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dimanche 3 mars 2019

Jugement Dernier

Le mois de mars, en Russie, c'est le printemps. En France, on appellerait cela un hiver rigoureux, mais par rapport à l'hiver précédent, cet hiver du mois de mars manifeste des différences. D'abord, les arbres commencent à avoir des bourgeons, les chatons de saule gonflent et deviennent soyeux. Et puis il y a des dégels, et des regels, ce matin, j'ai dû me battre avec mon portail, le cadenas est souvent gelé, parfois une des portes prise dans la glace ne peut plus s'ouvrir, et pourtant j'avais nettoyé la veille. J'ai dû faire chauffer de l'eau. Et je suis arrivée en retard à l'église.
On assiste à des espèces de giboulées. Tempête de neige, puis soudain soleil, puis à nouveau tempête de neige, puis soleil, à travers des nuages crispés, où l'argent brillant se mêle au velours sombre.
C'était le dimanche du Jugement Dernier, et c'est le père Constantin qui a fait l'homélie. Il a rappelé que le seul péché qui nous vaudrait des problèmes au Jugement Dernier, c'était l'absence de miséricorde, l'absence d'empathie, et c'est vrai que dans l'évangile concerné, on ne parle de rien d'autre: l'enfer est pour les cœurs endurcis. Parce que dans un coeur endurci, il n'y a pas de place pour l'Amour, cet Amour qui est aux uns insupportable brûlure, aux autres illumination et béatitude.
Parallèlement, j'observe que dans ces derniers temps que semblent être les nôtres, l'endurcissement du cœur et le manque d'empathie, remplacés au gré des intérêts politiques et financiers par une pleurnicherie hypocrite sur commande réservée aux victimes convenables et rentables, réelles ou fabriquées, sont devenus tout à fait à la mode, on peut dire qu'on fait tout pour les cultiver. "Vous n'aviez qu'à travailler plus!" lance notre président à une retraitée qui touche 500 euros par mois et a peut être marné toute sa vie comme une brute dans sa ferme ou son magasin, car c'est à peu près ce que touche un paysan ou un commerçant, ou un artisan. "C'est bien fait pour eux, ce sont des feignants et des minables!" s'écrient tous les bobos devant les gilets jaunes malmenés, éborgnés, mutilés. Un huissier, en Allemagne, saisit le chien de la famille et le vend sur e-bay. Dans une manifestation féministe en Amérique, une petite fille piétine un poupon, pour montrer, sans doute bien conditionnée par sa mère,  à quel point elle est peu disposée à jouer le rôle de la maman pleine d'abnégation. Il n'y a pas de raison. On ne va pas se laisser empoisonner la vie par des chiards. Ou par des vieux. L'avortement, l'euthanasie. Poussez-vous de là, ceux qui gênent...
L'idéal de la femme prôné par les médias, les séries, le cinéma, c'est la carriériste, la mégère, la brute, comme on en voit justement parmi les CRS, prêtes à tirer des flash balls dans l'oeil de gamines de vingt ans qui en restent mutilées et défigurées à vie...
L'idéal de l'homme, c'est le cyborg en costar qui se croit plus intelligent que n'importe qui et qui est prêt à écraser tout ce qui se met en travers du chemin de la mafia qu'il sert, et de son idéologie démoniaque.
Dostoïevski avait raison de s'écrier: "Si Dieu n'existe pas, tout est permis!"
Pour moi, l'idéal de la femme reste ma mère qui ne vivait que pour les siens, celui de l'homme mon beau-père paysan, qui a soigné comme son propre père mon grand-père qui le détestait et le méprisait. Au fond, croyants ni l'un ni l'autre, ils restaient pétris de vertus évangéliques. C'était comme cela qu'on les avait élevés.
Le père Constantin rappelait que ce dimanche dernier était précédé du dimanche du fils prodigue, où, contre toutes les convenances de la société patriarcale de l'époque, le père offensé ne cesse d'attendre le retour du vaurien familial et se jette à sa rencontre en courant comme un gamin. Et auparavant, de celui du pharisien et du publicain, où la canaille méprisée de tous mais profondément repentante, repart justifiée, tandis que le juste content de lui ne rencontre pas le Dieu qu'il prétend honorer. Et avant cela encore du dimanche de Zacchée, ou une autre canaille toute aussi méprisée monte sur un arbre sans se soucier des moqueries suscitées, pour apercevoir le Sauveur dont il est profondément indigne, mais parce qu'il manifeste le besoin qu'il avait de lui, celui-ci répond à son attente, et va dîner chez lui...
Je me demandais où je me situais, certainement pas parmi les justes, pas chez les canailles méprisées non plus, ni même parmi les prostituées repenties. Capable d'une certaine empathie, mais pas d'une abnégation évangélique, même pas comparable à ma mère incroyante. Rien de bien glorieux. Mais le sens du beau et du bien en moi est perpétuellement heurté et révolté par ce qui se passe dans cette bacchanale sinistre et hideuse de la modernité, cela prouve au moins que mon cœur est toujours là, qu'il n'a pas tourné au cuir racorni ou à l'éponge de fiel... Le père Barsanuphe me disait lui aussi toujours que la pire des choses, la plus irrémédiable, c'était l'endurcissement du cœur.








Critique encourageante

Roland Thévenet m'a fait sur son blog une critique qui m'est allée droit au coeur: 

J’ai eu la chance de lire Yarilo alors qu’il n’était qu’un manuscrit. Je dis la chance, car Laurence Guillon est un grand écrivain dans cette époque maudite, qui en recèle si peu. Un grand écrivain français...
Je ne m’étendrais pas sur l’intrigue, qui nous transporte dans la cour Yvan le Terrible, dans une Russie médiévale au réalisme onirique terriblement efficace. Je ne m’étendrais par non plus sur les personnages du roman, qui se rencontrent, s’aiment et s’affrontent dans un contexte à la fois tyrannique et amoureux, politique et guerrier, historique et religieux. Personnages dont la densité poétique, l’épaisseur dramatique et le pouvoir émotionnel qu’ils manifestent prennent à rebours la culture du narcissisme et le pseudo intellectualisme qui ont décimé la production littéraire française depuis quarante ans, avec ces producteurs d'autofiction ou de romans à thèse sur la société post-moderne commandités par le marketing éditorial hexagonal. Laurence Guillon, exilée bien loin de ces rives, est d’une toute autre trempe.
Car à mon sens, ce n’est ni l’intrigue ni les personnages qui font « le grand roman » – même s’il en faut évidemment ; non, un grand roman, c’est avant tout un rapport fusionnel entre une voix et un univers : Si Yarilo en est un, c’est que la voix qui nous plonge dans l’univers de cette Sainte Russie médiévale et dans l’âme de ces personnages, si éloignés de nous en apparence, est passée par la France et s’est nourrie de sa tradition littéraire. Yarilo est un très grand roman français parce que s’il nous offre à la fois une confrontation avec le péché, une quête spirituelle toujours exigeante et une forme de récit historique, il le fait dans un phrasé à la fois si généreux et si maîtrisé que la lointaine aventure devient aussi accessible qu’un souvenir d’enfance ; dès les premières lignes, nous nous sentons, comme le boïar Féodor Stépanovitch Kolytchov soudain personnellement concernés, et nous le restons jusqu’à la dernière.
Écoutons pour finir ce qu’en dit la romancière elle-même :

"L’itinéraire initiatique d’un « ange déchu » entraîné par les circonstances, un certain opportunisme et une affection éblouie pour un souverain dangereux et fascinant, dans le péché et le crime, et qui cherche peu à peu à se dégager de l’égrégore maléfique auquel il est soumis, grâce à sa famille et au métropolite martyr Philippe, qui pourrait être le saint patron des victimes de répressions politiques. Enfin la Russie, l’âme russe. Cette âme russe si difficile à comprendre qui est peut-être simplement archaïque, mystique et magique comme l’était notre âme à tous, notre âme profonde. Un artiste anglais égaré auprès de la première ambassade qu’ouvrit son pays à Moscou, et pris en affection par le monarque et son favori, en devient l’observateur bienveillant, dérouté, effaré et peu à peu absorbé sans retour. C’est un roman historique atypique, peut-être plutôt un conte. L’itinéraire initiatique du héros est aussi le mien, je l’ai fait pour mon propre compte, mais aussi pour mon lecteur, car un livre est toujours un partage et un don."
Laurence Guillon




vendredi 1 mars 2019

Cinq ans sans elle.

Il y a aujourd'hui cinq ans que maman m'a quittée. J'y ai pensé ce matin, en priant devant une icône qu'elle avait faite, la seule qu'elle ait faite de sa vie, et que j'ai récupérée dans ses affaires, terminée, vernie, et fait bénir par le père Valentin, qui s'est écrié en se signant: "Vous voyez, on ne peut pas dire qu'elle n'était pas orthodoxe, puisqu'elle faisait des icônes!"
Cette icône, à certains égards imparfaite, a quelque chose de profondément bon, comme l'était maman, qui n'était pas croyante, ou ne l'était plus mais restait très évangélique, une des personnes les plus évangéliques que j'ai connues dans ma vie.
Je n'entrerai pas dans les péripéties de la tragédie que fut pour moi sa fin, car je dois rester mobilisée. Dans un de ses éclairs de lucidité, elle m'avait dit tristement: "Tu vivras sans moi, tu y arriveras..."
Que dire? J'y arrive. Je vis sans elle. Ca fait cinq ans que je vis sans elle. Depuis que j'avais quitté la maison à dix-sept ans, je lui avais toute ma vie écrit ou téléphoné deux, trois fois par semaine, et même presque tous les jours, je venais passer avec elle la plupart de mes vacances, comment peut-on vivre sans quelqu'un qui prenait tant de place? On y arrive...
Quand elle a failli mourir d'un infarctus, j'avais peur de vomir d'angoisse dans le métro, ou dans la classe, devant les enfants (et pourquoi étais-je allée travailler dans un état pareil? Pourquoi n'avais-je pas pris l'avion?) Je priais avec désespoir pour la garder, et je l'ai gardée quatorze ans de plus, mais lorsqu'elle était malade, j'ai souvent pensé qu'en la prenant à ce moment-là, Dieu nous aurait sans doute épargnée toutes les deux.
Elle avait peur de nous quitter et de ne plus jamais nous revoir. C'était ce qui l'effrayait le plus, dans la mort: ne plus revoir ses filles, de toute l'éternité. Je lui disais: "nous nous reverrons, je mourrai quinze ou vingt ans après toi, qu'est-ce que c'est vingt ans?"
Elle me manque, et tous les autres, tous ceux qu'elle avait aimés et qu'elle a rejoints, me manquent aussi. Mais j'ai cette espèce de bizarre mobilisation intérieure qui fait que je vis quand même. Pas à pas.








Maman faisait du modelage. A vrai dire, elle savait tout faire. 
Couture, cuisine, bricolage, jardinage, rien ne lui faisait peur.
Elle était mon idéal impossible à atteindre de bonté, de 
féminité au sens noble du terme, et d'abnégation.


Moment de jeu dans la mer

Tu t’en vas dans la nuit,
En cherchant derrière toi
Du soleil d’autrefois
Le reflet qui s’enfuit.

Et petit à petit,
La nuit mêle les cartes
De ce jeu qui finit,
Les jette et les écarte.

Tous les moments jolis
De la vie qui s’écoule,
De lundis en lundis
Notre avenir s’éboule.

L’enfance, la jeunesse,
Les maris, les enfants,
Le deuil des parents,
Le seuil de la vieillesse.

Et celui de la mort,
Dont on voit les degrés
Qui descendent au port
Où le navire est prêt.

Et nous montons à bord
Et déjà le rivage
Dans les brumes de l’âge
S’efface et disparaît.

Et tu ne vois plus bien
Qui reste sur le quai
Ou qui vient te chercher
Pour t’emmener au loin

Ni de qui sont les ailes
Qui battent alentour
De tes jours qui chancellent
Et tombent sans retour.

Mais toutes trois bercées autrefois dans la mer,
Nous tenant par la main dans ses doux reflets verts,
Nous dérivions joyeuses.
Sous le soleil ardent et les légers nuages,
Tes yeux dans ton visage
Te disaient très heureuse.

« Je n’oublierai jamais, déclaras-tu soudain
Ce moment de bonheur parfait qui nous advint. »
Mais tu l’as oublié.  Et ton regard inquiet
De ta vie ne voit plus que les nombreux chagrins.
C’est dans une autre mer, dans une autre lumière
Que bientôt toutes trois nous glisserons enfin
Sous un autre soleil qui jamais ne s’éteint,
Sous l’éblouissant envol des hiérarchies altières,
Nous nous retrouverons ensembles à jamais,
Ceux que tu vois venir depuis l’autre côté
Et nous qui restons là pour quelques temps encor
A plier bagages en attendant la mort.


Laurence Guillon Pierrelatte 2012

jeudi 28 février 2019

Un bouquet de cierges

Le service d'immigration de Yaroslavl a refusé mon dossier parce qu'il ne comprend rien à mon avis d'imposition dont j'ai donné une traduction assermentée, et réclame une apostille de l'ambassade. Il ne lui paraît pas assez évident, au vu de mes revenus de l'année qui, sans être mirifiques sont certainement plus importants que ceux des tadjiks ou ukrainiens qui viennent solliciter le permis, que j'ai de quoi vivre. Oui, mais ils ont l'habitude de leurs formulaires, hérités de l'URSS, et les miens les déroutent. Donc, on me demande de fournir... le papier que j'avais apporté à la juriste en janvier, celui de la banque, attestant que j'avais placé mes économies, et dont elle m'avait dit que depuis le 1° janvier, on ne l'acceptait plus. Eh bien si, on l'accepte encore, parce que oui, cela a été décrété mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce point. La conséquence la plus emmerdante, c'est que je dois refaire tous les examens médicaux ce qui va me gâcher une journée dans les grandes largeurs et me coûter dans les cent euros. La conséquence surprenante est que la dame du service, ici, à Pereslavl, est devenue tout ce qu'il y a de plus aimable et compréhensive et semble décidée à me guider dans cette épreuve dont j'ai vraiment ras le bol, je dois dire. Elle m'a dit de laisser tomber l'avis d'imposition et son apostille et de donner le papier de la banque, mais attention, exiger le bon formulaire, car il y en a deux.
Après cela, j'ai voulu aller chercher un livre sur le folklore que l'on m'a expédié d'Ekaterinbourg. J'étais passée à la poste deux fois la veille et avait reculé en voyant la longueur de la queue devant l'unique guichet ouvert. Et là, trois ou quatre personnes, je tente le coup. J'attends une heure trois quarts derrière une seule et même souris, me demandant ce qu'elle pouvait bien fabriquer, tandis que les gens s'accumulaient derrière nous et commençaient à râler. La souris s'éloignait parfois pour téléphoner, avec un air passablement insolent. Devant moi, une femme venait spécialement de la campagne pour la deuxième fois récupérer un envoi recommandé. En plus de la souris, leurs ordinateurs sont détraqués et on ne sait pas quand ils seront réparés. Ils sont plusieurs là dedans à errer, mais pour une raison inexplicable, personne ne peut ouvrir un deuxième guichet pour expédier les affaires les plus courantes. Les gens s'énervant de plus en plus, j'apprends que la souris en a encore pour au moins une heure: l'énorme paquet de lettres sur le comptoir, à sa gauche, elle est venue les envoyer, pour une organisation; à vue de nez, une heure, c'est l'estimation basse. Je repars sans mon livre, laissant la queue au bord de l'émeute.
En rentrant chez moi, je me suis tapé un verre d'hydromel. En fait, je commence parfois à comprendre pourquoi les Russes ont tendance à picoler...
En fin d'après-midi, je suis allée à la maison des pionniers de Rostov, avec la jeune Katia, pour commencer nos séances de chant folklorique avec Liéna. Nous avons fait connaissance avec trois filles du père Joseph Gleason, venu du Texas s'installer à Rostov. Elles chantent aussi bien que des paysannes du fin fond de l'Oural ou du Nord, et semblent d'une étonnante pureté. Les chants sont très beaux, et Liéna connaît bien son affaire. Après le départ de la jeune classe, nous avons commencé à en apprendre un. Pour vraiment aimer ces chants, il faut les chanter, il faut les écouter en les chantant, car ils produisent une sorte de cercle magique, avec une résonance qui se place à l'intérieur de l'assemblée des chanteurs. Ils ouvrent une porte dans l'âme de chacun des participants, les unissent entre eux, sur le plan horizontal du présent, et avec la nuit des temps, sur le plan vertical d'un passé qui nous met en contact avec l'origine de tout. Je trouve cela particulièrement sensible dans le chant choral russe populaire et une séance de ce genre fait oublier toute la laideur et toute l'absurdité qui nous entourent en permanence, jusque dans la salle où nous nous trouvions, avec ses "travaux manuels" de maison de la culture, poupées et peluches mièvres, tableaux nunuchons au point tapisserie. Le chant ouvrait un espace pur et sacré, très ancien, intact.
Au retour, j'ai vu l'amie et colocataire de Katia, Nadia, occupée à fabriquer des cierges dans son atelier. Quelle belle occupation... Dans cette petite cabane aux murs de bois, des icônes, et une entêtante et merveilleuse odeur de miel. Il doit être facile de prier en un tel endroit. En souvenir, elle m'a donné un bouquet de cierges dont la combustion parfume mon coin à icônes.
Sous un reportage qui décrit l'expérience du père Gleason, un déchaînement de commentaires russes d'une rare méchanceté et d'une rare bêtise qui m'ont rappelé: ceux de France Culture qui m'avaient un jour "lynchée" comme de basses tricoteuses; ceux de tous les bobos enragés après les gilets jaunes et criant "bien fait" devant les gens éborgnés et mutilés par les sbires des banquiers; et enfin ceux des "patriotes" ukrainiens colonisés par la CIA et le Mossad qui délirent de haine contre les Russes, les habitants du Donbass traités comme des peaux-rouges, ou les 80% d'orthodoxes ukrainiens qui restent fidèles à leur Eglise immémoriale, et à son pasteur, le métropolite Onuphre. Je préfère les appeler d'ailleurs Petits-Russiens qu'ukrainiens car eux, en effet, on le leur fait assez sentir, n'appartiennent pas à ce pays synthétique pourvu par Bartholomée d'une religion politique synthétique à tendance uniate déclarée: bien qu'on veuille faire d'eux des étrangers sur leur propre terre, ils en sont les fils depuis la nuit des temps, les fils fidèles et irrigués par le même Esprit depuis saint Vladimir et le baptême de la Russie dans le Dniepr. Les autres sont juste des idiots contemporains hagards, en tous points semblables aux bobos français qui haïssent leur propre peuple. Et aux commentateurs "russes" qui injurient le père Gleason d'avoir cherché refuge dans leur patrie qu'ils détestent. Il se forme dans le monde entier une plèbe indifférenciée, stupide et extrêmement méchante, parce qu'au fond consciente de sa trahison et de sa médiocrité, de sa déchéance culturelle et spirituelle totale, sur laquelle s'appuie une caste supranationale retorse et sans aucun scrupule, décidée à anéantir tout ce qui pouvait donner au peuple une cohésion, une originalité et une grandeur. Dans un pays sans passé comme l'Amérique, à la pointe de cette entreprise de perversion universelle de plus en plus dictatoriale, un Américain converti à l'orthodoxie peut décider d'aller vivre là où on peut encore faire son signe de croix en public sans avoir des problèmes. Et y trouver aussi peut-être un véritable enracinement dont on a manqué dans les pays d'occident, de plus en plus déracinés. Je suis par exemple certaine que ce chant russe archaïque concerne les petites Américaines comme il me concerne, à un niveau profond où nous avions tous le même, ce qu'on ressent dans certains chants de laboureur français ou certains chants scandinaves. Des chants qui montent, comme ceux des oiseaux ou les chœurs de loup du fin fond de la vie, de sa source et qui nous réunissent et nous recomposent.
Il faut dire que ces commentaires émanent des partisans de l'oligarque en exil Khodorokovski, un véritable vivier de crétins malfaisants.





lundi 25 février 2019

« Je pensais que la Russie, c’était un pays attardé du siècle dernier ».


 Un Américain parle de son déménagement à Moscou, de son baptême et de l’hospitalité russe.



A 18 ans, Matthew comprit qu’il voulait quitter l’Amérique.  Il n’y avait pas à cela de cause cohérente : « je ne voyais seulement pas mon avenir là bas », dit-il. Le garçon, originaire de la banlieue de New-York, a vécu et étudié aux USA, en Allemagne et en Angleterre, mais il a voulu rester en Russie après qu’il a assisté à un office dans une église de Saint-Pétersbourg. Matthew a reçu le baptême avec le nom de Matfeï et a passé les six dernières années à travailler comme traducteur et spécialiste de la publicité dans le bureau moscovite de « Yandex », il parle parfaitement le russe, et il est devenu tout à fait des nôtres. En outre, l’Américain a un hobbit très inhabituel, l’été, avec d’autres bénévoles du projet « Cause Commune », il restaure des églises de bois dans le Nord.

Je vins pour la première fois en Russie quand j’avais 24 ans. Jusque là, j’avais beaucoup de préjugés sur ce pays. Je me souviens d’une conversation avec l’un de mes meilleurs amis à New-York : il racontait quelque événement en Russie, dont il avait entendu parler dans les nouvelles, et ajouta à la fin qu’il lui serait intéressant de passer quelques temps là bas. A cela, je répondis très durement que je n’irais jamais là bas et que d’ailleurs, « c’était un pays attardé du siècle dernier, où il n’y a rien ». Et voilà déjà 6 ans que je vis ici et je comprends combien je me trompais.
Tout a commencé avec une invitation de mon ami russe de Saint-Pétersbourg, avec lequel j’avais étudié en Grande-Bretagne. Ses proches m’accueillirent comme je n’avais jamais reçu personne, même certains de mes parents ne m’ont jamais traité ainsi. On m’emmenait au théâtre, on me montrait la ville. L’un des premiers jours, nous sommes entrés, mon ami et moi, dans la cathédrale de Kazan par hasard au moment d’un office. A ce moment-là, je ne savais pratiquement rien de l’orthodoxie. J’en avais les représentations de probablement la majorité des Américains, un catholicisme sans le pape de Rome. Et avec des icônes. J’ai tout de suite compris que les icônes ont ici une signification particulière. Nous regardions l’église quand soudain le chœur se mit à chanter et les portes royales s’ouvrirent. Ce fut comme un choc. Je me souviens seulement qu’au bout de quelques temps, mon ami me souleva du sol où j’étais à genoux et nous sortîmes, et mon visage ruisselait de larmes. Je fus traversé d’un sentiment profond et inexplicable, je compris que je devais changer beaucoup de choses dans ma vie. Et je compris aussi qu’il me fallait vivre en Russie. J’avais l’impression que quelqu’un me disait : tu es à la maison.
Le désir conscient de me convertir à l’orthodoxie me vint à Kiev, où j’étais parti, si étrange que cela paraisse, pour apprendre le russe, c’était là-bas beaucoup moins cher. Après les cours, j’entrais dans la cathédrale de Vladimir (je ne savais pas alors qu’elle appartenait aux schismatiques), mais pas aux offices, seulement pour prier à ma façon. Je regardais les icônes, les fresques qu’avaient faites Vasnetsov et Nesterov, et leur incroyable profondeur m’impressionnait. Mais une fois, je tombai dans la cathédrale pendant un office. C’était quelque fête, mais il y avait très peu de monde. On me dit que c’était le « patriarche » lui-même qui officiait. Je m’étonnai : le patriarche, quand même, et si peu de monde…Du reste, une de mes enseignantes m’expliqua bientôt tout et me conseilla d’aller à la Laure des Grottes de Kiev.
Je me suis fait baptiser à Moscou, à l’église de l’icône de la Mère de Dieu de Tikhvin a Alexeïevsk. En fait, quand on passe du protestantisme à l’orthodoxie, on ne rebaptise pas, mais j’étais un cas particulier. Je ne peux pas dire que ma vie a immédiatement changé, pendant trois ou quatre mois, j’ai disparu de l’église. Ensuite, j’ai commencé à y aller petit à petit, à me confesser, mais je le faisais, me semble-t-il, superficiellement. C’est seulement au bout de trois ans que j’ai compris que si je m’étais fait baptiser, alors je devais changer ma vie en conséquence, l’admettre fut difficile. Pour tout dire, avec le sacrement du Repentir, tout devient beaucoup plus profond et grave, mais en même temps pénible. Je dus me « briser » moi-même, dire et apprendre la vérité sur moi-même.
Le père Alexis, qui m’a baptisé, dirige le projet « Cause commune », dont les participants restaurent les églises en bois du Nord Russe. Mais il me fallut (c’en est même ridicule), quatre années entières pour me décider à y aller. Jusque là je n’avais pas été capable de voir en cela de sens spirituel, je pensais que c’était une sorte de projet de construction. Mais le premier voyage me changea  fortement. Je compris que ce n’était pas nous qui sauvions les églises, mais les églises qui nous sauvaient. En travaillant à la restauration de ces objets sacrés, nous travaillons sur notre propre âme. Nous abandonnons toute la vanité qui nous empêche de nous concentrer sur ce qui est important.
L’année dernière, dans notre groupe, il y avait 18 personnes qui, dans la vie ordinaire, ne se rencontrent jamais : un business coach, un psychologue, un médecin, un opérateur de la chaîne NTV, un employé d’un hospice pour enfants, un fabricant de savon et de tresses dread locks et moi qui suis traducteur et annonceur. C’est très inhabituel. Parallèlement au travail, nous lisions chaque jour évangile, parlions de ce que nous avions lu, organisions notre quotidien rudimentaire.  J’avais l’impression que nous vivions presque au paradis, en ce sens que nous n’avions aucun souci quotidien, bien que nous travaillions beaucoup et péniblement. Par exemple, il fallait traîner depuis le lac des planches de six mètres sur la colline. Et cela toute la journée.
Pendant que nous travaillions venaient chaque jour des invités. L’église se trouve dans la forêt, loin de la civilisation, mais à côté du lac Onéga, un endroit connu pour la pêche. En fait, en Russie, on peut rencontrer des gens là où l’on s’y attend le moins, c’est mon observation personnelle. Les gens entendaient le bruit des travaux, voyaient un nouveau toit et comprenaient qu’il se passait quelque chose ici. Un jour, on arriva en barque et on nous demanda où il y avait un magasin. Nous étions très surpris : où donc en trouver un dans ce bout du monde ? Les pêcheurs étaient sûrs que si l’église ressuscitait, il devait obligatoirement y avoir un magasin à côté.  Et une autre fois, on nous apporta simplement du poisson frais, en remerciement de ce que nous faisions.
Ce qui m’a le plus étonné chez les Russes, c’est leur bienveillance envers les étrangers. Je pensais que je viendrais ici et que tous me « chercheraient des crosses ». Et il advint que tous voulaient avoir des relations avec moi, et qu’ils parlassent ou non l’anglais n’avait pas d’importance. Tout de même, les russes ce sont des gens qui sont prêts à considérer l’étranger comme l’un des leurs. Il m’est un jour arrivé quelque chose d’amusant : à New-York, quand j’étais en visite chez mes proches, un juif russophone s’approcha de moi et demanda : « Tu es de l’Union (soviétique) ? » Il ne pouvait absolument pas savoir que je parlais russe et vivait en Russie. Je ne comprends pas comment il a tiré ces conclusions sur ma seule apparence extérieure. Je lui répondis que j’étais d’ici et que j’étais né à quarante minutes d’ici. Mais il ne m’a pas cru.

Propos recueillis par Kirill Baglaï
Traduction Laurence Guillon pour Thomas


nuages sur l'Onega, photo Mathew Kasserley

Le métropolite Onuphre a expliqué la parabole du fils prodigue





Le jeûne et la prière sont les deux ailes à l’aide desquelles l’homme s’envole vers Dieu. C’est ce qu’a dit sa Béatitude, le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine Onuphre dans son homélie d’hier pendant la liturgie dans la cathédrale du Saint-Esprit à Tchernovtsi.
Le primat a interprété la signification de la parabole évangélique du fils prodigue (Luc 15 :11-32) qu’on avait lue à l’office.
« Le fils prodigue, c’est l’image du pécheur qui s’éloigne de la maison paternelle et dépense tous les talents que Dieu donne à l’homme pour qu’il en fasse bon usage. Mais ensuite, l’âme et le corps brisé, l’homme prend conscience de tout cela et retourne à la maison paternelle » a dit sa Béatitude Onuphre.
Selon ses paroles, dans cette parabole, le pécheur se souvient de la miséricorde de Dieu, de la valeur de ces dons spirituels que Dieu possède et qu’Il est prêt à donner à chacun, et il prend la bonne décision.
« Dans cette histoire du fils prodigue, la décision est très importante : quand nous nous éloignons de Dieu, nous prenons conscience que nous ne nous sentons pas bien, nous souffrons alors il faut revenir vers Lui », a dit le primat.
Cependant, souvent, « ce « il faut » reste seulement « il faut », l’homme ne se lève pas et ne fait pas le pas vers Lui ». « Mais le fils prodigue a fait preuve de décision : il s’est levé, et il est parti », a-t-il poursuivi.
« Nous sommes tous des fils prodigues dans une certaine mesure : les uns s’éloignent plus de Dieu, les autres moins. Ensuite nous revenons, et nous éloignons à nouveau… Et notre retour à la maison du Père se fait par le jeûne et la prière » a dit sa Béatitude Onuphre.
D’après lui, le jeûne et la prière sont les ailes avec lesquels l’homme s’envole vers Dieu, s’arrachant à tout ce qui est terrestre et pécheur. « C’est justement pour cela que la Sainte Eglise nous rappelle le fils prodigue avant le grand Carême », a expliqué le primat.
Le Seigneur est à ce point miséricordieux que celui qui n’a fait qu’un seul pas ressent déjà la joie et la consolation, car alors commence à agir la grâce du Saint Esprit. Elle aide l’homme à aller de l’avant et lui donne une sensation de joie et de paix.
Plus loin le Seigneur vient Lui-même à la rencontre de l’homme et, « comme un anneau au doigt », lui rend tout ce qu’il a reçu de Dieu à sa création et le fait noble, fort, intelligent.
« Que le Seigneur nous aide, chers frères et sœurs, pendant le Saint et Grand Carême, à faire nos pas vers Lui, à jeûner, prier, nous purifier du péché et à rétablir en nous l’harmonie divine, que Dieu  a donnée à chacun. Quand cette harmonie se restaure, nous nous rapprochons de Dieu, nous nous faisons pareils à Lui, nous devenons capables de faire la place en nous à la grâce divine qui nous rend heureux en cette vie et nous donne le salut dans les cieux en Jésus Christ, notre Seigneur » a souhaité sa Béatitude, le métropolite Onuphre.

trad. Laurence Guillon pour "Thomas Ukraine"


La ferveur de l'assemblée est impressionnante...

samedi 23 février 2019

Petits visiteurs

J'ai testé hier mon divan en rotin: idéal pour faire la sieste quand on ne peut profiter d'un hamac dans le jardin. Sa structure légèrement incurvée soutient le corps, relève les jambes et la tête, et j'y tiens toute entière à l'aise, puisqu'il fait 1.70 m et moi 1.65. Les chats se bousculent pour l'occuper, évidemment.
Je suis retournée à la source de sainte Barbara,  mais je n'aurais pu remplir mes bouteilles sans l'aide d'un jeune homme présent, car le trou est profond, les abords en sont complètement verglacés et j'ai du mal à me mettre à genoux, et surtout à me relever quand j'y suis. Heureusement, les Russes sont serviables. Rita faisait fondre tout le monde par ses gambades et ses jappements dans la neige scintillante. Il régnait près de cette source, dans cette forêt de bouleaux et de pins, une paix radieuse. Hier, nous avons fait un tour ensemble, vers le lac, mais sous la poudreuse, le chemin était extrêmement glissant, et nous ne sommes pas allées bien loin. Le vent était froid et déchaîné, il me sifflait aux oreilles, le soleil vif et tiède, et l'azur du ciel semblait dévorer la neige, en laissant de côté les ossements bruns des buissons et des arbres. Je n'arrive pas à définir ce que m'inspirent ici des jours pareils, ce qu'ils ont de mystérieux, de mystique, d'étrange, malgré la banalité des "cottages" et autres déplorables structures contemporaines mal fichues, c'est quelque chose qui me rappelle les Solovki, un sentiment de bout du monde, de bout de la vie, comme si l'environnement me dévoilait tout à coup une secrète lumière interne à travers celle du printemps approchant, comme s'il devenait transparent, éternel, grandiose, et d'une insondable profondeur.
Plein d'oiseaux se bousculent dans mon poirier, et viennent ces merveilles roses qui, je crois, sont des bouvreuils.
Au loin la France est rongée de l'intérieur par les gnomes qui s'en sont emparé, et se mobilise un peu tard. C'est bien souvent en pleurant que je prie pour les vivants qui sont restés là bas, et pour les morts qui n'auraient pas voulu voir ça et n'auraient d'ailleurs pas imaginé que ce fût possible. Un ami facebook, après des allées et venues, est revenu s'installer définitivement en Tchouvachie. Il avait un permis de séjour permanent, et se demandait s'il serait toujours valable. Oui, bonne surprise, mais du coup, on lui demandait 5000 euros de taxes sur sa vieille voiture pour le laisser passer la frontière. S'il était venu en touriste, ce n'aurait pas été le cas, mais là, c'était à prendre ou à laisser. Il a vendu sa voiture en Lituanie et distribué sur place les affaires qu'il avait emportées, puis il a pris le train. Le voilà au fin fond de la Russie pour toujours, débarrassé comme moi de tout le superflu!
Il m'a donné toutes sortes de renseignements sur les poules. Finalement, ce serait peut-être envisageable, il y a des systèmes de distribution de nourriture qui permettent de les laisser quelques  jours, et l'hiver, l'important est qu'elles soient à l'abri du vent, et qu'elles puissent se percher. Les poules, et même les chèvres, font partie de son projet de vie.