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samedi 29 août 2020

Questions stupides

 Hier, fête de la Dormition, je me suis prise par la main pour aller à l'église, mal préparée à la communion, et en plus, j'ai oublié de prendre de l'argent, je n'avais pas un sou pour la quête, les cierges, et les dyptiques.En gros, la honte totale. Le prêtre qui me confessait est ukrainien, et soupire "Seigneur aie pitié" avec une vraie douleur à chaque péché qu'on lui énonce, même mes peccadilles minables. Il me dit que le Christ remplace tout ce qui peut nous manquer, c'est aussi ce que me dit Ioulia du monastère saint Nicétas, et c'est une chose que je n'arrive pas toujours à réaliser. "Je sais, lui dis-je, mais il est comment dirais-je? un peu abstrait.

- Comment ça, abstrait? Vous avez l'eucharistie, Son corps et Son sang, et vous me dite qu'Il est abstrait!"

 Pourtant, j'ai eu des révélations qui m'ont fait penser: "Un seul moment comme celui-ci rachète tout les malheurs de ma vie et les rend insignifiants". Mais je bloque sur la tendance à désincarner la religion que je rencontre souvent et qui ne me paraît pas juste, et il n'y a rien à faire, cela ne passe pas. Mes "questions de païenne" qui scandalisaient dans mon enfance un curé rigide, restent sans réponse. J'ai lu, à propos d'un archimandrite qui vient de se défroquer, des considérations sur les tuniques de peau qui ravalaient Adam au rang d'un animal, lui qui était à celui des anges, mais je me pose la question païenne et stupide, quel besoin avait Dieu de créer tous ces animaux magnifiques, et un homme sexué flanqué d'une femme, si c'était pour les faire vivre comme des anges, alors qu'Il en avait déjà des théories sous la main, parfaitement désincarnés et asexués comme il sied? Et puis ce mépris pour l'amour humain, qui est certes limité mais peut-être parfois une fusion absolue... Moi, je suis très charnelle, j'ai besoin de voir, écouter, sentir, étreindre. Les gens qui ne le sont pas me semblent souvent de malheureux pisse-froids qui pourrissent la vie de ceux qui les entourent. Dans mon livre, Fédia, qui est mon double, ne reçoit au fond pas de réponse définitive du métropolite Philippe auquel il adresse ce genre de questions. Il choisit le métropolite parce qu'il l'aime, parce qu'il discerne en lui un saint homme, parce qu'il lui offre une transcendance et le salut, mais ses questions païennes restent sans réponse, il quitte la vie avec résignation et humilité, mais à regret,et les miennes, qui sont les mêmes que les siennes, je mourrai sans doute avec. Comme lui, j'ai aimé le père Serge qui ne comprenait absolument pas ce genre de débat, j'ai aimé le père Placide, j'aime la mère Hypandia, mon évêque, j'aime mon père Valentin, j'aime la sainteté. Mais j'aime aussi toute la création, qui est à la fois euphorique, splendide, souffrante et violente, et sexuée du haut en bas, à part les amibes et les bactéries. L'eucharistie m'est tombée  dans la bouche de telle façon que le vin a coulé directement en moi, chaud et liquide, avec une étonnante présence, au lieu de simplement imprégner le pain. Il m'a semblé étrange que cela se produisît juste après les considérations du prêtre ukrainien, et c'est lui qui m'a donné la communion.

On nous a lu une lettre du saint Synode. Le problème est que je comprends très mal le prêtre qui s'en est chargé. Mais l'impression que j'en ai retirée, c'est qu'on nous présentait le Covid comme la peste bubonique, ce qu'il est loin d'avoir été par la virulence, les effets et la contagion, justifiant les mesures adoptées, qui me sont de plus en plus suspectes, félicitant les médecins etc. 

Là encore, je suis peut-être une tête de cochon, mais je ne comprends pas le saint Synode. Il est évident à tout être doué d'un cerveau que l'on nous mène dans un affreux bateau, mais le saint Synode n'a pas l'air de s'en apercevoir. Ne dit-on pas que dans les derniers temps, même les élus seront séduits? Pourtant, certains prêtres voient ce qui se trame autant que moi, par exemple le père Andreï Tkatchev, ou le père Andreï du monastère de Minsk et d'autres encore.

Je crois bien qu'on a installé une tour 5G à 50 m de chez moi. Je pensais que ce serait une caméra, mais cela ne semble pas le cas. 

L'automne en Russie commence dans deux jours, et il est vraiment dans l'air, même s'il ne fait pas très froid, le temps change, les feuilles commencent à jaunir et rosir, en revanche, les moustiques ne semblent pas comprendre que la fête est finie et me gâchent ces derniers moments où je pourrais rester dehors. Pour ce qui est de la fusion avec la nature environnante, le climat et les insectes piqueurs restreignent les possibilités. D'un autre côté, les rares fois où l'on peut se baigner, on trouve encore aisément à le faire sans le cirque des plages et des bords de rivière en France. 

Le ciel était extrêmement beau, hier soir, comme il ne l'est qu'ici, et j'aurais dû aller au lac d'un coup de voiture, ou de vélo, mais j'ai eu la flemme. Je suis restée sur le perron à regarder cela, je suppose que Dieu fait pareil de son côté, et c'est là que les gens comme moi le rencontrent.



 

mercredi 26 août 2020

Chevaux dans la nuit

photo du film Andreï Roubliov de Tarkovski

En France, en plus des "incivilités" ce délicieux euphémisme destiné à jeter un voile pudique sur les viols collectifs de gamines, les agressions sauvages contre de paisibles citoyens, les pillages, les profanations et les incendies qu'en d'autres temps commettaient les huns, les tatars, les sarrasins, les pirates et les grandes compagnies, on s'attaque aux équidés, à coups de poignards, on les mutile, on les torture, on les tue.

Le cheval est dans la tradition slave un symbole de vie, associé au soleil et au printemps. Il figure, stylisé, partout dans l'art populaire. Sur le faîte des maisons, il protégait les occupants de celles-ci. Sur la chemise du marié brodée par sa fiancée, il était censé favoriser la fertilité et chasser les mauvais esprits. Chez des barbares normaux, du type huns ou mongols, je doute qu'on en soit jamais arrivé à torturer et tuer des chevaux pour le plaisir . Et cela me paraît  un  signe particulièrement sinistre. Mais le produit de trois ou quatre générations de cerveaux lavés ne déchiffre plus les signes et ne les comprend plus. J'avais lu dans les écrits du père Vsévolod Schpiller comment les cosaques des armées blanches, quittant la Crimée sur le dernier bateau en partance, pleuraient en voyant leurs chevaux désespérés les suivre à la nage, et cela m'avait paru le symbole le plus tragique de la révolution et de son programme d'extermination de ce que la société russe comptait de plus noble. Les aggressions sadiques commises par des créatures des ténèbres sur des chevaux en France me paraissent celui de l'achèvement d'un processus qui a pourri mon pays à mort, il me semble tristement complémentaire de l'incendie de Notre Dame, et aussi de l'infanticide légalisé. Un pays où les églises brûlent, où l'on assassine les bébés et où l'on torture les chevaux a perdu toute bénédiction. Que dire encore des viandards associant les massacres indignes qu'ils font de la faune sauvage avec leurs racines, alors qu'ils ne connaissent plus ni leurs traditions, ni leur folklore, ni leur foi, et je dirais même ni leur terre qu'ils surexploitent n'importe comment, ni leur bétail qu'ils font vivre dans des conditions concentrationnaires?

Je voudrais croire qu'un miracle sauvera la France et que la Russie ne suivra pas jusqu'au bout le même chemin. Un chemin de perdition qui fut très court mais me paraît tragiquement irrémédiable, un peu comme celui qui sépare la prostituée du coin de la rue de la communiante qu'elle fut, du moins dans les chansons de Fréhel, quand il y avait encore des communiantes et des petites filles. A tel point que me submerge un écoeurement indicible. Je survole toutes ces clameurs de détresses sans écho, de haine, d'indignation, et ces doctes commentaires, et ces mensonges éhontés qui trouvent toujours preneurs, ces justifications passionnées de ce qui est injustifiable, ces impudentes inversions accusatoires, et je n'ai plus envie de jouer. Ni de justifier ou d'expliquer mes propres positions, mes propres tâtonnements, d'autant plus que si je suis de plus en plus persuadée  que notre monde du progrès et des lumières est un asile de fous, un bordel où l'on perd figure humaine, un abattoir, je ne peux souvent pas l'expliquer à des gens qui n'ont plus les récepteurs pour comprendre ce qui leur est arrivé et même, ne veulent surtout pas le savoir, car cette horreur est trop vertigineuse. Et puis, la laideur insensée, la vulgarité de notre quotidien sont devenues à beaucoup de gens absolument intrinsèques. Leur opposer des arguments n'a même plus de sens. C'est sauve qui peut. Et sauve qui tu peux, et qui le veut. La lumière ne peut rien pour les aveugles, à quoi bon leur allumer des cierges? Déjà, si l'on arrive à garder le sien allumé, on a bien de la chance....



 
Fréhel: les filles qui la nuit s'offrent au coin des rues
 
 
Lioubè: le cheval

mardi 25 août 2020

Un émigré

 Encore une magnifique journée, et je suis retournée à la Vioksa me baigner, car nous voici à la veille de l'automne, des arbres commencent à jaunir, le temps peut changer brusquement et plus de baignades jusqu'à l'année prochaine, à moins d'aller passer l'hiver à Cuba...

L'eau était meilleure que la dernière fois. J'ai longuement nagé dans cette fraîche douceur, en contemplant de jeunes bouleaux frissonnants que surveillaient de grands sapins noirs. Des canards m'accompagnaient avec une curiosité flegmatique. J'aurais presque pu les toucher, mais je ne voulais pas leur faire peur. Puis j'ai fait une aquarelle, assise sur un ponton. Sur le ciel voilé, une cascade de nuages brillants et froissés descendait en écumant jusqu'aux pins de la rive d'en face. La baignade reste associée pour moi au canyon desséché de l'Ardèche, avec son calcaire blanc et ses garrigues, à la mer Méditerranée, ses pins parasols et ses lauriers roses, et je suis toujours ébahie de nager dans ce décor nordique, où j'étais aujourd'hui la seule à le faire, jusqu'à l'arrivée d'un aimable moustachu qui m'a demandé si l'eau était bonne.

J'étais retournée à la rivière il y a deux ou trois jours, mais je ne m'étais pas baignée, car j'étais accompagnée d'un jeune Français qui n'avait pas de maillot. Nous avions déjeuné avec Gilles et sa femme, qui habitent dans ce coin de rêve, et nous avons fait un tour, en fin de journée, avec les Jack Russel des Walter, et ma Rita qui voulait se faire porter dans son sac. Je crois qu'elle craint les moustiques, et je les trouve pires qu'au mois de juin et juillet. Peut-être parce qu'il n'y a pas assez de vent.

Ce jeune Français est un ancien gilet jaune qui a décidé, comme le père Placide quand il m'a expédiée en Russie, que c'était fichu. Il est beau garçon, bien élevé, catholique. C'est aussi un traditionnaliste, partisan d'Alexandre Douguine. Grâce à ses talents d'informaticien, il gagne bien sa vie, mais ce métier, et la méconnaissance du russe l'isolent. Ce séjour à Pereslavl lui a permis de faire connaissance avec Gilles et aussi Olga, qui parle français et habite Moscou. 

A notre retour, il m'a dit que ce n'était pas toujours facile, pour lui. "J'ai le mal du pays. Cependant, quand je retourne en France, je ne me reconnais plus, et j'ai envie de repartir. Pour vous, c'est sans doute plus facile, dans la mesure où vous êtes orthodoxe, et russophone....

- Oui, mais j'ai le mal du pays quand même. A vrai dire, quand je suis retournée en France, j'avais la nostalgie de la Russie. A un moment, il faut choisir, et j'ai été aidée par le père Placide et les circonstances. Mais je pense souvent à la France, il m'en revient des images, c'est comme un cinéma intérieur. Le père Valentin me dit que nous sommes des exilés non dans l'espace, mais dans le temps. C'est très vrai, et valable aussi bien pour les Russes que pour les Français, nous sommes tous tombés dans une maison de fous planétaire, et nous avons la nostalgie d'un monde encore normal. Cela dit, pour l'instant, à Pereslavl, n'était l'enlaidissement irrésistible et fantasmagorique de cette pauvre ville, j'ai au moins l'impression d'être à l'écart de cette folie générale, les gens sont calmes, bienveillants, gentils, notre vie paisible....

- Parfois, on me reproche et je me reproche de ne pas être resté combattre en France...

- Oui, je vous comprends, et c'est un choix à faire. Cependant, vous avez eu juste le temps de partir, ce qui est peut-être le signe que c'était votre destin. Et puis je me demande s'il y aura même un combat, à vrai dire, je ne sens pas de grandes capacités de résistance. Pour moi, c'était en effet plus simple, car je me suis toujours sentie décalée dans la société française, j'ai vécu dans une grande solitude, un ennui profond, et je n'avais aucune perspective. J'étais marginalisée d'autant plus que j'étais orthodoxe et politiquement incorrecte, je cumulais les handicaps. C'est ici que j'ai commencé à vivre, si je fais exception de mon enfance heureuse. Ici, je connais beaucoup de gens qui partagent ma vision des choses, au moins pour l'essentiel. Mon enracinement français est génétique, sentimental mais pas spirituel ".

Gilles lui conseille de s'installer en province, où obtenir un permis de séjour est plus facile. A vrai dire, quand on travaille chez soi, il y a peu de raisons, à mes yeux, de rester en ville en ce moment, avec la covidomanie et les diverses menaces qui planent. Les capitales deviennent trop malsaines. Et puis ici, on trouve en province des relations intéressantes qu'on a le temps de rencontrer, d'une façon détendue et conviviale.



mercredi 19 août 2020

Le Sauveur des Pommes.

 

 

Ce matin, je me suis poussée pour aller à l'église, c'était la fête de la Transfiguration. J'avais l'intention d'aller aux vêpres la veille, mais il est bien connu que de ce genre d'intentions, l'enfer est pavé. Si j'y étais allée, j'aurais vu notre évêque et reçu sa bénédiction, et j'aurais participé à l'anniversaire de la petite Dounia, de la famille des Rimm, avec Katia. Mais j'avais été invitée le même jour par Olga et Oleg à me baigner avec eux dans la Vioksa, et à découvrir les coins les plus beaux de cette jolie rivière. Ce que nous avons fait. C'était un jour qui sentait déjà fortement l'automne, une lumière transparente, un vent très frais, de gros nuages. On a beaucoup construit à Koupanskoïé mais cela reste moins défiguré que Pereslavl, et là où nous nous sommes baignés, on voit encore de très jolies maisons anciennes. Oleg me faisait remarquer parmi elles un gros monstre en rondins volontairement énormes et inégaux, car ce qui est rustique doit forcément être grossier et mal équarri dans la mentalité du mutant contemporain qui ne sait plus d'où il sort. La baraque de ce type ressemblait à un restaurant de style far-west, et même de faux style far-west, que je connais dans la zone commerciale de la petite ville où j'ai grandi, dans la Drôme! Oleg m'a dit qu'un psychiatre de ses amis prétendait qu'on pourrait écrire une thèse de psychologie sur les divers aspects du mauvais goût tel qu'il s'exprime dans les bâtisses contemporaines.

Juste à côté du monstre, il y avait une isba ravissante, avec une palissade à claire-voie, au lieu d'une clôture métallique opaque et hideuse, un grand tilleul, et Oleg ajouta: "Ils avaient pourtant beaucoup de travail, les gens qui ont construit cette isba, mais ils trouvaient le temps de mettre de la beauté autour d'eux, de sculpter ces encadrements de fenêtres..."

Il y avait des mûres, que nous avons cueillies mais elles n'ont pas du tout le goût de celles que je grapillais sur les chemins du midi, elles étaient, je ne sais pourquoi, amères. 

L'eau était très claire et déjà bien froide, mais au bout de quelques brasses, agréable et revigorante. Le fond sableux lui donnait une teinte dorée que moiraient de bleu et de vert les reflets du ciel et ceux des arbres, et des canards nageaient paisiblement autour de nous, des libellules de différentes tailles et couleurs voletaient sur les berges. 

Au retour, ils m'ont invitée chez eux, et je n'ai pas pu aller aux vêpres. Nous avons passé la soirée à discuter, sur leur terrasse, et j'étais d'ailleurs frigorifiée, malgré un blouson prêté par Olga. 

La veille, j'étais allée porter à l'atelier d'iconographie du monastère saint Nicétas l'énorme planche à icône donnée par mon ami Nikolaï, le mari de Liouba. J'ai été reçue par Ioulia, qui a passé plusieurs années en France. Ce qui est amusant, c'est qu'elle a, comme Liouba, un type asiatique, et elle a la même sérénité allègre.

Elle m'a précisé que l'afflux de réfugiés français, ou européens, n'était pas attendu par le seul père Dmitri, ce sont plusieurs starets russes qui ont prédit la même chose, dont le père Naoum à la laure de la Trinité-Saint-Serge. Nous avons parlé français, car nous étions seules, et Ioulia ne le pratique pas assez: "J'aime les Français, et ils me manquent."

Ioulia pense que j'ai un potentiel spirituel que je ne cultive pas assez, que les péripéties de ma vie, et certaines expériences que j'ai connues indiquent une sorte d'élection particulière, et que je dois passer à la vitesse supérieure, pour mieux accueillir et aider les Français attendus, entre autres.

Elle n'a certainement pas tort, mais je ne me sens pas beaucoup de forces, en ce moment, et je pensais à ce que m'avait dit le père Basile, que le principal, c'était la fidélité, mot qui avait la même racine, fides, que le mot foi. "Si vous aimez la vie, alors vous aimerez d'autant plus la vie éternelle, et nul besoin de cracher sur la vie, si vous l'aimez, aimez-la avec reconnaissance, profitez des moments heureux avec vos amis, jouez des gousli, comme le roi David, nous devons être plus que jamais solidaires et attentifs à notre prochain".

En confession, le père Andreï m'a dit: "Le principal est de ne pas tomber dans l'acédie." J'avais rêvé de la mère Hypandia, mais je ne pouvais me souvenir des détails. Le jour de la Transfiguration, on apporte ses premières pommes, pour les faire bénir, mais j'avais oublié, c'est dire si je suis nulle. Tout à coup, une dame me tape sur l'épaule: "Laurence! Vous n'avez pas de pommes? Tenez, prenez celle-là!" Du coup plusieurs personnes se sont avisées qu'on ne pouvait laisser cette malheureuse Française sans pommes à bénir, et elles m'arrivaient de toutes parts, ces pommes, avec même un sachet pour les glisser dedans! Arrivées devant le père Andreï les pommes et moi-même avons été inondées d'eau bénite.

En Russie, la Transfiguration est appelée le Sauveur des Pommes, car la fête coïncide avec les premières récoltes. 

 

 








lundi 17 août 2020

D'une dictature l'autre

 Des gens me demandent mon avis sur la Biélorussie, comme si j'étais un expert et je ne sais que dire, je ne suis pas politologue. Je ne peux que réagir de façon personnelle, à l'instinct et à l'expérience. J'ai soutenu le Donbass, et vu à quel point on mentait sur la question, omettant ou déformant les faits, et avec quel résultat aujourd'hui! L'Ukraine est un abcès purulent, où les seules personnes qui m'inspirent un immense respect et une compassion infinie sont les orthodoxes admirables regroupés autour du métropolite Onuphre. Les autres sont tombés dans une telle ignominie que je n'ai pas de mots pour les qualifier. Les opposants sont tués ou maltraités, le Donbass est toujours l'objet de bombardements vicieux dont toute notre presse se fout, avec toujours la même bande de chacals maladivement russophobes qui excite en permanence l'opinion contre les victimes,

Il est certain que Ianoukovitch, comme tous les anciens apparatchiks bombardés roitelets par le démontage de l'URSS, était un pourri, est-ce que Porochenko et sa sinistre équipe étaient mieux, et le pays a-t-il gagné au change? Des Ukrainiens écrivent pour mettre en garde leurs cousins biélorusses contre l'aventure. Elle peut très mal finir.

De tous ces roitelets post-soviétiques, Loukatchenko me paraissait le meilleur, et son pays connaissait une certaine stabilité. Il avait eu l'intelligence, tout en laissant les gens pratiquer leur religion et penser ce qu'ils veulent, de conserver beaucoup de structures sociales soviétiques, ce qui a évité les situations dramatiques dans lesquelles les Russes ont été plongés par les libéraux. Alexandre Panarine, dans son livre "la civilisation orthodoxe", après avoir décrit les méthodes proprement sadiques d'installation du communisme dans les années 20, prétendait que ce truc infernal s'était russifié au fil des années, et qu'au moment de la perestroïka, il n'eût pas fallu y toucher, juste laisser l'Eglise tranquille, autoriser la liberté d'expression, mais ne pas bouleverser les structures étatiques. Or si on avait fait cela, les apparatchiks ne seraient pas devenus roitelets de républiques artificielles, ni oligarques scandaleusement enrichis par tout ce qu'ils avaient pillé. Et c'était là le but de toute cette décommunisation effectuée n'importe comment, pour avantager ce public et satisfaire les occidentaux. 

Or la Biélorussie avait échappé, d'après ce que j'entendais dire, à ce processus, et beaucoup de Russes enviaient leur président à leurs cousins biélorusses. Ils conservaient toutes sortes de garanties sociales, la vendeuse de cierges biélorusse de notre cathédrale, ici, m'expliquait encore récemment que son fils en se mariant avait reçu une maison neuve en bois. Un journaliste français déplorait que la révolte contre le tyran ne prit pas car les salaires étaient payés et divers avantages octroyés. 

Aujourd'hui, je vois les pro Loukatchenko et les anti Loukatchenko revendiquer de part et d'autre des photos de manifestations monstres dans les rues de Minsk. Beaucoup de choses rappellent le cirque manipulé de la révolution de couleur. Y compris l'arrivée des Femen et le soutien de BHL et toutes sortes de créatures des ténèbres, comme l'épouvantable Alexieva.

Loukatchenko a lui-même, dans sa roublardise, joué un double jeu, entre l'OTAN, la Russie et l'Ukraine, et en paie certainement le prix. Il y a sans doute beaucoup de raisons d'être mécontent, comme en Ukraine sous Ianoukovitch. Ici aussi, je peux dire que tout n'est pas parfait, je vois des injustices administratives criantes, de la corruption, des destructions scandaleuses du patrimoine, beaucoup de choses me scandalisent, cependant à la seule idée qu'un pitre comme Navalny ou qu'un oligarque apatride comme Khodorokovski prennent le pouvoir, j'ai le frisson de la mort. Alexandre Douguine, qu'on interdit maintenant partout en occident, ce qui est pour moi le signe infaillible de la justesse de ses points de vue, dit bien d'ailleurs qu'une révolution en Russie, ou ailleurs, est une chose insensée, car elle ne peut réussir si elle n'est manipulée et financée par les ennemis du pays et ne peut conduire qu'à un scénario de trou noir ukrainien bien sanglant sur les bords. Il propose un refus du système et une révolution conservatrice à travers le retour à la terre, ce qui rejoint les propositions de Soljénitsyne. Enlevons Loukatchenko, que va-t-il se passer en Biélorussie et qui va lui succéder? La blogueuse qui s'est carapatée en Lituanie? Entre le vieil apparatchik et le Nouvel Ordre Mondial, si j'étais là bas, mon choix serait vite fait.

Evidemment, cela m'emplit de chagrin et de consternation, car je sais les liens culturels et spirituels qui unissaient les trois Russie, et que l'on s'emploie à faire disparaître. Je plains les orthodoxes biélorusses qui se retrouveront dans la position des orthodoxes ukrainiens. J'attendais l'opinion du père spirituel du monastère sainte Elizabeth de Minsk, le père André, à qui je fais totalement confiance.  Je n'ai pas été surprise de constater que son avis coïncidait avec le mien. Le père André, son monastère, les orthodoxes biélorusses, comme les orthodoxes ukrainiens du métropolite Onuphre et nous tous ici du patriarcat de Moscou, envers et contre tout, et malgré les criailleries des mutants dénaturés, décervelés de la modernité, de ses petites marionnettes, de ses serviteurs ténébreux, des chacals occidentaux et des usuriers transnationaux, nous sommes tous la chair et le sang de la sainte Russie, nous communions dans la même orthodoxie, on ne peut nous désunir, même en traçant des frontières artificielles à l'heure où il est question de toutes les abolir. Aussi je suis résolue à essayer de garder une distance psychologique avec ce qui se produit. L'heure n'est plus à sauver nos pays, quand trop de gens dépourvus de mémoire, de repères culturels et spirituels, sombrent dans la confusion et la folie, où peut être devons-nous les sauver autrement, en opposant au cancer de la modernité mondialiste et transhumaniste le réseau transnational souterrain d'une résistance spirituelle, culturelle et humaine qui ne passe pas par des mouvements de foule soit manipulés et récupérés, soit écrasés. J'en parlais avec Katia hier soir: soutenir ici tout ce qui est sain et réparateur, nos amis les cosaques patriotes, notre évêque, nos monastères, le folklore qui unit les gens entre eux, et les relie à leurs ancêtres communs, notre solidarité, notre entraide matérielle et spirituelle. Et puis, comme me le disait le père Basile, ne pas craindre de parler, de dire non, de refuser ce qui peut nous mener et mener les autres à la perdition totale. Dans tous les pays du monde, il y a maintenant une plus ou moins grande proportion de peuple autochtone qui reste sain et conforme à sa tradition, et des hordes de mutants, d'importation ou non, qui tournent au signal comme des toupies, se jettent d'un côté ou de l'autre, déçus du socialisme dans le libéralisme trotskyste et le neonazisme, déçus du capitalisme dans le communisme et le neostalinisme, et mettent leurs masques en acceptant n'importe quoi, jusqu'aux infanticides, aux enlèvements d'enfants par l'état, à l'euthanasie des vieux, à la délation des réfractaires.

 Je me félicite en tous cas d'avoir choisi le cœur de la Russie médiévale, c'est ce qui restera du pays quand les vautours l'auront ramené aux limites qu'il avait au XVI° siècle, avant la réunion des trois Russie slaves orthodoxes séparées par les aléas de l'histoire. Mais je crains que ses libéraux n'en fassent également une satrapie du pouvoir occulte, sataniste et implacable qui s'installe partout. Nous ne pouvons plus que prier Dieu de nous rendre invisibles. La sainte Russie des derniers temps, ce sera la ville invisible de Kitej.

 

 


Rimsky-Korsakov, la ville invisible de Kitej

vendredi 14 août 2020

Costumes de rêve

 J'ai vu passer des costumes de fête traditionnels russes d'une grande beauté, introduits par la remarque que la plupart des gens ne voulaient pas croire qu'ils étaient portés par des paysans. Comme je ne cesse de le dire, la modernité, que ce soit sous sa forme capitaliste ou sa forme communiste qui sont les deux faces d'une même médaille, s'efforce depuis des décennies de démontrer qu'avant elle, c'étaient les ténèbres, et que les paysans vivaient partout en haillons dans des masures, sales, affamés, grossiers et ignares, avant qu'on vînt leur apporter les lumières du progrès. C'est pourquoi à mon avis les idéologues de tous poils s'efforcent tous de faire table rase de tout ce que nos ancêtres ont pu laisser de beauté, pour que personne ne puisse établir de comparaison. Comparaison que les folkloristes ici effectuent naturellement dès qu'ils retrouvent les traditions perdues, car il est difficile de ne pas la faire.

Une correspondante m'écrit: le peintre Korovine a très bien parlé de tout cela dans un de ses récits, quand son collègue Serov voulait peindre un paysan, et celui-ci partit se changer, ce qui "avait tout gâché", comme le dit Valentin Serov. Ce à quoi le paysan vexé répondit: " Mais qu'est-ce que tu veux donc, barine, que les gens pensent à jamais que nous n'avons rien à nous mettre?" 

Очень хорошо об этом писал художник К.Коровин в одном из рассказов, когда художник Серов хотел написать крестьянина, а он пошел переоделся, чем "все испортил", как сказал Валентин Серов. На это обиженный крестьянин сказал: "Что ты, барин, хочешь , чтобы все на века думали, что нам надеть было нечего?"

 Je trouve cette remarque très profonde et très significative. Car dans la conscience générale des classes urbaines cultivées, c'est ainsi que devait apparaître le paysan: fruste, pauvre, inculte et mal vêtu. Tout le mouvement pictural russe des "Ambulants" reposait là dessus. Et je prétends qu'incultes et mal vêtus, nous ne l'avons jamais été davantage qu'aujourd'hui, et pour ce qui est de la pauvreté, tout dépend de ce qu'on entend par là, si vivre dans un clapier avec salle de bains en consacrant toutes ses forces à un travail aliénant, complètement dépourvu de sens, pour gagner de quoi dépenser au supermarché voisin, sans avoir le temps de s'occuper de ses gosses ou de ses parents, nous rend plus riches que de vivre en famille dans une isba ou une ferme, du travail de la terre, avec autour une communauté paysanne, un travail intense et partagé en été, mais le loisir en hiver de faire de l'artisanat pour soi ou pour revendre au marché, des fêtes, chants et danses, une activité créatrice inscrite dans le quotidien, dont nous sommes complètement privés aujourd'hui.

Les filles commençaient à confectionner leur trousseau à cinq ans. A dix ans, elles savaient déjà tout faire. Elles brodaient la chemise de noces de leur fiancé. Et lui fabriquait leur quenouille sculptée et peinte, qu'elles conservaient toute leur vie. Dans les deux cas, les objets étaient ornés de hiéroglyphes traditionnels bénéfiques, destinés à protéger des mauvais esprits ou à favoriser la fécondité. Ces motifs ont joué un grand rôle dans l'invention de l'art abstrait, comme me l'ont souligné le peintre Alexandre Pesterev et sa femme Olga Smolina, spécialiste du musée de Ferapontovo.

C'était hier, les derniers à avoir connu ça dans leur enfance viennent de mourir. Certains vivent peut-être encore.


 

jeudi 13 août 2020

Critique de lecteur

 Un lecteur qui a pris la peine de lire mes livres à pris aussi celle de m'en faire une critique. Je prends celle de lui faire une réponse officielle !

J'ai terminé vos deux livres. J'ai pu constater que vous savez aussi bien faire un billet d'actualité pour votre blog qu'un roman historique (même si vos billets d'actualité se rattachent souvent à l'histoire). Yarilo est un très bon roman pagano-chrétien. Il m'a fait penser à un commentaire sur Tarass Boulba qui serait un roman tragique et triste s'il n'y avait cette fureur de vivre qui le traverse et porte les personnages. J'ai trouvé dans les passages sur le "méchant" Ivan des ressemblances avec les portraits de Staline. Je sais que vous n'aimez pas la comparaison mais vous l'avez subie, ça se sent, peut-être au travers du film soviétique, je ne l'ai pas encore vu. Par contre, je ne crois que Staline ait eu des moments de grâce comme le "bon" Ivan. J'ai particulièrement apprécié les scènes de repentir de Fédia. Je ne sais pas si c'est universel ou si les femmes réagissent différemment mais vous avez très bien retranscrit ce qu'un homme pense, englué dans le péché, en face de Dieu miséricordieux. L'angoisse, l'auto-accusation, l'absurdité de penser qu'on mérite le pardon ou qu'on mérite quoique ce soit d'autre que la damnation... Ces passages sont vraiment émouvants et auront un écho au moins chez tous les hommes qui vous liront et qui ne sont pas imperméables à la transcendance. 
Alors que Yarilo était un hymne à la vie, Parthène m'a semblé une sorte de bûchers des vanités et m'a laissé une impression étrange. Peut-être l'avez-vous voulu ainsi ? Il est aussi bien écrit mais la tension de la vie entre le péché et le repentir de Yarilo y est remplacée par la fin de toutes choses ou par un poids qui fait chuter toute chose. Une sorte de prologue de l'Ecclésiaste presque. Je suppose que la clef de lecture est la nuit d'agonie du tsar Ivan réunifié parce que c'est la partie lumineuse de cette suite. J'ai particulièrement apprécié la scène où Féodor ramène sa femme dans la chambre du tsar dont elle vient de s'enfuir afin que celui-ci ne refuse pas le pardon de Dieu devant le dernier spectacle de ses péchés.
Mais vous l'avez bien présenté comme un épilogue donc je pense que mes impressions sont cohérentes.

In Christo.

Le tsar est fréquemment comparé à Staline, parce que ce dernier se comparait à lui. Personnellement, la seule chose que je leur trouve en commun, c'est l'égrégore néfaste d'une police politique. Pour le reste, Ivan le Terrible, malgré des supplices spectaculaires, véridiques ou pas, a fait beaucoup moins de victimes et essentiellement dans la noblesse. S'il y a eu des victimes collatérales chez les paysans, ce n'étaient pas eux qui étaient visés, contrairement à ce qui s'est passé avec la collectivisation. C'était un tsar légitime, oint et couronné et non un dictateur. Il était croyant, cultivé, il avait du sens esthétique et il a laissé de magnifiques monuments, églises et monastères, au lieu de copies de l'empire states building et des monuments pompiers à sa propre gloire. Il était imprégné d'esprit médiéval, ce qui le rachète en partie. Le mien est tiraillé entre divers aspects de sa personnalité paradoxale, il est un peu pervers narcissique sur les bords, il aime séduire et dérouter. Le film soviétique présente un tsar idéal mais là encore, j'y ai vu un tsar, et pas un dictateur moderne, quand je l'ai decouvert à 16 ans. Peut-être d'ailleurs était-ce voulu, le sentiment monarchique, même dévoyé, restant vivace chez les Russes. 

Je me mets facilement à la place des hommes. D'abord je suis un garçon manqué. Flaubert disait "madame Bovary, c'est moi" et je pourrais dire de même que je suis Fédia Basmanov. Et puis je pense que lorsqu'on écrit un livre en se donnant à fond à l'expérience, on entre en contact avec absolument tous les aspects de l'humain, c'est peut-être ce que les auteurs ont en commun avec les acteurs. Si l'on n'opère pas cette fusion avec tous les aspects de l'humain, on reste au niveau de son nombril et si c'est très répandu, ce n'est pas forcément intéressant. En cela, le processus romanesque en lui-même me paraît un parcours initiatique et une transcendance qui en soi, m'intéressent autant que le résultat. 

Le deuxième roman est en effet un épilogue et la mort du tsar en est le centre, ce qui introduit fatalement une réflexion sur la mort et la vanité du pouvoir. Cependant, je ne dirais pas que la vie en est absente, elle s'exprime à travers le jeune protégé du tsar, qui est positif et lumineux, tout comme son père spirituel Féodor. Et la fin est une projection vers l'avenir. 

 




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