mardi 13 juin 2017

Le dernier bateau

Humeur massacrante, sombre, il fait mauvais, Rosie m’a réveillée à quatre heures du matin, comme tous les êtres à la psychologie sommaire, elle est hyperactive, d’une énergie et d’une santé à toute épreuve. Je suis consternée par ce qui se passe en France, mais très inquiète des menées de Navalny, le Macron russe, et de l’enrôlement dans ses combines des petits ados gâtés moscovites qui « en ont assez de la pauvreté », et rêvent de l’Europe, elle-même au seuil de l’abîme, grâce aux mêmes oligarques et mafieux internationaux qui financent leur idole et ont plongé leur pays dans la merde par deux fois, en 17, en 90 et rêveraient d’achever le travail pour fêter l’anniversaire du viol et de la défiguration acharnée de la sainte Russie. Navalny a le même profil que Macron : un bellâtre qui peut faire illusion sur les insensés, avec une expression fausse et prédatrice de traître de mélodrame, à qui on ne confierait pas son enfant pour aller faire une course, quand on est encore dans son bon sens. Une marionnette prête à tous les coups bas, aux ordres de Soros et de la CIA qui ne s’en cachent même pas. Je regarde ces petits ados tout farauds, qui jouent au cow-boys avec une police bien gentille. Et je regarde le petit Vladik, privé de ses parents au Donbass, et luttant lui-même contre la mort dans un hôpital de Donetsk. Les petits merdeux de Moscou sont du côté de ses bourreaux et ont de grandes chances de subir son sort, si les commanditaires des bataillons punitifs ukrainiens comme de Navalny parviennent à leurs fins. Naturellement, devant le petit Vladik, il y a toujours des imbéciles, en Europe, mais aussi, plus grave, en Russie, pour glapir que c’est la faute aux « troupes russes » fantômes qui soit-disant occupent le Donbass depuis trois ans sans avoir été fichues, contre une armée aussi lamentable que l’armée ukrainienne, d’arriver jusqu’à Kiev pour renverser ce régime de laquais sanglants et d’oligarques rapaces. J’ai même lu l’émoi d’une jeune femme que je connais, libérale, devant ces affreuses brutes de policiers russes qui « tordent les bras » de ces gentils petits ados. Et je propose, ces ados, de les envoyer à Donestk, dans un de ces villages pilonnés par les démocrates, et de leur faire passer leurs vacances scolaires dans une des caves où leurs frères russophones passent leur vie sans eau ni chauffage, ni pouvoir aller normalement à l’école, comme ils ont la chance de le faire.
J’ai peur, Poutine n’étant pas éternel, et la pieuvre s’efforçant de lui faire la peau, que le bordel tant rêvé par les malfaisants qui détruisent l’Europe avec le Moyen Orient, ne finisse par s’installer, porté, comme d’habitude, par cette frange de parasites qu’on appelle l’intelligentsia et qui, sous tous les cieux depuis deux cents ans, méprise et méconnaît son peuple et couche avec ses bourreaux.
Les raisons d’être mécontent en Russie, malheureusement, ne manquent pas, et les Russes, comme tout le monde, ne voient pas plus loin que le bout de leur cour d’immeuble. Pas tous, mais en partie, c’est humain. Les fonctionnaires pourris, les juges iniques, la destruction du patrimoine au nom du profit débridé, sans frein, sans scrupules. La destruction de la culture et des valeurs ancestrales, tournées en dérision, comme chez nous, l’adoption de modèles occidentaux qui ont fait chez nous les preuves de leur nocivité, à croire que certains fonctionnaires prennent leurs ordres à Bruxelles ou Washington, et non au Kremlin. Aussi, c’est malheureux à dire, pour une partie d’entre eux, seul l’écroulement de l’Europe, en marche irrévocable confirmée par la victoire de Macron en France, pourra constituer un désenchantement susceptible de leur ouvrir les yeux. Si Poutine gagne du temps, c’est peut-être aussi là-dessus qu’il compte. Car bien entendu, nous savons, nous, quand nous ne sommes pas hypnotisés par notre téléviseur ou nos journaux, que le paradis des petites culottes en dentelles en a pris un bon coup dans l’aile, que la pauvreté, la précarité, la corruption vont croissant, et les libertés civiques en diminuant, qu’actuellement, nous en avons moins que les Russes, que notre presse est beaucoup plus unanimement aux ordres, et que nous n’avons plus de gouvernement national, mais une équipe de compradores qui font ce que les banquiers et la CIA leur disent.
Si la Russie ne tient pas, alors ce sera l’épouvante générale, et je pourrai passer à l'ultime partie de mon programme : mourir avec le dernier carré des orthodoxes, le dernier petit troupeau de la sainte Russie en attente du Christ, il n’y aura plus rien d’autre à faire. Ce que je sais à présent, c’est que si je suis venue ici, ce n’est pas parce que j’y aurais la vie plus facile et plus sûre, ce n’est même pas tellement pour le confort psychologique de voir grenouiller un peu moins de singes hurleurs dans les médias et les cercles intellectuels distingués, j’y suis venue parce que c’est mon dernier embarcadère, et que j’y ai été convoquée il y a très longtemps par le tsar Ivan et son favori Fédia, par le métropolite Philippe et le bienheureux petit tsar Féodor, sur lesquels j’ai commencé à écrire à l’âge de seize ans et qui attendront avec moi l’arche des derniers temps. Leur présence silencieuse et invisible est de plus en plus, pour les yeux de mon cœur, une certitude.

 Le ciel du nord plein de nuages
Bouge sans cesse en murmurant
Sur les toits gris près du rivage
Et ses roseaux déambulants

Les vagues calmes de la terre
A l’infini vont s’étalant
Drapant les lacs et les rivières
Dans leurs plis verts et chatoyants

C’est là que j’ai cru fuir la guerre
Que font à mon âme en pleurant
Les beaux souvenirs de naguère
Tristes enfants vagabondants

J’ai rejoint mon embarcadère
Et sur le quai je vais guettant
Sur l’étendue des eaux amères
Le grand vaisseau des derniers temps.




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