Le midi brûle, et les
départs de feu sont si judicieusement répartis qu’on peut difficilement douter de leur
préméditation. Nous avons laissé entrer le cheval de Troie et voici la suite.
La France à feu avant de l’être à sang. Le midi, la côte, nos plus merveilleux endroits, ceux où maman et mes tantes passaient avant guerre des étés enchantés, où je communiais avec la mer et le vent...
Je suis restée deux jours chez mon oncle et ma tante, à Marseille. A cause de la chaleur, ils tiennent tout fermé. Après il y a eu du
mistral, occasion pour les envahisseurs d’incendier tout le midi, mais il
faisait plus frais, seulement Henry ne supporte pas le vent. Dans notre
contexte de science-fiction, j’ai l’impression, chez eux, de me trouver dans
une capsule spatio-temporelle, qui s'apprête à prendre le large dans la dimension éternelle, portée par une grande et mystique montgolfière annonéenne. Une vieille maison bourgeoise du XIX° siècle depuis laquelle on ne voit pas la ville, avec son jardin enclavé. Elle pourrait se trouver dans un village, ou
même à Annonay, dont sont originaires Henry et Mano, n’était la végétation méridionale. A l’intérieur, des meubles
et des objets anciens, parfois achetés par Mano et Henry, parfois hérités, tout
cela disposé avec goût, sans ostentation. Henry, quatre-vingt-douze ans et Mano
quatre-vingt-quatre, s’y déplacent au ralenti. Comme auparavant, mon
bon oncle Henry me fait son cocktail personnel, la ricounette, un mélange de
rosé et de crème de cassis, pas n’importe quelle crème, pas n’importe quel
rosé, qui me saoule complètement en quelques secondes, le tout accompagné
d’amuse-gueules irrésistibles et suivi d’un repas où l’on ne plaint ni le
beurre, ni l’huile, ni le sucre. Des tas de choses me rappellent des souvenirs,
des aquarelles que je leur ai données, la photo de mamie en communiante (1918).
La magnifique lampe à pétrole à motifs verts sur fond crème, survivante du
magasin de mon arrière-grand-père, contraint de jeter son stock à l’avènement
de l’électricité. Et des meubles que je voyais chez eux à Annonay, quand je
passais avec ma grand-mère après ses courses rituelles du vendredi après-midi.
Ce tableau qui était dans le salon de mon grand-père, et qui représente une
cour enneigée, si paisible, si française, un peu ennuyeuse, mais qui incite au
rêve, avec son portillon de métal orange, et les façades extérieures dissoutes
dans la lumière hivernale, au rêve et à l’évasion. Quand à nos conversations,
elles me rappellent également des gens morts depuis longtemps et qui m’étaient
chers, qui m’en parlera encore lorsqu’ils les auront rejoints ? Nous
perdons non seulement nos derniers anciens normaux, mais le pays qui allait
avec…
A l’extérieur de cet îlot
précieux et fragile, la France brûle, la France disparaît, la France semble
rongée par les termites du diable, qui ne trouvent pas de résistance dans ses tissus mous
et à moitié pourris. Mes anciens ne verront sans doute pas le résultat final et tant
mieux pour eux, ce ne sera pas un spectacle pour les gens corrects du temps passé. Je le verrai peut-être, j’espère depuis la Russie, notre
dernier bastion, avec lequel j'entends résister de mes dernières vieilles forces...
Madeleine Combe |
Oh ma Lolo...quelle mélancolie douce et désespérée aussi. ..Notre Provence incinérée
RépondreSupprimerOui, ma belle, c'est terrible. Outre mon intérêt et mon amour pour la Russie, mon exil me donne la distance mentale de sécurité pour voir cela de mes yeux dans mon âge avancé.
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