jeudi 19 octobre 2017

Derniers feux d'automne

Le soleil jouait aujourd’hui avec la pluie,  au pays des arcs-en-ciel. Il ne faisait que 6° et un vent froid, un ciel bouleversé plein d’ombres violacées et de brusques lumières.  A mon retour de la pâtisserie, j’ai trouvé la voisine aux aguets. Je suis allée lui faire la conversation et recevoir des pelletées entières de conseils qu’elle est toujours avide de donner, avec les oignons ou les plants qu’elle déterre de ses massifs impeccables.  J’observe qu’elle ne doute pas une minute d’avoir beaucoup de choses à m’apprendre sur le jardinage et qu’elle me regarde avec une commisération découragée, parce que non seulement je suis nulle, mais je ne brûle pas de me former auprès d’elle. Je la voyais déjà prête à se ruer sur mes massifs, si l’on peut appeler cela des massifs, elle n’envisage pas que le jardinage puisse pour certains être un délassement solitaire qui se pratique dans le silence et la méditation.  Elle a peut être d’ailleurs réellement des choses à m’apprendre, bien que mes conceptions soient loin des siennes, mais comme toujours avec les gens qui croient tout savoir et ont pour vocation d’enseigner les autres, j’ai tout de suite le réflexe de prendre de prudentes distances.
Après le jardinage, c’est au sujet de la chienne que j’ai eu droit à ma leçon, et tout en prodiguant ses conseils éclairés et utiles d’ancienne patronne de doberman, elle intimait à Rosie d’un ton assuré et protecteur des ordres dont elle n’avait strictement rien à foutre, ce qui me rappelait la visite de mon crétin de conseiller pédagogique quand je me débattais dans le Val d’Oise avec un groupe de « soutien nomades »… « Vous êtes trop douce, me déclarait-elle, experte, elle ne vous respectera jamais… »
Mais je ne suis vraiment pas si douce que cela. Je peux même me montrer acariâtre, entrer dans des fureurs qui me font honte. Néanmoins, Rosie est sexiste, elle ne respecte que les hommes. Comme également pas mal d’enfants, d’ailleurs.
Ensuite, c’est pour avoir affaire aux différents corps de métier, qu’elle m’a fait la leçon. Apparemment, ce n’est pas le genre à se laisser rouler comme moi par des entrepreneurs, des plombiers, des charpentiers ou des plâtriers-peintres, elle sait très bien leur parler. Et je dois en prendre de la graine et bonne note…
Pour ce qui concerne Rosie, elle est de plus en plus dehors, même la nuit, et ne supporte pas d’être enfermée ou attachée, j’aurais dû l’appeler Carmen, cela lui irait beaucoup mieux. Je n’ai pas les moyens de lui clôturer le jardin pour l’instant, alors elle barule.  J’ai décidé de lui pratiquer une niche dans la petite entrée qui précède ma maison, elle sera à l’abri de la pluie, de la neige et du vent. Je la ferai tout au fond, le toit me servira d’étagère.
Ce matin, elle m'a volé et ruiné un tube de pommade contre les douleurs de l'arthrose...
A la pâtisserie, l’ambiance était électrique, les engueulades homériques. Didier a fait un pain d’épices absolument exquis. « Bon, lui ai-je dit, il va falloir me résigner à passer à la taille 46…
- Ben quoi, et alors ? C’est la taille de ma femme ! Tout ce qu’il y a de plus normal, un 46 ! »
Les deux tsiganes m’ont appelée dans le réduit où elles font la vaisselle, et Rosa m’a caressé les cheveux : «Ils sont vrais, lui ai-je dit en riant, mon chignon n’est pas postiche !
- Ils sont beaux, et tu es bonne, cela se voit à ta figure.
- Oui, a repris Natacha, tu nous plais, parce que tu es bonne, et cela se sent tout de suite ! Tu as les yeux de quelqu’un de bon, tu es des nôtres !»
Du coup, Natacha et Rosa sont avec moi extrêmement caressantes et aimables…
« Celles-là, m’a dit Didier, elles ne vivent pas dans le même siècle que nous ! »
En effet, en Russie, et c’est même l’originalité du pays, on peut choisir son siècle. Je vis au XVI° siècle, comme Skountsev, Dima Paramonov, le monastère saint Théodore, et les tsiganes aussi. Peut-être même vivent-elles dans une dimension encore beaucoup plus antique…
Le cosaque Iouri était contrarié que Didier voulût des bocaux à couvercle noir, il préférait en commander avec un couvercle doré: "Non, dis-lui que le noir est plus élégant, surtout avec une étiquette où il y aura déjà une figurine dorée". 
Iouri semblait avoir du mal à comprendre. Je lui ai dit: "Voyez le monastère où je vais, par exemple, ils ont des icônes sur fond d'or et ont trouvé le moyen de faire autour un iconostase doré. L'iconostase éclipse complètement les icônes, eh bien la figurine plus le couvercle, ça fera pareil".


Avec une telle lumière, même la maison du voisin est transfigurée





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