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mercredi 9 mai 2018

humeur de mai


Feu d'artifice de la victoire
Le jour de la victoire a pris fin, la victoire qui a coûté très cher. J’avais mis sur Facebook un documentaire sur l’Eglise dans la guerre, en russe, parce que c'était trop long à sous-titrer  : l’héroïsme des Russes mais aussi les persécutions religieuses, Staline qualifiant de traîtres tous les pauvres types tombés aux mains des Allemands, et les promettant ainsi au goulag dès leur retour… Enfin bref. La victoire. Pour l’obtenir, pour éviter à la Russie en proie à une idéologie qui avait entamé sa complète dérussification (car « dékoulakisation » (ou « dépaysanisation ») plus « décosaquisation », plus « déchristianisation », plus anéantissement systématique du patrimoine, qu’est-ce d’autre qu’une dérussification planifiée ? ) de tomber sous la coupe d’idéologues étrangers néopaïens qui planifiaient sa destruction et son pillage, les gens se sont soulevés et unis comme un seul homme, devant l'agresseur, comme toujours dans ce pays, et c’est la leçon que je retiens de tout cela, ils se sont unis, j’espère qu’ils en seront encore capables, les Français, par exemple, ne le sont plus. Or ce qui se dessine comme horreur totalitaire à l'échelle mondiale  pourrait bien être pire que celles du XX° siècle...
Edouard m’a demandé aussi pour son journal ce que représentait la victoire pour moi etc. Et j’étais assez mal à l’aise pour répondre, j’ai dit : l’incroyable héroïsme des Russes, leur unité face à l’agression, une leçon à méditer pour l’avenir… Oui, c'est cela que cela représente pour moi, en toute sincérité. 
J'ai appris que mon permis de séjour était prévu pour le 28 mai, parce que j'ai remis mon dossier le 28 novembre, alors il faut 6 mois de délai légal à un jour près. Oui, mais le consulat, lui, à qui j'avais demandé un visa de 3 mois, ne m'a consenti que 2 mois, jusqu'au 21 mai, et cela sans qu'il y ait aucune explication rationnelle à la chose. Fort heureusement, il paraît que je n'aurai quand même pas à repartir pour une autre tournée de visa. Mais en revanche, je vais être obligée de refaire l'immatriculation de la voiture, de payer plein pot, et de changer les plaques, or j'avais un numéro facile à mémoriser... Pour éviter cela, il me faudrait me présenter avant expiration de la date de mon visa avec la carte de séjour et un nouvel enregistrement...
J’ai jardiné, je voulais aller me promener quelque part, visiter quelque chose, mais j’ai eu peur de tomber dans les déplacements de moscovites qui rentrent chez eux.
J’ai posé les plessis que j’ai trouvés chez Leroy Merlin, maintenant j’envisage les dalles de bois pour créer des chemins, ça prend tournure. Des choses poussent de tous les côtés, que j’ai  plantées ou déplacées à l’automne ou parfois complètement oubliées. Je peux déjà rajouter de petites feuilles de cassis à mon thé, et c'est délicieux. Le jardin devrait déjà être différent cette année, mais il me faut faire livrer de la terre. 
Je lis dans mon hamac et m’émerveille de ce que les voisins ne bricolent pas, ne tondent pas, n’écoutent pas la radio à tue-tête… Je n’entends que le vent, comme dans le Gard le mistral, bien que ce vent-là soit plus erratique. Pas beaucoup d’oiseaux, mais souvent, on n’entend pas tellement les oiseaux quand il y a du vent. 
C’est la grande compétition entre Rom et Georgette pour me rejoindre sur le hamac et ils devinent toujours que j’y vais. En réalité, ils me surveillent sans arrêt, pires que des agents du KGB.
Rosie aime bien quand je suis dehors, car elle n'aime pas être dedans. Nous n'avons pas de mauvaises relations, à condition de ne pas la contrarier, mais pas de grand contact non plus. Nous coexistons. 
Je pense toujours à Doggie avec chagrin, et remords, mais peut-être, me dis-je parfois, que s'il n'était pas mort de cette manière, le molosse intimidant des voisins qui passe à travers ma palissade écroulée l'aurait tué sous mes yeux? Il n'avait pas l'agilité d'un chat...
Enfin, d'ici deux jours, la palissade sera changée. J'ai refusé la tôle qui défigure tout le pays, je mets une palissade russe classique, des lattes de bois espacées. 
Plus d'incursions de molosses.

Cette créature inquiétante, c'est Georgette. Elle est contrariée
quand je bouge.

Rosie et son crâne de chèvre

Pas beaucoup de feuilles, encore, n'est-ce pas?

Rom attend la place occupée par l'autre chipie.




mardi 8 mai 2018

9 mai

Pour cette fête de la victoire du 9 mai, j'ai eu envie de publier cette lettre que j'avais déjà publiée sur un autre blog.


Lettre retrouvée sur un soldat tué pendant la deuxième guerre mondiale

Publié le 

Transmise par le père Basile Pasquiet et traduite par mes soins:


Ecoute, Dieu… Je ne T’ai encore jamais parlé de ma vie, mais aujourd’hui, j’ai envie de Te saluer, Tu sais que depuis mon enfance on me répète que Tu n’existes pas, et moi, comme un imbécile, je l’ai cru. Je n’avais jamais contemplé ce que Tu as créé. Mais cette nuit, voilà que j’ai regardé, depuis le cratère qu’avait fait une grenade, le ciel étoilé au dessus de moi. J’ai compris tout à coup, en admirant l’univers, combien la tromperie avait pu être cruelle. Dieu, je ne sais pas si tu me tendras la main, mais je vais Te dire, et Tu comprendras : n’est-il pas étrange qu’au sein de cet enfer abominable, la lumière se soit révélée à moi et que je T’ai reconnu ? A part ça, je n’ai rien à dire, seulement que je suis heureux de T’avoir reconnu.  Notre attaque doit avoir lieu à minuit, mais je n’ai pas peur : Tu nous vois…
C’est le signal. Que faire ? Je dois y aller. J’étais bien, avec Toi, et je veux encore Te dire que, comme Tu le sais, la bataille ne va pas être facile. Et peut-être que cette nuit, je m’en vais frapper chez Toi. Et voilà, bien que jusqu’à présent je n’ai pas été Ton ami, est-ce que Tu me permettras d’entrer, quand j’arriverai ? Mais voilà que je pleure, on dirait. Mon Dieu, Tu vois ce qui m’arrive, maintenant j’ai mûri. Adieu, mon Dieu, j’y vais ! Et j’ai peu de chances d’en revenir. Comme c’est bizarre, maintenant, je n’ai plus peur de la mort !
Malheureusement, à l'époque, je n'avais pas gardé l'original en russe. Si quelqu'un peut me le communiquer, ainsi que le nom de l'auteur de la célèbre photo si parlante que j'ai choisie comme illustration...
Mais une bonne âme (Béatrice Romand) me l'a trouvée!

Послушай, Бог… Ещё ни разу в жизни
С Тобой не говорил я, но сегодня
Мне хочется приветствовать Тебя.
Ты знаешь, с детских лет мне говорили,
Что нет Тебя. И я, дурак, поверил.
Твоих я никогда не созерцал творений.
И вот сегодня ночью я смотрел
Из кратера, что выбила граната,
На небо звёздное, что было надо мной.
Я понял вдруг, любуясь мирозданьем,
Каким жестоким может быть обман.
Не знаю, Боже, дашь ли Ты мне руку,
Но я Тебе скажу, и ты меня поймёшь:
Не странно ль, что средь ужасающего ада
Мне вдруг открылся свет, и я узнал Тебя?
А кроме этого мне нечего сказать,
Вот только, что я рад, что я Тебя узнал.
На полночь мы назначены в атаку,
Но мне не страшно: Ты на нас глядишь…
Сигнал. Ну что ж? Я должен отправляться.
Мне было хорошо с Тобой. Ещё хочу сказать,
Что, как ты знаешь, битва будет злая,
И, может, ночью же к Тебе я постучусь.
И вот, хоть до сих пор Тебе я не был другом,
Позволишь ли ты мне войти, когда приду?
Но, кажется, я плачу. Боже мой, Ты видишь,
Со мной случилось то, что нынче я прозрел.
Прощай, мой Бог, иду. И вряд ли уж вернусь.
Как странно, но теперь я смерти не боюсь.
Стихотворение найдено в шинели солдата Александра Зацепы, погибшего в Великую Отечественную Войну в 1944 году.
C'était dans le manteau du soldat Alexandre Zatsepa, tué en 1944

samedi 5 mai 2018

Anastasia

Voilà qu'après la description idéale des Italiens, j'en arrive aux Anglais et là, rien ne va plus. Le tsar, il est vrai, au début de son règne "était devenu beau, il était doué d'un grand esprit, de capacités brillantes, dignes du maître d'une si grande monarchie". Tant que dure son mariage avec Anastasia, tout va bien. Elle était "si sage, vertueuse, pieuse et influente que tous ses sujets la vénéraient, l'aimaient et la craignaient. Le grand prince était jeune et emporté, mais elle le dirigeait avec une humilité et une intelligence étonnantes". Cependant, après la mort de la tsarine, le tsar idéal se mue en une bête féroce, un tyran implacable que tout le monde déteste et qui accumule les actions étranges. Là, je me demande si l'Anglais ne force pas un peu la note, d'autant plus que justement, les gens ne détestaient pas le tsar, on ne trouve pas trace de détestation dans le folklore, alors que Pierre le Grand y figure, par exemple, sous la forme du chat enterré par des souris réjouies. La chanson cosaque qui déplore la mort du tsar Ivan est une merveille de poésie épique...
De plus, il me semble que certains détails de la relation de l'Anglais sont confus par rapport au déroulement de la vie du tsar dans les biographies que j'ai lues, peut-être raconte-t-il tout cela par ouï dire, après son arrivée en Moscovie. Il a pratiquement assisté à la mort du tsar qu'il décrit comme un reportage, avec l'extraordinaire moment où il lui montre sa collection de pierres précieuses, aux vertus curatives et magiques desquelles il croyait dur comme fer, j'ai repris d'ailleurs en partie cette scène, c'est à Vania, fils de Féodor Basmanov, qu'il montre ces pierres et il lui en fait cadeau de quelques unes pour le protéger et lui porter chance. L'Anglais évoque également le supplice gratiné d'un compatriote, mage, nécromancien et mathématicien tombé en disgrâce, aventurier douteux et fort peu sympathique qui a payé cher ses intrigues, après avoir fait transporter une fortune en Angleterre, dont il n'aura pas profité.
L'Anglais pense que ce sont les péchés des Russes, filous, sodomites et ivrognes qui leur ont valu un tsar pareil, opinion qui entre en contradiction avec la  description de la lettre adressée au pape. A noter que les atrocités sont commises souvent par les tatars dont il s'était assuré les services, ce qui irait dans le sens des renseignements donnés par le père Antoni sur le côté pacifique et très peu cruel du Russe natif. En réalité, j'observe que la plupart des Russes sont plutôt bons, le problème est que ceux qui ne le sont pas, sont souvent de rares saloperies. L'Anglais n'a aucune sympathie pour les Russes, contrairement aux Italiens. Il présente le fou en Christ Nicolas, qui avait arrêté le tsar sur le chemin de Pskov qu'il se préparait à "punir", comme un "sorcier et un escroc" qui allait à moitié nu en poussant des cris. Apparemment, il est tombé chez les dingues et vivement son retour à Londres.
Que l'Anglais ait exagéré est possible. Mais il ne peut pas avoir complètement inventé tout cela, surtout avec le martyr du métropolite Philippe et celui de saint Corneille à la clé, événements dont il ne parle pas, d'ailleurs. Il a certainement noirci le trait. Mais il y avait quand même matière...
Je suis convaincue, sur un plan vraiment historique, et pas romanesque, que la mort de la tsarine a été déterminante, en réalité, cette tsarine vaudrait un roman. Je ne crois pas du tout que c'était une "biche aux abois" comme la décrivait un Russe qui doutait de son influence sur le tsar. L'Anglais (sir Jerome Horsey) dit que ses sujets l'aimaient et la craignaient. Qu'elle dirigeait le grand prince avec humilité et intelligence. Et elle a vraiment été empoisonnée, certainement parce qu'elle était gênante. D'ailleurs, elle était l'objet de l'hostilité du confesseur du tsar, le prêtre Sylvestre, qui a été ensuite disgracié et envoyé en exil aux Solovki. A une époque où les femmes étaient plus qu'effacées, soumises et sans aucun droit, le rôle prééminent de la tsarine auprès d'un personnage tel que le tsar Ivan laisse rêveur. Elle devait être très intelligente, avoir beaucoup de personnalité, c'était sans aucun doute un être bon, de grande qualité, mais genre main de fer dans un gant de velours, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, tout en adoptant le comportement discret de la souveraine chrétienne idéale, soumise à son époux, qu'elle tenait comme la vierge de la légende la tarasque en laisse.
Il est probable que si un malfaiteur imbécile n'avait pas mis fin à son existence de cette façon prématurée, le tsar aurait sans doute laissé un souvenir absolument radieux à la Russie. Car il aurait sans doute eu le temps de consolider paisiblement son royaume, et de faire toutes les réformes et conquêtes ou reconquêtes nécessaires sans sombrer dans la paranoïa, et fût-elle morte plus tard, quand tout cela aurait été accompli et ses fils adultes, que tout serait resté relativement normal.
C'est à dire que si majestueux, viril et dominateur que le tsar pût paraître, il était sans doute au fond assez fragile, en tous cas, peut-être plus fragile que sa femme, plus génial, mais plus fragile. Elle le rassurait, elle le canalisait, elle l'équilibrait, et il savait le prix de tout cela.
Ce qui m'intéresse aussi beaucoup, c'est que la Russie apparaît, d'après ces témoignages, comme une communauté familiale, cimentée par un héritage culturel spécifique et une foi ardente autour de son tsar, même parano. D'autre part, comme je l'avais senti, elle avait très peu le sens de la propriété, car individuellement, les gens ne possédaient rien que de façon éphémère. Tout appartenait au tsar, c'est-à-dire à la communauté.

Le tsar et Anastasia dans le film d'Eisenstein



jeudi 3 mai 2018

Le tsar idéal

La journée d'aujourd'hui avait ce côté miraculeux du beau temps russe qui vous fond brusquement dessus comme la grâce du Seigneur. Du soleil, un vent frais et léger, un air translucide, de petits nuages blancs lumineux et erratiques comme des anges folâtres. Georgette a observé l'installation du hamac avec un grand intérêt et a sauté dedans dès que je m'y suis allongée.
Mon père Valentin m'a donné à lire un recueil de témoignages d'étrangers sur l'ancienne Russie, du XV° au XVII° siècle. Les mieux disposés sont les Italiens. Les plus hostiles les Polonais. Les plus méprisants, les Anglais.
On décrit un pays immense, très froid, mais riche, avec de tout en abondance. Mais très peu de fruits, tout juste des pommes, et puis des baies sauvages. Des gens très endurants, aux mœurs rudes et plutôt vertueuses.
La composition de la ville de Moscou rappelle celle de Pereslavl Zalesski quand je l'ai connue: autour du Kremlin, des monastères, des églises, d'innombrables maisons de bois qui ont toutes un jardin et qui sont parfois séparées par de grands espaces non construits, des prés intérieurs.
Moscou était alors entourée de forêts impénétrables avec toutes sortes de bêtes sauvages.
Les marchés se tenaient sur la rivière gelée. On apportait la viande littéralement sur pieds: les animaux tués, écorchés et congelés étaient entreposés debout sur leurs quatre pattes, en attendant qu'on les achète, des troupeaux entiers d'animaux écorchés et congelés...
Les Russes sont décrits comme extrêmement pieux (je pense à un Russe acharné à prouver qu'en fait, les Russes n'étaient pas orthodoxes et que l'orthodoxie n'avait pas formé la Russie). Mais très portés sur la boisson, de sorte que les souverains prohibaient complètement l'alcool, sauf pour la période de Noël. Y compris Ivan le Terrible, du moins dans sa jeunesse, je m'interroge sur les festins de l'opritchnina... Quand il buvait, aux réceptions, c'était cul sec, après un signe de croix, tradition qui s'est conservée.
Un Italien s'extasie sur la beauté des Russes, hommes et femmes. Ils sont toujours beaux, ils devaient l'être encore plus à l'époque, et leurs vêtements étaient tellement plus seyants que les oripeaux modernes... Ivan III, grand-père d'Ivan le Terrible, est décrit comme un très bel homme par l'Italien ébloui.
L'ambassadeur Marco Foscarino dépeint Ivan le Terrible:
Le prince et grand empereur appelé Ivan Vassiliévitch est âgé de 27 ans, il est beau de sa personne, très intelligent et magnanime. Pour les qualités exceptionnelles de son âme, son amour de ses sujets et les grandes choses qu'il a accomplies avec gloire en peu de temps, il est digne de figurer aux côtés de tous les souverains de notre temps, s'il ne les surpasse pas...
L'empereur se gouverne par ses lois simples, selon lesquelles il règne et dirige tout l'état avec la plus grande justice. Ces lois sont observées tellement bien que personne n'ose les enfreindre par des interprétations arbitraires et rusées. Aux brigands, aux meurtriers et aux malfaiteurs sont réservés de sévères châtiments; les criminels, comme il se doit, sont soumis aux tortures.
L'empereur s'adresse à tous avec simplicité et s'entretient avec tous; il déjeune avec tous les nobles en public, mais avec une véritable noblesse: avec une grandeur royale, il allie l'amabilité à l'humanité.
Ce tableau ne correspond pas vraiment à l'image qu'on donne partout d'Ivan le Terrible. Et pourtant, c'est l'un de ses aspects, c'est sans doute ce qu'il avait décidé d'être, le souverain idéal. Il avait vingt-sept ans, il n'avait pas encore perdu sa femme ni fondé l'opritchnina...
Interrogé sur la raison pour laquelle il ne laissait pas repartir les Italiens qui travaillaient pour lui, le tsar répond que c'est parce qu'il les aime et a peur de ne pas les voir revenir...
De la même façon, dans mon livre, il coince à la Sloboda l'Anglais Arthur Rackham, parce qu'il l'aime bien et apprécie sa conversation...
Les Anglais trouvent les Russes superstitieux et filous, mais dans une lettre au pape, on dit d'eux:
Se tromper les uns les autres est considéré par eux comme un crime affreux et vil; l'adultère, la violence et la débauche publique sont également très rares; les vices contre-nature sont tout à fait inconnus; on n'entend pas du tout parler de parjure ou de sacrilège.
Ils vénèrent profondément, en général, Dieu et ses saints et partout où ils voient une image de la Crucifixion, ils tombent aussitôt prosternés... Dans les églises, on ne remarque rien d'irrespectueux ou de malhonnête, au contraire, tous, ployant le genou ou se prosternant, prient avec une ferveur sincère.
Mon père et de nombreuses autres personnes honorables qui ont vécu quelques temps en Moscovie, m'ont assuré que les moscovites seraient beaucoup plus justes que nous, si la séparation de nos deux Eglises ne faisait pas obstacle



Mes tulipes botaniques...

mercredi 2 mai 2018

Baphomet!

Là, tout à coup, le grand beau temps, la douceur. Je me suis activée dans la jardin, mais je me fatigue vite, et il faudrait faire un travail assez considérable, même si je me résigne à utiliser le terrain plus ou moins tel qu'il est, ce qui est un défi!
Rosie était contente de me voir dehors et restait couchée ou bien coursait Georgette qui n'en a plus tellement peur. Elle aime Georgette, et Georgette le sent.
J'ai vu un chien blanc tout crotté qui, à mon avis, n'est pas d'ici, il a un collier, un air intelligent, sensible et triste, il doit avoir du labrador. Je lui ai parlé, il a hésité, puis s'est approché, mais Rosie s'est mise entre nous, lui montrant que j'étais sa chose et qu'il ne fallait pas se permettre des choses pareilles. Du coup, il est parti...
Elle continue à me rapporter toutes sortes de merdes. D'après Skountsev, les laïkas sont comme ça, et elles couchent dehors par tous les temps, oui, c'est bien une laïka, même si elle n'est pas pure race. La femme de Skountsev est de l'Oural, elle a grandi avec des laïkas.
J'ai vu un passage du journal que je tiens depuis ma prime jeunesse, et je le publie, tant il correspond à notre situation générale, bien qu'il date de 2001, mais il ya  si longtemps que tout est en place..

"Elle m'a dit que J. était mort d'une cirrhose. La dernière fois qu'elle l’a vu c'était une vraie ruine qui continuait cependant à faire la bringue et à draguer. Je me suis souvenue de toutes ces fêtes dans ces belles maisons du Midi qui me laissaient une impression de vide total et de malaise. Toute cette génération de gens qui ne vivaient que pour le plaisir, qui s'étourdissaient en permanence, quel naufrage que leur vieillesse… J'espérais à l'époque que je serais assez évoluée, à 50 ans, pour pouvoir décrocher et ne pas m'obstiner à vivre comme si j'en avais 25. Ici, ne comptent que les valeurs de la jeunesse, il faut plaire et s'amuser jusqu'à la tombe, on ne donne rien aux autres parce qu'on ne pense qu'à soi, à son bon plaisir, à rester beau, en forme, attirant parce que la marchandise doit être présentable pour trouver encore preneur. Tous les rapports humains s'en trouvent faussés, pas de compassion, pas de compréhension, pas d'abnégation, aucune recherche de ce qui peut être profond et durable. Je me sens extrêmement déphasée, je ne me sens pas chez moi. Dans le métro pour aller à la Gare du Nord, c'était le Brésil, une population essentiellement africaine, je n'ai jamais eu à ce point cette impression d'invasion, de disparition prochaine. Pendant que les Français s'enlisent dans les vanités et les idéologies suicidaires, leur pays change de mains.
Nikolaï, le peintre d'icônes, attend l'Apocalypse, aussi peu lui importe l'endroit où il se trouve, pour lui, le naufrage est général et inéluctable. Je le crains aussi. Mais les Français sombrent avec tant de complaisance et tant d'aveuglement, que je me sens mieux avec les Russes. S. se fait traiter de fasciste par ses amis de gauche, parce que s'il ne saisit pas toutes les imbrications d'essence mystérieuse et spirituelle du phénomène, il comprend l'imposture et l'hypocrisie politiques qui nous mènent à notre perte. Nikolaï pense que la complaisance des Français n'est pas due seulement à la propagande, mais à une complicité profonde avec des idées qui leur permettent de mener cette existence hédoniste et creuse et leur en donnent la justification. Que cela puisse se terminer très mal ne les concerne pas, exactement comme J., pur produit de son époque, ne prévoyait et ne voulait prévoir son naufrage et sa fin prématurée, quand il se jetait dans un tourbillon de débauche. Je sens tellement tout cela que j'en éprouve une impression sinistre, malgré les boutiques pimpantes, les massifs de fleurs, les gens décontractés et à la mode, toute cette apparente prospérité. Une chose me frappe : les visages n'ont aucune intensité. Ils ne sont pas fatigués ni ravagés comme le sont parfois ceux des Russes, mais ils n'ont pas d'intensité, on ne sent pas d'âme derrière, on dirait des masques."


Le dernier objet rapporté par Rosie...








mardi 1 mai 2018

Faux-bond.


Avec Skountsev, je chante le vers spirituel "nous avons trop dormi"
Explosion du printemps. Je suis arrivée à Moscou, sur le trajet il n’y avait pratiquement pas de feuilles aux arbres et les voilà en 24 heures qui  se sont déjà depêchées de pousser. Tout ce stade que j’aimais tant en France, des bourgeons reverdissants, des jeunes feuilles translucides, des premières floraisons, dure ici quelques jours et puis c’est déjà l’été. Il est vrai que cet été du nord ressemble souvent à un printemps prolongé bien qu’il puisse faire très chaud.
A la sortie de Pereslavl, j’ai pris une autostoppeuse et me suis fait une amie. Il s’agissait d’une femme que j’avais remarquée, au monastère saint Théodore, pour sa beauté et sa classe : grande, mince, blonde, beau visage slave. Elle m’a parlé une bonne partie du voyage de ses enfants  qui sont tout pour elle et qui sont partis vivre leur vie. Elle allait soigner sa fille actrice tombée malade, à Moscou. Nina vit dans un appartement, mais elle projette de se retirer dans l’isba de ses parents près de Kostroma. En dehors de ses enfants, et de la religion,  sa seule consolation dans la vie, c’est la contemplation de la nature, et le jardinage, le miracle de la germination et du développement de la vie.  Elle trouve très important de faire des jardins qui soient en harmonie avec le paysage environnant et des potagers esthétiques. Pour ses cultures, elle professe les idées de la permaculture, ne pas violer la terre, respecter les organismes qui y vivent et collaborer avec eux. Je me suis émerveillée : «Ce point de vue ne me semble pas très répandu chez vous…
- Non, il ne l’est pas.
- C’est tout à fait le mien et je sens que ma voisine rêve de me faire organiser des massifs tirés au cordeau avec une terre propre et retournée…
- Je vis en appartement, et me ferai une joie de vous aider à faire un jardin respectueux de la nature. »
Je venais faire une lecture publique d’extraits de mon livre, à laquelle dix personnes avaient confirmé qu’elles assisteraient, ces personnes en ayant invité quelques unes supplémentaires, je tablais sur au moins une dizaine, et j’avais prévu plus au cas où.  j’en ai vu arriver cinq. Je n’avais pas pu la faire avant, pour toutes sortes de raisons, et là, j’ai souffert sans doute du phénomène datcha : le pont du 1°mai… Je déplore surtout que ces défections se soient faites sans prévenir. Si j’avais su, j’aurais remis à plus tard et me serait épargné du tracas et des dépenses.
Mon auditoire clairsemé mais fervent!
Mais avec celles qui étaient là et Skountsev arrivé plus tard, malgré un lumbago, nous avons passé une soirée très chaleureuse. D’entendre lire le texte me l’a fait redécouvrir, bien que je le lise moi-même à voix haute quand je l’écris, selon la technique flaubertienne du gueuloir : si ça ne passe pas à l’oral, si cela ne sonne pas bien, si quelque chose accroche à l’oreille, je revois ma copie. Et cela d’autant plus que Flaubert mis à part, j’ai été élevée par la scansion des vers de Racine, par l’épopée, et plus tard par le folklore.
Le résultat, c’est que mon texte demande même à être lu à haute voix pour devenir vraiment vivant, pour prendre ses couleurs et sa musique. Une lecture silencieuse le restreint.
Dans l’antiquité, la lecture silencieuse n’existait pas.
A l’écoute de tout cela, je pensais à la traductrice, selon laquelle mon livre ne parle que de sexe, d’homosexualité, de rien d’autre, et je me suis prise à penser qu’il fallait être singulièrement stupide pour dire une chose pareille, ou sinon stupide, carrément malveillante. La question est « pourquoi ? »
Je pense que certaines personnes ne se donnent pas la peine de lire vraiment ce qu’elles lisent, à cause de toutes sortes de préjugés, au nombre desquels le snobisme et la superficialité qui va avec.  Ce snobisme et cette superficialité sont souvent extrêmement agressifs quand quelque chose vient les déranger dans leur ronron satisfait, dans leur consensus intellectuel et social, et les amène à trouver quelque étiquette réductrice et infamante. Ceci plus que la pudibonderie peut expliquer une pareille réaction. Le résultat est qu’elle a colporté parmi mes amis orthodoxes l’idée que j’ai écrit de la pornographie sur le tsar Ivan le Terrible. Merci de ce gentil service.
Dany pense que les gens sont lus par un livre plus que le contraire, et donc, certaines personnes y voient ce qu’elles y apportent.  Elle a fait le parallèle avec Iouri, qui est connu, mais n’a pas un succès proportionnel à son grand talent, son talent d’un autre âge, son souffle et son inspiration d’un autre âge, parce que le siècle autour de lui est petit et n’aime pas les grands courants d’air, et tout à coup, tout cela me devenait égal. Le plus important était que j’eusse écrit ce texte, et que les personnes susceptibles de l’apprécier y eussent accès, peu importe comment. Les gens qui cherchent la vérité, la profondeur, la beauté, la mémoire, seront de plus en plus dissidents, de plus en plus réduits à un auditoire restreint, en réalité, c’est toute la culture authentique et exigeante qui devient dissidente, l’argent tue tout, encore plus que la pesanteur idéologique, l’argent qui fait de toutes choses réelles une contrefaçon. Il y a une contrefaçon de culture, qui tient le haut du panier, et ne laisse pas émerger ce qui pourrait la remettre en question par sa vérité, comme il y a une contrefaçon de folklore, tandis que le vrai n’a pas un large accès au public, parce qu’on préfère le gaver de « kalinkas » de mauvais goût.
Iouri  touche un public par son «théâtre du poète », son théâtre domestique, je le toucherai par internet.
Néanmoins, pour toucher le public russe, il faut une traduction, et là ce n’est pas gagné. Car la musique que j’ai mise dans le texte, il faut l’entendre et la faire passer…
Il est étrange que sans en éprouver de vanité, on puisse ressentir avec une profonde certitude, indépendamment des réactions «autorisées »,  qu’on a fait une œuvre et que cette œuvre vivra. C’est le cas lorsque cette œuvre s’est imposée d’elle-même en nous utilisant, lorsqu’elle s’est emparée de nous, ne nous a pas laissé le choix, lorsque c’est elle qui s’est écrite par notre intermédiaire, et quoiqu’il pût nous en coûter.  Et ce qu’elle m’a coûté n’est rien en comparaison de ce qu’elle me coûtera encore. Mais je dois maintenant la soulever à bout de bras pour qu’on l’entende et la voie, en dépit du brouhaha, des gestes désordonnés, des ricanements et des commentaires agressifs et déplacés.
Une jeune étudiante écoutait bouche bée, et m’a dit ensuite que c’était merveilleux, avec une telle sincérité que j'ai mis les commentaires de la traductrice à leur juste place.
J'ai chanté avec Skountsev. En réalité, il me faudrait travailler avec lui, je suis trop seule dans mon coin. "Laurence chante bien, joue bien, mais elle ne sait pas accorder son instrument, a déclaré mon cosaque, c'est un problème!"

Nous avons dormi, beaucoup trop dormi
Et laissé passer le Royaume promis
Et laissé passer le Royaume promis

Sont venus volant deux beaux pigeons gris

Sont venus volant deux beaux pigeons gris
Non ce ne sont pas des pigeons volants
Non ce ne sont pas des pigeons volants
Mais deux anges blancs, deux beaux anges d’argent
Mais deux anges blancs, deux anges d’argent
De mon âme en peine les gardiens vigilants




De mon âme en peine les gardiens vigilants
Qu’as-tu fait mon corps, qu’as-tu donc méfait ?
De ce beau Royaume ne t’es point soucié.
Le feu de l’enfer tu m’as préparé
Le feu de l’enfer pour l’éternité
Maintenant mon corps on va t’enterrer

Maintenant mon âme on va te juger
Devant le Seigneur, mets-toi à genoux
Seigneur tends-moi la main,
O Seigneur, prends pitié… »[1]



[1]Ой, проспали мы, пролежали мы

А всё царствие, всё небесное.

А всё царствие, всё небесное
Прилетали к нам да два голубя.
Прилетали к нам да два голубя.
То не голубя, то не сизые.
То не голубя, то не сизые -
То два ангела, два хранителя.
То два ангела, два хранителя -
То моей души покровителя.
То моей души покровителя.
Ой, чего ж тело, что взатеяло.
Ой, чего ж, тело, что взатеяло.
Не взатеяло царства Божия.
Не взатеяло царства Божия,
А взатеяло пекло вечное.
А взатеяло пекло вечное -
Пекло вечное, бесконечное.
Пекло вечное, бесконечное.
А тебе ж, тело, у землю роют.
А тебе ж, тело, у землю роют.
А мене ж душу на ответ ведут.
А мене ж душу на ответ ведут.
Ой, впала ж душа перед Господем
Ой, впала ж душа перед Господем.
Перед Господем на коление.
Перед Господем на коление.
Ты ж подай руку на воздержение

Photos Dany Kogan



vendredi 27 avril 2018

Clôture

J'avais rendez-vous en fin d'après-midi avec deux fournisseurs de clôtures clé en main. Echaudée par mes expériences précédentes, j'avais décidé de recourir à cette formule pour m'éviter des surprises. Le garçon avec qui j'avais parlé, Yevgueni, devait m'envoyer un certain Viatcheslav censé mesurer avec un mètre ce que j'avais mesuré avec mes pas. Intrigué par mon accent, il m'a demandé d'où je venais et l'apprenant, s'est exclamé qu'une de ses amies avait passé cinq ans en France, et que lui-même avait vu plein de Français pendant ses vacances en Tunisie, et que clôture mise à part, il mourait d'envie de s'entretenir avec moi. Du coup, il est venu avec son métreur, et je leur ai offert le thé. Non seulement Yevgueni est un fervent francophile, mais en plus, il joue de l'accordéon et de la guitare et s'intéresse à la vielle à roue. Il rêvait de s'expatrier, parce que tout est si beau et propre en Europe, alors que la Russie, c'est le bordel, le climat pourri, les routes défoncées, les villes défigurées, le mauvais goût... Comment avais-je pu faire le chemin inverse? Je lui ai répondu que certes, au premier regard, on pouvait partager entièrement son opinion, mais que tout n'était pas aussi rose que cela et que surtout les perspectives étaient sombres. Son entreprise marche bien, il a une jolie maison à Yaroslavl, je n'ai vu de photos que de l'intérieur, mais c'est blanc, lumineux, simple, pas le genre nouveau riche boursouflé. "Restez où vous êtes, lui dis-je. Vous avez un climat pourri, c'est vrai, mais plus de liberté, moins de tracasseries dans votre travail et sûrement plus d'avenir.
- Donnez-moi de bonnes raisons de rester!"
J'ai réfléchi, et comme il me donnait à écouter sur son téléphone une merveilleuse folkloriste qui s'accompagnait à la vielle, je lui ai dit: "Eh bien  tenez, en voilà une de bonne raison: cultiver ce trésor de votre musique traditionnelle, surtout vous, avec votre guitare et votre accordéon!"
Son copain Viatcheslav m'expliqua qu'il était obsédé par la mémoire de son peuple, détruite ou faussée par la période communiste, et qu'il collectait tout ce qu'il pouvait trouver sur ses ancêtres, dans un esprit similaire à la démarche d'Alexandrina, en quête des siens.
Leur argument en faveur de l'Europe était l'amabilité des gens dans les magasins et la qualité des services. "Oui, leur ai-je dit, c'est en effet très agréable, mais en Russie ça s'arrange, et puis pour tout vous dire, cette amabilité est souvent assez superficielle, et je n'avais pas en France de grandes discussions culturelles, métaphysiques ou politiques avec le plombier, le métreur, le jardinier et le fabriquant de clôtures. Je ne leur chantais pas de vers spirituels à la vielle à roue, et ils ne me montraient pas de folkloristes en action sur leur téléphone"...
Au milieu de ce très sympathique entretien, nous avons réussi à signer un devis: garanti sans dépassement, tout compris, et garanti trois ans. Réalisation du projet après les fêtes de mai. Nous devons nous revoir pour discuter de la France et rencontrer la copine francophile et francophone.
J'avais emporté de France du mirror, car je ne voyais rien de tel pour faire briller l'argenterie ici. J'ai nettoyé une petite timbale d'enfant en argent que j'avais achetée cinq euros à un antiquaire du Gard, et j'ai vu que l'objet avait appartenu à un certain René. René... un prénom qui sent le terroir. Qu'est-il advenu de ce René, et du pays qui allait avec? Celui des paysans burinés et moustachus à béret?
J'aime beaucoup les timbales de baptême et j'ai d'ailleurs conservé la mienne. Toute mon affection nostalgique va à ce René inconnu du Gard, Dieu ait son âme, s'il est mort, ce qui est très probable...
Les nuages étaient magnifiques, ce soir, et accompagnés d'un arc-en-ciel. Hier aussi, nous avons d'ailleurs essuyé une tempête. Pour voir se déployer ces nuages dans toute leur majesté, il me faudrait aller près du lac, mais de sentir les promoteurs planer autour comme des nazguls me déprime. Je me replie sur ma maison en espérant qu'on ne viendra pas détruire les petites isbas en face pour construire un caca de trois étages recouvert de plastique.

La tempête

l'arc-en-ciel

la timbale de René