Translate

dimanche 15 juillet 2018

Le néotraditionnalisme de la jeunesse russe


A la suite d'une discussion que j'ai eue avec de jeunes amies inquiètes de voir les ravages des tablettes et autres ordinateurs sur le mental de leurs enfants, je leur ai sorti une fois de plus ma panacée: le folklore, et les divers endroits où on le transmet activement, le folklore et pas le n'importe quoi de mauvais goût qui en prend trop souvent la place et qui fait ricaner les ados à juste titre. Malheureusement, une de ces amies fréquente elle-même un club de ce type avec des "kalinka kalinka" et rien de spontané. Et aujourd'hui, je tombe sur cet article, diffusé par Dima Paramonov, le roi du gousli. A noter que l'évêque de Pereslavl, tout comme le prêtre qui prête ses locaux à Skountsev, considèrent le folklore comme une thérapie. Le fait de reprendre une tradition en l'adaptant, ce qui l'amène à évoluer, me paraît un signe encourageant de santé. Car la tradition est quelque chose qui évolue constamment, mais contrairement aux principes des sociétés-golem fabriquées par de brillants esprits à coups de réformes autoritaires, de façon organique et naturelle. Cela m'a rappelé certaines considérations sur la permaculture qui reprend des traditions agricoles d'autrefois en leur ajoutant des trouvailles contemporaines. A la différence que trop souvent, le retour à la terre en France s'accompagne de toutes sortes d'emprunts culturels exotiques, plutôt crever que de jouer de la vielle ou du biniou, ou si l'on en joue, c'est en méconnaissant et désavouant complètement l'esprit qui présidait à la pratique de cette musique...

Le néotraditionnalisme de la jeunesse russe  est 1) un processus d’utilisation de normes, de valeurs de la culture traditionnelle et leur adaptation aux conditions contemporaines, les plus consubstantielles à la jeunesse. Il s’avère précisément un mécanisme d’adaptation aux conditions contemporaines et non une simple reproduction des traditions, ce qui différencie le néotraditionnalisme du traditionnalisme ; 2) un processus d’observation par les jeunes de la tradition, possédant en même temps des caractéristiques au caractère nouveau. 3) un choix de pratiques sociales de la jeunesse, lié au recours aux formes traditionnelles de comportement et d’orientation morales, caractéristiques des modèles traditionnels de société.
Dans la science nationale, les phénomènes de néotraditionalisme, ainsi que les processus connexes de l'archaïsation et du traditionalisme, ont été couverts dans les travaux d'auteurs comme AI Arnold, AS Akhiézer, SI Artanovsky, NI Lapin, VG Fedotova, IG Iakovenko, A. Ya. Flier, AV Kostina, VA Achkasov, Yu. V. Popkov, EA Tyugashev, LD Gudkov, C. K. Lamazhaa, S. A. Madyukova, E. V. Nikolaeva et autres (Achkasov, 2004, Gudkov, 2002, Madyukova, Popkov, 2011, Nikolaeva, 2004, Lamajaa, 2013 et d'autres).
Les approches de l'étude du néotraditionalisme sont ambiguës. Ainsi, les chercheurs Yu. V. Popkov et S. A. Madyukova le représentent comme un double processus: d'une part, la reproduction continue de la tradition, et d'autre part - sa modification, l'adaptation aux conditions modernes. En conséquence, s’effectue non seulement la mise en œuvre du «modèle», mais la tradition se développe, grâce à l'incorporation de l'innovation. Ainsi, concluent les auteurs, est inhérent au néotraditionnalisme la dialectique de la stabilité et de la variabilité, qui se manifeste dans l'interdépendance des traditions et des innovations (Madyukova, Popkov, 2010).
Une autre approche du néotraditionnalisme comme processus d'utilisation des normes, des valeurs de la culture traditionnelle et de l'adaptation aux conditions modernes permet de distinguer différentes formes d'adaptation dans l'environnement des jeunes. L'analyse par les chercheurs des particularités de la vie ethnoculturelle en Russie centrale, la généralisation de certaines formes ont permis aux chercheurs d'identifier trois formes de manifestation du néotraditionalisme chez les jeunes de Russie (Lapshin, 2014).
Les premières formes identifiées de néotraditionalisme sont le folklore et l'ethnographie. Elles sont associées à la reproduction des traditions folkloriques de la culture ethnique russe qui, entre autres, se déroule de façon professionnelle, avec des objectifs éducatifs, visant à populariser la culture russe ou nationale en incorporant les traditions folkloriques dans la culture musicale contemporaine du pays et du monde. C'est le cas, par exemple, de l'Union russe du folklore, de divers ensembles musicaux folkloriques, d'associations créatives engagées dans l'organisation de festivals, etc. (Klyuchnikova, ressource électronique).
 La seconde forme de néotraditionnalisme est militaire et ethnographique. Nous parlons d'organisations impliquées dans la renaissance des traditions militaires nationales (elles sont particulièrement représentées à Moscou, dans les régions de Moscou et de Tver), qui ont commencé leurs activités au début des années 1990. Parmi celles-ci, par exemple, la tradition russe du combat à mains nues - système Golitzine:, Buz (Bazlov, 2006), système Kadochnikova (Kadochnikov, 2007), etc., qui est utilisé à des fins éducatives et pour le développement en général (Bazlov ressources électroniques.).du mouvement de culture physique dans le pays, des sports amateurs et professionnels. Dans ces organisations s’impliquent en premier lieu la jeunesse à qui sont transmises des traditions russes de combat originelles plutôt que la tradition empruntée des arts de combats orientaux ou occidentaux, avec leur transformation ultérieure.
La troisième forme de néotraditionalisme des jeunes est néo-païenne (surtout à Moscou, dans les régions de Moscou, Vladimir, Voronej, Ivanovo, Orel). Selon un certain nombre de spécialistes modernes de ce phénomène, le paganisme contemporain est le fruit de la recherche spirituelle d'une population en quête de son identité à travers les racines culturelles du peuple russe d’avant la période chrétienne (Seregin 2001, Shnirelman, 2001, Ardinger, 2006).
Ainsi, les formes du néotraditionalisme de la jeunesse de Russie sont interdépendantes, bien que l'isolement même de ces formes soit plutôt conditionnel. Certaines organisations sont plus solidement structurées idéologiquement, d'autres - moins; certaines ont plus de succès commercial, d'autres ne sont pas du tout destinées à faire des profits. L'accélération de la vie sociale, l'érosion des valeurs sociales dans le contexte de la mondialisation et l'occidentalisation des traditions de la culture populaire constituent non seulement une menace pour la culture elle-même, mais aussi pour la santé morale des jeunes générations. Le néotraditionnalisme des jeunes prend la forme d'une adaptation sociale aux conditions changeantes de la société, d'une forme de socialisation, d'une alternative à l'impact d'un certain nombre d'autres institutions sociales.
Lit:. Achkasov, VA (2004) La transformation des traditions et de la modernisation politique: le phénomène du traditionalisme russe // La philosophie et les valeurs sociales et politiques du conservatisme dans la conscience publique de la Russie (des origines à nos jours). Saint-Pétersbourg. S. 173-191; Bazlov, GN (2006) Combat à corps-à-corps russe Buza. M. 80 p .; Bazlov, GN Trostka Boy [Ressource électronique] // Buza russe. URL: http://www.buza.ru/text.php?cat_id=9&text_id=42 (date de diffusion: 19 juin 2015); Bazlov, GN Les principes et préceptes du prince Boris Vassilievitch Golitsynyna Timofeev enregistré Gregory Bazlovym [ressource électronique] http://www.russtil.ru/1files/books/Golotcin.pdf (date de référence: 04/12/2015 g). Bazlov, GN Le système du Prince Golitsyn [Ressource électronique] // Buza Russe. URL: http://www.buza.ru/text.php?cat_id=11&text_id=26 (date de référence: 14 juin 2015); Gudkov, LD (2002) Le néotraditionalisme russe et la résistance au changement // Le multiculturalisme et la transformation des sociétés post-soviétiques. M.S. 124-147. Kadochnikov, AA (2007) Russie main-à-main de combat dans le système des forces spéciales. Rostov n / D : Phoenix. 224 p.; Klyuchnikova, OA sur les tendances contemporaines mouvement populaire russe [ressource électronique] // http://www.folklore.ru/article/122-folklornoedvigenie .. (date de référence: 04.06.2015); Lamajaa, C.C. (2013) Archaïsme de la société. Le phénomène Tuva M .: Librocom. 272 p .; Lamazhaa, CK, Namlinskaya, O. (2013) Les modèles de mode russes et néo-archaïsme dans la modernisation // L'état actuel de la culture et de la société: caractéristiques et perspectives de développement de la Russie: samedi sci. articles / Moscou. Humanit. un-t. MS 99-103; Lapshin, V. (2014) Les formes de néo-: District fédéral du Nord-Ouest [ressource électronique] // Base de données de recherche « modèle russe de perturbation et neotraditsionalizatsii ». URL: http: //neoregion.ru/szfo.html PHPSESSID = 1ce91e1b3a572 ... (date de référence: 04.06.2015)? Lapshin, VA (2014) Néotraditionalisme en Russie centrale: Formes, mouvements, idéologie // Connaissance. Compréhension Capacité № 2. P. 102-108; Bows, VA, Pogorsky, EK, Tikhomirov, DA (2011) La politique de jeunesse de l'État: la pratique russe et internationale dans la mise en œuvre du potentiel d'innovation sociale des nouvelles générations // connaissances. Compréhension № 4. P. 231-236; Lukov, VA (2012) Théories de la jeunesse: analyse interdisciplinaire. M .: "Canon +" de l'ONG de réhabilitation. 528 p.; Madyukova, SA, Popkov, V. (2010) neotraditionalism socio-culturelle: jouer les traditions et la reproduction de l'ethnicité [ressource électronique] // Nouvelle recherche de Touva. 2. URL №: http://www.tuva.asia/journal/issue_6/1743-madyukova-p .. (date de référence: 14.06.2015); Madyukova, SA, Popkov, Yu. V. (2011) Le phénomène du néotraditionalisme socioculturel / ed. E. A. Tyugasheva. Saint-Pétersbourg. : Aletheia. 132 pp. Nikolaeva, EV (2004) néo-culture de la vie quotidienne: la version russe de la fin du XX siècle: l'auteur. dis. ... cand. culte M. 27 s .; Recensement panrusse de la population de 2010 T. 4. Composition nationale et compétences linguistiques, citoyenneté [Ressource électronique]. URL: http://www.gks.ru/free_doc/new_site/perepis2010/croc/ .. (date de référence: 20.11.2015); "Post-folklore" - folklore urbain russe moderne [Ressource électronique] // Magan.org.il. URL: http://madan.org.il/node/855 (date de référence: 4 juin 2015); Seregin, A. (2001) Vladimir Soloviev et la "nouvelle" conscience religieuse // Le Nouveau Monde. № 2. P. 134-148. Néopaganisme slave moderne (critique) [Ressource électronique] // Culture slave. URL: http://www.slavyanskaya-kultura.ru/slavic/jazychestvo .. (date de référence: 19.06.2015); Shnirel'man, VA (2001) Le néopaganisme dans les étendues de l'Eurasie. M .: Théologien biblique. in-t. 177 pp. Ardinger, V. (2006) païen chaque jour: trouver l'extraordinaire dans nos vies ordinaires. Livres Weiser.



samedi 14 juillet 2018

Les deux patries

Petit tour à Moscou. Le plan était de fêter mon permis de séjour avec ma famille russe et tous les gentils "batiouchka" de notre paroisse, mais l'un partait à la datcha, les deux autres ont été invités au dernier moment à l'anniversaire d'un bienfaiteur...
La veille de l'événement, néanmoins, je me suis retrouvée dans la cuisine du père Valentin, avec 50 g de vodka, et, après des considérations diverses sur ma traduction de la vie et la doctrine de saint Grégoire Palamas, sur les vieux-croyants, Ivan le Terrible et l'influence occidentale, voici qu'est arrivée Irina Victorovna, veuve de Viatcheslav Markovitch, voisin du père Valentin et juif converti adorable qui aidait tout le monde. Autrefois, je me retrouvais souvent dans cette même cuisine, avec cette même vodka, et cette même "tante Ira", mais il y avait aussi son mari "oncle Slava", la "matouchka", la femme du père Valentin, et puis aussi Vassili Gueorguiévitch, dit "le Baron", et ils avaient des discussions politiques passionnées, car ils avaient des avis très divergents: le père Valentin et le Baron étaient et sont toujours  monarchistes, oncle Slava et sa femme  libéraux et la matouchka néostalinienne. Moi, je n'intervenais pas tellement, parce que je ne pouvais pas en placer une. Maintenant, la matouchka et oncle Slava sont dans l'autre monde. Mais tout à coup, là, tous les trois, nous retrouvions un peu de l'ambiance disparue. Tante Ira était en verve. Elle m'a dit: "On vous a donné le permis de séjour? Pas possible! A mon avis, on va vous chasser comme agent étranger!"
Le père Valentin a pris un air gourmand et sarcastique: "Certainement pas, Irina Victorovna, car nos autorités savent bien que Laurence a des idées diamétralement opposées aux vôtres."
Mine excédée de tante Ira: "Vous êtes deux imbéciles!"
Le lendemain soir, chez Xioucha, le père Valentin, le Baron, Iouri, Dany et toute une compagnie. Voilà que Iouri et le baron s'accrochent. La baron est insensible au cinéma. C'est un homme du XIX° siècle qui n'a pas digéré la révolution. Iouri ne la défend pas vraiment, mais il est né en URSS, il prend le paquet tel qu'il est, et lui, le cinéma, il aime, et le cinéma, en Russie, fatalement, s'est développé à l'époque soviétique. Le baron considère que tout le cinéma soviétique est nul et propagandeux, même Tarkovski. Ce qui n'est pas du tout mon avis, et puis, dans ces films, la Russie et le soviétisme sont souvent si imbriqués...La Ballade du Soldat est un film d'esprit complètement chrétien. Andreï Roubliov est ouvertement chrétien. Et Si Ivan le Terrible ne l'est pas, et propose des prélats orthodoxes une vision absolument fausse et caricaturale, la sainte Russie, la Russie tsariste pénètre en filigrane ce qui était censé devenir l'apologie des tchékistes, en tous cas, à 16 ans, ce que j'ai vu, c'était le tsar sacré, le tsar de droit divin, et pas le secrétaire du parti communiste... D'autre part, je ne peux donner tort à Iouri quand il dit que le système capitaliste exerce autant de censure sur les oeuvres d'art que le système communiste: pas de financement, pas d'oeuvres, pas de films, pas de publications, pas de pièces de théâtre, pas d'expositions et quand on n'est pas dans une certaine mouvance, quand on ne joue pas dans les règles, quand on n'est pas d'un certain milieu, on n'a pas trop le droit non plus à la libre expression. Le père Valentin me dit le lendemain que le Baron ne peut accepter, comme Iouri et moi le faisons plus facilement, de prendre la Russie d'aujourd'hui avec ses valises, car ces scories communistes qui subsistent sont pour lui une tragédie, rien n'est pire à ses yeux que les Russes soviétisés. De mon côté, je considère que c'est aussi le soviétisme qui a été russifié, et quand à ceux qui sont purement soviétiques, et applaudissent aux crimes communistes ou les prétendent faux, ou aux post-soviétiques qui ne connaissent ni leur histoire, ni leur folklore, ni les traditions et la foi de leurs ancêtres, ils ont beau parler le russe et avoir un physique slave, je ne les ressens pas comme des Russes, de même que beaucoup de Français contemporains ne sont plus des Français.
A la suite de cette conversation, qui s'est terminée par le départ offensé du Baron, Xioucha a évoqué sa mère, la matouchka, devenue communiste devant les ravages du libéralisme eltsinien qui la scandalisaient à juste titre, racontant qu'elle avait découvert dans l'étude des textes, à mes yeux insupportables, des penseurs et leaders communistes que cette doctrine était absolument conforme au christianisme. Je me suis récriée qu'une orthodoxe ne pouvait dire une chose pareille. "Mais la seule différence, me dit Xioucha, c'est que les communistes ne croient pas en Dieu.
- D'abord ce n'est pas la seule différence, loin de là, mais quand bien même ce serait la seule, elle est énorme. Et pour un chrétien, les choses sont très simples, ce qui n'est pas conforme à l'enseignement du Christ est hérétique et vient de l'antéchrist, point à la ligne! Soit on est chrétien orthodoxe, et notre Royaume n'est pas de ce monde, soit on est communiste, et on entend installer le paradis sur terre en écrasant tout ceux qui lui font obstacle activement, ou par leur seule résistance passive à un monde nouveau où ils n'ont pas envie de vivre, ce qui  est mon cas! "
Je suis repartie avec l'impression que nos si belles civilisations respectives, la française et la russe,  ont connu, avec leurs révolutions, des massacres et des destructions culturelles qui les ont laissées divisées et confuses, comme des familles où des intrus malfaisants ont détruit à jamais l'affection et l'harmonie initiales. Et qu'avons-nous obtenu à présent, au bout de deux cents ans de cette expérience pour les Français et de cent ans pour les Russes? Des lendemains qui chantent? La démocratie nous a tous livrés aux mafias à qui elle a donné un pouvoir mondial exorbitant, et absolument dépourvu du moindre frein, de la moindre espèce de conscience, et si on ne parvient pas à les arrêter, c'est la vie même, dans son ensemble, qui risque de prendre fin sur la terre. Capitaliste ici ou communiste là, la modernité nous a tous profondément avilis, diminués, abêtis et asservis. Ce que nous faisons est massivement moche, à se pendre d'ennui et de désespoir, et notre vie ne nous regarde plus et n'a plus aucune transcendance. Les quelques avantages du soviétisme des dernières décennies qui remplissent une partie des Russes de nostalgie valent-ils toutes les existences qu'on leur a sacrifiées, et vivre dans le béton, et les meubles en contreplaqué poli tous pareils, habillés d'oripeaux tristes est-ce là le summum radieux de l'histoire humaine? Le supermarché, la télé, le foot, est-ce là l'horizon qui justifie les massacres de Vendée, la destruction de l'esprit de la France, de ses traditions, de sa paysannerie en deux siècles de république bourgeoise et maçonne? Et où en sommes-nous, maintenant, livrés  par nos propres gouvernements félons, promis à un destin de sous-hommes que l'on croise comme des vaches, pour obtenir une "nouvelle humanité" sans nous demander notre avis?
Aujourd'hui c'est le 14 juillet, dans quelques jours le centenaire de l'horrible assassinat de la famille impériale. Le mensonge est devenu inextricable, comme un gigantesque taillis de ronces. Une supercherie après l'autre, nous courons après les vessies que nous prenons pour des lanternes, et les ténèbres s'épaississent.
Heureusement, il reste encore assez d'églises et de saints pour éclairer, de place en place, le chemin de ceux qui cherchent une issue...
Au cours du dîner, j'ai levé mon verre à la défunte matouchka: "Je voudrais rappeler, au moment où j'obtiens mon premier permis de séjour, ce que me disait toujours Inna: vous mourrez avec nous, vous mourrez avec les Russes. On dirait que je suis en bonne voie pour réaliser sa prédiction!"
Elle me prédisait aussi que je finirais par lui donner raison. Partiellement, peut-être, très partiellement. Son voisin, "oncle Slava", lui rétorquait quand à lui: "Pourquoi veux-tu obligatoirement, parce que je ne peux pas partager ton enthousiasme stalinien, me classer parmi les suppôts du capitalisme? Pourquoi devrais-je choisir entre deux tas de merde, puisqu'ils sentent la même chose?"
Je pense souvent à cet ouvrage historique de Jean de la Viguerie "les Deux Patries". D'abord parce que j'en ai deux, la France et la Russie, et que lorsque je suis dans l'une, je pense à l'autre et réciproquement, mais ce n'est pas le propos de Jean de la Viguerie, son propos est que dans la patrie française, et je vois que dans une certaine et moindre mesure, c'est valable aussi pour la patrie russe, il y a deux patries: la patrie charnelle, spirituelle, celle de nos ancêtres, de leur foi, celle de leur culture, celle de notre histoire et ce golem idéologique, ce Moloch insatiable qu'ont créé les révolutions, au prix d'une extraordinaire violence et avec une méchanceté acharnée. Il y a ceux qui sont désormais les produits du golem: ils ne reconnaissent la France qu'à partir de 1789, ou la Russie à partir de 1917. Tout ce qu'il y avait avant, c'est-à-dire tout ce qui a fait nos génies respectifs, n'est que ténèbres.  Pour ceux qui ne sont pas du golem, c'est le contraire. Et puis il y a les hybrides, plus ou moins de l'une ou plus ou moins de l'autre patrie. Du genre les Russes qui adorent la famille impériale, détestent les bolcheviques et adorent Staline, parce qu'il a tué Trotski et "gagné" la guerre, une guerre que je crois gagnée par l'héroïsme du peuple russe et sa faculté de s'unir, quand son entité encore vivace est menacée.

Le père Valentin et sa matouchka



lundi 9 juillet 2018

Filimonovo

Ma nouvelle connaissance Katia m'a invitée à venir à la première liturgie, depuis qu'on l'avait dynamitée à l'époque soviétique, dans l'église de son village de Filimonovo,  Elle est en voie de restauration, grâce aux efforts conjugués du monastère saint Nicétas et de Katia elle-même. Dans la village voisin, une mère et sa fille se sont attelées seules à la restauration de l'église, il est vrai plus petite et en meilleur état. Elles étaient venues assurer le rôle du choeur.
Il y avait Génia de Tverdilkovo, une poignée de vieilles, et un moine de saint Nicétas, hirsute et maladroit, dans des vêtements liturgiques trop grands pour lui. A la fin de l'office, il a dit quelques mots, d'un ton brusque et embarrassé: "Eh bien, je vous félicite... Voilà, l'église est ouverte, elle vit à nouveau..."
Et puis il s'est tu, comme si l'émotion l'empêchait d'en dire plus, et il a souri, en élevant sa croix.
Le matin, j'étais partie en râlant tant que je pouvais, car j'étais allée à l'église déjà deux jours d'affilée, au prix de grands efforts sur moi-même et ma flemme, et il pleuvait des cordes, je n'avais aucune envie de sortir. Seulement, une église dans laquelle on servait pour la première fois la liturgie depuis les temps de ténèbres et de persécutions...
Il y avait deux icônes de chaque des portes royales, la Mère de Dieu et le Christ, je les trouvais magnifiques, on m'a dit que c'était l'oeuvre d'un moine de saint Nicétas. En réalité, en les voyant de près, elles pourraient sembler grossières, et ce qui tient lieu de dorure est une sorte de peinture métallisée, et pourtant, par rapport à la plupart des icônes bien léchées que je vois partout, et dont l'expression me rappelle souvent celles des jeunes bigotes qui vous engueulent parfois pour un cierge de travers, celles-ci m'ont paru si transparentes, si spirituelles, si spontanées aussi... Je me disais: elles ont la grâce du moyen âge, mais en fait non, ce n'est pas ainsi qu'il faut le formuler: les icônes du moyen âge et celles du moine de saint Nicétas, ont la grâce, c'est-à-dire qu'elles nous faisaient arriver dans le chantier misérable de cette église sinistrée quelque chose d'éternel, quelque chose qui venait d'un insondable ailleurs et de notre plus profond intérieur.
Katia m'a retenue à déjeuner, elle m'a retenue toute la journée. Elle m'a raconté comment elle avait fait un scénario pour une animatrice spécialisée dans les dessins animés orthodoxes pour enfants, et m'en a montré quelques uns. C'est remarquable de poésie, de spiritualité, sans la moindre mièvrerie, avec de vrais sentiments, de beaux sentiments, des valeurs éternelles. Bien que l'auteur soit primé de tous les côtés, ces dessins animés restent peu diffusés, en regard de tout ce qu'on peut déverser sur les enfants d'idioties étrangères qui ne leur apportent rien de bon. J'ai pensé que ce serait une oeuvre de salut public de les diffuser non seulement auprès des Russes mais des Français, dans les librairies des paroisses orthodoxes, et même dans les librairies catholiques.


J'ai été particulièrement frappée par un film sur la période révolutionnaire "la lumière inextinguible".  Il reste terriblement actuel. Je l'ai trouvé sur youtube avec des sous-titres français.
Katia veut me présenter cette jeune femme.
Elle se désolait que les gens ne fussent pas venus plus nombreux à la première liturgie. Moi, je suis étonnée et même soulevée d'enthousiasme par ce que je vois d'humbles, patients et héroïques efforts pour restaurer ce qui a été profané avec tant d'inimaginable méchanceté, et pour rendre leur âme et leur mémoire aux habitants de ce pays profondément traumatisé. Ce peuple orthodoxe qui rallume les églises mortes une à une, comme de petites veilleuses, dans les ténèbres effrayantes de notre déclin mondial est celui auquel j'appartiens, même si j'en suis assez peu digne.
Katia m'a dit: "Vous savez, Pereslavl est sur "la route des cloches", c'est-à-dire que les carillons s'entendent de ville en ville et de village en village, et que l'antéchrist ne viendra pas ici".

Couleur de ciel...

Ajouter une légende






Il y a encore de belles isbas à Filimonovo, mais comme d'habitude, l'ensemble est assez hétéroclite, avec les palissades de tôle et les maisons recouvertes de plastique...

samedi 7 juillet 2018

Une rencontre

Yelena Afanassieva la rivière Troubej
J'ai rencontré hier sur Facebook et aujourd'hui au café français une artiste-peintre, Yelena Afanassieva, avec laquelle je me suis bien entendue.
Elle connaît Pereslavl depuis 1949, c'est dire si elle l'a vu changer et si elle est encore plus désolée que moi par ce qu'on en a fait.
Le patron du café dit que le maire actuel n'y est pour rien et qu'il n'est pour rien dans le projet épouvantable de constructions autour du monastère saint Nicétas...
Personne ne fait rien pour empêcher les destructions, ni pour entretenir les monuments existants. La merveilleuse église saint Pierre, consacrée au premier métropolite russe, et construite par Ivan le Terrible, est très délabrée, tout le monde s'en fout. En face d'elle, des Arméniens ont construit en catimini un hôtel restaurant de dimensions monumentales et d'un mauvais goût absolu sans que personne ne les en empêche. Et même, au début, ce qui se passait derrière la palissade des travaux était censé être des fouilles archéologiques!
Yelena occupe l'été une maison que lui prête un ami peintre vieux-croyant. Il fut le premier peintre moscovite à acquérir une maison sur place. Elle date du XIX° siècle et elle est magnifique, elle a cette patine et cette authenticité que la mienne ne peut avoir, même si elle est gaie et jolie..
Il a adjoint à l'isba initiale une véranda parfaite, en bois, qui s'intègre complètement. contrairement à ce que prétendent les amateurs de cottages en plastique et de châteaux américains, le peintre vieux-croyant a fait la preuve qu'on pouvait agrandir et rendre parfaitement habitable une vieille maison sans la massacrer ni la détruire. Le jardin, très poétique, a juste la bonne dimension, il est à l'abri des regards et garde des échappées sur le ciel, il est constitué essentiellement de buissons, qui facilitent l'entretien.
La maison est pleine de vieux objets, miroirs paysans, quenouille et panneaux peints. On s'y sent bien, dans une capsule spatio-temporelle à l'abri des horreurs de la modernité. Cela m'a brusquement rappelé la maison de mon oncle et de ma tante à Marseille: on passe la porte et on change d'époque.
Yelena m'a expliqué que la population originale de Pereslavl, qui a presque disparu, était chaleureuse et simple, et conservait beaucoup de qualités d'autrefois. Elle bénéficiait en outre du grand enrichissement culturel que représentait toute une intelligentsia de brillants intellectuels réprimés par le pouvoir, qui, sortis du goulag, n'avaient pas le droit de revenir à Moscou et étaient assignés là à résidence.
Elle a connu une époque, où l'on trouvait sur le marché tout un artisanat local qui a été interdit par le pouvoir. Je me demandais pourquoi l'on ne voyait que des "souvenirs" hideux soi-disant artisanaux et fabriqués en série dans un style soi-disant russe. La voilà l'explication.
On trouvait des céramiques, des poteries, des objets en bois et en écorce, et aussi des textiles, des patchworks paysans, enfin tout ce que produit un peuple normal de terriens quand de stupides et méchants fonctionnaires ne l'empêchent pas de vivre sa vie.
Partant de là, le mauvais goût s'explique déjà mieux: ceux qui faisaient tout cela et ceux qui grandissaient au milieu de ces productions n'étaient pas les mêmes que ceux qui ont été élevés  dans une boîte en béton, avec les "souvenirs" pseudo-rustiques et les meubles en contreplaqué verni...
J'ai beaucoup aimé les aquarelles et les pastels de Yelena. Elle connaît les Soutiaguine, comme quoi le monde moscovite est petit.
Elle m'a parlé d'un bandit richissime qui avait fait construire une espèce de ville de contes de fées avec tous les personnages russes du genre, du côté du Tatarstan. Et nous avons évoqué les particularités du caractère russe et ses aspects irréductiblement enfantins. "C'est ce qui me plaît, lui dis-je.
- J'ai réfléchi à cela, me répondit-elle. Je ne crois pas que cela nous passera, quoiqu'on fasse de nous.
- Grâce à Dieu! En effet, vous avez certainement raison. Je crois que chez vous, ces particularités sont génétiques!"
Avant de la rencontrer, j'ai vu au café un monsieur dont j'ai pensé: "Voilà un Français typique, un Français bourgeois, la classe... La coupe de cheveux, l'allure, la chemise Lacoste bleu marine... Perdu. Il est Russe de chez russe, bien qu'il parle parfaitement français.
Il s'arrêtait avec sa famille sur le chemin de sa datcha de la jolie petite ville de Plios où vivent quelques Français.
la maison a gardé ses encadrements de
fenêtre sculptés

la fenêtre du haut et ses colonnes

La maison et le jardin

Yelena

Depuis le jardin, on voit les coupoles des églises

le jardin depuis la véranda

aquarelle de Yelena

vendredi 6 juillet 2018

Elizarovo



Malgré des tas de choses en train, j'ai fait ma petite révolte et je suis partie direction Iouriev-Polski voir le village d'Elizarovo. Car je l'ai appris récemment, il appartenait à la famille Basmanov, au père, Alexeï, puis à son fils Féodor, celui-là même qui est le héros de mon livre. C'est Alexeï de sinistre mémoire qui a fait construire l'église. J'ai quand même mis un cierge pour tout le monde, avec les péchés qu'ils ont sur la conscience, ce n'était pas du luxe. L'église est très belle, pure, simple. L'affreux Alexeï Danilovitch a financé ce bel endroit, sans doute pour être sûr qu'on prierait pour lui aussi longtemps qu'on y célébrerait des offices, on prie toujours pour le fondateur de l'église.
J'ai aperçu de loin l'extraordinaire clocher, du XIX° siècle, je pense, peut-être du XVIII°, en tous cas plus récent. Tout d'un coup, une flèche de lumière sur le fond du ciel russe plein d'énormes nuages au ventre bleu, aux crinières d'argent bouclé. J'ai su immédiatement que c'était celui d'Elizarovo. Car je ne faisais pas exactement un pèlerinage, puisque la famille Basmanov était loin d'être exemplaire. Mais il y a quand même des liens entre nous, maintenant, forcément... alors le coup de projecteur sur le clocher s'explique.
L'église fait partie du contingent que patronne le monastère saint Nicétas. Il rayonne sur tous les environs, réparant patiemment les ravages de l'époque communiste, et les moines vont célébrer une fois par mois, partout, à tour de rôle. A l'intérieur de l'église d'Alexeï Danilovitch, plus de fresques, plus grand chose, à part l'architecture élégante et simple. Dans la partie plus récente, un iconostase en contreplaqué, des icônes collages de papier sur contreplaqué, une église sinistrée avec trois vieilles et une jeune fille.
Je suis allée faire ce que je n'avais pas fait depuis longtemps: une aquarelle dans la campagne, une petite rapide, format carte-postale, comme à Cavillargues... mais sans fidèle petit spitz. Dans le vent, les herbes et les fleurs, sous les magnifiques nuées, ces nuées russes dont je ne connais pas l'équivalent, avec des architectures monumentales et complexes, d'infinies nuances, et sur la campagne se poursuivant en permanence, des ombres profondes et de grands rayons. Je pensais aux personnages qui avaient édifié l'église et qui étaient les seigneurs du coin, Basmanov père et fils. Ils avaient vu comme moi ce village et ces collines, ils avaient parcouru ces environs à cheval, ils étaient entrés dans cette église, ils avaient foulé ce sol... Ils étaient ici chez eux. Je me demandais si Fédia ressemblait à son image devenue classique de beau brun fatal à l'oeil clair et sauvage. J'imaginais tout ce monde, avec des vêtements russes du XVI° siècle, caftans, ceintures de soie et bottes damasquinées ou brodées...
Près d'un passage à niveau, j'ai acheté trois pommes à une vieille qui tentait de les vendre aux automobilistes. Elle vendait trois pommes...
A la maison, les travaux se poursuivent. Il fallait finir des détails qu'avait laissés l'équipe précédente, mais j'ai dû refaire aussi ce qu'elle avait mal fait. Ce sont trois bonshommes assez pittoresques venus de Nijni Novgorod, de Diveïevo, même, pour être précise, qui me font tout cela. L'un d'eux a là bas une maison à vendre (et à finir). 

L'église des Basmanov, consacrée à la naissance de saint Jean Baptiste, est au milieu, avec une forme pyramidale typique
de l'époque.
une isba des environs


Cet ensemble bleu, qui me réconcilierait avec la tuile métallique, est au village voisin de Riazantsevo

l'église de près
ma "carte postale" du jour....

mardi 3 juillet 2018

Sans descendance

J'ai fait un geste écologique. J'ai acheté une bouilloire en émail pour moins de 5 euros. La bouilloire électrique que j'avais achetée beaucoup plus cher il n'y a même pas deux ans est déjà cassée. Ce truc, en plus d'être cassé, est plein de plastique. Vais-je racheter la même chose pour la balancer au bout de deux ans? Non, la bouilloire en émail ne marche pas plus mal, elle dure des années et ne pourrit pas la nature quand on la jette. Son seul défaut est de ne pas s'arrêter toute seule quand elle bout.
Ca vaut le coup, quand on pense à ce qui se passe avec la belle invention du plastique, cette saloperie qui nous fera bientôt étouffer dans ses miasmes; une saloperie que l'on me fourre ici dans les mains tous les jours, avec le moindre achat, et que je prenne ou non un cabas, que je proteste ou pas, l'ignoble matière est partout, l'éviter devient un exploit, une lutte de tous les instants. C'est le progrès, n'est-ce pas? Le progrès vers quoi?
.......................................................................
Un grand nostalgique de Nicolas II poste sans cesse des documents sur cet homme d'un autre monde et sa merveilleuse famille, sacrifiés d'une façon atroce par une bande d'affreux gnomes. Ce drame est si symbolique, et le vertige m'a saisie, ce matin, dans mon lit, à la pensée qu'il s'est produit seulement quelques décennies avant ma naissance, que la sainte Russie et son dernier tsar ont été assassinés si près de moi que je pouvais presque leur donner la main...
D'ailleurs j'ai connu quelques vieux émigrés qui avaient connu tout cela, et qui avaient échoué dans le Paris bourgeois et ennuyeux à mourir où je mourais d'ennui parmi les trotskistes et les féministes et tous les gnomes qui n'avaient pas encore trouvé de révolution aboutie du genre qu'ils aimaient tant: le triomphe définitif de la médiocrité et de la laideur sur la grandeur, la beauté et la poésie, avec de bons massacres et de vrais camps de travail... Pauvres vieux Russes à la dérive. Cent ans après vous, c'est moi qui m'exile.
Je suis née quelques décennies après que des millions de Français soient morts dans les tranchées pour sauver leur pays, leur terre, du moins le pensaient-ils, et sept ans après la deuxième mondiale, dont mon grand-père me parlait tellement qu'à quatre ou cinq ans, je faisais des cauchemars sur la guerre. Il me parlait de celle de 40, de celle de 14 et même de celle de 70, dont lui-même avait entendu parler quand il était petit...La France d'alors, c'étaient pour moi des gens bien élevés qui avaient du goût et achetaient chez les antiquaires, mes tantes et ma mère, ravissantes et toujours élégantes, un pays où il faisait bon vivre et qu'avaient sauvé les résistants et les Américains.
Il est vrai que les horreurs et les infamies de la libération avaient fait passer ma famille de gaulliste pendant à pétainiste après guerre... Mais bon, j'étais sur cet arrière-plan troublé dans un petit quotidien français gentillet, terriblement banal, rassurant, avec des moments de rêverie, d'aspirations vagues...
J'ai senti venir la merde après 68. Je ne savais pas combien de temps cela prendrait, ni dans quelle proportion ce serait vraiment merdique. Il semble que ce sera très merdique, et très infâme. Oui, il semble que ce sera la fin. Combien de temps tiendront ceux qui voudront tenir, les pays de l'est, les Russes?
Et ceux qui nous auraient voulu tous résistants et faisaient des procès à la France entière nous vendent et nous exhortent à nous coucher, vouloir conserver son pays et son peuple n'est plus à l'ordre du jour. Dieu m'a vraiment protégée en ne me laissant pas avoir d'enfants... avec moi se refermera ma lignée, la longue suite de mes ancêtres français, européens, indo-européens. C'était une bonne lignée, à en juger par mes parents et grands-parents, et tout ce qu'a produit la France et ce qu'a produit l'Europe. Je ne laisserai pas de descendants dans ce bordel et ce dont j'ai hérité ne sera pas profané. J'emporterai tout cela bien plié avec moi dans l'autre monde en attendant l'avènement du Royaume...
Je pense que les Russes, s'ils doivent disparaître, mourront sans doute debout.
Oh nos pays blessés à mort, violés par les fils du diable...
Quand on fait aux gens la vie irrespirable, ils se fichent de mourir.
La Russie était si belle, et peuplée de belles gens. Il reste encore de belles gens, en Russie, et de beaux endroits, mais c'est quand même un champ de ruines où des chacals vont et viennent, avides d'achever et de décharner ce qui bouge encore.
Pourtant, ce qui bouge encore ne se rendra pas si facilement.
Les tableaux publiés par l'ami russe sur Nicolas II et son temps semblent me regarder depuis l'au-delà. J'en parlais l'autre jour avec le père Valentin: tout ce que nous aimions est avec eux, avec cette Russie si magnifiquement anachronique, encore si proche et déjà si inaccessible, que des monstres hideux et haineux ont assassinée avec son tsar dans la maison Ipatiev. Avec la beauté, avec la noblesse, avec la grandeur. Avec la foi et la pureté. Avec la sensibilité et le raffinement. Avec tout ce qui donnait un sens et une transcendance à la vie.
Je suis venue mourir le plus loin possible de la mort de la France et de sa dégradation, dans les ruines de la sainte Russie où poussent des églises, comme des fleurs nouvelles sur une terre ravagée par un incendie.


La fin du jour



Les voici déferlant, ces ténèbres pressées
De marcher sur les fleurs éparses de nos fêtes,
Aux murs de nos cités de suspendre nos têtes,
Sans relâche traquant les lueurs oubliées
Des printemps d’autrefois et les promesses claires
Faites aux cœurs d’enfants,  de chemins de lumière
Que leur ont interdits trop de furieux démons…
A l’issue de mes jours, je guette l’horizon
D'où nous viendra la fin.
La fin de tout s’élance, elle est noire et puissante,
Plus rien ne la retient
Elle lâche sur nous, meute tonitruante,
Ses hérauts et ses chiens.

Je meurs sans descendance et j’en rends grâce à Dieu,
Sur l’autel de Moloch, je n’étendrai personne.
Pas de fille soumise au plaisir des messieurs,
Pas de garçon brisé par le canon qui tonne.

lundi 2 juillet 2018

Queue vivante

Depuis deux ou trois jours, je traîne une conjonctivite comme j'en avais quelquefois à Moscou, jamais en France, en lien avec ma sinusite chronique, des allergies, les conditions climatiques... Donc après refroidissement, sinusite, toux, me voici avec un oeil pas du tout présentable et plutôt gênant. Une amie m'envoie chez un ophtalmo, enfin un genre, qui a bonne réputation, mais moi je serais d'abord allée chez un généraliste (oui mais lequel?) car tout cela est lié à des problèmes ORL. Mon amie me dit que jusqu'à 10 heures là bas, c'est "queue vivante", c'est-à-dire sans rendez-vous ni talon numéroté. Je pars et j'arrive dans un magasin d'optique désert et pas très gai, au rez de chaussée d'un immeuble branlant. Je demande si je suis seule à attendre, la brave dame du magasin ne semble pas saisir ce que je veux dire, mais finalement me confirme que oui, je suis seule. J'attends plus d'une demie heure et arrivent deux personnes derrière moi. J'attends encore dix minutes, le médecin sort de son trou mais prend avant moi une bonne femme qui elle, avait un talon numéroté. Et derrière elle, encore un bonhomme avec un talon numéroté. Pourquoi me dire alors que je suis seule à attendre et qu'il s'agit d'une "queue vivante"? La vendeuse m'invite à attendre encore ou à revenir le lendemain neuf heures. Arrive un autre bonhomme, pour la "queue vivante". Le temps passe et je comprends que dans le local à côté, d'autres gens attendent, à qui on a mis des gouttes dans les yeux ou je ne sais quoi. Et comme j'ai envie de faire pipi, je me casse.
Dans la voiture, je me souviens que la fille que j'avais fait venir pour Rosie soigne aussi les gens. Je l'appelle: "Non, me dit-elle, je suis juste infirmière. Mais pourquoi aller chez le médecin pour une conjonctivite? Prenez des antibiotiques dans la première pharmacie venue!"
Ce que je fais. Mais la pharmacienne y trouve à redire: "Et si ce n'est pas de la conjonctivite?" Elle me donne des gouttes, si ça ne marche pas avec les gouttes, il faudra retourner chez l'ophtalmo ou chez son concurrent dans un autre magasin d'optique... Moi, c'est un généraliste que j'aurais bien vu!
A Moscou c'était évidemment plus simple, j'allais à l'usine à fric dite Centre Médical Européen à 50 000$ la visite...
Aux dernières nouvelles, c'est moi qui doit décider si je vais voir un ophtalmo ou un ORL, car le généraliste m'enverra chez l'un ou l'autre et ne soignera rien (clinique privée locale). Je comprends pourquoi les Russes se soignent avec des plantes, de l'eau bénite ou des "extrasens"...


quoi de plus triste qu'une plante verte dans un magasin
soutenue par un manche à balai en plastique?
L'oeil rouge...