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samedi 19 juin 2021

Les prolongements infinis

 


La généraliste que j'avais ne travaille plus au centre de diagnostic, ce qui m'a beaucoup contrariée, les médecins, c'est comme les confesseurs, je n'aime pas trop en changer. Mais celle qui lui a succédé semble très bien. Elle prépare sa retraite à Pereslavl et exerce encore à Moscou. Elle m'a ordonné des examens, et m'a donné son numéro personnel. Elle soigne aussi par les massages. Elle m'a palpé la colonne vertébrale, sur la table, et j'en éprouvais déjà une sorte de soulagement général. Pour le reste, rien de tragique, et heureusement. Car je vois le moment où les non conformes et les pas assez riches ne seront plus soignés, bien contents si nous ne nous retrouvons pas parqués dans des camps. J'étais très inquiète, au début de l'opération Covid, l'année dernière, non à cause du virus, mais parce que cela semblait déclencher ici une sorte de coup d'état. Sobianine se comportait à Moscou comme un seigneur mafieux dans son fief. Poutine semblait méconnaissable, et surtout extrêmement absent. Puis, alors que la France se transformait en asile de fous qui me rappelait le Rhinocéros de Ionesco, j'observais qu'en fin de compte, la Russie faisait plutôt semblant. J'aurais préféré qu'à la façon de Loukatchenko, elle ignorât carrément tout le cirque de la pieuvre mondialiste. Mais les pressions de la caste étant ce qu'elles sont, je me disais, comme beaucoup de Russes, que Poutine finassait, gagnait du temps, louvoyait.

Or voilà que par l'intermédiaire de Sobianine, l'offensive des psychopathes mondialistes se déchaîne sur la Russie. Vaccination obligatoire pour Moscou et les villes de plus d'un million d'habitants. Le cirque recommence, de plus en plus sinistre, et la caste ne cache même plus ses intentions, soutenues en cela par trop d'imbéciles confiants ou de mesquins avides de jouer les redresseurs de torts. Je ne comprends pas comment il est possible de ne pas voir ce qui se passe, et encore moins comment on peut approuver cela avec enthousiasme, et même la joie mauvaise de voir mettre au pas les récalcitrants, c'est comme un cauchemar. Et Poutine, comme dit Dany, soit il ne peut rien faire, soit il est dans le coup. Contrairement à ce qu'on nous fait croire, il a peu de pouvoir sur ce qui se passe à l'intérieur du pays.

Il me semble que les Russe sont moins prêts que les Français à accepter des vexations et des contraintes inacceptables, peut-être ont-ils déjà trop soupé du totalitarisme dans lequel la France se précipite. Ils croient aussi moins systématiquement ce que racontent les médias. Et pour tout dire, leurs médias sont quand même moins unilatéraux que les médias français.Néanmoins, les pressentiment sinistres ne me lachaient pas hier soir et je ne parvenais pas à aller  dormir. J'ai regardé Regain, parce que Dany l'a beaucoup aimé et moi, dans ma jeunesse, pas du tout. J'avais adoré le livre, j'étais une fan de Giono. Il y avait dans le livre une exultation de la vie, une extase païenne qui semblaient absentes du film. Mon beau-père me disait: "les gens pensent tous que le midi c'est Pagnol, alors que le vrai midi, c'est Giono."

Néanmoins, a notre époque horrible, le film m'a fait retrouver un monde encore normal, celui qu'incarnait mon beau-père. Des gens dignes, simples, humains qui aimaient la terre. Il n'y a même pas une centaine d'années entre ce film et nous, entre Giono et nous, quand je le lisais, ce monde-là existait encore. Il a été si radicalement, insidieusement et impitoyablement détruit que l'on se retrouve au bord de la fracture, de la crevasse qui nous sépare de lui et nous interdit tout retour en arrière, en train de se frotter les yeux avec angoisse, et devant, c'est quoi ? L'enfer transhumaniste, la termitiere bétonnée, le Mordor.

Encore que le Mordor et ses émissaires infernaux aient une certaine grandeur par rapport aux démons auxquels nous avons affaire, tous ces répugnants vieillards génocidaires qui se prennent pour des surhommes et ressemblent à des morts vivants, ces goules politiciennes en tailleur Chanel, ces jeunes gens insipides, froids et propres sur eux qui semblent le produit de copulations virtuelles entre un ordinateur et une imprimante.

Au matin, je suis partie me baigner à l'embouchure de la rivière Troubej. Malgré la lèpre de la laideur contemporaine, subsiste ici quelque chose de vivant et de normal qui disparaît de Moscou, défigurée et incarcérée par Sobianine et ses prédécesseurs dans le verre et le béton. Des barques et des pêcheurs sur les berges, des massifs spontanés de fleurs gracieuses, des bonshommes qui sortent torse nu les arroser, des mamans avec des poussettes.

C'était le samedi des défunts et près de l'église des 40 martyrs se déroulait l'office correspondant. Je suis entrée dans l'eau fraîche, émaillée de fleurs aquatiques, et traversée par une paisible famille de canards. Les chants, les prières et l'encens me parvenaient par bouffées. J'avais choisi la baignade plutôt que l'église, parce que je n'ai pas de parents orthodoxes défunts et qu'on ne sait pas de quoi demain sera fait, si ça se trouve, dans dix jours c'est l'automne. J'avais gagné les deux, la baignade et l'office. J'avais vraiment une impression de grâce. Tout était si harmonieux et complémentaire, tandis que je m'éloignais vers le large du lac, agité de courtes vagues souples d'un bleu verdâtre, sous un ciel profond que hantaient à peine quelques petits nuages blancs. Pendant que tous les démons de la caste s'efforcent de supprimer la vie,  la mutilent ou la contrefont, ici, elle s'obstine, entre l'église et les barques. Des mouettes passaient en craquant, pareilles à des brèches immaculées qui s'ouvraient et se refermaient sur un autre monde. Je me disais que chaque moment de cette sorte qui m'était donné était une victoire sur la mort, sur cette prison en forme de tableau Excel que referment sur la Création de Dieu des malades en costar. C'était cela qui valait la peine d'être vécu. Dommage que trop souvent, les pêcheurs et les promeneurs de Pereslavl, les adolescents et leurs radios, ne s'en rendent pas compte, et rêvent de la "belle vie" qui n'est que la contrefaçon de la vie.

De retour sur la berge, j'entendais la fin de l'office: "Accorde le repos, Seigneur, à tes serviteurs là ou il n'y a plus ni maux, ni chagrins, ni soupirs, mais la Vie éternelle". Elle était là, la Vie éternelle, mystérieuse, immense, adorable et si simple, elle commençait avec les craquelures tourbillonnantes des mouettes, avec les chants et l'encens mêlés au murmure du vent, avec le lac et ses lointains, les barques prêtes à appareiller pour ce fin fond des choses qui en est le sens.

Pour oublier l'horreur totalitaire en marche, je prends chaque jour de ce bel été ma dose de Vie éternelle, mes prémices du paradis, du Prolongement infini dans lequel j'essaie de m'inscrire, c'est là ma prière. 



La vidéo de la Procession du sixième dimanche de Pâques, que l'éparchie a publié:



mercredi 16 juin 2021

80 belles journées.

 


J'ai vu que la maison de Nadia la chevrière avait brûlé. L'incendie est une chose qui me fait très peur, ici. J'ai rencontré Nadia plus tard, avec ses chèvres, elle faisait preuve d'un certain fatalisme. Elle s'est installée avec son mari dans la grange. Les chèvres restaient enjouées comme si de rien n'était. 

Je venais de recevoir des journalistes de la chaîne de télé "Saint-Pétersbourg", très gentils. Ils faisaient une émission sur Pereslavl, ils ont interviewé Nadia dans la foulée: "Pourquoi moi? s'est-elle récriée, je ne vais vous raconter que des choses tristes!"

Ils ont interviewé aussi les voisins d'en face. Ils cherchaient des gens du cru, et non des importés. Bon, moi je suis importée, mais ils m'ont interrogée quand même, puisque je fais partie des curiosités du pays. "On dirait que des natifs du coin, il n'y en a plus, m'ont-ils dit.

- J'en connais quelques uns, mais c'est vrai, il y a beaucoup de moscovites, et aussi d'Arméniens, d'Ukrainiens, et quelques Français ou Européens...

Ils m'ont demandé de chanter mais j'ai été nulle. Un des garçons a protesté qu'il avait une éducation musicale et n'était pas de cet avis, et qu'il couperait les erreurs au montage. Mais j'étais affligée, car je chante et joue beaucoup mieux d'habitude, et c'étaient des chansons que je connaissais bien.

Auparavant, j'étais allée au café français rencontrer les artisans de Gilles. J'y ai vu mon éléctricien Kolia, et l'assistant de Gilles, Sacha, m'a expliqué pourquoi on l'y rencontrait si souvent: sa petite amie y travaille. J'étais contente pour ce jeune homme qu'il ait trouvé sa paire.

Les artisans sont tadjiks ou quelque chose comme ça, pas russes. Ils font justement une véranda à Gilles, dans sa maison de Koupanskoié. Ils proposent de faire la mienne un peu plus grande que je ne le pensais, je redoutais que cela ne soit pas très harmonieux, ils m'assurent le contraire. C'est pour une raison de fournitures, afin de limiter les pertes, en fonction de la longueur des planches fournies à la base de Brembola. D'un autre côté, j'aurai plus de place, et ça cachera mieux la maison du voisin. Ils ont l'air de savoir ce qu'ils font. L'un d'eux m'a dit qu'il avait travaillé chez moi du temps de Kostia, avant mon arrivée.

Il faisait chaud et lourd, je n'ai jamais vu autant de moustiques que cette année. Je pense quelquefois à cette phrase d'une Russe sur facebook: "Nous n'avons que 80 belles journées par an, mais elles sont superbes." 80 belles journées, cela fait presque trois mois, eh bien je ne suis pas sûre qu'on les aie, enfin, à moins de compter les belles journées d'hiver. Aujourd'hui, cependant, miracle, du soleil, du vent, et un ciel d'azur, avec juste quelques allusions de nuages de temps en temps. Je suis restée toute la journée dehors, après la tonte du jardin, j'ai joué des gousli, beaucoup mieux que devant la télé de Saint-Pétersbourg! Et tout était mystérieusement paisible, le ciel semblait se solidifier dans ma clôture bleue pour pénétrer et sertir la verdure phosphorescente, et les iris illuminés me rappelaient les veilleuses translucides des églises. Je pensais aux réflexions du métropolite Antoine de Souroj sur la prière. Ces moments d'émerveillement, et de silence, un silence qui n'est pas une absence de sons, mais l'absence de ces bruits qui nous empêchent de percevoir le chant de la vie, et d'atteindre à cette paix et à cette perméabilité aux émanations bénéfiques du sacré, du cohérent, de l'organique, de l'Existant et de l'Eternel.

Mais vers le soir, c'est devenu cacophonique, tondeuses, motos, gosses, déambulant radios sous le bras... J'ai trouvé sur facebook encore un témoignage du passé sur l'admirable chant populaire russe que tout le monde pratiquait. Un voyageur note que les gens du peuple adorent la musique, que les chants sont élaborés et interprétés par des voix magnifiques. Mais bien souvent, les parents de ces gosses élevés aux bruits mécaniques agressifs et à la musique de merde, sont persuadés par plusieurs décennies de lavage de cerveau que leurs ancêtres vivaient à quatre pattes dans la boue, dormaient dans des huttes, une bouteille de vodka dans une main et une balalaïka dans l'autre, et qu'ils sont beaucoup plus évolués qu'eux.

https://www.facebook.com/laurence.guillon.10/posts/10223145475058966?__cft__[0]=AZXfSA4pJqP8NRBpSWx15ststnUY5nY92-0TfHRBB3JR3dCCfDN8c0MDdWOWk7mycB5amaoopHhbJxEvFYgo9oMQqQT0IpwGi7AhafQ_8zUCikwDutArHqghf5DgLACSlj9HlZrt9Wj_rOTyX_YMVFQk-3JIGyFWUIFftgGHi84Vcg&__tn__=%2CO%2CP-R

Pour être juste, en France, c'est la même chose. On a élévé déjà trois ou quatre générations d'abrutis persuadés que le moyen âge, c'était les ténèbres, et qu'être paysan, c'est bon pour les débiles.

J'ai vu passer un documentaire français sur les destructions du patrimoine à Moscou et en province, et sur le mauvais goût fantasmagorique du richard russe. C'est hélas la vérité. Ce qui m'a profondément affligée, c'est que Nikita Mikhalkov, dont j'aime l'intelligence, l'humour, la culture et les émissions salutaires semble avoir trempé dans de telles affaires immobilières, je comprends pourquoi il n'a jamais donné réponse à ma lettre...

 https://www.facebook.com/effetpapillonofficiel/posts/243515760909407?__cft__[0]=AZUPdOxGPucfe7vjC0giWSbjwuB3jcnoB1hpim3g7gRf1FswDYHLmKxFjm2OkL87I_YdmR-9hFUQrxDR52eT6X8EIo6LzklUI8ZTFSnBp7XNTCBVC_g4x6VjlNjjx7aoU57KPhD5bgKqQs3of64xSdSkU-gj1vJ6N2VfKffJy9pdDQ&__tn__=%2CO%2CP-R

Le succès et la richesse soumettent à bien des tentations...








dimanche 13 juin 2021

Le monde russe

 


Les cosaques m'avaient invitée au festival du "monde russe", à Serguiev Posad. Leur autobus partait à huit heures du matin, j'y suis allée en voiture, à dix heures, avec Aliocha, mon petit voisin, le fils d'Ania et Kolia. C'est un ado intelligent et bien élevé. Il voudrait devenir pâtissier. J'ai tout de suite vu qu'il pourrait entrer en apprentissage au café français d'ici quelques temps, mais il voudrait d'abord travailler un an chez un pâtissier à Moscou. Drôle d'idée, quand on a le génie du gâteau français sous la main... Mais il ne se rend sans doute pas compte de ce que l'occasion a d'unique!

Aliocha m'a expliqué que dans sa famille, tout le monde mettait la main à la pâte. Son père est plutôt rôtisseur, sa mère plutôt pâtissière. C'est normal, en France aussi, les hommes s'occuppent traditionnellement plutôt des viandes. Ces gens, qui ont gardé beaucoup de qualités de la Russie d'autrefois et les transmettent à leur fils, ont du coeur et de la finesse. Quand Ania travaille, c'est son mari qui fait la cuisine. Tous les membres de la famille s'entraident, et ils aident volontiers les voisins.

L'endroit où avait lieu le festival était très beau, la nature y est belle, les essences d'arbres, les prés fleuris de lupins, les vallonnements, la petite rivière... On y a construit une cité dortoir, fort heureusement peu élevée, mais je crains qu'elle ne reste pas seule. De là, on avait une vue magnifique sur la Laure de la Trinité-Saint-Serge.

Il y avait énormément de monde, mais nous avons trouvé facilement nos cosaques de Pereslavl. Ils ont joué, dansé, fait la danse du sabre et du fouet. J'espérais rencontrer des folkloristes comme mes copains de Moscou, ou des joueurs de gousli, car il y en a qui vivent à Serguiev Posad, mais je n'ai vu aucun d'entre eux. 

J'ai fait avec Aliocha le tour des exposants, je n'ai rien vu de bien extraordinaire, le "monde russe" ne s'exprimait vraiment pas à plein. Parmi des hordes de badauds, erraient des cosaques, des jeunes gens en costumes typiques, d'autres en costumes médiévaux, étrange mélange qui reflétait les réalités différentes dans lesquelles nous vivons, en ce crépuscule de nos civilisations qui est peut-être celui de l'humanité. Ce qu'il reste de la Russie, au sein des représentants de ses tristes lendemains, cependant nombreux à se rendre à ce rassemblement patriotique, je ne l'aurais même pas cru.




Aliocha et Rita




samedi 12 juin 2021

L'anniversaire du prince

 




On fêtait ce jour les 800 ans de la naissance du saint prince Alexandre Nevsky, qui défendit à l'âge de dix-neuf ans la Russie contre les Suédois et les chevaliers teutons et préféra la soumission aux Tatars qu'aux occidentaux catholiques. Les Tatars s'intéressaient au tribut qu'on leur versait, pas à l'âme des peuples conquis. Alexandre mourut à la quarantaine, probablement empoisonné, au cours de l'un des épuisants voyages qu'il faisait sans arrêt pour se rendre auprès du khan de la Horde. Il naquit il y a 800 ans à Pereslavl. L'église où il fut baptisé est encore debout. Elle est en pierres, d'un style très pur. La coupole, trop lourde, est plus tardive. A son époque, elles étaient plus discrètes et pareilles aux casques que portaient les guerriers, c'étaient des églises simples, pures, douces et guerrières.

On a du mal à se représenter Alexandre autrement que sous les traits de Tcherkassov dans le film d'Eisenstein, destiné à galvaniser le patriotisme des Russes, pendant la seconde guerre mondiale, après l'avoir combattu au cours des décennies communistes précédentes. Je pense que c'était un beau prince russe, d'abord, les Russes jeunes sont souvent beaux, voire très beaux, et à l'époque, ils devaient l'être encore plus: ils étaient entraînés au métier des armes dès six ans, dans la noblesse, ils vivaient au grand air et proches de la nature. Je le vois donc, comme son église, simple, pur, doux et guerrier, avec un casque sur la tête.

Jeune fille, j'avais la fibre épique, en fait, je l'ai toujours gardée, comme toute personne normale que n'a pas détruite la modernité. J'étais donc amoureuse d'Alexandre Nevski, en concurrence avec Ivan le Terrible, et à la suite d'Hector, de l'Iliade.

J'aime beaucoup la phrase chevaleresque d'Alexandre Nevsky que les Russes citent abondamment: "Dieu n'est pas dans la force, mais dans le droit".

Je me suis rendue au service solennel dans le monastère "riche" de Pereslavl, saint Nicolas. Belles fresques, belles icônes, beau choeur sans doute invité pour l'occasion; tous les cosaques au grand complet, avec les bannières de la procession précédente. Romane était sur son trente et un, habillé à la russe.

Devant saint Nicolas, on a installé pour l'occasion un monument à Dostoievski qui m'a paru très honorable, et beaucoup plus à sa place que l'énorme copie de sainte Sophie de Constantinople que ce même monastère va édifier au village de Godenovo... 

Pour le reste des festivités, j'ai décidé de m'en passer. Pendant la liturgie, je priais saint Alexandre d'intercéder pour sa ville, qui devait être si pittoresque et fantastique à son époque, qui l'était encore quand je l'ai connue, et qu'on a transformée en agglomération "moderne", comparable à un amas fortuit de briquettes de lego, jetées n'importe comment au bord d'une flaque. J'aurais souhaité que pour son anniversaire, l'argent des restaurations ne fût pas réservé à Saint-Pétersbourg, où Pierre le Grand a exilé ses reliques, mais où il n'avait jamais mis les pieds de son vivant. Que la coupole de son église fut rétablie dans le style qu'elle avait, ou au moins repeinte en sombre comme autrefois, et non dans cet horrible ton verdâtre de hall de gare que lui a choisi un esthète local. Que la cathédrale qui porte son nom bénéficiât aussi d'une restauration décente, extérieure et intérieure, sans parler de ses voisines, l'église saint Vladimir et la malheureuse et ravissante église du saint métropolite Pierre... Que les rues adjacentes à l'artère principale fussent pour l'occasion rendues praticables; et les trottoirs également. 

J'ai davantage fêté saint Alexandre le jour de la procession radieuse du sixième dimanche de Pâques.

Depuis ma maison, j'ai assisté avec la voisine Ania, son mari et son fils, au ballet d'avions à réaction qui avait lieu dans le ciel de la ville. Cela faisait un bruit terrible, et je pensais à l'effet produit par ces oiseaux de fer rugissants, quand ils ne font pas de parade militaire mais déversent des bombes sur ceux qu'ils survolent. Mes chats étaient terrorisés, je voyais des flêches poilues de différentes nuances passer dans tous les sens.


Hier soir, le voisin Alexandre est venu me donner des conseils pour le drainage. D'après lui, la glaise déversée à côté n'est pas seule en cause, ce que je crois volontiers. Comme tout le monde fait pareil, et que tout le mois d'août dernier les camions de glaise se succédaient dans la direction du marécage, il suggère d'envoyer une pétition à l'administration, car tout le système de canaux qui existait depuis la nuit des temps a été bouché par ces interventions brutales. Cependant, il est d'avis qu'il faut bien faire quelque chose du côté du tuyau déjà à moitié bouché, et c'est lui qui parlera au responsable. Pour le reste, il me faudra faire une tranchée le long de la palissade, créer une pente, et nettoyer les canaux autour de la maison.

J'ai une sorte d'églantier que je vois souvent en Russie, il ressemblerait plus à un rosier, par la fleur, mais il est buissonnant et vivace. C'est la première année qu'il fleurit vraiment, et il sent merveilleusement bon. Celui que j'avais prélevé dans le jardin de l'église du père Valentin s'est également installé, et il m'a fait sa première fleur blanche. 






vendredi 11 juin 2021

Remords

 

la maison d'Ania et Kolia

Mon marchand de légumes s'appelle Edik, Edouard, il est azeri. Nous avons parlé de la France, des masques, des vaccins. "Tout ce cirque, c'est pour nous amener à la dictature générale, me dit-il. Vous savez ce que j'en pense? Il faut nous débarrasser de tous nos gouvernements, tous, dans le monde entier. Maintenant, ça commence vraiment à bien faire."

J'ai emmené Chocha chez le vétérinaire, elle pisse partout, il est possible qu'elle soit malade, elle est vieille, il est possible qu'elle ait un problème rénal, on lui a fait une prise de sang. Je l'avais engueulée, la veille, elle prenait un air profondément scandalisé absolument humain. Du coup, je me reprochais de l'avoir fait. Elle est restée plutôt prostrée deux jours, maintenant ça va plutôt mieux, sauf qu'elle continue quand même à pisser partout, tandis que les autres chats marquent leur territoire et je me sens dépassée par les événements, je n'arrête pas de nettoyer et de faire tourner la machine. Je finis par me dire que j'expie quelque chose, les animaux que je n'ai pas su protéger, mon petit Doggie, dont je n'avais pas deviné toute la gravité de l'état, avec mes histoires de visas et de voyages inévitables pour les renouveler. Peut-être même que j'expie les péchés des autres, de ceux qui ont abandonné toute cette bande de cons, comme Mitia Karamazov quand il part au bagne.

Ce matin, c'était Rita qui me posait problème, elle est en chasse et se débine avec l'affreux basset noir qui règne sur toutes les chiennes du quartier. Je n'osais pas partir à l'église sans l'avoir récupérée. Elle est arrivée au dernier moment, je l'ai mise dans la voiture.

J'avais l'intention de communier, je vais donc me confesser au père Andréï. Je lui parle de mon petit Doggie, de ce remords, de ce chagrin qui ne me quittent pas depuis qu'il est mort, et aussi de maman. La lâcheté, l'égoïsme dont j'ai fait preuve dans ma vie me rongent beaucoup plus le foie que les quelques aventures que j'ai eues avec des bonshommes. "Je pense que j'ai déjà confessé tout cela, mais ça me tourmente quand même, pourtant, si je l'ai confessé, cela devrait me laisser en paix? 

- Non, pas du tout. Dieu nous pardonne, mais nous, nous continuons à nous reprocher nos péchés, cela contribue à nous en donner la conscience, nous sommes tous coupables de quelque chose, c'est comme ça..."

Je pensais à la phrase du métropolite Antoine de Souroj: "L'enfer peut se définir en deux mots: trop tard"...

Je suis allée communier la larme à l'oeil. Il n'y avait plus de prosphore, pour me caler une dent creuse. Mais pendant le sermon, la dame qui vend les cierges est venue m'en glisser une dans la main avec un grand sourire, car on venait de lui en apporter. Les gens de la paroisse sont tellement gentils...

A la sortie, le prêtre ukrainien dont j'ai oublié le nom, le père Vassili, je crois, est venu me trouver pour me demander de donner des cours de français à sa fille Macha. Je déteste donner des cours, mais comment refuser? Il est extrêmement gentil, et sa Macha est très mignonne, elle a treize ans et un joli minois aux yeux noirs. 

Il ne fait pas très beau, frais humide, sans vent, plein de moustiques. Romane a fini la palissade, cela me dérobe au moins la vue du sinistre terrain. J'ai vu passer une photo de l'année dernière, quand tout cela était encore libre, vivant, plein de ciel et de nuages. Maintenant, c'est fini, circulez, y a rien à voir. J'ai acheté un saule frisé. Ca vient gros, mais on m'assure qu'il est facile de contrôler les dimensions en taillant. Le saule frisé n'avait que quelques feuilles tristounes, mais en l'espace de deux jours, il m'a déjà fait des rameaux de dix centimètres, j'ai même cru que j'avais des hallucinations.

Dès qu'il fait meilleur et que le vent souffle, je suis dehors; je contemple les feuillages, les fleurs et les nuages. Je joue des gousli et je dessine, quand je ne travaille pas sur le terrain, bien entendu.

 











dimanche 6 juin 2021

Procession

Ma clôture, esthétiquement, change tout, elle ne dissimulera pas la maison, ni sa terrasse, mais elle cache au moins la tranchée de la guerre de 14, la glaise et les débris de chantier. Cela dit, elle me coûte de l'argent, et puis la couche de terre est à côté si énorme, que lorsque le responsable de la situation se promène je vois ses épaules et sa tête, comme s'il montait la garde sur un rempart, sous lequel je l'assiège du fond de mon hamac, au milieu des fleurs et des herbes folles. Il me faudra des arbustes de trois mètres pour retrouver un peu d'intimité.




Je me suis confessée à monseigneur Théoctyste et lui ai dit que j'avais beaucoup de mal à rester sereine devant ce genre de choses, devant le massacre de Pereslavl, le mauvais goût fantastique, et il m'a répondu ce que je savais déjà, que les gens n'en sont pas responsables, parce qu'on avait exterminé la fine fleur de la nation, anéanti la paysannerie et son artisanat, ses traditions, mais qu'il comptait néanmoins sur le fond génétique, la mémoire génétique. Il pense aussi qu'après l'austérité soviétique, les gens ne sont pas repus des biens de consommation et font n'importe quoi par cupidité ou pour avoir l'air riche. En me donnant sa bénédiction, il m'a dit:"Ne vous indignez pas, le Christ sera de toute façon vainqueur". 

Ici, sur ce post de facebook, on peut voir que la plage municipale de Pereslavl, promise à la "rénovation" que l'on sait, et interdite tout l'été aux habitants non consultés, est envahie très naturellement par ceux-ci, désireux de profiter de ce qui est à leur disposition gratuite depuis la nuit des temps: leur lac et la possibilité de s'y baigner à la courte belle saison, nonobstant les projets d'on ne sait quels requins. La vie proteste.

https://www.facebook.com/groups/1356355664454423/user/100005691128725/?__cft__[0]=AZVA8Zn6vGdNk9vJlrTkUpwNNJ3P8T8SRa-O8pujRhJLJH7MNeIza_Z0-IKKKpzQawmv8sRisnmA5nhVIY_w0qKgs0cj47vg-qMZdPAS7zLilSFq6gn-pvPrNzlaetdkp1MsGuRoKqoI0JZuzJdmt7D7yxMv96-80ozhDM50Qs7toBC5XoXY61ziueSkx4MsBEc&__tn__=%2CP-R

Aujourd'hui, les croyants de Pereslavl, et les touristes, avaient rendez-vous près du café français pour la procession, le long de la rivière Troubej jusqu'à son embouchure, qui commémore le jour où la princesse Eudoxie, femme de Dmitri Donskoï, avait trouvé refuge avec ses enfants et la population de la ville, au milieu du lac, dans le brouillard qui les dissimulait aux Tatars désireux de s'emparer de ces otages. Traditionnellement, le clergé va bénir les eaux du lac au centre de celui-ci. 



Auprès de l'éléphant rose se rassemblaient chasubles rutilantes, cosaques porteurs de bannières, pieuses créatures en fichu avec leurs icônes. Je rencontrais des tas de gens qui me saluaient chaleureusement! "Le Christ est ressuscité!" Beaucoup de visages me sont familiers mais je ne me souviens pas toujours de qui il s'agit, parce que je commence à connaître vraiment beaucoup de monde. Katia était revenue de Moscou jusqte à temps. J'ai cheminé avec une femme artiste peintre très sympathique, impossible de me souvenir de son nom. Nous nous demandions où était notre évêque, peut-être déjà sur place à l'embouchure? Et tout à coup, nous l'avons vu passer, dans une grande barque orange décorée de bleu, avec son clergé en robes de Pâques, rouges et or.

Sur le chemin, tout notre pieux cortège s'est retrouvé enlisé dans une flaque énorme, et nous essayions de marcher sur les côtés en file indienne, avec nos chaussures d'été qui s'enfonçaient dans la boue. "Plutôt que de bétonner le lac, dis-je à l'artiste peintre, ils referaient simplement ce chemin, en laissant tranquilles les berges de la rivière, juste un chemin décent, vous croyez que ça ne coûterait pas moins cher?"

A cause de la flaque, nous sommes arrivés trop tard pour le départ des barques vers le milieu du lac. Mais j'ai vu le retour, le drakkar de l'évêque, l'évêque lui-même, radieux, et le père André, de l'église de la Sainte Rencontre, qui se faisait une joie d'asperger les fidèles de la rive avec l'eau du lac récemment bénite, et je le fus des pieds à la tête, ce qui m'a bien rafraichie. 


le père André, monseigneur Théoctyste et le père Serge
https://www.facebook.com/Atrops/videos/4084077141672079/?__tn__=%2CO
https://www.facebook.com/Atrops/videos/4084078338338626/?__tn__=%2CO-R

Après quoi tout le monde s'est retrouvé dans la cour de l'église des Quarante Martyrs, avec vue sur le lac, dont je me disais que pareillement béni, il devrait échapper aux sinistres projets des promoteurs. L'ensemble local chantait du sirop pseudo-folklorique soviétisé comme ils aiment, mais patriotique, quand même. Les gens étaient si heureux et si paisibles, si simples, si bienveillants, sous les nuages blancs et les mouettes torunoyantes, parmi les chasubles et les uniformes, et je me disais que la Russie, elle était encore là, malgré toutes les disgrâces imposées à cette pauvre ville. Je songeais à la procession de catholiques attaquée à Paris par des antifas, et je remerciais Dieu de pouvoir participer en paix à tout cela. 

Le cosaque Romane, qui me fait ma palissade, avec sa femme, la folkloriste Olga


Je suis revenue à pied, avec Katia et une jeune femme, Dacha, dont la famille de marchands était à Pereslavl depuis le XVIII° siècle. elle s'intéresse au folklore, et à la restauration des vieilles maisons de sa ville, thèmes dont nous avons discuté en chemin. Un orchestre militaire, sur la rive, a retenu notre attention. Il jouait très bien de ces anciennes marches russes que j'adore, une pareille chose est-elle encore possible, dans la France cocopitaliste d'aujourd'hui, pourrie d'antifas? Ces accents martiaux et nostalgiques nous suivaient sur le pont qui enjambait la rivière, et les isntruments à vent étincelaient au soleil.

Katia près d'un églantier de la sorte que j'ai plantée chez moi

L'orchestre et un jeune inconnu en costume russe

Nous sommes ensuite allées finir la virée au café français où nous avons discuté de la situation générale. "Quel bonheur, disait Katia, que d'avoir un tel évêque, et de tels prêtres, si dévoués, Pereslavl est en ruine, il est la proie de toutes sortes de requins; il a une administration infâme, mais nous avons un clergé remarquable, d'un haut niveau spirituel.
- Oui, c'est un peu comme en Ukraine, où ils sont au fond du trou, mais ils ont le métropolite Onuphre, un clergé sensationnel et des fidèles mobilisés. Eh bien nous, nous avons monseigneur Théoctyste, et il a un tel rayonnement, que sans avoir avec lui de relations vraiment suivies et amicales, il nous suffit de le voir, de recevoir sa bénédiction, de le savoir avec nous, pour être rassurés et soulevés vers le haut."
Bon, il y a bien quelques higoumènes féminines mégalomanes, mais rien n'est parfait...


jeudi 3 juin 2021

Clôture bleue


Débarquement de Génia le balalaiker. Le temps aujourd'hui était idéal, ensoleillé, venteux, vivifiant, sans moustiques. Romane le cosaque a attaqué la confection de la clôture. Je jouais des gousli dans le jardin, en regardant bouger les feuilles, et chatoyer la lumière au travers de leurs dentelles, et des fleurs qui commencent à apparaître. Les chats et Rita se répartissaient autour de moi, à divers endroits, Blackos, Georgette, Moustachon, le petit Robert, qui n'a eu que la rue à traverser pour passer de l'enfer au paradis; et le chat de la mère de Génia, dont je n'avais vraiment pas besoin, et qui s'obstine à venir me trouver. 
Génia m'a rejointe avec sa balalaïka. Il m'a dit; "Je sais ce qui ne va pas avec toi, tu as dans la tête la musique occidentale qui met tout au carré, et les musiques traditionnelles font dans la nuance. Mais joue!" Il s'est mis à jouer de son côté, pour m'accompagner, et me donner le rythme, et cela s'est prolongé un bon moment, je me laissais embarquer. Ce qui me perturbait par instants, c'était le passage de camions puants qui se rendaient dans le marécage pour y déverser encore et toujours des tonnes de glaise. Dès que j'oubliais les camions, et revenais aux gousli, au vent, aux lumières et aux fleurs, je rattrapais Génia, et tout se passait bien.
Romane alignait les planches bleues de la clôture, et je me disais: "Au dehors, tout est défiguré, les requins guettent le lac, le voisin a détruit tout son terrain, enseveli tout ce qui y vivait, les camions passent les uns après les autres, mais à l'intérieur de la clôture bleue, tout reste vivant, les chats y vont et viennent, les oiseaux, les insectes, les "mauvaises herbes" et les roseaux côtoient les arbustes et les fleurs. A cause des dégâts causés à la nappe, tes deux poiriers et ton pommier sont en train de mourir, mais tu vas essayer de faire pousser dessus une vigne vierge, pour conserver de l'ombre, et ce sera même assez joli, en automne, ce dôme de feuilles écarlates. Le cancer de la modernité détruit absolument tout, mais tu représentes une partie du tissu sain de l'univers, tu mets de la beauté et de la musique autour de toi. De la vie". 


Romane à l'oeuvre.


moi je fais l'inspecteur des travaux finis….


La veille, je suis allée au bord de la rivière Troubej, où les cosaques locaux se réunissaient pour chanter. L'accordéoniste m'a serrée sur son coeur en me demandant de mes nouvelles. "Ca va, mais je suis très affligée par ce qui se passe dans le monde en général et à Pereslav en particulier, on détruit tout; tout devient hideux, vulgaire, stupide et dément.
- Mais nous devons résister! Nous devons à notre niveau, faire tout ce que nous pouvons pour résister, et par exemple, nous réunir, et jouer de la musique, et faire la démonstration que nous pouvons vivre autrement, dans la foi, l'honneur, le bonheur familial, l'amour de la patrie, le respect de ce qui nous entoure, c'est là notre mission!
- Oui, oui, bien sûr, et c'est ce que j'essaie de faire! Je le disais justement à Romane aujourd'hui, les cosaques vivaient traditionnellement aux frontières, quand le danger venait de l'extérieur, mais à présent, c'est à l'intérieur qu'il se situe, il est transversal à tous les pays du monde, et donc, l'important est de préserver l'esprit, là où Dieu nous dépose!"
Et que cette petite réunion était sympathique! Je pensais à la France et ses concombres masqués traqués par un gouvernement de malfaisants déchaînés, ici, au moins, on peut se réunir, chanter, sans masque, sans surveillance permanente. Des jeunes filles ont fait la danse du sabre, ce qui n'est en principe pas l'affaire des jeunes filles, mais des jeunes hommes. Après les chants folkloriques et guerriers, on a chanté Victor Tsoï, le Jim Morrisson russe, à la grande joie d'un jeune couple qui avait l'air passablement défoncé, d'ailleurs. Deux ivrognes de passage ont dansé, à la russe, sur l'estrade, et pas mal, la mémoire, peut-être génétique, leur revenait. Des paires se sont formées, à leur suite, deux copines, un père et sa fille, un jeune homme et une jeune fille... Oui, il a raison, l'accordéoniste, nous ne perdons pas notre temps. Un homme m'a même remerciée de chanter ce que tout le monde a tendance à oublier.


Olia la femme de Romane