lundi 10 octobre 2016

Une vieille et des chèvres.


Le patron du café la Forêt semble très aimable et très solidaire. En dehors de lui et de moi, il y a encore un Français, qui monte une écurie de chevaux. Il y a aussi un Anglais, et un Suisse orthodoxe apiculteur, dont Kostia m’a donné un pot de miel. Ce Suisse avait épousé une Russe qui n’a pas voulu le suivre dans son pays d’origine, comme quoi méfiez-vous messieurs, parfois, si on choisit un étranger, c’est parce qu’on pense trouver le paradis en Europe, celui des petites culottes en dentelles des nunuches du Maïdan.
On est en train de m’empaqueter la maison dans de la laine de basalte. Je ne vois pas le moment où cela sera terminé. Pour trouver de simples bancs, j’ai dû aller dans un magasin de mobilier pour les bains de vapeur. Pour les stores, ça n’a pas été simple non plus, couleurs tristounes, tissus brillants pour faire riche... J’ai pris les seuls stores décents, jaune pâle. Au café français, on m’a donné l’adresse d’une firme locale qui s’occupe d’aller acheter pour nous et chercher la commande IKEA.
Décorer sa maison avec ce qu'on trouve sur place peut être un défi intéressant...
A la Sberbank, j'ai eu affaire à une jeune fille d'une fraîcheur, d'une spontanéité, d'une diligence et d'une complaisance qui m'ont séduite, elle semble s'occuper de tous ses clients comme s'ils étaient de sa famille, je n'avais jamais vu cela dans aucune banque, ni ici, ni ailleurs.
Kostia m’a appris que si la moitié du magnifique plateau désert du monastère Nikitski avait été happée par des requins, c’est qu’une grosse truande a escroqué l’higoumène, et il paraît que c’est sans possibilité de retour en arrière, pour cause de « respect de la propriété privée ». Je vous dis que tout cela finira par me rendre communiste. La propriété privée n’existe plus, en fait, que pour les bandits, qui spolient les autres et ne respectent rien. Si vous saviez quelle merveille cette créature des ténèbres va saccager, vous en pleureriez comme moi des larmes de sang. J’attends le châtiment du ciel. Le second avènement, avant que tout ne devienne irrespirable.
Je suis partie explorer les environs de ma maison verte, et j’ai pris un chemin qui part dans les champs, et dont les bords sont malheureusement jonchés d’ordures. D'un côté les champs, de l’autre des escarpements, assez abrupts, j’avais envie de grimper voir un peu là haut ce qui se passait, il y avait une petite chapelle, une croix, un chevrier et ses trois chèvres. J’ai fait comme les chèvres, sauf que je suis beaucoup moins agile, mais au sommet, j’ai découvert le lac, ses berges dorées par l’automne, la ville scintillante de fenêtres et de coupoles, l’eau bleu foncé, les nuages pleins de lumière. Quelques maisons moches, évidemment, il faut avoir la vision sélective, regarder le paradis mité par l’enfer, en fermant les yeux sur les vilains trous noirs de la laideur contemporaine.

Un petit chien et un grand lac.







3 commentaires:

  1. Lecture faite àvec un grand plaisir je vous souhaite une belle soiree et à très vite amities

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  2. Magnifique récit Laurence, j'adore te lire, et j'attends tous les jours cette "nouvelle" qui réchauffe notre coeur et nous incite plus que jamais à franchir le pas vers ce beau pays qu'est la Russie

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