Avant-hier, expédition à
Yaroslavl. Nous sommes partis à 11 h. Arrivés à l’ouverture
du bureau qui nous attendait, nous avons stagné une heure et demie dans le
couloir, devant la porte des toilettes, pour une raison mystérieuse, une
famille d’Asie centrale est passée avant, et cela a pris tout ce temps. Ilya
pense que c’est voulu, pour décourager les gens. C’est vrai que c’est
décourageant, sans son aide, je n’y arriverais pas.
Ensuite, dans le
bureau, cela a encore pris au moins une demi-heure, examen minutieux de toutes
les pièces. Enfin, nous sommes ressortis avec l’attestation de remise du
dossier, le permis de séjour sera en principe délivré en mai. Mais en
attendant, il me faudra quand même aller en France en février.
Après cela, Ilya et sa
mère ayant des choses à faire, je me suis fait déposer dans le centre
commercial Aurora, car ma fatigue, mon genou et la tempête de neige ne me
poussaient pas à la visite du Kremlin. Jolies boutiques, mais je suis fauchée.
Jolies boutiques, quand même. On peut s’équiper entièrement à cet endroit,
c’est bon à savoir. Après les avoir passées en revue en traînant la patte, j’ai
échoué dans un café, où j’ai commandé un sandwich et un dessert, je n’avais
rien bouffé depuis le matin. Commence une longue attente. Je passe en revue
Facebook et mes mails sur le téléphone, j’écris un passage que je veux intégrer
dans mon livre. Une musique idiote me bat dans les oreilles. Comment les gens
font-ils pour écouter cela à longueur de temps sans devenir dingues et pourquoi
méprisent-ils leur propre musique pour se livrer à cette merde monotone et
obsédante qui détruit les nerfs et probablement les structures des
cellules ? Mystères du conditionnement...
J’ai attendu là quatre
heures. Ilya et sa mère, à cause de la tempête de neige, avaient été coincés
dans des embouteillages. Retour à dix heures du soir.
J’ai regardé hier tout
ce que j’ai pu trouver de représentations d’Ivan le Terrible. Le portrait le
plus fidèle est semble-t-il la reconstitution de Guerassimov. Il était grand et
athlétique, très fort, très entraîné, c'est-à-dire qu'à l'époque, un homme de l'aristocratie maniait des armes, portait casque et cote de mailles, montait à cheval, chassait et se battait, ce n'était pas un produit en costar conçu entre un ordinateur et une imprimante de bureau... Il te balançait une gifle, tu restais collé sur le mur d'en face, c'est ce que je décris, tout va bien. Mais en vieillissant, il était devenu gros et pourri d’arthrite,
trop de bouffe et trop d’alcool. Il ressemblait énormément à son aïeule Sophie
Paléologue, il avait une tête de Grec, en fait. Et pourtant, il se méfiait des Grecs, qu'il soupçonnait toujours d'uniatisme, je pense qu'il n'aurait pas apprécié le partiarche Nikon, responsable du schisme des vieux-croyants, ce schisme n'eût pas eu lieu avec Ivan le Terrible. Quelqu’un le décrit comme laid,
il avait un grand nez aquilin ou même carrément crochu, mais il aurait fallu le
voir jeune, et vivant, pour se rendre compte, un Anglais lui décrit des « traits
harmonieux » à 27 ou 28 ans. Guerassimov lui donne une expression
terrible et hagarde, mais l’avait-il vraiment, je veux dire en permanence ? Il donne
une expression débile à la reconstruction de son fils Féodor, or je suis
convaincue qu’il ne l’était pas, et j’écoute une conférence qui le démontre :
il était orienté vers la prière et serait devenu moine s’il avait occupé une
autre position, il était doux mais pouvait être ferme. Pour un savant soviétique, ou pour un émissaire anglais, la
version de la débilité était crédible, bien sûr, mais pas pour un chrétien
orthodoxe… Donc il y a une part d’interprétation personnelle dans la façon dont
ces personnages sont représentés. Reste que le tsar avait la figure d’un être
passionné, sensuel et prédateur, et on a du mal à y associer la foi brûlante
qui était en même temps la sienne, son sens artistique, qui lui faisait
composer de la musique, apprécier l’iconographie, son talent littéraire et sa
culture. Tout cela devait apparaître dans son comportement, que nous ne voyons
pas, ses expressions, son regard, et les peintres du XIX° ou Guerassimov
lui-même en font toujours un personnage sombre et méprisant au masque
grimaçant. Des étrangers témoignent de son charme, du timbre agréable et de la
persuasion de sa voix. Ne pouvait-il pas se montrer drôle, charmeur ou même
touchant ? Ne pouvait-il pas embobiner les gens, les séduire ? J’ai
pris ce parti dans mon roman, en pensant souvent à celui d’Eisenstein, dont je
crois qu’il est finalement le plus ressemblant, et pareil pour Fédia Basmanov,
qui devait être plus proche de celui d’Eisenstein que de celui que j’ai vu dans
ce film idiot avec Igor Talkov…
De sorte qu’avec ce
visage aux traits si marqués, il pouvait avoir une sorte de beauté royale et
impressionnante. Il avait de grands yeux, certainement très captivants,
enfoncés dans les orbites, son regard devait correspondre à ce que je décris :
magnétique, hypnotique, sarcastique… que ce regard pût devenir glaçant et son visage effrayant, je n’en doute pas, évidemment, et j'en parle!
A propos du tsarévitch
Ivan, le conférencier dit que le crâne est en trop mauvais état pour pouvoir
affirmer avec certitude que son père ne l’ai pas tué et réciproquement. Le
crâne était en petit morceaux quand on a ouvert le sarcophage. Et que la
présence de substances toxiques ne signifie rien, car on utilisait des médicaments
qui en contenaient. Je me sens plus sûre de moi, vis-à-vis de ma thèse qui n’est
pas infirmée. Un mercenaire français a beaucoup plus tard rapporté le bruit qu’il
avait vraiment frappé son fils mais qu’il serait mort des suites d’un pèlerinage,
cependant ce n’est pas vérifiable. Je pense qu’il l’a tué, involontairement,
mais il l’a tué. C’est pourquoi il a quitté la Sloboda à pied en déclarant que
l’endroit était maudit. Sinon, pourquoi l'aurait-il fait?
Cette illustration me paraît assez convaincante.
Bon, il n'a pas l'air franchement rigolo, mais dans ses
moments pas rigolos, je lui verrais bien cet air-là. Et
les traits du visage correspondent.
Etonnant et inconnu de moi jusqu'alors,
possible portrait du tsar sur un canon livonien....
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