jeudi 27 juillet 2017

Capsule spatio-temporelle

Le midi brûle, et les départs de feu sont si judicieusement répartis qu’on peut difficilement douter de leur préméditation. Nous avons laissé entrer le cheval de Troie et voici la suite. La France à feu avant de l’être à sang. Le midi, la côte, nos plus merveilleux endroits, ceux où maman et mes tantes passaient avant guerre des étés enchantés, où je communiais avec la mer et le vent...
 Je suis restée deux jours chez mon oncle et ma tante, à Marseille.  A cause de la chaleur, ils tiennent tout fermé. Après il y a eu du mistral, occasion pour les envahisseurs d’incendier tout le midi, mais il faisait plus frais, seulement Henry ne supporte pas le vent. Dans notre contexte de science-fiction, j’ai l’impression, chez eux, de me trouver dans une capsule spatio-temporelle, qui s'apprête à prendre le large dans la dimension éternelle, portée par une grande et mystique montgolfière annonéenne. Une vieille maison bourgeoise du XIX° siècle depuis laquelle on ne voit pas la ville, avec son jardin enclavé. Elle pourrait se trouver dans un village, ou même à Annonay, dont sont originaires Henry et Mano, n’était la végétation méridionale. A l’intérieur, des meubles et des objets anciens, parfois achetés par Mano et Henry, parfois hérités, tout cela disposé avec goût, sans ostentation. Henry, quatre-vingt-douze ans et Mano quatre-vingt-quatre, s’y déplacent au ralenti. Comme auparavant, mon bon oncle Henry me fait son cocktail personnel, la ricounette, un mélange de rosé et de crème de cassis, pas n’importe quelle crème, pas n’importe quel rosé, qui me saoule complètement en quelques secondes, le tout accompagné d’amuse-gueules irrésistibles et suivi d’un repas où l’on ne plaint ni le beurre, ni l’huile, ni le sucre. Des tas de choses me rappellent des souvenirs, des aquarelles que je leur ai données, la photo de mamie en communiante (1918). La magnifique lampe à pétrole à motifs verts sur fond crème, survivante du magasin de mon arrière-grand-père, contraint de jeter son stock à l’avènement de l’électricité. Et des meubles que je voyais chez eux à Annonay, quand je passais avec ma grand-mère après ses courses rituelles du vendredi après-midi. Ce tableau qui était dans le salon de mon grand-père, et qui représente une cour enneigée, si paisible, si française, un peu ennuyeuse, mais qui incite au rêve, avec son portillon de métal orange, et les façades extérieures dissoutes dans la lumière hivernale, au rêve et à l’évasion. Quand à nos conversations, elles me rappellent également des gens morts depuis longtemps et qui m’étaient chers, qui m’en parlera encore lorsqu’ils les auront rejoints ? Nous perdons non seulement nos derniers anciens normaux, mais le pays qui allait avec…

A l’extérieur de cet îlot précieux et fragile, la France brûle, la France disparaît, la France semble rongée par les termites du diable, qui ne trouvent pas de résistance dans ses tissus mous et à moitié pourris. Mes anciens ne verront sans doute pas le résultat final et tant mieux pour eux, ce ne sera pas un spectacle pour les gens corrects du temps passé. Je le verrai peut-être, j’espère depuis la Russie, notre dernier bastion, avec lequel j'entends résister de mes dernières vieilles forces...

Madeleine Combe


2 commentaires:

  1. Oh ma Lolo...quelle mélancolie douce et désespérée aussi. ..Notre Provence incinérée

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  2. Oui, ma belle, c'est terrible. Outre mon intérêt et mon amour pour la Russie, mon exil me donne la distance mentale de sécurité pour voir cela de mes yeux dans mon âge avancé.

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