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mardi 12 février 2019

La Russie idyllique

Pereslavl aujourd'hui

Je ne sais pas pourquoi, je traîne un sentiment d’angoisse permanent. Peut-être que j’en ai ras le bol de me battre, et je n’ai pourtant pas fini, personne ne pouvant se battre à ma place. Ces incessantes démarches, ces justificatifs à produire à chaque pas, j’ai de plus en plus de mal à faire face.
Une relation facebook d’origine russe, certainement homme d’affaires et pro Poutine, me reproche, après avoir voulu partir vers LA Russie idyllique, et critiqué l’occident de toutes les manières, de la dénigrer de la façon la plus acerbe. Mais outre que je n’ai jamais considéré la Russie comme un pays idyllique, ni d’ailleurs le mien comme terriblement mauvais, je ne peux quand même pas tirer un rideau pudique sur tout ce qui me dérange pour ne pas « désespérer Billancourt ». De nombreux partisans de Poutine estiment que l’on ne peut émettre la moindre critique à l’endroit de la Russie, il ne faut dire que des choses positives, c’est-à-dire mentir autant que ceux qui n’en disent que du mal, seulement dans l’autre sens.
Cet homme me demande où je vais bien pouvoir aller si la Russie me déplaît autant que le reste. Mais nulle part, à moins qu’on me fiche dehors. En Russie, je me sens à l’étranger, un étranger que j’aime, malgré toutes les critiques que je peux émettre, et d’ailleurs, si je l’aimais pas, je n’aurais pas de critiques à formuler, je dirais que c’est globalement un pays de merde et je rentrerais en France. Et en France, je ne me sens plus chez moi, parce que le pays ne nous appartient plus, il nous est pris, pour le donner à d’autres, et puis, je n’y ai plus d’enracinement spirituel, ou plutôt, j’ai trouvé mon enracinement spirituel ailleurs, même si d’une certaine façon, je le retrouvais à Solan.
Je m’interroge sur ce qui me lie à la Russie, et cela me ramène à ce que m’a dit Olga de mon livre : il est écrit avec votre inconscient. En réalité, si je suis génétiquement et culturellement française, mon inconscient a reconnu en Russie, dès le premier livre russe que j’ai lu, quelque chose qui lui appartenait profondément ou, plus exactement, à qui il appartenait. Et quand j’ai découvert l’histoire d’Ivan le Terrible, le film inspiré par le personnage, ce phénomène n’a fait que s’accentuer : j’appartenais au tsar, à son pays, à la Russie médiévale par quelque chose d’incontrôlable, d’inexplicable, de très profond, d’inconscient. Un attachement de cet ordre va au-delà de toute explication rationnelle et meut une âme et une vie avec  la force d’un torrent ou d’une tempête en mer.
J’ai éprouvé le même sentiment de reconnaissance envers Dostoïevski, l’écrivain qui m’a le plus marquée. J’étais subjuguée par ses romans et ses personnages. Et le folklore russe m’a également profondément envoûtée, plus qu’aucun autre.
Evidemment, tout cela n’a absolument rien à voir avec l’Union Soviétique, si quelque chose de soviétique m’émeut, c’est par ce que cela conserve de russe, par miracle et par assimilation. L’Union soviétique est l’antithèse assumée, revendiquée de la Russie, bien qu’à certains égards la Russie ait réussi à l’assimiler partiellement, comme le démontre Panarine.
Ma terreur est qu’après avoir détruit la France, dans une large mesure, la modernité n’achève la Russie, donc tout ce qui ici défigure la Russie, l’insulte ou la caricature, volontairement ou non, me rend malade, et c’est mon incapacité à rester indifférente aux traces des désastres passés et aux prémisses des désastres ultérieurs éventuels qui me fait réagir avec douleur et amertume.
Je pense quelquefois à l’écrivain André Makine qui a fait la démarche inverse de la mienne, il est parti vers la France. D’après les échos que j’en ai, il souffre de ce qu’il voit : une France qui se délite, qui se renie, qui n’est plus elle-même… Lequel de nous d’eux est le plus certain d’en prendre plein la gueule ?
Moi, je retrouve la Russie en beaucoup de gens, ici, à dose plus ou moins concentrée. Pour l’instant, la Russie est encore vivante, et l’orthodoxie est en phase avec elle. Le catholicisme est-il en phase avec la France ? Moi, je ne suis plus en phase avec le catholicisme, je crois ne l’avoir jamais été, et même, dans l’orthodoxie, j’ai retrouvé dès mon adolescence, quelque chose de mon être profond, quasiment de mon être collectif, de cette partie de mon être qui débouche sur tous les autres êtres, en passant d’ailleurs aussi par le paganisme. Même pour retrouver l’esprit de l’art roman, je passe par l’orthodoxie. Je ne sais pas si Makine est croyant, orthodoxe ou catholique…
J’écrirai sans doute ultérieurement sur la France, sans oublier la Russie, mais mes deux livres sur le tsar sont la carte, la trace de la démarche inconsciente qu’a fait mon âme dans sa quête d’elle-même et de Dieu. Et aussi l’écho de voix qui ne sont pas les miennes, mais qui ont résonné en moi, parce que tout au fond de moi, je leur donnais la parole, je devenais un orgue, un orgue universel, et ce n’est pas moi qui en jouais. Il se servait de moi pour vibrer.
J’ai essayé d’aller me promener avec Martine, mais la neige est devenue croûte de glace savonneuse et grisâtre, il n’y a pas de lumière, il fait juste 0°, mais un vent mauvais et glacial. En janvier, c’était le conte de Noël, maintenant, c’est l’Angleterre au XIX° siècle… Dickens.
Il vaut quand même mieux visiter la Russie l’été. C’est plus simple.

lundi 11 février 2019

Souzdal

Au mois de janvier, je me répétais sans arrêt: pourvu qu'il fasse aussi beau quand ma soeur viendra. Eh bien c'est raté.
Ce matin, j'ai décidé d'aller avec elle à Souzdal, histoire de voir enfin quelque chose d'harmonieux et d'homogène. Nous sommes parties par un temps gris, brumeux, en direction  de Iouriev Polski. La route était quasiment déserte, bordée de forêts givrées et de villages frileux. On ne voyait pas grand chose. Et nous n'allions pas vite.
Iouriev Polski est une ville restée assez intacte, avec son beau monastère central, mais il ne semble pas s'y passer grand chose et y trouver un café relève de la gageure, or comme je n'avais pas vu de station d'essence depuis Pereslavl, j'avais besoin d'une pause pipi urgente...
40 km plus loin, nous avons tourné vers Souzdal et fait encore 25 km dans un paysage fantomatique, avant d'arriver dans cette ville ravissante. Je sais qu'elle a subi aussi ses destructions soviétiques, et elle n'est pas exempte de "cottages" regrettables, l'Eglise elle-même a commis une espèce de pâtisserie rose fuschia qui est peut-être une hôtellerie pour les pèlerins... Mais la ville garde encore beaucoup de merveilles et n'a pas perdu sa structure générale d'origine, le long de la rivière et de ses escarpements. C'était un tel bonheur de voir cela. Naturellement, nous n'avons pas visité grand chose, nous avions peu de temps, il faudrait dormir sur place, car par un hiver de ce genre, on met des heures à progresser sur le verglas, et l'on se refroidit et se fatigue vite. Et puis c'est très riche, il y a plusieurs monastères très anciens, le kremlin, partout des églises, si originales, avec leurs clochers colorés, et d'anciennes maisons intactes aux fenêtres sculptées, des galeries marchandes du XIX° siècle, tout cela a survécu. "Par quel miracle? me demande Martine.
- Je ne sais pas. Je pourrais te dire que c'est une ville de l'anneau d'or, la vitrine touristique soviétique, mais Pereslavl aussi, et on l'a massacré, on l'a même déclassé pour le faire plus tranquillement. Ici, c'est très joli, mais plus à l'écart, peut-être, moins accessible, à Peresalvl il y a le lac qui permet des installations sportives, c'est sur la route principale, entre Moscou et Yaroslavl, un endroit où l'on peut faire du fric avec les vacanciers moscovites. Et peut-être que cela tient juste à la personnalité du gouverneur et des édiles. J'ai entendu dire que le gouverneur de la région de Vladimir était très bien, et ce n'est pas du tout la réputation de celui de Yaroslavl."
Dans les innombrables boutiques de souvenirs et de pseudo "artisanat populaire", nous n'avons rien trouvé à acheter. Un bric-à-brac complètement en toc; à la rigueur, si on en avait eu besoin, on aurait pu acheter des bottes de feutre et des moufles . Mais j'ai pris de l'hydromel délicieux à une bonne femme, dans la rue, elle avait un baratin de fer! Elle m'a refilé de l'hydromel aux baies d'argouses, pour les problèmes digestifs, et aux baies de canneberge, pour remonter l'immunité. Je n'en trouve pas à Pereslavl. "Du comme ça, vous n'en trouverez nulle part, m'a dit la bonne femme, il est fabriqué ici!"











dimanche 10 février 2019

Pensées crépusculaires


Il y a longtemps que nous ne nous étions pas retrouvées seules ensemble, ma soeur et moi, et nous piquons des fous-rires comme au bon vieux temps. J’ai le cœur serré de la voir repartir vers l’avenir incertain de la France. Elle trouve ce qu'elle a vu, pour l'instant, de la Russie si défiguré par les constructions anarchiques et hideuses que cela ne vaut même pas la peine de recommander aux Français de venir voir. Et elle n’a pas tort, encore pittoresque il y a 20 ans, Pereslavl Zalesski ne ressemble plus à rien. «Cela me rappelle les rues des westerns, des baraques le long d’une route défoncée » me dit Martine. Elle a été emballée par le kremlin de Rostov, et ses musées, le reste, aucun intérêt. Elle trouve même que les choses vont au delà des descriptions de mon blog!
Nous y avons vu une exposition sur le rôle de la croix dans les différentes expressions de l'art populaire: elle était partout, consacrant les moindres objets du quotidien, et le berceau des enfants, lui-même symbole, avec son contenu, de l'enfant Jésus dans la crèche...
Un correspondant facebook communiste a trouvé le moyen de me dire, à propos des destructions dans le nord russe, que « l’amour du passé n’était pas dans leur culture ». En effet, il n'est pas dans la culture soviétique, celle qui l'intéresse. Du passé faisons table rase, l'Union Soviétique s'est bâtie sur l'horreur et le dénigrement enragé du passé russe, de la sainte Russie, de la Russie fantastique, féerique, celle qui sculptait, chantait, dansait, brodait, fabriquait des merveilles depuis des siècles.  Partout où la féérie russe a disparu dans le nord, elle a fait place au goulag soviétique.  Quand on vient chercher ici l’union soviétique, on la trouve, elle est partout, on peut même ne voir que cela et décréter que l’amour du passé n’est pas dans cette culture  qui s’est bâtie en détruisant méthodiquement la culture précédente, afin que les cerveaux lavés des prolétaires habillés d’oripeaux minables et parqués dans le béton, avec leurs meubles de contreplaqué poli, ne conservent aucun souvenir, aucune allusion à autre chose qui pourrait leur laisser penser que la beauté existe encore en ce bas monde. C’est pourquoi maintenant tout est si hideux en Russie, et le nouveau mensonge, qui permet de continuer à ravager ce qui subsiste, c’est « qu’en Russie, il en a toujours été ainsi ». Comme si l’Union Soviétique n’avait pas cent ans, mais mille ans. Or il est vrai que ces cent ans de malheur ont si profondément détruit le pays qu’on pourrait penser qu’il n’a jamais existé. Et les touristes européens ne font pas le voyage pour aller voir les traces de la culture de Magadan ou de Vorkhouta, qu'elle s'exprime ou non dans les versions luxe pour ex-apparatchiks friqués…
Moi, je suis venue chercher la sainte Russie, et on la trouve encore, au milieu du désastre, beaucoup de Russes la cherchent et la veillent avec autant d'amour que moi. Quand on vit ici en sainte Russie, on voit naturellement les traces omniprésentes de l’Union Soviétique et le libéralisme qu’elle a si admirablement préparé. Mais cela ne nous concerne pas, cela nous est extérieur. Cela nous blesse, bien sûr, mais cela nous reste extérieur.
Les époques, en Russie actuelle, se bousculent, certains vivent, comme mon communiste, en Union soviétique, d'autres dans l'empire russe du XIX° siècle, d'autres en sainte Russie, dans la ville invisible de Kitej, ce qui est mon cas.
En sortant de la cathédrale, ce matin, j’ai vu qu’on avait installé trois baraques de bois qui gâchent toute la place. Mais elles permettent de vendre aux touristes venus voir les églises du centre, fortement délabrées et qu’on ne réparerait pour rien au monde, les affreux « souvenirs » pseudo russes qui iront se couvrir de poussière dans les clapiers des quartiers périphériques de Moscou.
Pendant l’office, j’avais envie de pleurer, sur mes péchés, ma faiblesse et sur le tour épouvantable que prend le monde. Evidemment, je ne comprenais rien. Je me suis rendu compte au moment du sermon qu’on avait lu l’évangile de Zacchée, qui ouvre le temps de préparation au carême,  si vite, et de façon si confuse que je n'avais saisi que deux ou trois mots. Mais j’étais quand même soulagée d’être là, car les manœuvres du Phanar sont de plus en plus inquiétantes et révoltantes. La persécution s’amplifie en Ukraine, où une équipe de mafieux à double ou triple passeport  se déchaîne contre les vrais habitants du pays, en tous points conformes à leurs dignes ancêtres de l’empire des tsars, fidèles à leur foi, à leur pasteur, et soumis aux mêmes exactions que les chrétiens orthodoxes des années 20 et 30. Parallèlement, il s’agit maintenant, pour le patriarche félon et ses patrons américains, de casser l’unité du mont Athos, et de venir à bout de cette sainte montagne qui continuait à défier l’Europe et le Nouvel Ordre Mondial dont elle est le laboratoire…
Mais beaucoup de crétins orthodoxes occidentaux ne discernent pas la manœuvre. Ils restent hypnotisés par le fantôme du KGB et répètent leurs incantations comme des disques rayés.
C’était aussi la fête des nouveaux martyrs de Russie, qui sont légions, et beaucoup n’ont pas encore été identifiés. Je pensais à leur destin terrible et au prolongement de tout cela en Ukraine, et peut être demain ailleurs, partout… que Dieu nous vienne en aide.




vendredi 8 février 2019

A la source

Ma soeur et moi, nous faisons un tourisme modéré par les péripéties de nos grippes respectives et celles de mes démarches. Après la traduction assermentée de mes papiers de retraite, payer à la Sberbank la taxe pharamineuse que les Russes prélèvent désormais sur l'importation d'un déménagement: quatre euros le kilo. Oubliez les meubles des ancêtres... Payer ce racket inique est en soi peu agréable, mais si seulement ce n'était pas assorti, par un raffinement de sadisme, de toute une paperasserie! J'avais reçu un dossier que je n'étais pas équipée pour ouvrir, un formulaire nécessaire au paiement. Je n'y comprenais rien, comme à la plupart des formulaires russes. Je l'ai fait imprimer en ville, car bien entendu mon imprimante ne voulait rien savoir. Munie du papier, je vais à la Sberbank, où je demande à ce qu'on me fasse ce paiement en bonne et due forme. On m'a tout fait, et attaché deux factures au papier fourni. Là dessus, le déménageur me réclame ce dernier papier, et pas les factures. Je pressens qu'il fallait remplir des rubriques, ce que la banque n'a pas fait, jugeant les deux factures suffisantes. Aux dernières nouvelles, il va essayer de se débrouiller avec ça. 
A partir du moment où le moindre événement de notre vie réclame de notre part des heures de lutte avec des formulaires et d'attente dans des banques et des administrations, j'estime être moins libre que le paysan du moyen âge à qui on demandait des dons en nature et qui vivait à son rythme de la nature qui l'environnait.
Nous avons fait un tour au café français, et vu le pâtissier Didier, et son patron, le gentil Maxime. Puis j'ai emmené Martine à la source de sainte Barbara, pour prendre de l'eau. C'est de l'autre côté du lac, dans un endroit forestier magique, au bout d'une route lisse et brillante, d'un blanc de porcelaine. Le but de l'opération était de voir au retour surgir les coupoles du monastère saint Nicétas par dessus les champs de neige. Nous les avons vues, mais il reste plein de barrières métalliques, bien que le hideux projet immobilier soit en principe arrêté. Les maisons déjà construites légalement ou non gâchent déjà suffisamment le paysage. La "pierre bleue" païenne, cette moraine granitique échouée sur un océan de terre, n'est pas visible et ne vaut plus le coup d'être vue. Il y a encore 20 ans, sans doute, mais où est l'atmosphère envoûtante escomptée, quand le malheureux objet est enfermé dans un ensemble de baraquements en bois pour touristes et sous un toit arrondi de plastique jaune? Que se passe-t-il dans la tête en forme de page Excell des gens qui ont organisé cela? Qu'ont-ils encore de commun avec ceux qui venaient adorer cette pierre, et qu'est-ce que les hordes de veaux venus payer pour cela peuvent encore bien y trouver?
Nous sommes entrées au monastère, rendu au moins à sa pieuse destination première et plus ou moins restauré, au moins ici, chez les moines de l'higoumène Dmitri, ce n'est pas l'argent qui commande. 
Martine ne trouve rien de commun entre l'architecture des églises russes et celle des églises françaises, et en effet, c'est bien différent. C'est un autre monde.
 Le côté hétéroclite, approximatif, mal bâti et grossier des constructions modernes lui saute aux yeux en permanence. En effet, cela saute aux yeux, nous ne vous félicitons pas, édiles de Pereslavl Zalesski. Vous avez, en 20 ans, ravagé ou laissé ravager dans votre ville tout ce que le communisme avait encore épargné. Et ce ne sont pas les installations sportives ni les divers petits musées ridicules destinés à vendre des "souvenirs" aux touristes descendus des cars qui rattraperont ce désastre aux yeux des Européens que vous prétendez imiter.






jeudi 7 février 2019

Retour en duo

la mésange tricotée pour moi par une des dames
qui gardaient mes chats

Avant de partir, j’ai emmené Rita chez le vétérinaire, pour faire le certificat de bonne santé. Je n’y étais pas revenue depuis Doggie. La charmante madame Langevin a poussé une joyeuse exclamation en voyant que j’avais un nouveau spitz, et j’ai failli éclater en sanglots. Non que je regrette d’avoir pris Rita ou ne l’aime pas, mais tout ce qui s’est passé avec mon petit chien me crève toujours le cœur.
Après je me sentais épuisée, au bord des larmes, il faisait beau, du mistral, les bourgeons ne demandaient qu’à s’épanouir, ce sera le cas dans dix ou quinze jours. Je n’arrive pas à croire à ce qui arrive à mon pays et au monde entier, bien que je l’ai toujours pressenti : cette barbarie montante à laquelle les gens sont peu préparés. Malgré la légende médiatique des gilets jaunes violents, entretenue grâce à diverses provocations de flics en civils et d’antifas, ils ne le sont pas du tout, ce sont justement pour la plupart de très braves gens. J’en ai aperçu sur le rond-point de l’autoroute à Montélimar, des travailleurs français, des gens courtois et souriants, beaucoup de femmes. Je leur ai fait des signes, et j’ai salué de même hier, sur celui de Pierrelatte, près de la 7, un vieil invalide, qui faisait le gilet jaune absolument tout seul, avec sa canne et sa chaussure orthopédique, et qui m’a crânement répondu d’un grand sourire… 

Cela me fait une drôle d'impression de retrouver la Russie, et Pereslavl, avec ma soeur. Nous n'avons pas pu visiter Moscou, nous ne sommes pas très bien et avons remis cela à plus tard. Le chaos des nouveaux quartiers traversés pour prendre la route de Yaroslavl l'a vraiment étonnée: "Ils étaient sous acide, ceux qui ont construit ça? C'est absolument n'importe quoi, complètement hétéroclite! Et les fils électriques en aérien, d'un immeuble à l'autre!""
A Pereslavl même, ce sont les tuyaux de gaz qui passent n'importe où, en aérien, également, avec des décrochements au dessus des voies pour laisser passer les camions. Elle n'en revient pas. Je dois dire qu'il y a de quoi!
Rosie n'étant plus là, la pauvre, pour faire la police, il paraît qu'un chat, pourtant gros et gras, vient s'introduire de nuit à grand tapage pour voler la bouffe des miens et les terroriser par la même occasion.


lundi 4 février 2019

33...



Après quelques jours de fièvre intense et de toux caverneuse, et toujours des maux de tête, je m’apprête à affronter le voyage de retour. Hier, j’ai appris que mon père Valentin était dans le même état que moi, sa fille Xioucha déjà patraque et ma sœur avait 40 de fièvre cette nuit. Donc nous avons dû changer tous nos plans, et nous nous rendrons dès jeudi à Pereslavl, inutile de transformer l’appartement des Asmus en hôpital…
Ce sont les petites-filles du père Valentin qui m’ont infectée ainsi que toute la famille, de même que le fils de Xioucha, il y a 2 ans, m’avait mise au bord de la pneumonie ! Les enfants, c’est malsain !
Et pourtant, j’ai travaillé comme instit 20 ans, et parfois souhaité une grippe pour avoir la paix quelques jours, et cela ne m’est arrivé qu’une fois, en 92, et tellement sur commande, que j’en rendais grâce à Dieu du fond de mon lit avec 40 de fièvre, mais le reste du temps, j’ai bossé avec la migraine, avec de la sinusite, je n’attrapais jamais la grippe.
Evidemment de nos jours, même avec le thermomètre au bord de l’explosion, on ne peut plus faire venir de médecin, et comme j’avais rendez-vous avec le rhumatologue, c’est-à-lui que j’ai demandé une ordonnance. Il devait me faire une injection d’acide hyaluronique, ce qui est ruineux et non remboursé, et voici que je l’entends me dire qu’il m’en fait cadeau en échange d’une icône ! Il est syrien, et orthodoxe…
Je ne sais pas ce qui se passe, j’ai des cadeaux de tous les côtés. Un ami orthodoxe m’a aussi filé un chèque pour la traduction de mon livre !
Grâce au rhumatologue, me lever le matin n’est plus un exploit et je descends l’escalier presque sans y penser, reste à en profiter pour essayer de larguer au moins cinq kilos, avec la grippe, j’ai déjà dû en lâcher deux, je ne pouvais rien avaler. Tout de même, marcher normalement, quel luxe…
Je n’ai pas pu voir mon amie Annamaria, ni ma cousine Dany, ni ma cousine Françoise, ni retourner à Solan, et j’ai des tas de choses à faire ici et là bas qui demandent de rassembler un peu d’énergie et de raisonnement dans le brouillard des maux de tête.
Heureusement, je viens de découvrir que mon amie Sveta m’avait donné le numéro d’un médecin à Pereslavl, le père d’une amie à elle. Et ça, c’est précieux.


vendredi 1 février 2019

Par monts et par vaux

Marseille

Je suis partie pour Marseille avec ma soeur mardi, voir mon oncle et ma tante.  Je retrouve toujours avec nostalgie ces anciens et leur maison, si simple et si exquise, un îlot de France d’autrefois dans la science-fiction tonitruante de Marseille. Comme chaque fois, ils ont évoqué la visite déjà ancienne de Macha, la fille du père Valentin, avec son amie Ania, et une lettre écrite au feutre doré qu'ils ont conservée. 
Je devais prendre le lendemain le train pour Cannes, afin d’aller voir la famille Odaysky.  Henry a proposé de me faire une « ricounette », un kir à sa manière, avant le repas de midi. Du coup, j’ai décidé de prendre un taxi pour aller à la gare. Mais deux taxis coup sur coup nous ont fait faux bond, ils disent qu’ils viennent et prennent quelqu’un d’autre, mort aux vieux. Mon oncle s'est ainsi un jour retrouvé en rade à la sortie de l'hôpital, à 92 ans, lâché par 5 pignoufs successifs. Il m’a fallu courir au métro avec mon sac et le chien. Evidemment, j’ai raté le train, et je me suis retrouvée à attendre trois heures dans cette sinistre gare Saint-Charles, à me faire taper toutes les cinq minutes, avec autour de moi une espèce de Brésil bruyant, moche, vulgaire et sale.
Quand j’ai voulu monter dans le TER, il était pris d’assaut, mais heureusement, la porte s’étant ouverte juste devant moi, j’ai pu jeter ma valise dans un coin et tomber sur un siège. Il y avait des gens partout, qui se montaient dessus et rouspétaient tant qu’ils pouvaient. Un type a commencé à clamer qu’il était invalide, et qu’il fallait lui laisser la place, que nous n’avions aucun civisme. Une vieille lui a répondu qu’il n’avait qu’à faire lever des jeunes. Il me regardait fixement, avec un mépris appuyé. Mais j’ai  presque 67 ans, de l’arthrose du genou et un chien dans un sac… J’avais compris le système qui consistait à peser sur un maillon faible, la mamie et sa mini chienne, plutôt que d’aller se faire rembarrer par de jeunes sauvages en pleine forme. J’ai laissé l’affaire au contrôleur : «Tout le monde est invalide, » lui a-t-il répondu. Je le trouvais bien pugnace, pour un invalide…
Un TGV direct Paris Nice avait pris du retard pour cause de neige, et on avait fait descendre son contenu à Marseille pour le fourrer dans ce TER…
Je n’avais pas vu les Odaysky depuis un an, les enfants ont beaucoup grandi, ils sont spontanés, affectueux, et avaient l’air ravi de me voir. J’ai remarqué que tous les enfants élevés normalement, traditionnellement, par un vrai papa et une vraie maman, sont ouverts, caressants, tandis que les autres traînent des figures maussades, ont des comportements nerveux et exaspérants et n’ont même pas l’air de remarquer votre existence.
Le père Antoni est accueilli quand il arrive par des « papa, papa » enthousiastes. «Vous voyez, me dit Myriam, moi, je ne suis jamais accueillie de cette manière, moi je fais partie des meubles… »
Le père Antoni a été ordonné prêtre en Crimée, par le métropolite Onuphre de Kiev : « Vous savez, la première chose qui vient à l’esprit quand on le voit, c’est que c’est un moine.  Un vrai moine.  Il est extrêmement aimé, et devant sa résidence, il y a toujours des files immenses de bonnes femmes et de gens venus lui demander un conseil ou sa bénédiction, il est pris d’assaut, il n’arrête pas. »
Nous en sommes venus, au cours de notre discussion sur ce thème, devant ce lumineux métropolite placé par la providence dans le trou noir ukrainien, et son admirable troupeau soudé autour de lui par la ferveur et l’amour, à envisager que précisément à l’endroit le plus sombre de l’Europe allait prendre feu une extraordinaire renaissance spirituelle.
Le père spirituel du père Antoni vient d’être ordonné évêque par ce même métropolite Onuphre.
Puis nous avons évoqué Solan, où la famille Odaysky aime tant à se rendre. Les enfants y font du jardinage, Alexandre a même conduit le tracteur du père Théotokis, qui l’initie également à la taille de pierre. Que d’anges penchés sur l’éducation de ces quatre enfants…
Chaque soir, la famille prie dans la chambre des parents, devant le beau coin des icônes. Les enfants lisent les prières à tour de rôle.
Le lendemain, j’ai pris le TGV pour retourner à Marseille. Cannes me semblait garder quelque chose de la prospérité riante de la France que j’ai connue. Par la fenêtre, je regardais la mer plombée, aussi plombée que la mer Blanche aux Solovki, mais beaucoup moins puissante, une mer plate bordée d’un friselis discret, au pied des rochers dansants couverts de jolis villas qui me parlaient des années 60 ou même des vacances de mes tantes et de ma mère, quand les cinq superbes filles Pleynet étaient la coqueluche des plages de Sainte-Maxime ou de Saint-Tropez, au début des années 50. De temps en temps, j’entrevoyais, entre la mer grise et le soleil rouge, sous les nuages, le frisson doré d’un mimosa, les dentelles blanches d’une première floraison d’amandier.
Après ces endroits sauvegardés, je me suis fait la réflexion que toute la côte devait être ainsi, autrefois, et que le paysage, en soi, avait une très belle structure, des roches et des collines exubérantes, des petites maisons qui  les escaladent, oui, mais voilà : que de zones industrielles, que de hangards, que de béton, que de disgrâces, et par-dessus tout cela, ces tags qui me dégoûtent depuis les années 80, quand ils ont commencé à ramper sur tous nos murs, cette espèce de lèpre new-yorkaise, ces tatouages gravés sur le corps de la France comme la marque infamante de son esclavage croissant, de sa vente à l’encan, de sa mise sur le trottoir par les politiciens véreux de la république.
Rita apprécie les voyages, car aucun chat ne lui fait plus concurrence. Elle est marrante, chipie et hargneuse, du moins quand elle est dans son sac, et sur mes genoux. Elle me fait honte. Une vraie peste !