Translate

jeudi 8 octobre 2020

Survivre

 C'est intéressant, l'atelier de réparation des ordinateurs vient de m'appeler pour me dire que dans celui que je leur ai donné, pour essayer de récupérer les dossiers et de le remettre en marche, il n'y avait pas de disque dur. Où est passé le disque dur? Le jeune réparateur ne répond pas, pour l'instant. Qu'avait-il besoin d'enlever le disque dur, et qu'est-ce qu'il en a fait? Le propos de départ était de changer la carte mémoire... il a changé d'ordinateur, j'ai perdu tous mes dossiers, et le disque dur de l'ordinateur neuf! Mais le vieil ordinateur, lui, ne marche pas mieux, car il est en windows 7 et trop vieux pour le passer en windows 10 donc il n'a plus de mises à jours, notemment de protection.

Je pressens qu'outre la traduction perdue qui me coûte 30 000 roubles, je devrai me racheter un ordinateur, en y mettant le prix étant donné le contexte, c'est-à-dire minimum 40 000.

Le jeune homme est dans la misère, et je voulais l'aider, en lui confiant ces interventions sur mon ordi, et non seulement je ne l'ai pas aidé, mais je me suis causé des problèmes infinis, c'est ce qu'on appelle une tentation.

Pour tout arranger, j'ai découvert que l'un de mes malfaiteurs domestiques avait chié et pissé sous mon bureau. Je soupçonne que c'est Chocha qui a déjà plusieurs fois pissé sur ma balance. Je l'ai vue aller dans la douche, ce qui ne me dérange pas, mais à cause de la balance, j'ai fermé la salle de bains aux chats, ainsi que l'appartement des invités. Mon bureau étant à côté de la salle de bains, ils ont déplacé le théâtre de leurs exploits. Sous ce bureau, j'avais installé un coussin, pour leur permettre de s'installer plus près de leur déesse tutélaire, eh bien j'ai découvert il y a deux jours qu'il était imprégné de pisse, je cherchais d'ailleurs partout d'où venaient les odeurs. Je ne sais pourquoi, ils se sont mis à pisser dans l'entrée, des mares, en une seule journée, j'ai nettoyé trois fois, et la troisième fois, j'ai explosé de rage, je les ai tous traités de tous les noms et chassés de ma chambre, coupables et innocents. Cette imbécile de Chocha est venue en rampant me donner des coups de tête affectueux, or c'est généralement elle qui me fait des coups pareils, ou Georgette, dans leur compétition permanente pour occuper la première place. Ils ont une caisse dans l'entrée extérieure de la maison, mais ce que je ne comprends pas chez ces emmerdeurs, au sens strict du terme, c'est pourquoi ils ne vont pas dehors comme tous les animaux normaux, et c'est valable aussi pour Rita, que sa maîtresse ne promenait jamais, et qui fait semblant d'aller dans le jardin pour avoir sa récompense, mais pisse résolument sur une couche, ou à côté. Rita, si je ne l'avais pas prise, personne ne l'aurait supportée, et en effet, dans l'appartement de location de son ex maîtresse, si elle avait pissé régulièrement sur la moquette, cela aurait posé des problèmes.

La ville de Kazan a refusé le régime de la "deuxième vague" et tout ce que Sobianine installe à nouveau à Moscou et qui coulera définitivement les petites entreprises, comme en France, en sabotant les études des enfants et en empoisonnant la vie des vieux et des familles. A Kazan, ils ont détruit toute le vieille ville comme des sauvages, mais au moins ils ne sabordent pas l'économie et n'emmerdent pas le monde avec la psychose imposée de l'état profond mondialiste.

A Pereslavl, on intimide à nouveau les commerçants, qui sont obligés de ressortir le masque. Mais cela ne prend pas, tout le monde échange des regards entendus, il y a bien un contingent d'hypocondriaques impressionnables et manipulables, mais les gens n'ont pas envie de vivre comme des animaux de laboratoire.

Je vois régulièrement des diatribes de sectateurs du masque qui sont convaincus qu'un chiffon forcément sale sur le museau fait d'eux des citoyens responsables et des sauveurs de l'humanité, ce sont des gens qui croient encore qu'ils sont gouvernés par des démocrates normaux qui font des erreurs, bien sûr, mais qui veulent le bien de la population, ou être réélus. Ils croient que leur vote est encore important. Ils croient que la télé et les journaux disent la vérité. Mais tout ça c'est du cinéma, bonnes gens, nous ne décidons plus de rien, nos éléctions sont une pure mascarade, comme les mesures anticovid, le monde entier est un bal masqué macabre, et ceux qui sont à l'orchestre ne sont pas bien intentionnés. Les gens comme moi sont appelés ici les dissidents du covid, et effectivement, si l'on est contre le masque et que l'on flaire l'arnaque, on est obligatoirement un négationniste du covid, mais non, pas du tout. Je ne nie pas la maladie. Elle existe, en tous cas elle a existé, elle se manifeste encore. Mais qu'elle serve de prétexte à des manipulations sociales ténébreuses de grande envergure ne fait pour moi aucun doute, et c'est beaucoup plus terrifiant que la maladie elle-même, qui a fait des victimes, mais qui n'est quand même pas, et de loin, la peste bubonique. En tous cas, le masque ou la fermeture des bars et des restaurants ne sont certainement pas des moyens de nous sauver. Ni l'isolation des vieux, et en tant que vieille, je vous demande de nous laisser vivre et mourir en paix, les saigneurs de la caste. J'ai tellement perdu toute confiance en votre horrible bande que je ne vais même plus chez le médecin, je me confie à Dieu. Je suis presque mûre pour vivre comme les amish ou plutôt les vieux-croyants. 

Ce qui me fascine, c'est la véhémence et la condescendance des chevaliers du masque, qui me traitent de madame Irma du café du Commerce et d'obscurantiste, alors qu'ils se fient eux-mêmes aveuglément à des politicards mafieux, des médecins de plateaux véreux, des journalistes pourris ou des idéologues complètement allumés qui se prennent pour des surhommes. Quand je vois la gueule des membres de cette caste, je prends peur, un tableau de Goya ou de Jérôme Bosch, un trombinoscope infernal, remplacez le costar et le brushing par des capes et des capuchons et vous aurez la galerie de gargouilles d'une église gothique. Mais les gens ont été dressés à "ne pas juger au faciès", c'est-à-dire à ne plus avoir le simple discernement des paysans d'autrefois qui sortaient leur escopette au vu de certaines trognes patibulaires rôdant autour d'un village. Les mines patibulaires, bien coiffées, bien propres sur elles, nous en avons maintenant plein les parlements et plein les ministères et plein les plateaux de télévision de tous les pays. Des gueules à qui je ne confierais ni ma santé, ni mon porte-monnaie, ni mon chien, ni surtout mes petits-enfants si j'en avais.

J'imagine ce que devaient ressentir les Russes conscients devant l'installation des bolcheviques, ou les Allemands devant celle du nazisme. Mais d'une certaine façon, ce "no future" me donne une espèce d'insouciance, de liberté, derrière l'inquiétude et même l'horreur que m'inspire "l'avenir radieux": je vis au jour le jour, je profite de chaque instant, qui vivra verra, et je me confie à Dieu, pour me garder et du Covid et de ceux qui l'utilisent afin de semer la psychose collective et la discorde au sein des divers troupeaux affolés. Je vis, et ne suis pas partante pour survivre à tout prix, masquée, enfermée, traquée "pour mon bien".

En réalité, il suffirait de dire à ces marionnettistes que nous ne jouons plus. Mais nous sommes encore beaucoup trop nombreux à jouer.

Urbanisme local: cette petite maison décorée, seule survivante au milieu de tous ces gros monstres, et strictement désormais inutilisable, aucune vue, plus d'air, plus de lumière. Je me sens très solidaire, car moi aussi, je suis une survivance archaïque au milieu des mutants, et je pense souvent au rhinocéros de Ionesco, que j'avais vu à treize ans à la télé, interprété par Jean-Louis Barrault. Cela m'avait profondément impressionnée et angoissée, je sentais déjà que c'était l'allégorie du monde dans lequel j'avais vu le jour.

Le miroir de la lune n’ose plus refléter

Les ténèbres rougies de nos atrocités

Que tout l’azur du ciel ne peut dissimuler

Et l’on voudrait pourtant penser à autre chose

Prendre le temps béni de voir pousser les roses

Mais tous ces corps meurtris, ces débris calcinés

La spirale noire qui creuse sous nos vies

Crient dans le silence que tout est terminé,

La fête qui semblait devoir toujours durer,

La fête illusoire, la voilà bien finie

Et ses ordonnateurs, laissant tomber le masque,

Sous les folles clameurs des foules ahuries,

Agitent glapissants le fusil et le casque

Le drapeau, la patrie qu'ils ont pourtant honnie,

Qu'ils ont pourtant trainée dans le sang et la boue

Et qu'ils fourrent à présent dans tous leurs mauvais coups.

Démons, goules, vampires, bandits, putains, valets

Qui partout sur la terre allument des brasiers

Pour y changer en or leur monnaie de papier,

Les voilà tous dansant sur nos tombes futures.

Et l’unique chose dont je puis être sûre

C'est qu'à leur bal maudit, je n'irai pas valser

Sans doute je mourrai, mais sans avoir chanté

Les louanges du diable et de ses diablotins

Qu'encensent bégayant tous ces tristes pantins.

mercredi 7 octobre 2020

3D Projekt

 


Mon amie Katia est récemment allée à Oulianovsk; devenue la capitale de la balalaïka, depuis que mon ami Sérioja Klioutchnikov y a fondé le musée de la balalalaïka et, avec Génia Kharlamov, l'entreprise Balalaïker, qui procure à prix modique de bonnes balalaïkas aux gens qui veulent en jouer, comme à l'époque soviétique, pour les inciter à le faire, en tous lieux et de toutes les manières, c'est chez eux que Katia avait sur mes conseils commandé la sienne. Il a fait dire à Katia que les visites étaient gratuites pour les amis de Laurence Guillon et l'a très bien reçue. Ce matin, j'ai eu un coup de fil de Génia: "Laura, vous ne voulez pas participer à un concert 3D à Oulianovsk?

- Quoi? Vous relancez les 3D?

- Pas exactement, mais nous faisons un grand concert au musée."

Les 3D projekt étaient un ensemble branquignol et farfelu qu'avaient fondé ces deux garçons et que l'un de ses acteurs, Micha Korzine, caractérisait ainsi: "Nous sommes les trois Débiles, et tu es le Projet!" Je m'étais retrouvée au pied levé en train de chanter sur scène dans un des clubs les plus connus de Moscou, moi qui ne l'avais jamais fait de ma vie et savait à peine jouer, encore pire qu'aujourd'hui, sans le moindre trac, alors que maintenant, je l'ai, et avec un grand succès sans lendemain! Je dois dire que les 3 Débiles n'étaient pas toujours joués par les mêmes, Vadim ayant remplacé Génia, puis Micha ayant disparu dans la nature, et même le Projet avait fichu le camp en France. Mais ce fut une période de ma vie plutôt fatigante, parfois éprouvante émotionnellement, mais très intense, et souvent très drôle; les personnalités en présence étaient plutôt pittoresques.

Il va me falloir répéter activement, car tout ceci a lieu dans dix jours, et il me faudra deux jours pour gagner Oulianovsk, c'est à 820 km... Mais pas moyen de refuser, je retrouverai avec joie mes jeunes copains, c'est un cas de force majeure.

Sérioja a appris à jouer de la balalaika dès l'enfance, avec son grand-père et sa grand-mère au village, et il joue aussi des gousli et de l'accordéon, il est tombé dedans quand il était petit, ce qui fait de lui un Russe authentique, truculent, barjo, généreux, comme je les aime, et un Russe qui s'assume pleinement comme tel! Parfois aussi très chiant, mais ça va souvent de pair. En réalité, c'est le pendant jeune de Skountsev! Micha, c'était Dostoievski, mais quel talent et quelle profondeur...

J'avais rencontré la grand-mère de Sérioja, une femme pleine de dignité et d'humour, comme on en avait dans toutes les campagnes du monde avant le naufrage de notre civilisation. Nous avions chanté ensemble un vers spirituel, et elle m'avait demandé de lui écrire les deux derniers couplets, qu'elle ne connaissait pas, j'avais été fière de pouvoir rendre ce service à une vieille paysanne russe, alors que d'habitude, c'est le contraire qui se passe.

j'avais des lunettes noires à cause d'une conjonctivite géante...

Génia donne des cours


ici les lunettes, c'était juste pour faire genre

chez moi, le quartier général... 


mardi 6 octobre 2020

Les lendemains qui chantent

 

En ce moment, j'essaie de prendre mes distances avec notre actualité toxique, de me consacrer à des activités plus concrètes et plus enrichissantes, mais évidemment, quand tout va mal, on suit cela avec une fascination aussi irrésistible qu'impuissante, enfin quand on est comme Céline et moi, du genre à s'y prendre, pour mourir, vingt ans à l'avance.
Je lis le récit horrifique du massacre d'une quarantaine de prêtres et moines en Russie au moment de la révolution, tous enterrés vivants, on les a entendus geindre pendant trois jours et la terre bougeait. Une communiste française pure et dure met en commentaire: "C'est bien dommage pour ces popes, mais l'Eglise ayant toujours soutenu les despotes, il fallait bien en passer par là pour en arriver à la démocratie et à la laïcité". 

C'est le genre de choses que j'entendais à la fac de Vincennes dans les années 70. Il y avait aussi, dans le même registre, à propos de la collectivisation: " C'est bien dommage, mais les paysans ne comprennent jamais rien aux révolutions". Ou, quand un professeur expliquait que l'émigration massive des intellectuels, ou leur élimination, avait causé beaucoup de tort au pays: "En quoi cela pouvait-il nuire au pays puisque ces gens étaient inutiles?"

Et pour obtenir les lendemains que nous avons aujourd'hui?

Enfin bref.

Je discutais avec Olga, et nous en venions à la conclusion qu'en France il y avait encore des Français, pas beaucoup, et que le reste, c'étaient des mutants de la modernité, qui avaient perdu tous repères culturels, spirituels, ils n'ont même plus de prénoms normaux, mais des sobriquets qu'on donnait autrefois aux chiens et aux chats, et même plus de visage, depuis qu'on leur met en permanence un torchon sur le museau qu'ils acceptent avec empressement, en dénonçant ceux qui cherchent à s'y soustraire. Et il reste des Russes en Russie, mais le reste, ce sont les mutants du post-soviétisme, à qui on a mis dans la tête que la beauté avait sa place dans les musées et les salles de concert, tandis que tout le reste devait être bétonné et plastifié, pour faire plus moderne et plus propre. Ceux-là sont persuadés que jusqu'en 17 régnaient les ténèbres, comme leur équivalente française avec sa démocratie et sa laïcité. Face à de telles gens, je laisse vite tomber la discussion, me souvenant que le Christ se taisait devant ses juges et qu'Il nous avait recommandé de ne pas donner nos perles aux pourceaux, mais parfois, je manque d'amour évangélique à l'égard de ces imbéciles, car ainsi que l'observait Dostoïevski, la bêtise peut quelquefois devenir un crime. Je demande à Dieu de s'occuper de ce cheptel particulier, qui lui est aussi cher que moi-même, en confessant que s'il est en son pouvoir de les aimer, je m'en sens incapable. Je prie aussi pour que mes voisins comprennent que leur chienne ne peut rester à la chaîne sans arrêt, eh bien, hier, j'ai vu que la dame allait la promener. Elle m'a même dit qu'elle la promenait tous les jours, et ça, c'est un gros progrès, car la chienne peut voir autre chose, se dépenser, et aussi avoir des relations avec elle.

Olga pense que nous devons trouver le paradis en nous et derrière nous, c'est-à-dire derrière nous pour l'accueillir en nous, sauver ce que nous pouvons. En effet, c'est à peu près tout ce qui est à notre portée, car la bêtise à front de taureau est impossible à arrêter quand elle s'emballe. Olia est psychologue de formation et me dit qu'on est en train d'essayer de nous rendre fous, que c'est cela, le dernier acte. De nous déposséder de notre mémoire, de notre identité, de notre humanité. Ce que je lui ai dit des masques dans les écoles en France l'a épouvantée.

Le beau temps devient de plus en plus doux, pâle et alangui une soierie qui se fane et s'effiloche, deux ou trois heures de tiédeur au milieu de la journée. Mais quel merveilleux répit... déjeuner et dessiner en tee-shirt sur le perron, en prenant le soleil, alors que certains arbres ont déjà perdu toutes leurs feuilles. Je vois passer des papillons, des libellules, des mésanges qui font des repérages pour l'ouverture prochaine du restaurant, mais avec Moustachon le tueur, je me fais du souci. Il me faudra recourir au collier à grelot. L'hiver, quand il y a la neige et plus de feuilles, les oiseaux voient arriver les chats de loin. 

J'ai enfin trouvé dans une arrière-cour le magasin qui répare les ordinateurs. Il est accompagné d'un magasin de bricolage et d'un magasin de fournitures de bureau, le tout presque aussi discret qu'un débit de boisson à Chicago pendant la prohibition. Et alors que je ramassais sur le bord du parking des graines de roses-trémières, voici que le peintre Sergueï, avec lequel je vais partager ma salle d'exposition, me tombe dessus par le plus grand des hasards, en ce lieu perdu dans les quartiers en béton soviétique de Pereslavl. Il m'a dit qu'il préparait notre affiche, ce qui est bien gentil de sa part. Il préfère le samedi soir au dimanche pour notre petit vernissage, que j'espère gai et chaleureux.

Ces fleurs sont appellées des oktiabrines car elles fleurissent en octobre



 

 


 

dimanche 4 octobre 2020

Topinambours

 Cela fait quatre ans que je suis arrivée ici avec mes chats et mon petit chien Doggie. Il faisait froid et pluvieux, et aujourd'hui, j'ai encore jardiné en tee-shirt. Le moment où il fait vraiment bon est bref, car les jours raccourcissent vertigineusement. La voisine m'a dit qu'un automne comme ça, ici, c'était une fois tous les vingt ans. Il faut en profiter...

J'ai voulu déplacer des topinambours très envahissants, qui se couchaient sur les autres fleurs parce qu'ils manquent sans doute un peu de soleil et me suis retrouvée avec une impressionnante récolte de tubercules. J'ai donc décidé de me les cuisiner. Je les ai fait revenir dans l'huile d'olive avec de l'oignon, et un peu de crème au dernier moment. Eh bien c'est exact, le topinambour est un légume fin et délicieux. De plus, il pousse n'importe où sans qu'on s'en occuppe et donne de grandes fleurs décoratives et en principe, il affaiblit la berce du Caucase. D'après internet, les tubercules ne se gardent pas très longtemps; ça c'est embêtant, si on veut faire des provisions pour l'hiver. Je vais essayer de congeler des gratins.

J'ai décidé d'aller à la liturgie au monastère saint Théodore, car l'higoumène s'était plainte que je ne venais plus. J'avais de bonnes relations avec ces soeurs, j'avais procédé à des échanges de cadeaux entre elles et Solan. Mais le monastère est plus loin, il y a moins de places assises, j'avais rencontré le père Constantin, qui était à la cathédrale, enfin j'avais déserté les lieux. Manque de chance, l'higoumène n'y était pas, ni la soeur Larissa. Des affiches mettaient les fidèles en demeure de porter un masque. Il y en avait quelques uns. Le prêtre a fait un sermon sur l'humilité qu'il a terminé de cette manière: "Préparons-nous à des temps difficiles, dont tout ce que nous vivons à présent est la répétition. Et d'abord, éteignons la télé qui nous manipule et qui est en train d'exciter la panique jusqu'à l'hystérie. Qui devons-nous écouter en priorité, Dieu ou bien des journalistes qui racontent n'importe quoi, qui ont des propos vils et néfastes et nous mettent l'âme à l'envers?"

A vrai dire, même Tsargrad, site orthodoxe conservateur, nous rebat les oreilles des propos alarmistes commandés par les seigneurs de la caste transnationale et transhumaniste. Un ami me disait à propos du magnifique monastère de La Faurie qui voudrait passer sous la direction athonite de Simonos Petra, qu'il nous faudrait tous faire de même: Simonos Petra ou bien Valaam ou autres hauts lieux spirituels. Car côté hiérarchie, dans toutes les juridictions, nous pourrions bien observer de plus en plus des choses fort regrettables... Heureusement encore que nous avons ici un super évêque.

En sortant du monastère, je suis allée acheter à la boutique du miel, des pirojki et du pain de Borodino de production monastique. Des gosses proposaient deux chatons apeurés aux gens qui passaient. Je leur ai dit que j'en avais déjà cinq et qu'il fallait économiser pour faire opérer leur chatte. Je sais que pour les gens d'ici, c'est cher. Il devrait y avoir des endroits pour le faire à prix spécial. Je n'en peux plus de toute cette misère animale, de ces petits êtres qui servent de jouets, que l'on balance n'importe où, et moi, j'ai atteint la cote d'alerte, surtout avec les crétins caractériels, possessifs et jaloux dont j'ai hérités. Chacun d'eux ne s'intéresse qu'à moi, dans la vie, enfin à moi, à la bouffe et à la chasse. Le soir, c'est à qui occupera la meilleure place près de la reine. Monsieur Moustachon serait assez liant et débonnaire, mais les autres ne répondent pas à ses avances. 

 


  La récolte de topinambours. En cas de guerre, j'aurai toujours ça à bouffer. A côté, j'ai cette petite succulente mauve trouvée au supermarché du coin. J'en voyais plein à Cavillargues, je crois même que j'en avais une. J'ai pensé que je la sortirais l'été et qu'elle hibernerait dans mon atelier. Gilles fait pareil avec les géraniums. 

La voisine m'a dit que l'usine de son mari faisait des poulaillers sur commande, il faut leur faire un dessin. Je vais peut-être finir par avoir des poules. Mon amie Lisa de Peredielkino est une grande spécialiste de l'élevage de poules.

 

samedi 3 octobre 2020

Le retour de la mascarade

 


Le 1° novembre, je fais une expo ici, à Pereslavl. J'ai donné des aquarelles à encadrer, plutôt anciennes, car j'ai peu dessiné depuis que je suis ici, et beaucoup écrit. Le peintre qui fait les encadrements m'a bien encouragée. Le beau temps m'incite à rester dehors, et du coup, je me remets à dessiner, mais en ce moment, j'utilise plutôt les crayons de couleurs. J'ai dessiné les maisons d'en face, car je sais qu'on va construire derrière, et que cela me gâchera sans doute tout le point de vue. Tel que je connais le mauvais goût triomphant qui sévit, je serais étonnée qu'on fît des maisons de proportions raisonnables et équilibrées. 

Aujourd'hui, je suis même allée dessiner sur le "val", c'est peut-être le seul endroit qui garde de jolies vues sur les églises du centre et la rivière. 

Je suis effrayée par le saccage systématique de toutes les vieilles villes provinciales. Il y a la cupidité et la connerie, mais pas seulement, comme l'a démontré cet échange que j'ai traduit entre deux personnalités qui exposent leur affreux programme et leur détestation des "merdes tsaristes" et de tout ce qui peut servir de terreau aux "conservateurs" (en France, on dirait les réacs)  et à la "plèbe". J'ai vu une photo de Nijni-Novgorod qui m'avait émerveillée: un massacre. Les oeuvres de Tatiana Mavrina, ces belles représentations de Serguiev-Possad dans les années 40, 50, 60 m'ont révélé qu'alors, malgré le stalinisme et le soviétisme, la Russie restait encore elle-même, en province. Je veux dire l'architecture n'avait pas encore trop souffert, et peut-être même les moeurs, car malgré la dictature, on sent que cette ville poétique et ravissante grouillait d'une vie capricieuse, nonchalante, anarchique, en un mot, russe. Un peu ce que j'avais encore trouvé à Pereslavl en 1999. Des gosses jouaient, faisaient de la luge et du patin à glace, on voyait passer des charrettes à chevaux, des chèvres et des vaches, des chiens et des chats, des poules et des oies, des amoureux, des grands-mères, des noces, des accordéonistes, et même des moines et des pèlerins. Maintenant, à l'exception du monastère, c'est une ville affreuse, banale, bruyante où il n'y a plus aucune vie spontanée apparente.

On avait réussi à arrêter le projet de construction des berges du lac, qui saccagera un parc national et sera, outre un désastre culturel, la mort écologique du lac déjà bien malmené. Mais les squales ne connaissent pas de repos, et apparemment, la municipalité est en train d'essayer de tourner l'interdiction. Le problème est que la lie de l'humanité ayant pris le dessus partout, elle se fout éperdument de toutes les valeurs humaines, spirituelles et culturelles et plus encore de notre opinion. Dernièrement, j'ai vu qu'un truand épais originaire d'Azerbaidjan avait mis la main sur la résidence moscovite du tsar Nicolas II et de sa famille, et la massacrait méthodiquement , avec son horrible goût de parvenu. J'ai vu sa gueule. La mettre en parallèle avec les visages de la famille impériale offre un raccourci saisissant de ce qui nous est arrivé en 100 ans à tous. Il y a de quoi pleurer à chaudes larmes.

Je regrette de plus en plus de ne pas être allée plus loin, j'ai manqué d'audace. Je pense aux personnages russes de mon dernier roman, et à leur communauté dans le nord, où ils finissent par oublier le monde extérieur. Ou bien aux vieux-croyants. Où aller, pour avoir la paix? Sans doute dans l'autre monde.

Sur les conseils de deux génies de l'informatique, je suis retournée au magasin où j'avais acheté l'ordinateur que le gamin a plongé dans les ténèbres. D'après leur consultation sur Skype, cela ne devrait pas être irrémédiable et je devrais au moins pouvoir récupérer mes dossiers. Mais ils n'ont pas de service après vente.... ils m'ont donné l'adresse d'un établissement qui fait tout cela. J'ai erré dans le quartier sans pouvoir le trouver, personne n'a pu me renseigner vraiment, ce doit être une officine logée dans une cave et connue des initiés.

Du coup, je suis allée jusqu'au supermarché Magnit faire quelques courses, et j'ai constaté que la propagande télévisuelle et l'agitation de Sobianine à Moscou faisaient ressurgir les masques. On a dû tancer le personnel du magasin pour animaux, car on m'a obligée à mettre un machin distribué d'office, une espèce de vague sopalin avec deux trous pour les oreilles, je suis profondément convaincue que le masque médical qui nous prévient sur l'emballage qu'il ne sert à rien ne sert effectivement à rien, mais alors le bout de papier Q avec deux trous pour les oreilles, laissez moi rire....

Cela m'a inquiétée. Je sais que tout cela prend moins bien qu'en France où les gens sont complètement hypnotisés, mais quand même, la manipulation est si énorme, si générale, le personnel politique et médiatique si pourri, qu'on se demande parfois ce que vont devenir les gens normaux. Je projetais d'aller à Moscou pour la fête votive de la paroisse du père Valentin, mais j'ai peur que  Sobianine ne bloque tout d'ici là et son intention est de consigner les vieux à la maison, comme je ne suis manifestement pas un perdreau de l'année, je risque de me faire arrêter dans la rue?

Dans quelles horribles mains sommes-nous donc tombés depuis que nous avons tué notre roi et notre tsar? 




 

 

dimanche 27 septembre 2020

Nuances

 


Ayant la flemme de lire quelque chose de très prenant, j'ai repris pour m'endormir les romans de Léo Malet, "120 avenue de la Gare", et c'est un peu comme si je rentrais chez moi, je pensais d'ailleurs à maman qui, lorsqu'elle était malade, voulait aussi "rentrer chez elle", avenue de la République à Annonay, c'est-à-dire avant guerre. Cet univers de Léo Malet m'est infiniment plus proche que celui où nous vivons à présent. Même l'univers de Flaubert dans sa correspondance m'est plus familier que le Brésil de science-fiction qu'on nous fignole actuellement. A noter que ce romancier populaire utilise le passé simple, l'imparfait du subjonctif, et beaucoup de gens qui écrivent sur Facebook non seulement ne connaissent plus ni l'un ni l'autre, mais ils ne savent même plus construire une phrase cohérente...

J'avais une amie qui connaissait personnellement Léon Malet. Elle lui avait parlé de moi: "Ma copine est amoureuse de Nestor Burma". Cela lui avait fait très plaisir...

Le jour en ce moment est doré et suave comme un grain de raisin, je le savoure. Je prends mes repas dehors, sur le perron, pour la douceur du vent et la tiédeur du soleil, pour contempler l'embrasement serein de mon poirier sur le ciel bleu, le ballet des insectes sur les dernières fleurs. Je jardine, je fais des découvertes: à l'endroit où je me suis abstenue de tondre, et où on m'avait rajouté du sable, est ressorti un framboisier que je croyais mort depuis deux ans. Le sable a assaini et asséché son terrain, il repousse. Je lui en ai adjoint deux autres, et j'ai fabriqué un plessis pour la première fois de ma vie, afin de protéger cette plantation. Je trouve encore des fraises des bois, l'été indien leur permet de mûrir. J'ai même fait la sieste dans mon hamac, les yeux perdus dans les reflets rougeoyants du poirier...   

Le plessis
                                                                                                                                                                                            

Le premier novembre, je ferai une exposition dans la petite galerie installée dans les dépendances de l'église, à côté de notre cathédrale. Je fais cela surtout pour créer un événement agréable, et rassembler les gens que je connais. J'ai porté un certain nombre de choses à encadrer. L'encadreur est lui-même artiste-peintre mais m'a dit qu'il "ne savait pas compter" et qu'il valait mieux revenir lundi, quand il y aurait sa collaboratrice. Il m'a encouragée, il aime ce que je fais, il trouve que j'ai un style bien à moi. Nous avons beaucoup discuté. "Alors vous faites de la musique traditionnelle, en plus?

- J'essaie, mais je fais trop de choses, justement. 

- De la musique traditionnelle, ça on peut dire que c'est de l'amour...

- Oui, oui, c'est bien cela, c'est de l'amour.

- Quand on est capable d'amour comme vous l'êtes, cela veut dire qu'on a gardé un coeur parfaitement jeune!"

Avant de passer chez lui, j'avais fait à pied avec Rita le tour du monastère Goretski, qui abrite aussi le musée local. C'était le beau temps qui m'y poussait, et en même temps, je me disais sans cesse: "Tu ne devrais pas, tu te fais du mal..." car lorsque j'ai découvert Pereslavl, c'était mon endroit de promenade favori. De là, on surplombe le lac et la ville, et c'était à l'époque si pittoresque, avec de jolies maisons typiques et leurs jardins naturels bordés de petites palissades en bois. Il y avait aussi des chèvres qui se promenaient, des poules. C'était vivant, organique, harmonieux. Maintenant, c'est un amas de bâtisses toutes plus horribles, déplacées et prétentieuses les unes que les autres. Avant, on voyait au loin, au bord du lac, l'église des Quarante Martyrs. Maintenant, elle est à moitié cachée par une énorme et hideuse baraque qui fiche en l'air tout ce panorama, autrefois magnifique. J'avais fait des aquarelles de ces petites maisons et de leurs toits qui, de tôle, de zinc ou même d'éverite, prenaient les tons des nuages, et parfois devenaient bleu foncé, par dessus leurs façades colorées. Aujourd'hui, ce ne sont qu'aplats criards qui jurent entre eux. De loin, on dirait le contenu renversé d'une de nos poubelles contemporaines, avec ces déchets de plastique inassimilables qui empoisonnent les animaux et que la terre dégueule.

Le soir, j'ai repris des tableaux à l'acrylique en souffrance depuis la France, des vues de Cavillargues ou de Pierrelatte. Je peignais en écoutant Arvö Part, et je partais complètement dans ce que je faisais. "Tire-toi de cette fascination pour les gouffres de Facebook et de notre épouvantable réalité, me disais-je. N'est-il pas plus gratifiant de peindre, ou de contempler ton poirier et tes fleurs?"

J'ai loupé la fête de l'Exaltation de la Croix, quelle honte. C'est que j'ai eu un cours avec Skountsev, et au fait, il n'y va pas, à l'église, ce vieux-croyant de Skountsev? Et puis un Français venait avec sa femme me remettre des médicaments qu'il avait achetés pour moi en France, et nous avons passé un moment ensemble. Enfin, je suis un peu malade, une rhinopharyngite allergique comme j'en ai eu beaucoup, mais je prérérais ne pas effrayer les gens avec des symptômes ORL, dans le contexte où nous sommes. Ni d'ailleurs m'exposer inutilement. 


Mais je n'ai pu m'empêcher d'aller dehors, dans le vent doux et tiède, au dernier soleil, parmi les feuilles tourbillonnantes. Tout est doré, transparent, léger. Je regardais le feuillage d'un jaune rosé du poirier frissonner et mousser sur le ciel uniformément bleu, pour une fois sans aucun nuage. Ces deux tons s'intensifiaient l'un l'autre. L'un mouvant, chatoyant, l'autre lisse, immobile. Mais si l'on peint sur une toile un ciel parfaitement uni, comme il semble l'être, alors il paraît faux, ripoliné, il n'a pas de profondeur, et il tue toutes les autres couleurs. Pour que notre ciel peint soit vivant et profond, il faut qu'il soit inégal, avec des différences de nuances. Est-ce donc que malgré tout, le vrai ciel est lui-même composé d'imperceptibles différences qui lui donnent une autre dimension, et le mettent en résonnance avec toutes les expressions lumineuses de la vie? Je pensais à une femme qui, pour défendre les affreux toits métalliques de prophylactil qu'affectionnent tant les Russes, m'avait dit qu'ils étaient bleus comme le ciel. Eh bien non, ils sont bleus comme la peinture passée au pistolet, ou celui des bassines en plastique, un bleu uniforme implacable qui tue celui du ciel et toutes les autres couleurs naturelles qui l'environnent....





 

 


jeudi 24 septembre 2020

Equinoxe d'or

 Le jour de l'équinoxe fut celui du début de l'été indien, cette année. Après une incursion glaciale de l'automne, ce répit nous est donné, paisible, doré et tiède. Après quoi, il fera froid, de plus en plus froid, et sombre, de plus en plus sombre. Les dernières floraisons sont pleines d'insectes voletant, abeilles, papillons, bourdons, tout le monde se dépêche de faire ses provisions, de profiter encore un peu de la douceur et de la lumière, et il me revient en mémoire le conte de Poucette qui descend sous terre chez la souris, ou encore le mythe de Perséphone.

Je reste dehors, soit à travailler dans le jardin, soit sur le perron, à regarder le ciel, les reflets et les ombres dans l'herbe verte, les saules lointains qui s'argentent et roussissent. Les animaux se répartissent autour de moi, Rita, Blackos, Georgette, ils prennent leurs dernières doses de vitamine D... 

Aujourd'hui, je suis retournée, avec Katia, pour la première fois depuis l'opération Covid, à Rostov dans le joli petit centre culturel "the Place" rencontrer la folkloriste Liéna, le père Alexandre, Vassia Tomachinski et sa femme. Il devait faire 25°, un ciel doux et limpide, et de chaque côté de la route, des forêts jaunes, translucides, frémissantes. Ce miracle se poursuivra jusqu'à dimanche.

J'ai retrouvé là bas également les Messerer, tombés en panne à Rostov sur le chemin de Ferapontovo. Nous avons pris le thé tous ensemble, fait connaissance, chanté. Je me suis rendu compte que les leçons avec Skountsev n'étaient pas inutiles, je suis plus à l'aise avec la vielle et les gousli. 

Je me disais sur le chemin du retour que nous vivions tous une vie à peu près normale, avec des rencontres entre amis, des expositions, des visites, des liturgies dans des églises que personne ne profane, sans traques policières ni racaille embusquée, ni chevaux mutilés, et que cela devait déjà être considéré comme une grande chance, dont je me demande combien de temps elle va durer. Ce qui se passe en France me paraît de plus en plus relever du cauchemar et de la fantasmagorie. C'est drôle comme dès que j'ai vu ce Macron, je m'en suis profondément méfiée, une tête de traître choisie sur casting, j'aurais plutôt voté pour un crocodile que pour cet individu, eh bien les Français qui n'ont pas décidé de s'abstenir, ont voté pour cet individu plutôt que pour la mère le Pen. Elle n'a pourtant vraiment pas la carrure du dictateur potentiel qu'on nous agite avec tant de pathos, alors que lui, s'il n'en pas la carrure, il en a les appuis tout puissants, et nous voici arrivés au terminus... J'ai trouvé ce soir dans mes courriels un message qui m'a glacé le sang d'un ami de plus en plus malade d'angoisse.

Sobianine semble répercuter à Moscou le discours occidental sur les vagues de virus à répétition et les concombres masqués, je dis bien "semble", bien qu'à vrai dire, il me paraisse un enthousiaste de la dictature numérique mondiale tout à fait convaincu, mais je dis "semble", parce que tout le monde ici a l'air de faire semblant. C'est d'ailleurs ma meilleure raison d'espérer que nous n'allons pas sombrer complètement dans la folie collective et la tyrannie qui s'emparent du reste du monde. Je m'aperçois qu'on peut si facilement hypnotiser des populations entières, et pourtant, il n'y a pas si longtemps, les Français ne se laissaient pas mener par le bout du nez. Il y a des domaines, d'ailleurs, où ils se montrent encore d'une incrédulité et d'un scepticisme en béton armé. Mais ils restent convaincus qu'ils ne peuvent pas être gouvernés par des malfaiteurs d'une rare fourberie et que la dictature, c'est possible dans des pays de tarés comme le moyen orient, la Russie et la Chine, mais pas chez eux.

Fatale erreur, elle est possible partout, et elle cherche à s'implanter partout, mondiale, et sans échappatoire. La Russie où je suis me semble un miracle de liberté. Pourvu que ça dure.

Hier, chez mon génial marchand de légumes, un vieux bonhomme branlant m'a fait tout un discours sur ce qui n'allait pas ici, et d'abord les gens. Les gens lui semblent tous dégueulasses, des voleurs, des minables, des lâches, des pourris. Tous égoïstes, tous vénaux, tous disposés à vendre père et mère. "Mais non, ai-je protesté, dans l'ensemble, je les trouve bienveillants et normaux...

- Pas du tout, pas du tout, et d'ailleurs, la meilleure chose qu'ait faite Staline c'est d'avoir installé la terreur, car les gens ne comprennent que ça. Quand ils pètent de trouille, ils ne volent pas, et ils respectent les vieux".

Je me suis dit que c'était ça, au fond, la mentalité idéologique, prendre tellement les gens pour des cons et des salauds qu'on ne peut envisager de les traiter autrement qu'à coups de fouet, en les dressant comme des bêtes de cirque, et c'est ce que faisait l'idole de ce vieux con, et avant lui bien d'autres réformateurs de l'humanité, à commencer par les nôtres, les Robespierre et les saint-Just, toute cette engeance qui a maintenant muté transhumaniste, avec ses petits sadiques en costars. Dans une telle configuration, il n'existe que deux options: tenir le fouet, ou prendre les coups, je suppose que ce vieux se voyait du bon côté du manche. Mais dans une telle optique, il y a parfois des ratés, et des bourreaux zélés qui se retrouvent parmi les victimes. Comme Trotski lorsqu'il a rencontré son pic à glace.