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jeudi 18 avril 2019

Le trésor de notre coeur

A présent que l’émotion retombe un peu, de nombreux signaux me soufflent que cet incendie de Notre Dame s’inscrit dans un contexte sinistre, et l’on voit les démons grouiller de tous les côtés. Notre président, pendant son discours, a soigneusement évité de parler de foi, de religion,  et promet la restauration en 5 ans de ce que l’on avait mis 200 ans à édifier. Son premier ministre envisage un concours pour choisir l’architecte de la future flèche. Un journal américain souligne qu’il faut oublier la France blanche et chrétienne qui n’a jamais existé (sic) et se tourner vers une vision multiculturaliste et mondialiste des choses. Les oligarques français font assaut de millions. On ne parle plus de rénovation mais de "reconstruction" dans un "esprit moderne". Et tout doit être fini avant les JO, youpi !
En plus des soupçons, ou plutôt de la certitude intérieure que j’éprouve depuis le début au sujet de cet événement, qui tombe tout de même à pic, juste avant les élections et sur fond de gilets jaunes indomptables, des témoignages confirment qu’enflammer une pareille charpente en chêne de 800 ans ne pouvait se faire si facilement, qu’il a fallu insister, et que ce n’est donc pas accidentel.  Certains trouvent que j’exagère, mais c’est leur faiblesse de ne pas arriver à comprendre que nous sommes aux mains de malfaiteurs qui font ce qu’ils veulent de nous, de notre pays, de nos lieux saints, de notre destin, sans que nous puissions les en empêcher. Je suis presque certaine que la cathédrale a pu être sacrifiée à une manœuvre politique, et qu’on va nous la refaire façon Disneyland, avec des innovations et des messages qui seront une profanation de plus.
Le père Valentin qui m’avait appelée pour me faire ses condoléances, m’a dit que nous ne méritions plus nos églises, comme les Russes ne méritent plus les leurs. Et qu’on ait mis ou non le feu volontairement, Dieu a laissé faire, Dieu a repris ce qu’il nous avait donné. Il y a eu, dans le cours tragique des choses, ce moment où la cathédrale qui a accompagné toute notre histoire s’est magnifiquement illuminée, devant ce qu’il nous reste de chrétiens agenouillés et chantant des cantiques, où toute cette histoire de la France est partie avec son âme, notre âme collective, dans la mémoire éternelle, portée par la fumée de cet énorme brasier, finalement, pour la France, c’est une belle mort. Ce que feront les cloportes de son cadavre sera naturellement douloureux à voir, mais ce qu’ils profaneront ne sera plus qu’un cadavre.
Partout, en France, en Ukraine, en Russie, au Moyen Orient, en Afrique brûlent les églises comme autant de cierges et de lampes sur la planète surexploitée et martyrisée . Ou bien elles sont profanées, ou confisquées, leurs fidèles et leur clergé molestés. Ou bien elles s’écroulent, faute de soins, avec tout ce qu’elles ont encore à nous dire car chacune d’elles est un livre que nous ne savons plus déchiffrer, mais les imbéciles ricanent que ce ne sont jamais là que des poutres et des briques, ou des pierres, et la beauté s’efface, elle se retire avec Dieu et ses anges, nous ne saurons déjà plus ce que c’est, nos enfants ne sauront plus ce que c’est que la beauté et son sens, car même la nature est sans cesse profanée, souillée, ensanglantée, maltraitée, toute notre tragique histoire qui fut cruelle mais souvent grandiose, s’achève dans le grouillement nauséabond de la vermine, sur des montagnes d’ordures, avec des ricanements et des chansons ordurières, des incantations hagardes, des danses obscènes et des bouffonneries déshonorantes.
J’ai su tout de suite que ce Macron serait le clou de notre cercueil, et j’aurais plutôt voté pour un crocodile, mais il y a longtemps que notre vote n’est plus qu’une formalité. La France a quitté la maison de son Père et son Fiancé pour se donner à des brigands de passage qui l’ont mise sur le trottoir, et d’une certaine façon, c’est aussi ce qui est arrivé à la Russie, quand devant les intellectuels patibulaires qui lui martelaient des slogans en jouant sur ses pires sentiments, elle a laissé sacrifier son tsar sur l’autel de la modernité satanique. Chez nous comme ici, des gens ont résisté, et même beaucoup et désespérément. Mais une fois piégée et déshonorée, privée de son protecteur légitime et attentif, que peut faire une pucelle séduite ? Elle prend quelques bonnes baffes dans la gueule, et, malgré ses larmes et ses regrets, elle va au taf, et au bout de plusieurs passes, et de plusieurs souteneurs, elle a du mal à se souvenir de son propre nom, et du moment où elle était encore pleine de fraîcheur et de beauté, pleine d’espoir et de confiance, une fiancée honorable…
Donc, dans cette France qui n’est plus, ceux qui résistent n’auront plus qu’à retourner dans les catacombes, tandis que les souteneurs de leur pays le livreront à l’Afrique et à la finance mondialiste. La page est tournée de notre existence en tant que peuple. Dieu en a repris la couronne, pour lui éviter de tomber dans la boue.
Des Russes et des Ukrainiens s’indignent qu’on parle tant de Notre Dame, et jamais de leurs églises martyrisées. Moi-même, quand j’ai vu que le patron de la Sberbank et autres lançaient une souscription pour Notre Dame, j’ai écrit sur un site orthodoxe : «Et pour vos églises qui disparaissent tous les jours dans les flammes ou s’écroulent, pas de souscription ? » Non, parce qu’à mon avis, Notre Dame fait partie d’une opération de propagande et de publicité, mais pas leurs églises, alors même leurs oligarques, qui n’ont, comme les nôtre, pas de patrie, n’en ont rien à foutre ; mais ce qu’il faut voir, ce qu’il est important de voir, c’est que tout est lié, et commencer à gémir dans un coin : « on s’en fout, c’est pas chez nous, et nous alors ? » ou « c’est bien fait pour vous, vous vous fichez de ce qui nous arrive, ou vous l’avez provoqué », c’est une réaction à courte vue. D’abord que veut dire ce « vous », qui ? Le citoyen lambda en larmes devant sa cathédrale et son pays qui partent en fumée ? Il est coupable de manque de curiosité, d’indifférence, d’excès de confiance en sa presse et son pouvoir, mais ceux qui le lui reprochent sont exactement, au fond, dans le même cas, et ceux qui incendient et profanent, eux, sont au dessus de nos petites querelles et nous réunissent tous dans la même exécration et le même plan apocalyptique, car ils se connaissent tous très bien, et ils savent ce qu’ils font.
J'aurais mieux vécu de voir brûler Versailles, cet endroit élégant mais vain, avec ses divinités païennes artificielles. Le diable ne s'y est pas trompé, il a bien choisi sa victime. Et à y bien réfléchir, Dieu ne s'est pas trompé non plus en le laissant faire: le meilleur de la France, ce qu'elle avait de plus profond et de plus sacré, c'était Notre Dame, et pas le palais du roi Soleil ou autre bâtiment officiel anecdotique. C'est donc elle, avec sa forêt dont on ne verra plus jamais l'équivalent, et l'humble et magnifique travail communautaire dont elle était le fruit, les événements qu'on y fêtés, les prières et les chants qui montaient sous ses voûtes, que Dieu a pris là où le ver ne ronge pas et où la rouille ne détruit pas, là où est le trésor de notre coeur.



mardi 16 avril 2019

Que Dieu se lève


Hier s’est produit un événement que je redoutais depuis longtemps et auquel pourtant je n’arrivais pas à croire : Notre Dame de Paris a brûlé. Je regardais les photos et les vidéos : la cathédrale prenait une étrange splendeur mortelle,elle connaissait une sorte de transfiguration ultime, elle était pareille à une énorme et somptueuse lampe ajourée, à croire que les belles et saintes choses périssent bellement. Je pensais qu’un de ces jours on la ferait sauter, mais on l’a livrée au feu, comme Jeanne d’Arc.
Bien sûr, on n’a pas encore prouvé qu’il s’agissait d’un acte de malveillance, j’en suis quasiment certaine, pourtant, car l’église a résisté à tant de choses, et puis, depuis quelques temps, c’est tous les jours que les églises de France sont impunément profanées, insultées et souvent détruites par l’état lui-même, pour laisser place à des mosquées, je considère qu’on a créé un terrain favorable à ce genre d’événements, et qu’il soit délibéré ou non, la joie de la « diversité » et des dégénérés français qui la préfèrent à leur propre peuple, ou qui ne voient pas la différence entre la disparition d’une cathédrale que leurs ancêtres ont mis deux cents ans à construire il y a presque mille ans, avec celle de l’incendie d’un garage ou d’un supermarché, prouve que les uns et les autres s’associent de toute façon au désastre en intention. Ils ricanent, ils dansent sur notre tombe et dans le cas des seconds, sur leur propre tombe, car lorsque la France sera devenue un concentré de Pakistan et d’Afrique du sud, nos conquérants et les usuriers mafieux supranationaux qui nous les ont amenés, avec la complicité active de la classe politico-médiatique, ne feront pas la différence entre le blanc réfractaire et le blanc complice, comme on le voit d’ailleurs déjà souvent, avec les viols de dindes pro-migrants un peu partout en Europe.
Je regardais brûler la lampe de la France médiévale avec laquelle je me sens beaucoup d’affinités, mais qu’on s’est acharnée à détruire depuis plusieurs siècles dans la mentalité des gens. Et je pensais au père Placide m’adjurant: « Partez, pour nous c’est la fin. » Quelle clairvoyance….
Des catholiques à genoux priaient et chantaient des cantiques, ce qui est très touchant, mais je ne me reconnais pas dans ces chants extrêmement doucereux et dévitalisés, et je ne reconnais pas l'esprit qui a engendré toutes les merveilles encore debout de notre pays. En revanche, je me reconnais dans Notre Dame, et dans toutes nos vieilles églises et nos cloîtres, qui seront désormais livrées aux profanations et aux destructions de cette bolchevisation capitaliste progressive, probablement irrémédiable, car scellée par l’importation massive de gens qui nous haïssent avec impudence et nous priveront avec ivresse de tout ce qui nous était sacré et ne représente pour eux strictement rien.
Je pensais à la Russie, où tout cela s’est produit il y a cent ans, avec la participation de la racaille locale, des « démons » de Dostoïevski à la fête. Par chance, il était alors difficile de déverser toute l’Afrique sur les Russes, et le pays a plus ou moins survécu, avec ses ravages humains, spirituels, culturels, mais un reste vivace d’esprit russe. Il y a presque trente ans, devant ces ravages, j’avais l’impression d’être mieux ici que chez nous, parce que j'y voyais la vérité en face, et que j’en éprouvais paradoxalement moins d’angoisse. Et je me demandais ce que j’éprouverais si on faisait en France et à Paris ce qu’on a commis en Russie et à Moscou. Eh bien voilà, c’est en cours. Cent ans plus tard, notre année 17. Nous avons inoculé le virus de la révolution maçonne à la Russie, et nous périssons du bolchevisme qui a muté en libéralisme, mais reste toujours acharné à faire de notre passé table rase et à nous transformer en plèbe mondiale indifférenciée, dégradée et servile. Dieu veuille qu’ayant détruit l’Europe, qui lui restait trop complaisante, il ne revienne pas achever la Russie, où il a des complices actifs et puissants, et des idiots ou des salauds utiles comparables aux nôtres.
L’odieux personnage qui nous administre pour le compte de la mafia oligarchique y va de sa larme de crocodile et de ses paroles lénifiantes « reconstruire tous ensemble, bla, bla, bla… » Mais c’est là son œuvre et celle de ses patrons, d’une part. Et d’autre part, tout le sale argent de ceux qui le contrôlent, tout l’énorme argent volé de la caste mondialiste ne pourrait pas restaurer cette cathédrale, sa charpente, ses vitraux, il ne pourrait pas acheter la foi et le savoir faire des verriers, des charpentiers et des tailleurs de pierre d’alors qui ont mis deux cents ans a faire tout cela, avec patience et amour. Qui peut s’atteler de nos jours à un pareil grand œuvre ? C’est là que je vois d’ailleurs toute la profonde et satanique bêtise de cette élite transhumaniste pleine d’arrogance et de mépris, qui se croit si intelligente. Ils arrivent avec des dollars et des euros là où entraient en jeu la foi, le don, la prière, le sens et l’amour de la beauté. Une dimension qui leur est complètement inaccessible.
Elle est inaccessible aussi aux dégénérés qu’ils ont fabriqué dans leurs écoles, et devant leur télé, ces mutants qu’on ne peut même plus dire français, et à qui je préfère ne pas répondre sur les fils de commentaires, parce que remuer tout cela pue trop et éclabousse.
Non, Macron ne me galvanisera pas avec la promesse d’une restauration façon Disneyland, ce qu’a fait Loujkov à Moscou. Le fric ne guérira pas les plaies de Notre Dame.
Le père Constantin me dit que tout cela est rangé dans la mémoire éternelle, je le sais, j’y pense, quand je passe dans Pereslavl ravagé et que je vois s’accumuler les ordures et le plastique le long des chemins qui mènent au lac. Mais un peuple, c’est une entité sacrée, un arbre dans le jardin du temps. Il a une mémoire, un destin, un fond génétique, une âme collective. Et voilà qu’on nous prive de cela, qui nous unissait et nous rendait forts, à travers toutes les vicissitudes : notre foi, nos sanctuaires, nos monuments, nos traditions, notre art collectif ancestral, tout ce qui nous mettait en communion, et il va nous falloir maintenant essayer de tenir dans l’infamie croissante, l’ordure, le désordre d’une poubelle mondiale où nous serons peu à peu traqués jusqu’au dernier.
« Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dispersés… » Qu’il se lève et nous délivre.


N'ayant pas d'électricité aujourd'hui, j'ai passé la journée à jardiner dehors, en songeant à la France, à Pierrelatte, aux miens, à Cavillargues et à Solan. J'ai lu l'acathiste à la mère de Dieu.
De la France mourante, aux mains de gens qui la haïssent et couverte par leurs soins de vermine ricanante, je vois dans l'actualité deux photos symboliques: la lampe de la cathédrale en flamme dans notre crépuscule, et un petit monsieur gilet jaune de 84 ans, si comme il faut, si digne, avec sa pancarte bien soigneusement écrite, où il explique qu'il est convoqué par la police pour avoir manifesté...
Mais est-ce qu'on peut parler encore de police? 





dimanche 14 avril 2019

Le chemin des écoliers


Saïd ne peut pas m’emmener à Iaroslavl, il n’a personne à convoyer en dehors de moi, et j’aimerais en finir avec la corvée, et remettre mon dossier, car je crois qu’en mai, de toute façon, je dois prouver que j’ai des revenus.
Sur les conseils de l’assurance, j’ai fait une déclaration par téléphone au GAI pour le dommage que j’ai causé à ma propre voiture en rentrant chez moi, et j’attends qu’un flic vienne constater, mais personne ne me rappelle, or j’en ai absolument besoin pour me faire rembourser, et ce n’est pas une petite somme.
J’ai je ne sais combien d’emmerdements du même style, à peine on a fini avec l’un que cela commence avec l’autre. Et j’ai de plus en plus de mal à y faire face.
Je pense que la vie ne devrait pas être soumise à ces tracasseries, la vie ce n’est pas cela, la vie, c’est de trouver sa subsistance, un partenaire à aimer pour ne faire qu'une seule chair, se reproduire et élever ses petits, de contempler, de rêver, de faire de la musique et de belles choses  et de chercher Dieu, en symbiose avec sa communauté, son milieu naturel, et au service de ceux-ci.
Or toute cette paperasserie qui nous vole notre existence, ajoutée au travail d’esclave, dépourvu de sens et de grandeur, qui n’aura plus de fin, ce n’est encore rien à côté de ce qu’on nous prépare, on va nous mettre sous contrôle électronique complet, après le communisme et le nazisme, le capitalisme issu de la renaissance humaniste et de son protestantisme nous sort le transhumanisme, qui ne nous laissera d’autre choix que de l’accepter jusqu’à l’avilissement absolu, ou de mourir. A moins que Dieu ne mette un terme à tout ceci par des cataclysmes inouïs. Ou par un grain de sable dans la Machine…
Je voudrais descendre du train et retourner au moyen âge, où n’était pas la perfection mais du moins ce qui s’en rapprochait le plus sur cette terre, sur le plan de la dignité de l’homme, de sa spiritualité, de la beauté de son art communautaire et plein de sens, qu’il fut populaire ou religieux.
J’ai du mal à prier, souvent je le fais avec des larmes, des larmes d’épouvante et d’horreur devant ce qui nous arrive, de compassion et de honte devant ce que nous faisons de nous et de la nature, devant ce qui nous attend, devant ma solitude et ma vie gâchée, mais pratiquement toutes nos vies sont gâchées, il n’y a plus moyen d’avoir une vie normale, je porte la croix commune des vies gâchées, la différence, c’est que je sais pourquoi il en est ainsi.
Le père Constantin pense que mon livre est providentiel, je pense aussi que je devais l’écrire et subir les profondes perturbations qu’il a apportées dans ma vie intérieure, c’était sans doute prévu par Dieu, et donc, je pense que le moment venu, il m’aidera à me rétablir. Peut-être même que le livre aidera les âmes du tsar Ivan et de Féodor, et jouera un rôle sur un plan mystérieux qui m’échappe.
Je pressens que je serai encore amenée à le transformer, il m’a manqué de pouvoir le partager avec des Russes, avec des gens qui connaissent la religion mieux que moi, les rites, et même avec des littéraires.
Il y a des moments où Dieu fait le ménage en nous, et des moments où il nous laisse seuls. Je vois tout un courant de croyants qui prodiguent des conseils sévères et pratiquent un christianisme héroïque, et j’en suis parfaitement incapable, j’ai cru que je l’étais quand Dieu me prenait en mains, alors tout devient facile, car c’est lui qui agit. Il faut le laisser agir dit-on, oui, mais comment ? Nous sommes des êtres de chair et de sang pleins de faiblesse, et il le sait bien, c’est lui qui nous a faits.
J’ai lu un texte sur l’hypnose en politique, dont nous voyons maints exemples effrayants et absurdes. L’hypnose en politique est largement appliquée de nos jours et marche très bien sur des foules de zombies. L’auteur de l’article étendait cela aux religions. Les « religions », je ne sais pas, mais pas la mienne. Car je peux pratiquer les recettes du pari de Pascal pendant des temps, lire des prières, aller aux offices, en me violentant, me poussant au cul, et restant sur des pieds douloureux à me demander quand j’irai enfin chez moi mettre des pantoufles, sans aucun résultat visible. Je ne dis pas que quelque chose ne mûrit pas en moi, pendant ce temps, comme le levain dans la pâte, à mon insu, mais cela ne relève pas de la technique de l’hypnose. Et puis un jour où l’on s’y attend le moins, où l’on n’a rien fait pour, et sans aucune « technique » particulière, voilà que Dieu entre en nous, et alors on sait, on comprend, ou on ne comprend pas, mais cela n’a plus d’importance, car l’on sait avec notre cœur, mais cela ne dure pas, en tous cas chez moi, cela ne dure pas.
Les sévères orthodoxes me diront qu’il faut faire en sorte que cela dure. Sans doute. Mais comme je suis une artiste, il est possible que mon destin s’apparente à ces vers d’une des plus belles chansons de Brassens, le Testament :

Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers




Motus!





Après la liturgie d'aujourd’hui, l’évêque a pris le thé avec les paroissiens. Il m’a présentée comme une célébrité, et cela me met un peu mal à l’aise, parce qu’en fait, cela me met trop en vue, comme il me l’a demandé auparavant, suffit-il d’être français pour cela ? Il m'a dit avec un air d'entre deux airs, qu'il était allé sur internet voir tout ce qui me concernait! 
J’ai compris d’après les discussions ultérieures, que l’éparchie était non seulement très fauchée, mais même endettée, et pour ce qui est des églises en piteux état, il m’a déclaré : « Je ne dirai rien, parce que sinon, j'en dirai trop ! »
Les belles églises de Pereslavl et autres lieux de Russie, profanées et ruinées par le pouvoir communiste, quand elles n’ont pas été détruites, ont été restituées à l’Eglise qui doit se débrouiller pour réparer les dégâts de l’Etat. Cela ne serait rien, s’il ne nous gênait pas, et si nous pouvions tous retrousser nos manches et agir. Mais c’est que sur les églises considérées comme des monuments historiques et dont l’état ne s’occupe pas, on ne peut pas planter un clou sans autorisation, que l’on doit passer par une commission spécialisée ruineuse pour tous travaux, et celle-ci s’adresse à des entrepreneurs avec qui elle est en cheville, et qui sont tout aussi chers. On espérait que l’état allouerait de l’argent à l’occasion des festivités de l’anniversaire de la naissance de saint Alexandre Nevski, mais tous les crédits sont partis sur Saint-Pétersbourg et sa région. Pierre le Grand y avait fait transporter ses reliques, mais le prince n’y a jamais mis les pieds de son vivant. Il est né à Pereslavl, il a régné à Novgorod…
J’ai dit à quel point j’étais scandalisée, et à quel point c’était même idiot, car des villes comme Pereslavl et Rostov, arrangées avec goût deviendraient beaucoup plus attractives et donc rentables. « Je ne dirai rien, sinon, je vais trop parler ! » me rétorque l’évêque. On lui a posé des questions politiques, sur l'Ukraine, notamment. Mais il n'a pas voulu trop en parler non plus. "La position de l'Eglise russe est de prier pour tous les Ukrainiens de n'importe quel camp, bons ou mauvais, tout ce qu'on peut dire, c'est que le patriarche Bartholomée a passé les bornes. Mais j'ai assez à faire avec l'éparchie qui dépend de moi, et vous avez assez à faire avec votre salut personnel".
L’éparchie a une population réduite, beaucoup d’églises et de monuments historiques à sa charge, pas d’argent. La légende du pope en Mercedes, chère aux russophobes, en prend un coup mais c’est ainsi. Notre évêque n’a pas de Mercedes ni de BMW, ni même de chauffeur. Il a de l’humour et de la bonne volonté…
Notre cathédrale est encore bien délabrée, avec sa coupole barbouillée de hideuse peinture verte, son sol carrelé n'importe comment. Elle a une belle iconostase récente, de bois simple, sans dorures boursouflées. Sous l'URSS, à la place du sanctuaire et de l'autel, on avait mis des toilettes et des douches...
Il  y a des moments où je me demande comment je surmonterai tout cela, ce triomphe des mutants stupides, laids et cupides de la modernité sur tout notre héritage humain de beauté, de noblesse et de spiritualité, et sur la nature qui l’a porté. Sans doute en ne vivant plus trop longtemps. En partant avant qu’on ait fait de la planète une poubelle et un enfer sans plus aucun refuge . C’est ce qui me console d’être vieille, et de ne pas avoir d’enfants. On nous a fait un monde, où l’on n’a pas envie de laisser des enfants, et où ne sait plus comment les éduquer et les soustraire à tout ce qui va polluer leurs âmes neuves, à une tyrannie avilissante à laquelle il sera de plus en plus difficile de s’opposer, même par la résistance passive.
J’ai revu une de mes jeunes femmes, Anastassia, avec une amie très sympathique, aux yeux lumineux. Elles essaient de rénover une église récemment « rendue » aux croyants, et complètement défigurée, et elles y chantent aussi pendant les offices de semaine. « Je lisais beaucoup de science-fiction quand j’étais plus jeune, me dit la jeune femme aux yeux clairs, et je vois avec autant d’horreur que de stupéfaction, tout ceci se réaliser au-delà de mes craintes ».
Avec la publicité que me font le père Constantin et l’évêque, en effet, je deviens une célébrité, ici. Tout le monde me salue, et chose extraordinaire, une vieille voulait me céder sa place assise à l’église, j’ai refusé, car elle était plus décatie que moi, et j’avais eu la possibilité de m’asseoir auparavant.  Le fait que tout le monde me reconnaisse m’angoisse un peu, car je suis loin de reconnaître tout le monde, de sorte que je dispense des sourires égarés pour ne vexer personne.
La veille, j’avais dîné carême au café Montpensier. On y fait de très bons plats carémiques. On a faim au bout d’une heure, mais c’est bon. Rita est la vedette de l’endroit, les serveuses se l’arrachent et lui donnent du blanc de poulet et une écuelle d’eau, elle en devient même insolente. C’est à côté de la cathédrale, et c’est pratique pour le père Constantin, qui, en principe, doit m’aider à traduire mon livre. Il est content, parce qu’il voit se former une sorte de noyau culturel à Pereslavl, l’évêque, les jeunes femmes moscovites, un moine récemment arrivé d’un monastère de Moscou, et moi…  et je m’en réjouis également, je suis sans doute venue par la volonté de Dieu sur le territoire sinistré de la Russie historique, mettre mes pas dans ceux d’Alexandre Nevski et Ivan le Terrible, dont les traces sont partout, dans la région. Le père Constantin le pense : «Vous êtes venue apprendre aux Russes à aimer leur propre pays ». Il croit que notre sainte Russie est gardée intacte par Dieu en son Royaume et que nous la retrouverons. Oui, la ville invisible de Kitej. Une ville légendaire devenue pour moi la métaphore de la sainte Russie: elle s'est faite invisible pour échapper aux Tatars, mais on peut parfois en apercevoir le reflet dans le lac près duquel elle s'élève et entendre résonner ses cloches et ses chants.





 

samedi 13 avril 2019

Grand Canon


Le Grand Canon de saint André de Crète, je le lis généralement chez moi, parce que je ne comprends rien, les chants sont très beaux, mais je ne comprends rien.  Or à la fin de l’office, voilà l’évêque qui déclare : « Le canon est un des plus beaux textes de l’Orthodoxie, et pourquoi donc ses paroles ne nous touchent-elles pas aujourd’hui? Parce que nous arrivons à la fin du carême et n’en pouvons plus ? Elles vous touchent ? » demande-t-il brusquement à ses prêtres. Ils répondent que oui. « Eh bien moi j’ai du mal, reprend-il. Peut-être parce que c’est un texte complexe en slavon d’église, et si on est fatigué et un peu inattentif… »
Ensuite il a dit: "On n'est jamais sûr d'être sauvé, mais on n'est jamais sûr d'être perdu non plus." Et il nous a raconté qu'un saint ascète qui, tenté par une prostituée, avait victorieusement résisté, avait chuté avec une jeune fille qu'il avait miraculeusement guérie et qu'on lui avait confiée. Et pourtant, il avait repris le dessus, il s'était repenti. "Ne vous dites jamais qu'il est trop tard, que Dieu ne fera plus rien pour vous. Tant que vous êtes en vie, il est temps". 
J’étais sidérée, car tout ce qu'il disait semblait m'être personnellement destiné.
Le père Constantin souhaitait me faire rencontrer l’évêque  et ce dernier a voulu que l’on nous photographiât ensemble, j’aimerais bien avoir la photo ! Il m’a dit : « Vous êtes notoire, j’ai lu une interview de vous, en revenant de Volgograd, vous êtes donc notre notoriété ! Que doit-on faire pour être une notoriété, suffit-il d’être français ? »
Il est étonnant, simple et pleinement lui-même. Je suis contente d'avoir un tel évêque, j'ai de la chance qu'on l'ai nommé ici. Du reste, j'ai rencontré dans l'église ma jeune amie Katia, qui se tient le même raisonnement.
La neige est pratiquement partie, parfois, dans la journée, il fait presque chaud, au soleil. Je vois percer quelques plantes. Des crocus. Mais tout reste encore marronnasse, jaunasse et boueux. J’essaie de préparer des buttes pour planter des légumes cette année. J’avais tout ce qu’il fallait pour cela, mais les derniers ouvriers que j’ai eus m’ont fait évacuer ces matières premières et je les ai bêtement écoutés. Ce qu’il y a de triste, c’est que j’ai du mal à travailler, bien que j'adore jardiner. Mes articulations se font sentir.
Je n’arrive pas à faire tout ce que j’ai à faire.
Hier, les Anglais ont arrêté Assange, il a été littéralement vendu par l’Equateur, et l’ambassadeur a facilité l’entrée des policiers anglais qui ont arraché sans ménagement ce dissident à son asile. Une infamie complète.
La jolie fille que les flics ont éborgnée délibérément pendant une manif de gilets jaunes, alors qu’elle tentait, avec son petit ami, de s’éloigner de la nasse où l’on avait piégé les gens, a subi encore une opération. Son oeil est perdu, mais reconstruire au moins son visage autour, pour lui mettre une prothèse, et lui rendre plus ou moins son apparence initiale, semble difficile. Elle n’arrive pas à tenir sa paupière ouverte, elle s’habitue mal, elle a sans arrêt des migraines, et vit dans la pénombre. Elle a vingt ans. Je serais sa mère, je crois que je retrouverais ce flic et que j’irais l’éborgner. Ce n’est pas très chrétien, mais quand je pense à ce sbire qui a pu viser cette gamine et lui projeter au visage un obus de plastique, je trouve qu’il ne mérite pas de vivre, et ses commanditaires encore moins… que se passe-t-il dans de pareilles cervelles? Que Dieu leur pardonne, moi, c'est au dessus de mes forces.
Le monde pue, il est de plus en plus noir et affreux, ignoble, irrespirable. C’est un bolchevisme généralisé organisé par les mêmes, le rêve de tyrannie internationale de l'horrible Trotski réalisé par l'Amérique, ses maîtres plus ou moins occultes et ses séides. En Ukraine, l’objectif est atteint, sauf en ce qui concerne le troupeau d’Onuphre qui tient bon, comme il a tenu depuis les premières tentatives polonaises de le subvertir, au XIV° siècle : avoir transformé cette population slave en un ramassis de sous-hommes stupides et haineux qui conjuguent les côtés les plus bas du nazisme et du communisme, et l'utiliser contre ses pareils au nom d'un rêve européen aussi absurde qu'indigne dont nous nous réveillons, en France, avec la gueule de bois... Chaque fois que je vois une actualité sur ce pays, sur son immonde président compradore oligarque, j’ai envie de vomir. Les gens du Donbass ont raison de se battre, au moins ils mourront debout, et pour les leurs, cela a du sens et de la noblesse. Pour qui meurent les soldats ukrainiens que l’on pousse à venir commettre des ignominies dans l’est du pays, à coups de pieds aux fesses ? Pour des gens sans foi, ni loi, ni patrie, pour la finance et l'impérialisme transhumaniste, c'est-à-dire satanique.
Je suis si horrifiée par ce qui se passe et va se passer que j'en ai parfois, le matin quand je prie, des crises de larmes. J'ai de la peine pour mes ancêtres, pour les poilus de 14, hachés menus par toujours les mêmes, et pour les victimes de la révolution et de la guerre civile, ici, des répressions... Il faut croire que Dieu emporte avec lui les meilleurs, avant la fin, avant l'ère des cloportes et la fin des temps.
Alors l’époque d’Ivan le Terrible, malgré les horreurs de l’Opritchnina, me semble un paradis perdu, terrifiant mais magique, épique, sacré. Où ne régnaient pas des usuriers internationaux fourbes et pleurnichards qui avilissent tout ce qu’ils touchent et nous préparent une fin d'insectes dans un environnement empoisonné et hideux. Où le peuple était une famille. Avec des histoires de famille pas toujours reluisantes, mais une solidarité de famille à la vie et à la mort. Et je m'y retire pour reprendre mon souffle. C'est drôle, dès mon enfance, dans les années 50 et 60, qui pouvaient sembler si optimistes, quand on avait à la fois le Progrès (qui justifiait tout et contre lequel on ne pouvait rien) et des restes de tradition, dans une France douce à vivre, j'ai détesté mon époque et j'ai considéré avec méfiance tous ses mythes fondateurs. 
Heureusement que la Russie tient encore, que l'Orthodoxie russe tient encore, que l'on chante encore ici ce qui remonte sans doute à nos origines indo-européennes, et que je connais les cosaques. Dans mon jardin du nord, quelques crocus font des apparitions timides. On les remarque à peine. Les chats sont heureux, petite Rita aussi. Elle a brusquement changé de comportement, c'était arrivé aussi à Doggie, elle se sent pleinement chez elle, pleinement investie d'une patronne attentive, je la vois plus gaie, plus à l'aise.
Mais je pense toujours à Doggie, et je trouve partout des traces de Rosie, des paquets de Chappie que je lui donnais quand ceux des chats lui faisaient envie, et qu'elle allait déchiqueter dehors, de ses déprédations aussi, de ses jouets....
On dit qu'il vaut mieux avoir des remords que des regrets, moi, en fin de vie, j'ai les deux.

Notre évêque, monseigneur Théoctyste, avec ses prêtres de la cathédrale
Alexandre Nevski. Photo de l'épiscopat.



lundi 8 avril 2019

Yarilo et les cosaques.






La présentation de Yarilo a eu lieu, au centre culturel Pokrovskie Vorota de Jean-François Thiry. Il n’y avait pas énormément de monde mais une dizaine de fidèles cosaques complètement conquis. Ils ont chanté une chanson des cosaques du Terek consacrée à Ivan le Terrible. J’ai chanté un vers spirituel avec Skountsev et Nikiforitch, et il m’a semblé que Kolia Sakharov pleurait ! Olga Filatova, à ma demande, a présenté mon livre comme elle l’avait ressenti, c’est-à-dire mon propre itinéraire spirituel et la clé de ma présence en Russie, dans mon marécage de Pereslavl, cet environnement qui me permettait de trouver la nourriture dont mon âme a besoin, et son mari est venu me dire ensuite que ce livre était écrit avec mon âme, que c’était elle qui commandait ma vie et ma création. Un monsieur entré par hasard m’a complimentée pour ma langue française « extrêmement profonde ». Les cosaques s’émerveillaient de ma compréhension de la Russie, du chemin que j’avais fait. Nikiforitch m’a dit : «Ce n’est pas toi qui écris cela, mais quelque chose qui te prend et passe à travers toi, et qui devait se manifester ».
Iouri a lu les passages en russe, avec force et sentiment, et j’ai écourté la lecture des passages en français, car à part Jean-François Thiry, qui d’ailleurs est belge, il n’y avait pas de Français, et aucun journaliste, à part celle que Skountsev m’avait amenée et qui était très enthousiaste, Olga. Dany m’a dit : « Ton enfant français, ton Yarilo franco-russe, ils vont tous s’en emparer et le naturaliser vite fait ! » En effet, c’était ce que je ressentais. Et d’avoir touché précisément des représentants de cette Russie éternelle et profonde était beaucoup plus important pour moi que des compliments mondains et la présence de gens qui ne sont pas dans le cercle magique, le cercle cosaque détenteur du secret et de l’essence de la sainte Russie.
Avant la présentation, j’ai passé un moment avec Victor, le patron du salon de thé inclus dans le centre, « Tchaïnie Vyssoti ».On y boit du thé très raffiné et on peut y manger des glaces extraordinaires, avec des parfums inattendus, jus de bouleau, baies ou fruits exotiques. La femme de Victor, Olga, est complètement envoûtée par le folklore, et a un ami dans le « Cercle Cosaque » : «Je n’ai plus besoin de rien d’autre, seulement chanter, partir en expédition recueillir du matériel, je me fiche éperdument d’aller à l’étranger, ce qu’il me faut maintenant, c’est le chant de ma terre, je vais là où ça chante encore ».  Et en effet, à qui connaît cette eau vive, plus rien d’autre n’est nécessaire, et les séductions du monde moderne deviennent sans effet.  Nikiforitch pense que la Russie est indestructible : « On essaie de faire disparaître l’esprit russe, mais il ressort tout le temps ».
Et il s’empare même parfois des étrangers et les naturalise, comme moi, ou comme l’Anglais de mon livre.
Skounstev m'a fait quelques réflexions de vieux croyant sur des erreurs que j'ai commises dans la description des rituels. J'ai lâché mon livre trop tôt, comme je le pressentais. Mais je corrigerai...
Jean-François Thiry était peut-être un peu interloqué par les aspects très orthodoxes de l'histoire, les discours sur la Troisième Rome du tsar et du métropolite. Mais la perspective est eschatologique et non pas politique, bien que pour le tsar, elle le soit quand même. Et je fais s’exprimer des gens du XVI° siècle, mais en réalité, et j’en ai parlé avec le père Valentin ce matin, nous voyons tous les jours que dans cette perspective eschatologique, il en est bien ainsi, c’est même pour moi une évidence, la troisième Rome et la dernière arche.
Rita s'est révélée très mondaine, comme Joulik. Elle adore se pavaner, et à un moment, elle était juste au centre du choeur des cosaques, tranquillement allongée, comme si tout cela lui était destiné.

Dommage que j'ai beaucoup de photos de moi et peu des autres participants, et des cosaques!

Olga présente ses impressions







lundi 1 avril 2019

La mélodie universelle



Jacob Shtellin sur la musique folklorique russe
« Nouvelles sur la musique dans la Russie du XVIII° siècle."
La musique populaire russe des villages, lieux-dits et villes se fonde principalement sur le chant et la rare utilisation d’un ou deux instruments que je décrirai plus bas.
Une seule mélodie prédomine dans les jeux et danses de la Russie, depuis la Dvina jusqu’à l’Amour et la mer Polaire. En dépit des nombreuses modifications qui sont introduites dans cette mélodie par des chanteurs habiles ou plus ordinaires et par les particularités des nombreuses provinces de l’Etat russe à l’espace largement ouvert, elle conserve toujours ce caractère particulier, propre au pays russe et introuvable ailleurs.
Comparées aux chansons d’autres nations, les mélodies russes pourraient être appelées moitié tatars (que j’ai assez l’occasion d’écouter et d’étudier), moitié romanes et slaves, car elles contiennent des caractéristiques spécifiques de ces deux types de chansons. Le peuple russe en entier chante et joue selon ce type de mélodie; les filles et les femmes la chantent dans leurs chansons et dansent dessus, cette mélodie résonne dans tous les cabarets et les tavernes, les paysans la chantent en travaillant durement dans les champs, les cochers, les facteurs - sur les routes. Ces refrains ne se trouvent nulle part ailleurs sur la planète, sauf en Russie, où ils sont communs partout.
Plutôt que de continuer à la décrire, j’aimerais donner ici quelques-uns des meilleurs exemples de cette mélodie universelle. Les voici:
Comme dans la versification, chaque vers a un paragraphe ou une moitié, appelé césure, de sorte que la mélodie du village russe a le même paragraphe, tombant toujours sur un quart et servant à prendre une respiration. Il convient également de noter que de nombreuses mélodies se terminent à cet intervalle au lieu du ton principal.
Si l’on demande ce qui est chanté en fonction de ce type de mélodie, on peut répondre sans équivoque: en partie - tout ce qui vient à l’esprit du chanteur, en partie ce dont il s’est souvenu en écoutant les autres, à savoir: un vieux récit, l’épopée du héros, Ilya Mouravitch, une fable, une déclaration d'amour, une conversation entre amants, des chansons de brigands, la description de belles filles, etc. Tout cela est transmis principalement par la prose, une grande partie se constitue d'une façon impromptue sur une mélodie existante et se rime en partie selon un ancien vers syllabique. Ce dernier est l’apanage des femmes des villages et, en général, des gens du peuple qui, selon ce chant, exécutent leurs danses de village et leurs rondes, sans instruments de musique.


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.. Il arriva une fois que chez mon ami ... des parents et amis réunis chantèrent la
 chanson folklorique « Un faucon volait très haut »; au même moment entre Sarti, célèbre par ses magnifiques compositions musicales; il s'arrête, écoute avec attention; on le remarque enfin et arrête de chanter. Il s'enquiert du nom du compositeur et reçoit une réponse indiquant qu'il s'agit d'une chanson russe courante. Surpris, il demande qu’on la répète.
Couvrant de louanges cette composition d’un excellent genre musical, il s'émerveille devant l'art des chanteurs qui exécutent ce chœur, à son avis, difficile. On lui répond qu'il n'y a rien de plus simple et que les chanteurs populaires ordinaires le chantent avec la même précision. Ce savant musicien ne veut pas y croire.
Une heure plus tard, ils lui demandent de sortir dans une grande cour où douze rameurs ...lui chantèrent ce chœur. Stupéfait, le vénérable Sarti court d'un chanteur à l'autre, écoute attentivement et finit par admettre qu'il avait été témoin d'une chose incroyable; qu’avec des voix si grossières, il était impossible d'assumer une telle précision dans l'exécution; De plus, les chanteurs, chacun en particulier, n’observaient pas, dans leur motif,  les notes propres à chaque voix, mais les changeaient souvent, sans perturber l’harmonie générale du chœur.
Il assura que pour étudier cela, il fallait utiliser les meilleurs chanteurs d'opéra italien pendant une semaine entière, selon les notes écrites pour chaque voix; mais qu'il était impossible de chanter une chorale si difficile sans les suivre. "
Vospominaniya dramaturga i poeta V. Kapnista o znakomstve kompozitora Dzhuzeppe Sarti (1729 - 1802), priyekhavshego vo vtoroy polovine 18 veka v Peterburg i prozhivshego tam semnadtsat' let, s fenomenom muzhskogo khorovogo narodnogo mnogogolosiya.
N. Kulakoovskaya, L. Kulakovskiy. Za narodnoy mudrost'yu. M. 1975, s. 55 - 56.


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Hier, dimanche, je suis allée chanter à Rostov, avec Katia, Liéna, Véronika et une autre participante, nous étudions des "vers spirituels", répertoire de carême méditatif et profond, et j'observais la création entre nous de ce cercle enchanté du chant traditionnel russe, celui qui relie les chanteurs de Kazatchi Kroug, "le Cercle cosaque", et tous les folkloristes que je connais dans la contemplation de plus en plus absorbée d'une sorte de paradis perdu invisible et extrêmement ancien, et pourtant toujours jeune et vivace, dès qu'on l'invoque à plusieurs, dans une étrange et merveilleuse communion. A l'issue des moments de chants, notre initiatrice, Liéna, pousse toujours un soupir: "oh, c'était bien... " même si elle a des critiques à formuler, parce qu'en effet, c'est bien, c'est bon de revenir dans l'aura bienfaisante des relations ancestrales, et qu'on en ressort rénové.
Dima Paramonov, le roi des gousli, a de son côté publié ces deux témoignages historiques qui m'ont énormément frappée, et que j'ai traduits pour les publier. Une phrase m'a particulièrement intéressée: 
Une seule mélodie prédomine dans les jeux et danses de la Russie, depuis la Dvina jusqu’à l’Amour et la mer Polaire. En dépit des nombreuses modifications qui sont introduites dans cette mélodie par des chanteurs habiles ou plus ordinaires et par les particularités des nombreuses provinces de l’Etat russe à l’espace largement ouvert, elle conserve toujours ce caractère particulier, propre au pays russe et introuvable ailleurs.
Là est je crois le secret de l'âme russe, l'âme russe est cette mélodie qui unit tous les Russes sur cet immense espace, mélodie unique aux variations infinies, que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète et qui ne lâche plus ceux qu'elle a enchantés.
Je devrais dire "qui unissait tous les Russes", mais je laisse quand même au présent, ceux qui ne connaissent plus cette mélodie n'étant plus tout à fait russes, et les étrangers qui la connaissent en étant naturalisés, on peut dire qu'elle unit les Russes, ceux qui restent russes dans les trois Russie, également unies par cette même mélodie et par la foi orthodoxe, ou qui le sont devenus, par la vertu conjuguée de la foi orthodoxe et de l'enchantement local. On comprend naturellement que toutes sortes de malfaiteurs et les démons qu'ils servent cherchent à faire oublier aux Russes des trois Russie ces liens profonds, spirituels et ancestraux qui faisaient qu'un Russe ne pouvait exister qu'en Russie et avec des Russes quels que fussent les charmes de l'étranger, de son climat, de ses mœurs, de ses usages ou de ses monuments. On comprend l'acharnement des bolcheviques contre la culture traditionnelle; sa transformation en parodie, son avilissement en caricature. Et la fermeture du centre de folklore de Moscou par un ministre russophobe.
Cette mélodie se traduit du reste de façon visuelle dans les motifs de broderie ou les motifs décoratifs, qui sont extrêmement anciens et qui constituaient un autre genre de langage et de lien.
Mais là où cela devient pour moi très mystérieux, c'est quand cet art collectif russe qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde devient absolument irrésistible et complètement captivant pour quelqu'un dans mon genre. Je suis sûre, d'après les multiples traces qu'il nous a laissées, que notre moyen âge m'aurait beaucoup plu, j'y retournerais volontiers, et il me reste inscrit dans les gènes, mais en dépit de toutes ces traces visuelles, je n'arrive pas à retrouver avec lui un lien qui me le restituerait complètement, alors qu'à travers ce chant russe, je plonge dans la nuit des temps, et plus étonnant, la nuit des temps plonge en moi comme une cascade, vivante, avec tous ses poissons, ses reflets, ses murmures, les milliers de voix des morts qui soudain reprennent vie. Le moyen âge français était incontestablement plus doux à vivre que le moyen âge russe. Et pourtant, quand on a pénétré ce cercle magique et qu'on en a été irrigué, on devient semblable à de nombreux Russes qui mouraient de nostalgie dès qu'on les arrachait à cet océan de terre où tanguent des forêts et des églises, dans la boue et la neige, sous de captivants nuages et un soleil rare. On devient un habitant de la planète russe où se passent des choses qui n'arrivent nulle part ailleurs, et où résonne la mélodie universelle...
Alors qu'est-ce qu'on y trouve, de véritablement essentiel, de vital, qui a disparu partout ailleurs? Ou bien est-ce la Russie qui est en elle-même un phénomène culturel et spirituel unique au monde? Et on laisserait cela se perdre, comme on nous a perdu la France? Ont-elles dans les profondeurs de l'océan du temps quelque chose en commun de très précieux et de très vivifiant dont je ressentais la privation dès mon plus jeune âge? On me dira, la foi, oui, c'est sûr, mais il m'apparaît de plus en plus que ce n'est pas là un phénomène purement individuel et qu'il arrive sur un terrain, et se sert de canaux en place depuis des millénaires et qu'on est en train de détruire. Le salut est un fait personnel qui s'inscrit dans une entité collective qu'on appelle l'Eglise, elle-même constituée d'Eglises qui correspondent à des entités qu'on appelle des peuples. Tout est organique et complémentaire, sauf l'abominable civilisation industrielle et technologique qu'ont enfanté la "renaissance" et les "lumières"...
Cependant, il se peut que dans les derniers temps, ces communautés se réduisent à des ilots persécutés dans la dérive générale des poissons de bancs. Mais plus nous conserverons ces liens, plus nous aurons de chances de tenir jusqu'au bout, et aussi de sauver ceux qui tendent les mains dans les ténèbres, à la recherche d'un point d'appui. Qu'ils soient génétiquement russes ou pas, à la recherche de cette mélodie universelle dont on nous a privés et qui nous rend réceptifs à ce que le cosmos a de plus substantiel, nous met en communication avec sa Source, et à travers sa Source avec tout ce qui vit. Ce qui vit, ce qui reste dans le flux et le souffle de la vie, et non pas ce qui prolifère à l'écart, dans une parodie d'existence profondément hostile à ce qui est la Vie véritable et vivifiante.



Якоб Штеллин о русской народной музыке.
"Известия о музыке в России XVIII в."
Простонародная русская музыка сел, местечек и городов основывается, главным образом, на пении и на редком употреблении одного — двух инструментов, которые я опишу ниже.
Одна единственная мелодия господствует в играх и танцах России от самой Двины до Амур-реки и Полярного моря. Несмотря на многочисленные изменения, которые вносятся в эту мелодию искусными либо незатейливыми певцами и особенностями многих провинций широко раскинувшегося Русского государства, в основе ее всегда сохраняется тот своеобразный характер, который свойственен только русской стране и нигде более не встречается.
Русские мелодии по сравнению с песнями других народов могли бы быть названы наполовину татарскими (которые я имел достаточно случаев слушать и изучать), наполовину романскими и славянскими, так как включают в себя характерности этих обоих видов песен. Весь народ в России поет и играет по этому типу мелодии; девушки и женщины поют ее в своих песнях и танцуют под нее свои танцы, мелодия эта звучит во всех трактирах и кабаках, крестьяне поют ее при тяжелой работе в поле, ямщики, почтальоны — на дорогах. Напевы эти не встречаются нигде больше на земле, кроме как в России, в которой они распространены повсеместно.
Вместо дальнейшего описания, я хочу привести здесь несколько лучших образцов такой всеобщей мелодии. Вот они:
Как в стихосложении каждый стих имеет абзац или половину, называемую цезурой, так и русская деревенская мелодия имеет такой же абзац, падающий всегда на кварту и служащий для того, чтобы взять дыхание. Необходимо еще заметить, что многие мелодии и заканчиваются этим интервалом вместо основного тона.
Если спросят, что поется по этому типу мелодии, то можно безошибочно ответить: отчасти — все, что придет в голову певцу, отчасти то, что он запомнил, слушая других, а именно: старый рассказ, былину о богатыре Илье Муравиче, об осетре, басню, любовное объяснение, разговор влюбленных, разбойничьи песни, описание красавиц и т. д. Все это передается большей частью прозой, многое складывается экспромтом на готовую мелодию и часть рифмуется старинным силлабическим стихом. Этим последним владеют женщины деревень и вообще простой народ, который под такое пение без всяких музыкальных инструментов танцует свои деревенские танцы и водит хороводы.
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...Случилось раз, что у друга моего... собравшиеся родственницы и приятели пели простонародную песню "Высоко сокол летал"; в то самое время входит известный превосходными музыкальными сочинениями Сарти; он останавливается, слушает со вниманием; наконец замечают его и перестают петь.
Он осведомляется об имени сочинителя и получает в ответ, что это простонародная русская песнь. Удивленный, просит он о повторении оной.
Превознося похвалами отменного музыкального рода сочинение сие, удивляется искусству поющих столь, по мнению его, трудный хор. Ему отвечают, что ничего нет легче и что простонародные певцы поют оный с такою же точностью. Сему ученый музыкант никак верить не хочет.
Спустя час просят его выйти на широкий двор, где двенадцать гребцов... пели хор сей. В изумлении почтенный Сарти перебегает от одного певца к другому, вслушивается, и по окончании песни признался, что был свидетелем делу неимоверному; что по грубости голосов невозможно было предположить такой точности в исполнении; тем более, что певцы, каждый особенно, не наблюдали в напеве своем определенных каждому голосу нот, но часто переменяли оные, без нарушения общего стройносогласия в хоре.
Он уверял, для изучения оного нужно было бы лучшим итальянской оперы певцам употребить целую неделю, по написанным на каждый голос нотам; но что спеть столь трудный хор без наблюдения оных почитал невозможным".
Воспоминания драматурга и поэта В. Капниста о знакомстве композитора Джузеппе Сарти (1729 - 1802), приехавшего во второй половине 18 века в Петербург и прожившего там семнадцать лет, с феноменом мужского хорового народного многоголосия.
Н. Кулакоовская, Л. Кулаковский. За народной мудростью. М. 1975, с. 55 - 56.