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samedi 15 février 2020

Lavr

C'est le printemps, aujourd'hui, pour la fête de la sainte Rencontre, il fait un beau soleil chaud et tout fond, et je m'en réjouirais, si je ne craignais un retour de bâton au mois de mars. De plus, je suis malade, j'ai pris froid. Et je ne suis pas allée à l'église, je suis juste sortie nourrir les oiseaux et chercher Schtroumpf qui avait disparu. Le petit salaud était passé chez les voisins...
Ma maison a été transformée en appartement communautaire par l'installation des deux poètes, qui essaient de rester discrets, mais nos deux logements ne sont pas assez séparés pour cela, et un continuel va et vient d'animaux oblige sans arrêt les portes à s'ouvrir.
L'émission de télé à laquelle j'avais participée est passée hier. Je le sais, parce que le type qui avait acheté mon studio il y a deux ans m'a appelée pour me le dire, et aussi Valia qui travaillait au café. Je pressens qu'à Pereslavl, on va finir par me demander des autographes...

Il me semble que mes deux romans ont des qualités littéraires, d'après des avis qui comptent à mes yeux et ma certitude intérieure, mais il suffit que j’en publie un extrait pour qu’à part quelques fans inconditionnels, tout le monde évite de commenter, et même à mon avis de lire. Je pense que le jour où, mettons, Yarilo sortira en traduction russe et aura, je l’espère, un écho, tous ceux qui tournent autour de ces romans comme s’ils avaient peur de marcher dans la merde arriveront la queue basse et frétillante sur la trace de la renommée, non parce qu'ils auront eu la curiosité d'aller voir, mais parce que d'autres l'auront fait avant eux.
J’ai un peu avancé mon roman sur la modernité maudite, et je commence à avoir espoir d’en tirer quelque chose de bien. Il trouvera sans doute plus facilement un public, car le thème sera perçu comme nous concernant immédiatement, alors qu’en réalité, Yarilo et Parthène nous concernent d’aussi  près.
Je lis le magnifique roman de Vodolazkine, Lavr, qui a été traduit en français sous le titre « les quatre vies d’Arséni ».  Malgré son sujet médiéval et son style profondément original, ce livre a connu un grand succès ici, et il est traduit en vingt langues. Pourtant, Dieu sait qu’il est atypique, comme disait un éditeur à propos du mien, pour justifier son refus de le lire.
Mon roman est parfois écrit comme un scénario, une pièce de théâtre ou même une bande dessinée, ce qui n’est pas du tout le cas de Lavr, qui nous plonge complètement dans une autre vie et la vie d’un autre, la vie de cet Arsène aux quatre vies, personnage si pur et si russe, tour à tour médecin populaire de génie et fou en Christ. Ce temps médiéval où nous sommes plongés, qui est lent, riche, enchevêtré, qui s’épanche comme un fleuve et s’ouvre comme un horizon, pour déboucher parfois sur le nôtre, des mots anachroniques surgissent dans des discours en russe ancien, un fou en Christ prévoit la place des Jeunesses communistes à l’endroit du monastère où il se trouve, ce temps est élastique, vivant, infini, et nous sommes avec Arsène qui nous rejoint aujourd’hui, la frontière entre aujourd’hui et hier n’existe plus. C’est ce que ce roman a de plus extraodinaire à mes yeux. Ce n’est pas une reconstitution historique, c’est un voyage, non dans le temps, mais au cœur du temps. Et la preuve pour moi que ce temps médiéval, élément naturel de la sainte Russie, est toujours là, que sa dimension existe, et c’est sans doute cela qui m’a attirée ici. Bien entendu, il y a pas mal de Russes qui sont sortis de ce temps vivant, éternel, élastique et infini. Ils sont devenus des posts-modernes, des post-soviétiques, ils n’appartiennent plus à rien. J’en vois des exemples libéraux, et des exemples communistes, qui me rappellent les pires équivalents de Français actuels déracinés et programmés. J’ai même vu une femme déclarer carrément qu’elle ne se considérait pas comme russe , mais comme soviétique, ce qui d’ailleurs est parfaitement exact, j’ai toujours été persuadée qu’un communiste russe était un communiste raté, trop pétri de littérature et de poésie classiques russes ou de folklore survivant, dont on n'avait pas réussi à faire un "homme nouveau". Le communisme s’étant établi dans la haine acharnée et meurtrière de tout ce qui était russe, on ne peut en effet pas être russe et soviétique. Comme d’ailleurs on peut difficilement être français et  détester tout ce qui précède 1789. Et ce qui me fait parfois peur, c’est de constater que cette haine de la Russie, chez les individus de ce nouveau peuple qui n’a plus de pays, puisque l’URSS est morte mais que la Russie lui a quand même survécu, reste très vivace, elle est même ulcérée de ne pas avoir hérité du paradis matérialiste promis, et cherche des traîtres et des ennemis du peuple  à qui faire endosser cet échec. Mais cette entité énorme de la sainte Russie que représente Arséni est restée partiellement vivante, c’est une pâte faite de nature illimitée, de gènes slaves, scandinaves et finnois, de paganisme survivant, de christianisme ardent devenu consubstantiel, de communion évangélique avec les autres, de tradition orale, d’orthodoxie encore intacte. Et tout cela communique et fermente, et quand on entre dedans, alors on retrouve le monde d’Arséni, avec ses prolongements infinis, ce mouvement incessant de la vie à la mort et de la mort à la vie, ces liens entre ceux d'ici-bas et ceux d'au-delà. Vodolazkine lui-même en fait partie. Et ses lecteurs…

jeudi 13 février 2020

isolats

Ca y est. Nouvelle carte pour la voiture, mais je n'ai pas eu à changer mes plaques, et ça, c'est vraiment bien. D'autant plus que je n'aurai plus à faire de démarches jusqu'à ce que je change de voiture, ce qui n'est pas demain la veille.
Je suis restée là bas dedans près d'une heure. Un bonhomme faisait immatriculer je ne sais combien de véhicules, ça n'en finissait pas. On m'a demandé de payer des droits, mais où ça? Oh c'est pas dur, vous voyez l'épicerie, là bas? Il y a un "terminal"...
Je chancelle sur la glace jusqu'à l'épicerie, l'épicière me fait tout cela par la borne électronique, qui vous rend la monnaie sur votre téléphone.
Retour chez les flics. Je change de guichet. Et un long moment plus tard, je reçois la carte plastifiée.
Dehors ma voiture était bloquée par une file de camionnettes de l'usine à pains de Pereslavl. Elles étaient examinées par un policier.
Tout cela se passe à 40km de chez moi, dans un gros bourg qui a dû être pittoresque.
J'ai pris une brave dame en stop, qui avait du être jolie, ça se voyait encore. Du village d'Ivanovskoïe, où tout est parfait, mais il n'y a pas de travail. Il y a des terres partout autour, la forêt, mais pas de travail, et n'y aurait-il pas moyen de la cultiver à nouveau, cette terre? De monter des points de vente pour ce qui serait produit localement? Pourquoi faut-il tout acheter à Moscou, à Iaroslavl, sur internet? Pourquoi aller chercher dans les chaines de supermarchés des légumes et fruits de merde, des produits laitiers et des oeufs de merde? C'est la même problématique qu'en France, un tissu social ravagé par la modernité, des populations déracinées, à la merci de technocrates, de fonctionnaires et d'oligarques gorgés de sang et de fric.
Je m'intéresse énormément aux communautés qui se développent en Russie, car contrairement aux communautés françaises qui font presque toujours dans l'exotisme et le multiculturel, le bouddhisme et le chamanisme, les tablas népalais et le tamtam, les communautés russes sont au pire, néopaïennes,mais toujours russes, à moins naturellement qu'elles se créent chez les bouriates ou les tatars, mais je connais moins bien la question, et ici, depuis les premières tribus finnoises assimilées, ce sont les Russes qui vivent traditionnellement. Les communautés ont donc généralement une église au centre et des activités plus ou moins folkloriques et artisanales locales.
Il en est une près d'Istra, à une heure de Moscou, qui cherche à s'agrandir, à attirer du tourisme, elle a une orientation artistique, on y fait des céramiques et des icônes brodées magnifiques.
 https://www.facebook.com/profile.php?id=100000517634252
Autrefois, les femmes ne peignaient pas d'icônes, mais les brodaient. Maintenant, la plupart des iconographes sont des femmes et malheureusement, souvent, elles ont un côté appliqué et bigot qui privent leurs oeuvres de vie et d'inspiration, mais les icônes brodées de cette communauté sont dignes des ateliers d'Anastassia Romanovna, femme adorée d'Ivan le Terrible.
Cette communauté cherche des artistes pour agrandir le village.





mercredi 12 février 2020

Portrait

La tempête de neige a laissé la place à un temps mou et gris, avec un sol glissant et visqueux. J'ai des choses à faire et je procrastine, car tout me paraît insurmontable. Je me suis laissé convaincre d'héberger des amis que leur proprio met à la porte, ce sont des gens tout à fait corrects mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée ni ne sait combien de temps cela durera. J'envisage de louer à l'année si j'en ai la nécessité financière absolue, et pour ce faire, il me faudrait complètement isoler la partie des locataires, si je veux m'éviter des accès de sadisme... en attendant, je peux en avoir besoin pour des hôtes provisoires, français, ou autres.
J'ai fait tapisser les toilettes des hôtes par la soeur de l'électricien, Olga. J'avais pris le seul papier peint qui n'était pas hideux, une imitation de carreaux blancs et rouges, gaie,claire et sans prétention. Le reste n'était que couleurs sinistres, débauche de dorures, fleurs géantes viôlatres, rosâtres, verdâtres qui avaient quelque chose d'inquiétant et de carnivore... "Quelle importance, pour les toilettes?" me dit Olga. Eh bien même aux toilettes, je n'ai pas envie de me sentir guettée par de grosses fleurs carnivores aux nuances de viande écorchée.
Olga est très remontée contre le gouvernement, elle a du mal à vivre. Elle dirige le choeur d'un monastère, fait du bricolage chez les uns et les autres, elle a des chèvres et des poules. Ce qui la gêne pour se faire embaucher quelque part, c'est sa fille, dont elle veut pouvoir s'occuper.
J'ai reçu une lettre, une vraie lettre par la poste, de mon amie Claire, de Cavillargues. Qu'est-ce que j'en ai échangé des lettres, dans ma vie! C'est même un genre littéraire que j'affectionne. Et là, j'en ai perdu l'habitude, les chroniques me tiennent lieu de lettres collectives, de lettres ouvertes mais on n'en attend pas la réponse, qui arrive cachetée avec un timbre dessus et une adresse au dos qui évoque un endroit plein de souvenirs. Cette lettre a voyagé moins longtemps que je ne pouvais le craindre, une petite quinzaine de jours.
Elle me dit qu'à Solan, la jeune novice va prononcer ses voeux dans quelques jours. Cette jeune fille a eu la vocation dès l'enfance, et je l'ai toujours trouvée d'une étonnante pureté, "une belle petite âme", me disait la mère Hypandia. Oui, une belle petite âme à qui j'adresse toutes mes félicitations.
D'après la rumeur publique, Solan ne prend pas position dans le conflit entre les deux patriarcats, ce qui est sans doute beaucoup plus confortable pour les gens d'avis différents qui en constituent les fidèles, et qui sont tous attachés au monastère et à ses soeurs.
J'ai commencé un roman, qui sera une sorte de caricature du monde actuel et une réflexion sur ce qu'il lui arrive, mais pour l'instant, je ne peux pas dire où il va m'embarquer, car les romans font ce qu'ils veulent et quand ils veulent. Ils sont reliés à des tas de choses, qui ne proviennent pas forcément de leur auteur, l'auteur lui-même se transforme en une sorte d'orgue mystérieux dont il ne connaît pas toutes les voix, en un vitrail qu'anime peu à peu la lumière, ou en un réseau de souterrains et de caves dont il ne connaît pas la profondeur, ni les éventuels débouchés.
Je regrette de ne pas avoir consacré ma jeunesse à écrire quand je le pouvais, avant l'école, mais j'étais alors nouée par l'angoisse du lendemain, et le désir obsessionnel et désespéré de trouver mon complément masculin, qui ne s'est jamais présenté, ou ne m'a pas reconnue. Ensuite, je crois avoir été bloquée par la nécessité psychanalytique ou peut-être mystique, médiumnique, de mener à leur terme Yarilo et Parthène le Fou.
C'est comme cela, au moyen âge, je n'aurais pas écrit des romans, j'aurais peut-être inventé des contes, des poèmes, des chansons. Au XXI° siècle, on se demande pour qui on écrit, si notre langue n'est pas déjà morte, si les gens seront encore capables de lire et s'ils en auront même besoin. On écrit aussi quand on en a enfin le loisir, car il en faut, pour cela. Certains écrivent jeunes et meurent jeunes, j'espère avoir le temps d'écrire ce qui doit l'être, avant d'être trop vieille.
J'ai vu une vidéo terrifiante, où l'on faisait rencontrer à une femme la reconstitution de sa fillette morte trois ans auparavant, avec un public qui essuyait des larmes d'émotion devant l'émoi suscité, chez la maman, par cette illusion cruelle. Il m'est arrivé à moi-même de pleurer devant de vieux films où je voyais des êtres chers disparus depuis longtemps et qui m'étaient restitués sous forme de spectres, avec leurs expressions, leurs mouvements, le décor de lieux qui ont complètement changé... On ne peut s'empêcher de regarder ce genre de choses, c'est trop tentant, et c'est pourtant si douloureux. Mais je ne crois pas que je franchirais le pas d'une pareille expérience. On touche là à quelque chose d'interdit, de dangereux, de terrible.


Cette problématique apparaît avec les portraits réalistes et trouve une sorte de concrétisation démoniaque dans cette fausse rencontre avec la fillette morte.
Je l'avais décrite dans Parthène, quand mon héros anglais retrouve le portrait réaliste, façon renaissance, qu'il avait fait de son ami Fédia, mort depuis en exil, et le montre à sa famille, dans une civilisation qui ne connaît encore que les représentations iconographiques:


Le père Arthème fit signe à sa femme. Elle fit apporter un grand rectangle enveloppé d’un drap, et le père Arthème dévoila son œuvre.

Il vit aussitôt tout le monde changer de visage. Le tsar avait pâli, et son regard élargi se détourna brusquement pour se poser sur Vania, qui restait bouche bée ; le tsarévitch Féodor se signa, Varia joignit les mains sous ses yeux fixes, et l’essentiel de l’assistance se mit à pleurer. Seul Boris Godounov restait impassible, entre l’ironie et le dédain, à se demander visiblement ce qu’il faisait en une telle compagnie, face au portrait de celui qui eût pu se trouver encore à sa place, s’il avait eu les nerfs plus solides et la tête moins folle. Les deux fils Basmanov enlacèrent leur mère, qui sanglotait. Ils s’approchèrent tous trois pour toucher le tableau, comme s’ils avaient voulu vérifier que l’illusion n’en était pas une, et que le cher disparu leur était vraiment rendu. Car c’était bien lui, comme ils ne l’avaient pas revu depuis des années, depuis le moment où ils l’avaient mis en terre, et même depuis celui où il avait quitté avec eux, pour n’y plus revenir, la maison où avait vécu  le père Arthème. La toile plate ne leur rendait qu’un reflet, étonnement fidèle, mais sans relief, sans mouvement, et leurs mains, qui se déplaçaient sur cette surface déconcertante, sur ces étoffes qui n’en étaient pas, sur ces peaux et ces cheveux dont elles ne retrouvaient pas la douceur, se rencontraient et se croisaient, leurs regards noyés s’échangeaient et se séparaient, avant de revenir à celui qui était fixé là et qui semblait les contempler depuis un autre espace. «Papa… » exhala Vania qui sentit soudain le tsar le tirer en arrière avec force, comme le jour où il l’avait arraché à la tombe du monastère Saint-Cyrille. «Ca suffit ! s’exclama ce dernier. C’est… c’est insupportable ! Emportez cela !»

Mais Varia s’empara du tableau et le serra farouchement contre elle : « Souverain, ne me le prends pas ! Ne me le prends pas une deuxième fois ! »

Le tsar ne sut tout d’abord que répondre, et resserra son étreinte sur son jeune barde éploré : «Varvara,  c’est à toi de voir… tu projettes de te retirer au monastère, y emporteras-tu l’effigie de ton mari défunt ? »

Varia redoubla de larmes, tout à fait comme une fillette désespérée. Consternée, Dounia lui retira le tableau et le recouvrit de son drap. «Ne me le prends pas, Dounia… supplia Varia, je veux le garder quelques temps, juste quelques temps…

- Je vais le mettre de côté jusqu’à ton départ, Varioucha, nous sommes tous encore trop émus pour en supporter la vue… »

Le père Arthème sentait sur lui s’amasser la colère du tsar qui ne le quittait pas de son œil d’aigle, un aigle déplumé et vieilli, mais toujours impressionnant.

«Maman, tu me le donneras, quand tu partiras au monastère ? supplia tout-à-coup Vania d’une voix à peine audible.

- Père Arthème, déclara soudain le tsar, j’espère pour toi que tu ne vas pas me sortir le portrait d’Ivan tsarévitch, car je ne pourrai pas me retenir de te fendre le crâne ! »

Les invités reprirent leur place. Féodora avait elle-même pleuré, par solidarité avec Vania, par compassion pour le beau jeune homme mort prématurément, et pour sa veuve inconsolable. Elle était sûre que si elle devenait la femme de Vania, et qu’il lui était enlevé, elle se laisserait mourir sur sa tombe.

Boris Féodorovitch fit distribuer de l’hydromel à tout le monde, et l’on but à la mémoire de Fédia. Le calme revint autour de la table, mais l’émotion restait sensible, les yeux bouffis, les soupirs et les reniflements récurrents.

« Tout ceci m’apporte la preuve évidente que la forme d’art à laquelle vous vous adonnez là bas, chez les hérétiques, est tout-à-fait nocive, proféra le tsar. Elle nous fait vivre dans une illusion, et l’illusion vient du diable. 

- Sans doute, souverain, et j’y ai d’ailleurs renoncé, répondit le père Arthème.

- Eh bien tu aurais dû brûler aussi ce maudit portrait.

- C’est un beau portrait, et j’aurais eu l’impression de faire mourir Fédia une seconde fois. On a fait pourtant le tien, souverain, et tu n’y trouves rien à redire.

- Oui… C’est juste une indication, où l’on peut voir la forme de mon nez, de mon visage et de mes yeux. Une sorte de carte : à tel endroit, une proéminence, à tel autre une dépression. Ce n’est pas moi, tel que je suis réellement, mais cela donne un aperçu de la tête que j’ai. Et toi, tu as pris la vie de Fédia et tu l’as mise sur une toile, peut-être que son âme ne peut plus quitter ce portrait, maintenant.

- Souverain, mais non, c’en est juste le reflet, son âme est partie avec monseigneur Philippe…

- Néanmoins… cette habitude de faire des portraits dont on croirait pouvoir toucher les étoffes et la peau, et entendre la voix, n’est pas une bonne chose. On souffre assez de ne plus voir les morts sans se donner la cruelle illusion qu’ils sont encore là. Les seules représentations saines et licites sont les icônes des saints, où leur humanité est déjà transfigurée. Et le pire est qu’un tel portrait peut même provoquer un phénomène de possession. Voilà toute la famille Basmanov sens dessus dessous, toutes les plaies rouvertes, et ils n’ont tous trois qu’une seule chose en tête : revoir le fichu portrait, pleurer devant, caresser un fantôme qui ne leur répond pas et peut être utilisé contre leur paix intérieure par tous les démons qui passent… »


dimanche 9 février 2020

Perverse Georgette

Dimanche du pharisien et du publicain. L'homélie du père Andreï était bien, mais je l'aurais souhaitée plus courte. J'avais vraiment du mal à me tenir debout. Je pensais au nombre de fois où j'invective de vrais salauds sur facebook, alors que le vrai salaud de cette histoire, par son repentir, est placé au dessus du juste qui le méprise.
Au café français, j'ai rencontré les deux dentistes qui m'avaient ramenée de l'aéroport jusqu'à chez moi, la dernière fois que je suis allée en France. Cela m'a rappelé qu'après les genoux, il me faudra m'occuper de mon râtelier... sans doute vais-je m'adresser à eux, puisque Dieu les met obstinément sur mon chemin... Le café français est pour eux une escale agréable sur la route de Moscou.
Puis vers trois heures, j'ai vu arriver Louisa, la femme à l'accordéon et aux tableaux en perles de rocaille, avec son mari, et sa petite-fille Olessia, qui a besoin de cours de français. Je n'ai aucune envie de donner des cours de français pour trois francs six sous, mais Olessia est une adolescente adorable. Elle a déjà un bon niveau entièrement théorique, parce que c'est le genre qui travaille à l'école et elle n'est pas bête. Mais aucune pratique, parce que sa prof elle-même n'en a pas. Elle comprend les textes, peut les traduire, mais elle les prononce terriblement mal, et ne peut pas s'exprimer. Nous les avons lus ensemble et cela allait déjà mieux, je lui ai fait un enregistrement pour qu'elle puisse travailler la prononciation chez elle, et lui ai donné des indications, puis j'ai essayé de lui poser des questions sur les textes pour la faire parler un peu.
Louisa m'a ensuite déclaré qu'il me fallait absolument une sonnette, et que son mari Slava allait s'occuper de l'installer. Ils sont extrêmement gentils, un peu encombrants, mais gentils!
Tant qu'ils ne me mettent pas une palissade en profilastyl ni ne m'offrent une bergère à capeline en perles de rocaille...
Mon électricien m'a apporté des poireaux et des oeufs maison, de la part de sa mère, et une invitation à venir déjeuner chez eux "avant le carême". J'ai fait une soupe française avec les poireaux, la poireaux-pomme de terre de base, et j'ai rajouté du persil et du céleri que j'avais fait sécher cet été et qui est bien meilleur que la production Ducros, même quand celui-ci se décarcasse...
Je ne sais si c'est la jalousie, trop de chats, mais la dernière manie de ma chatte Georgette est de pisser sur mes affaires. Ainsi, je cherche partout d'où vient l'odeur de pisse de chat jusqu'à ce que je découvre que cet être pervers en a imprégné mon pull favori. Le matin, lorsque je ne me réveille pas assez tôt à son goût, elle attaque à coups de griffes la porte de ma chambre, celle que j'ai décorée, et cela malgré mes torrents d'insultes et mes jets de pantoufles.
Elle grogne en réponse quand je l'engueule, et elle grogne lorsque je la dérange en bougeant dans le lit ou sur ma table de travail... Nous avons ainsi de véritables échanges d'invectives.
Dehors, les bouvreuils ont rejoint les mésanges autour de la mangeoire.






samedi 8 février 2020

Balalaïker

à travers le givre
Je me lève ce matin, et je sors la chienne, tout étincelait. J'étais comme d"habitude en chemise de nuit et en sabots et j'ai trouvé qu'il faisait plutôt froid, je suis retournée enfiler ma doudoune. Plus tard, j'ai vu que tout était recouvert de givre, un monde de métal, de diamants, de cristal et de lapis-lazuli. L'électricien m'a dit à son arrivée qu'il faisait moins vingt-neuf mais que demain, il ferait plus de zéro! Je comprends pourquoi je suis crevée...
Dans la journée, le soleil chauffe déjà et il est plus vif, l'hiver s'oriente vers le printemps....
L'autre soir, j'ai reçu la visite de Génia, le balalaiker, ancien membre du groupe 3D Proiekt, dont je fis partie, et fondateur avec Sérioja de la maison Balalaïker, qui met de bonnes balalaïkas à la portée de toutes les bourses, afin que les gens reprennent l'habitude d'en jouer. Génia, comme Sérioja, en joue tout le temps. Je soupçonne que dès qu'il met le pied hors du lit, il envoie la main sur la balalaïka. Il était tout fou et très dragueur, mais on dirait qu'il s'est assagi. Il était avec sa mère, qui m'a paru intelligente et pleine d'humour.
Génia veut quitter Moscou, et sa mère vient souvent à Pereslavl, car elle a des origines dans le coin et elle fait des recherches sur sa famille.
Katia nous avait rejoints, elle a joué de la balalaïka avec Génia, et bien qu'elle soit débutante, ça fonctionnait bien. Les gens qui possèdent bien le folklore s'arrangent toujours pour que des débutants puissent jouer avec eux sans leur donner de cours, mais en s'adaptant. Et après, ils délivrent des indications.
Katia voudrait fonder une école de folklore, organiser des cours, des rencontres, je serais assez pour, sauf que je commence à ne plus déborder d'énergie pour entreprendre. Si Génia venait vivre ici, on pourrait peut-être lancer quelque chose. En attendant, Katia essaye de devenir guide, ici.
J'avais commandé des pizzas aux restaurateurs du Donbass, elles sont excellentes. J'y ai vu un jeune homme que j'aimais bien et qui s'était fait virer du café français, il m'attendait au comptoir avec un fin sourire: "Je savais que la commande, c'était vous!"





mardi 4 février 2020

a lire sur le blog de Claude

Fête au théâtre du poète



Dany et moi aurons sans doute un peu de mal à reprendre nos esprits, après la petite fête organisée chez elle, car nous sommes toutes deux plus ou moins exténuées en permanence. Il y avait du monde, tous ne sont pas venus mais quand même c'était plutôt bourré. Skountsev était en deplacement, Dima je ne sais où. En revanche, j'ai eu Kolia Trifilov, Kolia Sakharov et Dima Almetchenko, avec son accordéon, pour représenter le cercle cosaque. Ils ont chante seuls, avec Katia et moi, et produit une grosse impression. Le père Fiodor les écoutait tétanisé. J'avais presque tout le clergé de la paroisse de la Protection. En plus du père Fiodor, le père Valeri, le père Dimitri. Et bien sûr le père Valentin qui avait surmonté une fatigue égale à la mienne (ou peut-être supérieure) pour cette grande occasion, car je ne fêtais pas seulement l'anniversaire mais le permis de séjour, avec une grande partie des gens qui comptent le plus pour moi, ici.
Le père Valentin a porté un toast qui m'est allé droit au coeur: "La vie de Laurence a quelque chose de miraculeux, et je pèse mes mots. Car éprise de la Russie, sans renier la France, elle a d'abord choisi l'orthodoxie, comme si Dieu était allé par ce biais, à sa rencontre, et suivi son chemin jusqu'à l'événement qui nous rassemble, comme Abraham partant pour la terre promise. Et le plus miraculeux, c'est qu'ayant à ce point rêvé de notre pays, et le découvrant tel qu'il est à présent, elle n'a pas cessé de l'aimer, avec tous ses défauts et ses blessures, pour les qualités qu'elle lui trouve encore et que nous ne voyons pas toujours."
J'ai répondu en parlant du folklore, reflet de l'âme russe, et de la nécessité de le sauver et de le transmettre. Les cosaques ont bien sûr de jeunes disciples mais je les ai trouvés un peu découragés par l'assaut inexorable de la modernité hideuse.
Il y avait aussi les peintres, les Soutiaguine, Yana, et puis le père Vladimir Viguilianski et sa femme Olessia, qui m'a d'ailleurs tellement louée sur sa page que j'en suis confuse car beaucoup de ses lecteurs me prennent pour une vraie chanteuse cosaque, ce qui est loin d'être le cas. J'étais heureuse car je ne vois pas très souvent beaucoup de ces amis, et je sentais chez eux tout ce que j'aime, une personnalité et un talent qui échappent à la vanité et ne les empêchent pas de rester profondément vrais, naturels et chaleureux.
Je bénis le Seigneur de m'avoir amenée à bon port, et remercie Dany et Iouri de nous avoir permis de vivre ce merveilleux moment.

Photos d'Olessia  Nikolaïeva


Le père Valentin
Iouri et Dany

Dima Almetchenko
chant avec les cosaques

Le père Valeri et le père Valentin



Sveta Soutiaguina

Les cosaques chantent...