Un étang près de chez moi |
Il me semble être
partie depuis au moins six mois, tellement j’ai changé de monde, je pense avec
affection et nostalgie à Cavillargues, à mes orthodoxes, à ma famille, aux
magnifiques promenades quotidiennes dans la lumière et la beauté du midi, mais
je ne regrette pas, car je me sens en paix avec moi-même, et en phase avec le
milieu où je suis.
Ce matin, je suis
quand même retournée chez le père Dmitri, qui a fait aujourd’hui deux sermons,
un après l’évangile, et l’autre à la fin de l’office, racontant la vie de tous
les saints célébrés au cours de la semaine à venir, comme s'il les avait personnellement connus. Son sermon partait de la
compassion, de la solidarité, exprimée par le passage de l’évangile où le
Christ ressuscite le fils de la veuve, et aboutissait à l’iconographie, en
passant par la foi et le repentir, c’est un prêtre intarissable. A propos de
l’iconographie, il a dit : «Un enfant ne dessine pas ce qu’il voit, il
dessine ce qui est important pour lui. Dans les icônes, nous peignons ce qui
est important. Les icônes nous regardent depuis l’au-delà et reflètent le
mystère de toutes choses mieux que n’importe quelle peinture réaliste et
académique. » Je ressentais de la paix et de la joie. Une petite fille de
quatre ans chantait avec enthousiasme, sa petite voix perçante et très juste
voletait au dessus de celles du chœur, dirigé par Olga. Elle connaissait tout
le symbole de Nicée, et beaucoup de répons.
Au moment de la
communion, un type d’une quarantaine d’années m’a glissé : «Vous me donnez
quelque chose pour acheter du pain ? » Il avait l’air d’avoir honte,
je lui ai donné.
L’église du père Dmitri est ornée de très belles icônes
contemporaines, et le mobilier en est bien choisi, simple, et les chants aussi
sont simples et beaux. A la fin de l’office, je suis allée vénérer la croix et
lui baiser la main et il m’a embrassée et accueillie comme l’enfant prodigue,
en m’invitant à sa table et en me demandant où j’étais passée. «J’ai essayé
plusieurs fois de vous appeler, votre numéro ne marchait plus, mais je n’ai pas
cessé de prier pour vous. »
A table, après la
soupe, les pirojkis, les salades composées et le petit verre de vin doux, il a
déclaré aux paroissiens présents : « Laurence, notre paroissienne
française nous est revenue. Pour longtemps, j’espère ? Peut-être pour
toujours ?
- Si on ne me chasse
pas, oui, j’ai l’intention de rester…
- Mais même si l’on
voulait vous chasser, nous ne vous laisserions plus partir ! »
Moi qui n’étais pas
sûre qu’il arrivât à me reconnaître…
D’après le plombier
Rouslan, le père Dmitri a tout un espace dans son église pour donner des
concerts, et il s’intéresse beaucoup au folklore, ce que je savais déjà. Il
doit être possible d’organiser des choses avec lui, de faire venir les
cosaques, ou des joueurs de gousli et de balalaïka.
Pour l’instant, les
gens du cru me conviennent parfaitement. Je ne ressens pas la nécessité d’un
public plus choisi, de relations moscovites. Je me sens dans mon élément.
Le soleil étant
revenu, je suis allée me promener avec mon chien dans la direction du lac, et
j’ai fini par le trouver, mais il n’était pas encore très accessible de ce
côté. Finalement, Kostia m’a montré comment parvenir à la plage de la ville, un
endroit idéal pour aller rêver devant l’espace bleu. Puis je suis allée chez
Olga, en traversant d’immenses ondulations de terre parcourues d’herbes sèches et
de bouleaux transis, dans les vestiges dorés de leur fête automnale. Sa mère,
Anastasia, une grand-mère en fichu encore belle et très digne, m’a accueillie
avec un sourire timide et m’a brusquement saisie dans ses bras. Olga préparait
des varenniki au fromage de ses chèvres, pour ma venue, et m’a montré comment
on les faisait. Puis nous les avons mangés, avec de l’infusion de sorbes, avant
de passer à l’étuve. On m’a prévenue qu’elle était « à la manière
noire », c’est-à-dire que la fumée ne s’évacue pas par un conduit, et que
la pièce est noire de suie. Je suis entrée dans la délicieuse chaleur d’une
cabane ténébreuse où nous étions nues comme des sorcières, dans la
faible lueur d’une seule lampe, à transpirer sur une serviette. Nous nous
sommes fait un gommage avec du marc de café, et nous nous sommes fouettées avec
des branches de bouleaux. Puis nous nous sommes aspergées d’eau plus ou moins
froide, à notre convenance. On sort de là bien mieux récuré qu’après un bain ou
une douche, et merveilleusement détendu.
A l’issue de ces
procédures, nous sommes allées nous étendre dans l’isba, manger à nouveau des
varenniki et boire du vin de groseille fabrication maison : outre qu’il est
plein de vitamines, il est excellent pour le cœur, car il dilate les vaisseaux
et favorise la circulation du sang. On met un volume de fruits pour un volume
d’eau, une livre de sucre et on laisse fermenter, avec un gant de chirurgie
enfilé sur le couvercle : tant que le gant reste gonflé et dressé, c’est
que le processus n’est pas fini.
Olga et sa mère ont
deux chèvres, un potager et vivent presque en autarcie. En hiver, tout le monde
se replie dans une seule pièce, celle où se trouve le poêle russe.
Elles m’ont reçue avec
une immense gentillesse. Kolia l’électricien m’a raccompagnée. Le ciel était
plein d’étoiles et je ne les avais pas revues depuis ma terrasse de
Cavillargues, quand je dormais sur mon hamac par les nuits du mois d’août.
Comme Olga se désole
de ne pas avoir un seul tableau chez elle, je lui ai promis de lui en faire un.
Apparition du lac |
Ma rue |
Une trouée de lumière |
Ma maison se couvre de planches. Un taxi a trouvé la couleur sensationnelle. On la voit de loin. |
Splendide. Merçi merçi beauçoup pour çette tranche de vie bel et douçe soiree amities marie
RépondreSupprimerJ'espérais de tes nouvelles !Et Bingo en allant sur ton Mur...Toutes ces personnes ont des racines et l'on ressent le poids,la densité je veux dire, de leur quotidien...
RépondreSupprimerQuelle chaleur vous nous envoyer, une chaleur profonde une chaleur qui vous réconcilie
RépondreSupprimeravec l'humanité.
C'est magnifique je ne me lasse pas de te lire et j'attends chaque jour voir s'il y a un autre récit aussi palpitant, merci Laurence de nous faire vivre ta vie et la vie de nos amis russes au travers de tes écrits
RépondreSupprimerC'est magnifique je ne me lasse pas de te lire et j'attends chaque jour voir s'il y a un autre récit aussi palpitant, merci Laurence de nous faire vivre ta vie et la vie de nos amis russes au travers de tes écrits
RépondreSupprimerPas beaucoup de soleil .. Mais pourtant, de là-bas, vous nous illuminez !
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup tes photos et tes "personnages" (pardon! tes nouveaux amis,)tous hauts en couleurs. Tout le monde, ici, aime ton initiative de nous faire pénétrer tous les jours un peu dans ta nouvelle vie. Merci.
RépondreSupprimerDe plus en plus belles tes photos !
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