-je partie en Russie (en russe)