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jeudi 3 janvier 2019

Peredielkino



Mania et son sixième bébé
Xioucha s'est mariée avec son Igor. « Vous savez comment il m’a fait sa demande ? Je l’ai trouvé complètement ivre en bas, et je lui ai filé un coup de pied : « Et alors, qu’est-ce que tu fiches encore à traîner sous une palissade, ivrogne ? » Il s’est levé et il m’a dit : «J’ai bu pour me donner le courage de demander ta main ». Et tous les SDF qui regardaient ont applaudi. »
Cette belle histoire était une invention, elle me l’a précisé en rigolant. Mais ils sont bel et bien mariés.
Ensuite elle m’a emmenée chez une vieille amie de ses parents, c’était très gai, dans un appartement du centre complètement délabré, et tout le monde a chanté, mais j’avais Rita avec moi, et il y avait dans l’appartement une chienne énorme, qu’il a fallu enfermer, et qui aboyait, du coup la mienne aussi, cela me gâchait un peu la soirée, et puis je me sentais complètement ahurie, je n’ai plus l’habitude du monde et du bruit.
Au retour, j’ai voulu faire pisser Rita dans la neige, étant donné sa taille, elle fait le contenu d’un dé à coudre plus parfois une crotte d’oiseau, mais deux activistes me sont tombées dessus : je la faisais pisser sur leur gazon, celui de l'immeuble. Mais c'est de la neige... ah oui, mais en été, à la place de la neige et de la boue, il y a du gazon. Je ne sais plus où aller, parce que maintenant, c’est partout qu’il y a des barrières, des gazons à la con et des plates bandes, généralement de très mauvais goût, genre bégonias en rangs d’oignon, et je regrette le temps où, à Moscou, on était libre comme l’air dans des terrains vagues qui prenaient en été des allures campagnardes spontanées. Maintenant, on ne peut plus garer sa voiture sans payer des sommes folles, selon une procédure extrêmement compliquée. On ne peut plus promener son chien, même minuscule. Bref, cela devient aussi con et tyrannique qu’en Europe, et j’ai de plus en plus de mal à venir. A Pereslavl, je n’ai pas ce genre de problèmes.
Quand j’ai reculé devant le chiot Bouton, c’était à cause de ce genre de détails. Eh bien j’ai récolté Rita, qui ne peut pas se passer de moi cinq minutes…
Hier, je suis allée voir Mania et son dernier bébé, Doroteïa. Sa fille aînée  Aniouta est déjà une adolescente. Les autres sont des sauvages, au demeurant très rigolos, mais très fatigants. Je ne sais pas comment elle tient le coup. Elle m’a dit que depuis qu’elle était mère, elle n’existait plus.  Je me demande toujours quel genre de mère j’aurais été. Il me semble que j’aurais fait preuve de tendresse mais de sévérité et que j’aurais mis tout le monde au boulot et à contribution, comme à l’école.  Je ne saurai jamais si je n’aurais pas tourné à la mère et à l’épouse acariâtre. 
Dans mon livre, le petit jeune homme débauché, sodomite et criminel Fédia, est un père et un époux modèle. On le marie de force, mais il assume, il considère que sa femme est innocente de la situation, elle est innocente à tous les points de vue, d’ailleurs. Il remplit sa fonction de chef de famille, et c’est ce qu’elle attend de lui avec une confiance éblouie, de son époux de 17 ans à moitié sauvage. Mais ce n’est pas un enfant gâté, c’est un enfant martyr.
Dès que je suis chez les autres, ici, je n’arrête pas de grignoter. 
Nous sommes allées ensemble chez les Messerer qui organisaient chez eux une exposition de tableaux de petits formats qui, pour cette raison, ne sont pas chers. Il y avait de très belles choses, ce qui m’a le plus séduite était beaucoup plus cher que le reste, j’ai un don pour cela… Néanmoins, je pensais me faire un cadeau de Noël, mais je n’ai pas eu le temps, car nous sommes parties précipitamment, le mari de Mania ne pouvant plus faire face à leur meute de gosses dont elle lui avait laissé la garde. Anna Messerer m’a envoyé la photo de cette série de tableaux. Maintenant, je me dis que ce n’est peut-être pas moral d’acheter un tableau à quelqu’un qui, certes d’un grand talent, et peut-être plus connu, brise l’esprit de l’exposition en pratiquant des prix très au dessus des autres. Je dois acheter un petit format à une autre spécialiste de cet art qui me l’a mis de côté, mais je dois aller le chercher moi-même dans la région de Tver, où elle vit, dans un petit village dont son mari est le prêtre.
J’aime bien Peredelkino, le village des datchas intellectuelles de l'époque soviétique, où l'on trouve celle de Pasternak, celles d'Evtouchenko et Tchoukovski, car on y a construit d’énormes palais avec de gros murs, mais grâce aux pins immenses qui se bousculent partout, on ne les remarque pas trop. Les datchas des Asmus constituent une espèce de hameau privé. Au début, il y avait celle des grands-parents, le père Valentin y a ajouté la sienne, où vivent maintenant Mania et son mari, et son fils, le père Mikhaïl, s’est construit sur le même terrain une jolie maison de bon goût.




Chez les Messerer







Mes trois préférés



mardi 1 janvier 2019

Bonne et heureuse...


Une nouvelle année commence, avec les vœux habituels, face au monde affreux, qui se met en place, et dont nous ne voulons à aucun prix. C’est-à-dire que les mutilés de l’âme et les mutants du transhumanisme en marche en veulent bien, mais pas nous.
J’étais chez Dany et Ioura, dans leur théâtre décoré d’un sapin et de guirlandes bleues, de bougies, en petit comité. Le métro était plein de père Noël de 20 ans avec de fausses barbes.
J’avais pris la route le matin sous une chute de neige serrée. Les arbres étaient entièrement blancs et ne se distinguaient du ciel opaque que par leurs reliefs, comme si une lisse surface s’était ornée en son extrémité de sculptures à la fois tumultueuses et immobiles, traces d’anciens combats ou de vies pétrifiées en plein élan. Un monde fantomatique dont on peine à croire qu’il reverdira un jour.
Je me suis arrêtée pour faire de l’essence, et pour prendre un café. Je regardais par la fenêtre ces structures modernes incongrues sur le fond du cosmos éternel et de ses guerriers blancs. Dans le flot de musique indistincte qui traversait le local, j’ai soudain discerné l’inévitable Joe Dassin : « Bonjour, comment ça va ?... » Cela me venait des 70 optimistes et fêtardes quand le vers était dans le fruit, les trotskistes dans les facs, les banques dans l’état, l’Union Européenne en voie d’édification, le métro et les banlieues en voie d’africanisation, les slogans de 68 en voie de sacralisation. Mais on pouvait espérer que la coupe passerait loin de nous, ou que nous ne verrions pas venir le jour où il faudrait la boire. J’étais alors malheureuse comme les pierres et très esseulée, mais je pouvais toujours aller retrouver maman et Pedro, mon beau-père, ils étaient en vie, presque tout le monde était encore en vie, bien que nous eussions compté, dans la famille, déjà trop de morts prématurées.
Le père Valentin m’a demandé des nouvelles de Daru, je l’ai adressé plutôt à Dany. Il y a quelques temps, il trouvait des excuses à Bartholomée, mais là ce n’était plus du tout le cas : « L’Orthodoxie est terminée, l’Orthodoxie telle que nous l’avons connue est finie, elle ne sera plus jamais comme avant. Et le plus terrible est la trahison des autres  Eglises, qui blâment sans blâmer tout en blâmant et ne prennent pas position, même les Serbes, les Serbes !!!
- Oui, nous avons une fameuse équipe de Ponce Pilate. Quant à l'Ukraine même, quand je regarde le métropolite Onuphre, qui d'ailleurs, d'après ce ce que vous me dites, n'est sans doute pas Ukrainien, ni Russe mais Moldave, son clergé et ses fidèles, il me semble voir des Russes d'avant la révolution, avec des visages nobles et spirituels, rayonnants, comme on n'en fait plus, alors que ceux de "l'Eglise locale", Epiphane, Philarète, Porochenko et même Bartholomée, rappellent ces tableaux de la Renaissance où le Christ est le seul à avoir figure humaine parmi les monstres. Il se produit une sorte de bipolarisation, dans ce trou noir. Les uns se transfigurent, les autres perdent toute espèce d'humanité. »
Je lui ai raconté l’histoire de la députée ukrainienne, déclarant avec l’impudente imbécillité d’un char d’assaut que l’Ukraine avait désormais « son église ukrainienne et son dieu ukrainien » et il a éclaté de rire.
Mais ces églises locales qui laissent commettre un tel forfait, il leur faudra prendre le pack complet des « valeurs occidentales » : la dégradation inouïe des mœurs en parallèle avec l’islamisation, l’invasion extra-européenne dans laquelle leur chère indépendance nationale est appelée à se dissoudre dès le piège refermé, les modifications et les mutilations infligées à l’orthodoxie, pour la faire correspondre au modèle politiquement correct et à l’uniatisme programmé de la «religion du futur », ainsi que l’a déjà expliqué le porcelet mitré Épiphane à ses ouailles nationalistes transportées… Les Géorgiens qui s’étaient dressés comme un seul homme contre la gay pride, vont apprécier, adieu le folklore, les traditions nationales, les cultures millénaires diverses, adieu les peuples, bonjour la ferme humaine généralisée façon mille vaches, où chacun, pucé, violé ou inséminé artificiellement au besoin, bossera dans sa cage étanche pour fabriquer la nouvelle société du métissage, surveillé par une milice des mafias supranationales prête à arracher aux récalcitrants un œil avec la moitié de la gueule.
Il paraît que refuser cela, c’est être facho…
Bonne année quand même.
Je lui ai parlé aussi de ma profonde fatigue, du mal que j’avais à affronter la vie quotidienne et surtout, tout ce qui concernait la bureaucratie, devant laquelle je me sentais toujours plus désarmée, et des efforts que je devais déployer pour me traîner à l’église, surtout quand la liturgie était un peu trop tardive. «Si je dois attendre dans les brumes, alors cela devient terrible. J’aime bien aller à la vôtre, à sept heures du matin, j’ouvre un œil, je m’habille dans le coma et en cinq minutes de marche à pied, je suis sur place…
- Mais oui, c’est cela qu’il faut faire, se laver la veille et filer, c’est ce que je fais.
- Vous avez du mal, vous aussi ?
- Oh oui !
- Vous savez j’ai des complexes, je devrais me préparer à mourir, et je tiens beaucoup à la vie, intérieurement, j’ai l’impression d’être une jeune fille…
- C’est sans doute qu’il le faut, que vous avez des choses à faire. Si vous avez encore de la jeunesse en vous pour lutter, il faut continuer, et c’est ce que vous faites… »
Tout est entre les mains de Dieu, et je m’y remets. Qu’il prenne pitié de moi, et du tsar Ivan, et de son serviteur Féodor, qui ne me lâchent pas, les bougres. Comme le tsar dit à Fédia dans mon livre : « Sois l’ange qui me sauvera et non le démon qui me perdra », je supplie Dieu de faire de moi celle qui contribuera, sinon sauver ces âmes, du moins à améliorer leur sort, plutôt que de laisser celles-ci m’entraîner là où elles sont probablement.
Finalement, c’est assez réconfortant d’en arriver à penser que si nulle que soit notre vie spirituelle, Dieu peut tout faire, du moment qu’on démissionne pour Lui, qu’on jette l’éponge, qu’on lui remet l’affaire. Je lui remets l’affaire, c'est mon premier geste intérieur de l'année. Je ne suis plus capable de grand chose d'autre. 









samedi 29 décembre 2018

Bouffeurs de chiens...

Je pars demain à Moscou, mais curieusement, je dois vraiment me pousser, enfin ce qui me pousse, c'est que j'ai loué ma maison, ce qui paie ma commande IKEA, et que tant que je n'ai pas installé la cuisine Leroy-Merlin pour les hôtes, ce qui ne saurait tarder, il vaut mieux dégager si nous ne sommes pas des amis proches. Mais il fait si beau, quel hiver magnifique... Hier soir, malgré le lampadaire urbain violent, le ciel était plein d'étoiles, des étoiles d'hiver glaciales et brillantes, comme il convient pour la période de Noël, et les arbres couverts de givre étincelaient, et la neige, elle-même.  J'ai confectionné une pâtée pour mes oiseaux, avec de la margarine et des graines de tournesol, dans l'espoir qu'ils auront à manger plus longtemps. Les pies s'y mettent aussi, et les gênent, alors je file aux pies les croquettes de Rosie...
Pauvre Rosie, j'y pense constamment, et bien qu'elle m'ait tellement compliqué la vie, elle me manque. Hier Aladin du magasin de légume m'a dit avec un air sinistre et mystérieux que des gens l'avaient probablement mangée. "Comment ça mangée? Mais il n'y a pas de Chinois, ici!
- Beaucoup de chiens disparaissent. Il y avait toute une meute, regardez, il n'y en a pratiquement plus. Il y a des gens qui les mangent, et la vôtre, ils l'ont probablement mangée.
- Mais qui fait cela?"
Silence mystérieux. J'ai du mal à le croire, bien qu'on m'ait raconté jadis qu'inspiré par les Chinois, un ivrogne de Pétersbourg avait transformé la chambre de son appartement communautaire en abattoir. Je connais pratiquement tous mes voisins, personne ne m'a dit une chose pareille. Cependant, je crains bien qu'il ne lui soit arrivé malheur, car elle avait une médaille, elle était connue de tout le quartier, si on l'avait trouvée, on m'aurait prévenue, on me téléphonait sans arrêt. Depuis hier soir, je remâche l'affreuse idée que Rosie ait pu finir de la sorte. J'aurais dû la coincer dans le jardin, mais elle avait tous ses copains, et le voisin Nikolaï, avec qui elle allait à la pêche... Et d'ailleurs, ces derniers temps, depuis que Rita était ici, elle vaguait moins, on ne m'appelait plus. Rien n'est pire que la disparition d'un animal car on peut tout supposer.
A Moscou, j'aimerais voir Skountsev, et tous les amis que je ne vois jamais, c'est pour cela que je profite de la présence de ces hôtes qui nourriront mes chats. Ils les connaissent déjà, car ce sont des parents de Margarita qui les avait gardés.



vendredi 28 décembre 2018

Avatars

Quand j'ai ouvert mon compte Skype, j'ai pris pour pseudo Lora, parce que c'est ainsi que les cosaques m'appellent, 52, parce que c'est ma date de naissance et Russie parce que j'habitais en Russie. Je n'ai pas arrêté depuis lors d'avoir, après les coups de fil impromptus plus ou moins pervers que j'ai bloqués, des invitations de veufs inconsolables ou d'Africains en quête d'exotisme ou de papiers. Or si j'avais ouvert un compte Skype, c'était pour discuter gratos ou presque avec ma mère, ma tante, ma sœur, pas du tout pour draguer, je pense que rencontrer l'âme-sœur sur Skype relève encore plus du miracle que dans la vie quotidienne. J'ai d'abord mis la photo de mon petit chien, pour calmer ces messieurs, mais cela n'y faisait rien, un petit chien de cocotte comme le mien ne faisait qu'exciter leur curiosité. J'ai mis ensuite la photo de mon arrière-arrière-grand-mère Caroline à largement 80 ans, mais sans succès non plus. Puis dernièrement, j'ai eu des tas de problèmes avec mon compte qui avait disparu, et il s'en était créé un nouveau, et pour le retrouver je tape mon pseudo sur google et tombe sur des tas de liens connexes de jeunes femmes suggestives. Lora, Russie, pas bon...
J'ai réfléchi et j'ai substitué à l'arrière-grand-mère et au petit chien l'amour de ma vie, Ivan le Terrible interprété par Tcherkassov. Eh bien depuis, PLUS UNE INVITATION!



jeudi 27 décembre 2018

Termites municipales....

Pierrelatte au XIX° siècle, avant les divers saccages

Je n’arrive plus à jouer de la vielle, parce que je dois me battre avec pendant des heures pour arriver à retrouver un son correct. Avant, même sans l’aide de Micha, à Moscou, j’arrivais quand même à la faire fonctionner. Mais là, c’est vraiment décourageant. Quand j’aurai reçu mon déménagement, avec celle de Vassia Yekhimov, j’irai retrouver celui-ci en Carélie et passer quelques jours dans son village touristique pris par les glaces, air pur et tranquillité assurée. Vassia Yekhimov est un type très doué et très marrant. Je ferai un petit stage avec lui. Il est important pour moi de me remettre au chant, car c’est un témoignage que je peux apporter. Celui d’une Française qui a appris à jouer de la vielle et à chanter des vers spirituels avec des folkloristes russes. Il faut une nuit de train pour aller là bas, la gare est perdue au fond de la taïga, des taxis emmènent les visiteurs dans le village touristique, au bord de la Svir.
Je parle toujours des destructions à Pereslavl, des ravages opérés par Sobianine à Moscou, mais voici que ma sœur , au téléphone, m’explique qu’à Pierrelatte, après avoir emmerdé les administrés avec deux ans de travaux pour refaire un centre déjà  tout à fait correct, ce qui a dû coûter un os, la municipalité a décidé de couper les micocouliers de la place de la Poste, enfin adultes, qui donnaient de l’ombre et dissimulaient les disgrâces d’une architecture des années 60 ou 70 pas vraiment sensationnelle. Pour replanter quoi qui mettra 30 ans à pousser, au bout desquels on coupera à nouveau ? Et pourquoi faire, pour faire travailler les pépiniéristes ? Autrefois, on plantait pour 500 ans, pour la vie d’un arbre, et on remplaçait au fur et à mesure, mais le consumérisme frappe même les végétaux. Je me souviens de toutes ces affreuses constructions, quand les arbres n’étaient encore que des poteaux avec une touffe de feuilles au bout, il y a 40 ou 50 ans, leur taille actuelle est la seule chose qui rend tout cela supportable. Mais la municipalité ne va pas s’arrêter là : elle va couper tous les platanes centenaires de l’avenue de la gare. Pour planter des pins parasols que l’on coupera dès que les racines soulèveront le bitume ? Des lauriers roses qui sont trop nombreux, trop bigarrés et ne donnent pas d’ombre ? Comme beaucoup de villes et villages, Pierrelatte a commencé à être saccagé au XIX° siècle. Son centre était occupé par une énorme moraine très spectaculaire, coiffée des ruines d’un château : le fameux Rocher, dont il ne reste qu’un chicot, après qu’un imbécile local en ait fait une carrière, le fric, pour le bourgeois, c’est sacré.  Le marché couvert médiéval a survécu jusque dans les années 60 où, dans la foulée des HLM en béton façon petit Mahattan, on l’a détruit pour construire un parking où on ne peut pratiquement pas se garer. Des destructions, reconstructions, aménagements, j’en ai vu passer je ne sais combien. Le centre est complètement désertifié : écrasé de taxes et persécutés par l’administration, soumis à la concurrence déloyale des grandes surfaces et des centres commerciaux que les différentes municipalités favorisaient fébrilement, les commerçants ferment tous boutique et l’on voit ce qui me frappait en Union Soviétique : des photos de marchandises dans des vitrines vides « pour faire plus gai ».
Dans les années 70, j’avais visité, avec un jeune Américain, le village de Lavaudieu, près de Brioude, en Auvergne. J’en garde un souvenir émerveillé. La cordialité et l’authenticité des paysans qui, dans l’unique bistrot, où le café au lait était servi dans des bols, nous avaient accueillis à bras ouverts... Ils étaient fiers de nous montrer leur village. Ils avaient envoyé cherché l’institutrice à la retraite qui avait les clés du musée d’art populaire local, et du cloître roman. Elle nous avait montré toutes les merveilles de la vie d’autrefois, alors d’ailleurs pas si lointaine, avec beaucoup d’amour, elle connaissait sans doute personnellement les auteurs des dentelles, des objets quotidiens, et ceux qui avaient porté ces robes, ces châles et ces blouses. Ensuite, nous avions vu le ravissant petit cloître, et l'église qui avait subi des déprédations de la part d’un ancien maire. «Mais pourquoi donc a-t-il fait cela, m’étais-je écriée, seul un imbécile peut faire un saccage pareil ! » La vieille institutrice m’avait regardée avec une sorte de calme curiosité, un peu réprobatrice, comme un petit élève qui aurait sorti une incongruité, une lapalissade : «Mais ma pauvre, c’est bien parce que c’était un imbécile qu’il était maire… Les gens intelligents ont autre chose à faire de leur vie. »
Et c’est la somme de tous ces imbéciles qui détruit la France, celle de l’institutrice, du cloître, de Lavaudieu, qui détruit maintenant le monde entier, sa flore, sa faune, toutes ses merveilles, et nos âmes par-dessus le marché.


Lavaudieu

mercredi 26 décembre 2018

« Mettez la musique plus fort, que l’on n’entende pas qu’on nous tue »



Anna Reviakina
03.12.2018, 07:15
Exclusif
traduction L. Guillon

saint Vladimir de Dokoutchaïevsk
Anna Reviakina, poétesse et publiciste, parle du destin de l’orthodoxie dans les territoires dUkraine hors contrôle, de l’inventaire des saints et de l’importance pour les orthodoxes de rester solidaires.
Le plus affreux qui puisse arriver à l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne du Patriarcat de Moscou serait de ne subsister que sur les territoires qui, depuis déjà quatre ans et demie, ne sont plus l’Ukraine. Là est le paradoxe.
L’archiprêtre Nikita Panassiouk
Je suis liée au père Nikita par une vieille amitié et par une petite ville à la frontière de la RP de Donetsk  et de l’Ukraine. Le père Nikita Panassiouk est le premier et le seul recteur de l’église Saint-Vladimir de Dokoutchaïevsk. Du père Nikita émane une sorte de lumière absolue, il a un cœur énorme et des yeux clairs, impossibles à cacher, même derrière des lunettes. Il est le dépositaire et le participant de la légende du célèbre starets, le père Zossime.
Quand les arbres étaient encore grands et que Dokoutchaïevsk vivait dans une complète tranquillité, on fit inopinément au père Nikita la proposition de déménager en Russie, on lui promit une paroisse et une confortable maison. Le père Nikita avait surmonté, avec beaucoup de difficultés, les premières années de son ministère à Dokoutchaïevsk , son troupeau était petit, la ville de travailleurs ne se pressait pas trop de se tourner vers Dieu, le passé soviétique se faisait sentir. Le père Nikita n’avait pas baissé les bras, fait ce qu’il avait à faire dans la petite ville ukrainienne, mais il reçut la proposition d’un ministère en Russie comme une voie que lui ouvrait le Seigneur. 

Le starets de Donestk
Les relations du père Zossime avec le père Nikita étaient paternelles. Le père Zossime avait ce genre de relations avec beaucoup de gens, chaleureuses, bonnes, il donnait de nombreux conseils, il bénissait beaucoup de monde. On venait voir le père Zossime de tous les coins du pays et même des prêtres, et aussi quelques hommes politiques qui se considéraient comme ses enfants spirituels. Il trouvait des mots pour tous , des mots clairs, justes, il prévenait l’un  (comme Ianoukovitch, par exemple), il admonestait l’autre. Bien sûr, le père Nikita alla chercher la bénédiction du père Zossime pour son départ en Russie, le recteur de l’église de Saint-Vladimir ne pouvait pas faire un tel pas sans la bénédiction du starets.
Zossime répondit alors par un refus, il ne le bénit pas, il dit que son enfant spirituel  aurait encore une occasion d’aller servir en Russie. Le père Nikita en fut très désappointé, se rembrunit, ils s’assirent pour prendre le thé ou déjeuner, la conversation était déjà partie sur autre chose, il y avait alentour d’autres prêtres, d’autres questions. Le père Nikita ne participait pas à la conversation, il pensait qu’il s’apprêtait à partir en Russie servir, mais sans bénédiction, bien sûr, rien de bon ne pouvait sortir de ce dessein. Et voilà que le père Zossime se retourne vers le père Nikita et lui dit de ne pas augmenter mentalement son chagrin mais de continuer sa voie sur place à Dokoutchaïevsk. Et à la fin, de nouveau la phrase : «Tu auras encore l’occasion de servir en Russie ! »
Le père Zossime mourut en 2002. En guise de viatique, le starets dit : « …avant de partir pour la vie éternelle, je vous délivre mes dernières paroles, frères, sœurs, et tous ceux qui prient dans notre monastère : accrochez-vous à l’Eglise Orthodoxe Russe, en elle est le salut ». 
Un pays protégé par Dieu
Les frontières de l’église ne coïncident pas, et ne peuvent coïncider avec celles des états. Les états se divisent tous de façon horizontale, or l'église, au contraire, parle de division verticale. Les gens d’église pensent que leur patrie, c’est celle d’en haut. Le rythme de la vie ecclésiale ne correspond pas à celui de la vie de l’état. L’église est une structure plus puissante et plus ancienne que l’état, elle dispose d'une clairvoyance unique. Nous, les habitants d’un état séculier, ne pouvons même pas imaginer ce qu’il y aura sur terre dans un demi siècle. Nous, chrétiens orthodoxes, pouvons exactement donner le jour où tombera la Pâque. Dans cinquante ans, cent ans ou mille ans
« Autrefois, dans la liturgie, nous lisions ainsi : « notre pays protégé par Dieu, ses autorités et ses armées ». Depuis le début de la guerre, nous avons une bénédiction spéciale pour ne pas rappeler les autorités, car ce sont justement elles qui l'ont déclenchée. Maintenant, nous lisons « notre pays protégé par Dieu et son peuple orthodoxe ». Les lignes où nous prions pour les prisonniers ont pris un sens particulier » raconte le père Nikita.
Aujourd’hui l’église est une source de spéculations politiques. Chaque mot prononcé ici, sur le territoire de la République Populaire de Donestk, est entendu là bas, de l’autre côté. Nous pouvons porter, par certaines de nos déclarations, du tort à nos frères sur le territoire ukrainien. C’est justement pour cela que le père Nikita se tait plutôt que d’accepter de commenter quelque chose. C’est pour cela que les frères de la laure de la Dormition de Potchaïev ont publiquement adjuré les gens de croire seulement en l’information qui paraît sur le site officiel de la laure, de ne pas céder aux provocations des médias.
Aujourd’hui, ce qui se produit à Kiev n’a pas de relations avec le meurtre de l’église, il est impossible d’anéantir l’Eglise Orthodoxe Russe. S’il n’y a pas d’église où prier, les gens le feront dans les appartements, les caves, n’importe où. Pour l’essentiel, la coupole de l’église Orthodoxe Russe, c’est le ciel étoilé lui-même, au dessus de la tête de ceux qui élèvent leur prière. Ce qui est terrible, c'est autre chose, c’est qu’on oblige les gens à suivre les schismatiques, ils remplacent la vérité par leur propre demie-vérité à un seul éclairage, attentent cyniquement à la foi, déforment les faits, interprètent le passé, essaient d'acculer le chrétien orthodoxe dans un coin, et l’homme est faible, surtout l’homme contemporain qui est plus souvent conduit que conducteur.
Dans le giron du Christ
En un certain sens, les églises qui sont réparties sur le territoire de la RPD se trouvent en sécurité. « Oui, nous avons des privilèges. Ce dont, bien sûr, nous sommes redevables à nos dirigeants. Ce qui se passe là bas, sur l’autre territoire, dans un sens cela ne nous concerne pas, cette coupe est passée loin de nous, mais d’un autre côté, pouvons-nous ne pas penser à nos frères, aux difficultés auxquelles ils se heurtent chaque jour ? La guerre, c’est notre douleur commune, dit le père Nikita, les premières prières que nous adressons pendant la liturgie c’est pour notre grand seigneur et père sa Sainteté le patriarche de Moscou et de toutes les Russie Cyrille, notre seigneur et père sa béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine, notre seigneur sa Sainteté le métropolite Hilarion. Prier pour le métropolite Onuphre est aujourd’hui un honneur particulier, c’est justement lui, au moment présent, qui est le soutien de l’Orthodoxie sur le territoire de l’Ukraine. C’est un véritable héros, qui conserve l’unité, console les gens ».
Inventaire des saints
L’église de Dokoutchaïevsk porte le nom du métropolite de Kiev Vladimir (Bogoïavlenski), qui fut glorifié par l’église Russe Orthodoxe en 1992 comme prêtre martyr. Son jour de célébration est le 25 janvier. Il y a cent ans, au concile Panukrainien, fut posée la question de l’autocéphalie de l’église ukrainienne en Ukraine. Le métropolite Valdimir avait alors défendu l’unité de l’église Russe. «A Kiev, c’étaient des temps particuliers, du reste, comme maintenant, dit le père Nikita, une tentative d’ukrainisation, la situation de la laure des Grottes de Kiev était conflictuelle, c’était lié au schisme, et à la révolution. Je parle souvent à mes ouailles avec les paroles du père Zossime et celles du prêtre martyr Vladimir, selon lesquelles il faut rester accroché à l’église orthodoxe Russe ».
Le 25 janvier 1918, cinq soldats armés vinrent trouver le métropolite Vladimir, l’emmenèrent hors de la Laure et le tuèrent férocement, près du rempart de la forteresse de Staraïa Petcherskaïa, non loin de la rue Nikolskaïa. « Les reliques du métropolite Vladimir se trouvent dans les grottes Proches de la Laure des Grottes de Kiev. Aujourd’hui, se déroule l’inventaire de la propriété. En quoi les gens qui le font sont-ils mieux que les mécréants de l’époque soviétique ? demande le père Nikita et il répond lui-même : en rien ! et ils prétendent lutter avec le passé communiste ! Que font-ils, là-bas ? L’inventaire des saints ! les reliques des saints et des justes qui se trouvent à la laure, ce sont aussi des propriétés ? Les gens deviennent fous, mais continuent à se prendre pour des gens ! »
Nous nous tuerons nous-mêmes
Et pendant ce temps, les problèmes humains qui ne concernent pas la guerre et autres folies ne changent presque pas. « Les gens ne changent pas beaucoup, et ils créent les mêmes problèmes, à eux-mêmes et aux autres. Seulement il y a quelque chose qui s’aggrave, dit le père Nikita, et ça me fait mal d’en parler, mais les gens continuent à forniquer et ne craignent pas de tuer leurs propres enfants. La guerre, ce n’est pas seulement la mort par les obus qu’on nous lance dessus. C’est aussi la dégradation morale, c’est la façon sans appel avec laquelle la femme est prête à ne pas recevoir l’enfant que Dieu lui donne. Elle va le tuer. Le nombre des avortements a augmenté. Les gens vont moins souvent se faire arracher une dent que commettre un avortement. Les gens souffrent de perdre leurs cheveux à cause du stress, mais que les enfants tombent de leur mère, tout le monde s’en moque ».
L’Ukraine, en s’enfonçant peu à peu dans l’obscurité de l’insuffisance économique, et maintenant, en plus, dans l’état de guerre, perd la foi non seulement dans le pouvoir mais dans la vie humaine, dans le droit même à cette vie. L’Ukraine occupe la première place en Europe pour les interruptions de grossesse. Près de 20% des habitantes de l’Ukraine par an refusent leurs enfants déjà conçus. En Europe occidentale, cet indicatif est de 3-4 pour cent. En Europe de l’Est de près de 14%.
« On entend souvent la comparaison : comment c’est là bas et comment c’est ici, dit le père Nikita, et ce n’est pas comparer, qu’il faut, mais s’occuper de soi. Les avortements, c’est un fléau à double tranchant ! Et si aujourd’hui on ne nous bombarde pas, nous continuons à faire des avortements, nous tuons notre futur. Nos ancêtres vivaient pendant la guerre bien plus mal que nous mais ils faisaient des enfants. Dans le vrai froid et la vraie faim ».
Plus fort, la musique
Très bientôt ce sera le 19 décembre, la Jour de la Saint Nicolas. Traditionnellement, nous aurons un service ce jour-là dans l’église saint Vladimir de Dokoutchaïevsk, après le service, sera ouvert un marché sur le territoire de l’église, les paroissiens feront cuire des brioches, des pirojki, les cosaques installeront des samovars, on servira le thé à tout le monde. Les moyens récoltés serviront à faire des cadeaux aux enfants. «Fasse le Ciel que cette année, on ne nous bombarde pas. L’année dernière, pour la saint Nicolas, nous étions allés féliciter les enfants de l’orphelinat municipal, il y avait eu un bombardement très puissant, les obus tombaient dans les rues de la ville. Mais nous marchions quand même, nous nous cachions derrière les maisons, nos genoux tremblaient, nos jambes se dérobaient, tellement nous avions peur. Arrivés à l’orphelinat, nous avions félicités les enfants, distribué les cadeaux, le spectacle avait commencé, c’était terrible, certains versaient des larmes, mais on n’a pas supprimé le spectacle. J’ai alors prié et demandé : « Mettez la musique plus fort, que l’on n’entende pas qu’on nous tue ».
« Père Nikita, mais qu’est-ce qui va se passer par la suite ? demandai-je
-Je ne sais pas, répondit le père, mais ce que je sais, c’est que Dieu est avec nous ».

le père Nikita



mardi 25 décembre 2018

Noël au café

un de mes pensionnaires

Les cathos, une partie des orthodoxes et ma famille fêtent Noël. Le père Constantin m’a invitée à venir à l’église à cette occasion, bien que je suive, comme lui, le calendrier julien.  Comme son sermon de dimanche portait sur la parabole des dix lépreux et la reconnaissance que nous ne manifestons pas à Dieu, en négligeant les offices et en ne communiant pas à Son Corps et à Son Sang, je me suis poussée, on peut le dire, je me suis traînée à la cathédrale. J’ai communié. Pendant la nuit, j’avais rêvé que j’allais à l’église, mais que j’étais si distraite et somnolente que je  laissais passer le moment de l’eucharistie, je ne le remarquais même pas et me disais tout à coup : « Quelle honte ! Tu as loupé la communion ! »
D’où me vient cette espèce d’épuisement, ce manque d’élan ? L’âge, la fatigue ? Les discours ascétiques me fichent le cafard. J’ai toujours aimé la vie, avec le sentiment qu’elle avait des prolongements métaphysiques, l’au-delà des choses de la poésie de Rilke. J’en ai aimé toutes les merveilleuses sensations, toutes les visions, toutes les symphonies. Je suis très reconnaissante à Dieu de m’avoir donné tout cela, même si la façon dont nous vivons, la société telle que nous l’avons organisée, ou laissé organiser, nous prive de ce qui était naturel à nos ancêtres, et qui était encore pratiqué par mon beau-père, rester au bord d’un champ à regarder le ciel en gardant les moutons, se manger un bon fromage avec du bon pain et un coup de rouge, et allumer une clope quand on aime le tabac. Je lui suis reconnaissante de mes émerveillements et de mes bonheurs plus que de mes souffrances, mais la souffrance est pleine d’enseignements, et comme elle fait partie de la vie au même titre que le bonheur, il faut savoir la supporter dignement et avec profit.
Cette même nuit, j’ai rêvé aussi de mon grand-père. Moi qui ne me souviens plus jamais de mes rêves, j’ai fait fort... Je le rencontrais avec joie, et lui aussi avait l’air joyeux. Oui, cet homme sinistre avait l’air très joyeux. «Papi, que je suis contente de te voir ! Et tu es toujours aussi élégant ! » Il avait un costume d’une matière brillante, glissante, un peu gaufrée, son visage était très précis, et le tissu aussi, je pourrais le sentir au bout  de mes doigts.
Après l’église, je suis allée au café français. Et là, j’ai ressenti une honte de plus, celle de me laisser aller sur les délices de Didier en plein carême. Mais enfin, c’était ma façon de m’associer au Noël de tous ceux qui me le souhaitent sur Facebook… Rita a fait du scandale pendant que je commandais. Je l’avais laissée dans son sac sur une chaise et de me voir m’éloigner de trois mètres, elle a poussé une lamentation si déchirante que tous les clients se sont émus. Il y avait deux charmantes jeunes filles orthodoxes, jupes longues et foulards, jolies comme des cœurs, avec des sourires frais et gentils. « Ne seriez-vous pas Laurence ? Me demande l’une d’elles, Katia. Je vous vois sur Facebook mais je n’osais pas vous écrire, et je voulais vous rencontrer… »
Katia et Nadia ont quitté Moscou pour Pereslavl, Nadia il y a deux ans, Katia il y a deux mois. Elles ne veulent plus vivre dans la capitale. Elles fréquentent le monastère saint Daniel, dont les abords ont été saccagés, mais du côté de l’étang qui le jouxte, il semble avoir gardé son environnement d’origine. Elles aiment le chant d’église znamenié, le chant ancien, sans fioritures académiques ni rossignols énamourés. Encore que je suis injuste envers les rossignols, dont le chant m’a toujours paru si mystérieux, à la fois abondant, virtuose et retenu. Une de leurs amies dirige le chœur d’une église de village où ce chant est pratiqué. Elles m’ont parlé d’un Français orthodoxe marié à une Russe, il travaille à Moscou mais il a une datcha près de Rostov et il a définitivement émigré.