vendredi 24 novembre 2017

Tohu-bohu


Ilya Glazounov: la Russie éternelle


Je suis effrayée par la confusion, le délire qui ressort de ce que je lis dans Facebook de tous côtés, la radicalisation des positions, il va devenir très difficile de garder sa raison et son humanité. Alors que les idéologies qui nous ont déchirés et qui sont issues toutes deux par réaction, d’une conception progressiste, technique, matérialiste et mercantile du monde, tombaient en désuétude, les oligarques mondialistes les ressortent du placard. A force de mensonges, d’hypocrisie, de propagande hystérique, ils réussissent le prodige de leur rendre une partie de leur virulence, l'une justifiant l'autre, l'une radicalisant l'autre. Et tout cela est attisé par le mensonge permanent, le double langage, l'hyprocrisie et la propagande, avec tous leurs effets pervers. Les vieux fachos et antifachos bloqués dans leurs rancoeurs qui trouvent encore et toujours du grain à moudre.
Je tombe, sur les fils de commentaires des prêtres ou patriotes russes divers, sur des contradicteurs aux propos effrayants. L’un dit que les traîtres fussent-ils des millions, Staline avait bien fait de les exterminer. L’autre déclare que l’URSS, qui a à son palmarès l’emprisonnement, l’exil ou l’élimination physique de la plupart des génies russes contemporains de la révolution et des décades suivantes, la destruction d’innombrables œuvres du patrimoine civil et religieux, était « l’apothéose de l’histoire russe ». Un troisième nie les exécutions sommaires et massives du polygone de Boutovo (on le comprend, ça la fout mal)... Un quatrième nie que les files d’attente devant les magasins aient existé sous Brejnev, et traite celui qui les évoquait d’ennemi du peuple. Bref, le paradis communiste qui n’est jamais advenu a trouvé son accomplissement dans les souvenirs transfigurés d’une partie de la population russe.Pour certains, la Russie commence en 17, et pour moi, c’est là qu’elle finit, pratiquement, même si elle se survit mieux que ne se survit la France après 200 ans de république. Dénoncer les crimes communistes, c’est insulter leurs ancêtres, ils se soucient peu de leurs ancêtres précédents, les « paysans obscurs » massacrés en masse par la bande d'idéologues qui a jeté une moitié du pays sur l’autre, éveillant les pires instincts et suscitant les cruautés les plus abjectes. Le slogan irréfutable, c’est que critiquer le communisme conduit à la russophobie, je crois au contraire que la russophobie naît de l’amalgame opéré entre russe et communiste, un amalgame que j'ai essayé patiemment de désamorcer chez les occidentaux, et que ce genre d'opinion justifie, faisant le jeu de ceux qui ont intérêt à ressusciter ces confrontations d'un autre âge. C'est sur cet amalgame que repose la propagande ukrainienne, c'est grâce à cet amalgame qu'on peut mentir sur le massacre des populations civiles du Donbass ou faire de Poutine tour à tour la réincarnation de Staline ou d'Hitler, ce qu'il n'a jamais été. Cet amalgame est exactement ce qu'il faut aux ennemis libéraux de la Russie pour tenter d'en faire un épouvantail international.
D'autres m’ont reproché de « ne pas aimer la Russie contemporaine ». Non, en effet, je ne l’aime pas, qu'a-t-elle de si séduisant? J'aime la Russie éternelle, j’aime la Russie, pas ses cicatrices ni ses disgrâces soviétiques, post-soviétiques ou néolibérales, et si j’aime parfois quelque chose de soviétique, c’est une survivance russe qui a perduré envers et contre tout. Je n’aime pas les affreux meubles polis qui ont remplacé l’art nouveau ou l'art paysan fantastique et coloré. Je n'aime pas les "cottages" Disneyland de très mauvais goût ni les centres commerciaux qu'on laisse construire dans des sites merveilleux. Je n’aime ni les barrières en béton, les effrayants clapiers des années 70, ni leurs successeurs de luxe, les fourmillières pour riches de la Roubliovskoïe Chossé. Je n’aimais pas l’hôtel Rossia qui violait le vieux quartier de la Varvarka, ses palais et ses églises féériques. Je n’aime pas l’avenue Kalinine devenue le « nouvel Arbat », qui écrase si affreusement l’ancien de ses gigantesques radiateurs en béton, copie sinistre de bâtiments américains, ni la version plus high tech de « Moskva-City ». Certes, j’en ai pris l’habitude, j’ai aimé Moscou, même avec ses monstres, j’ai fait avec. Un regard poétique est capable de tout transfigurer... Mais ce qui me plaît en Russie est antérieur à « l’apothéose » ou lui a survécu de façon clandestine pour resurgir à la faveur du dernier dégel: un petit troupeau, sans doute, mais reconnaissable, accroché, fervent, à ses icônes, à ses bannières, à son histoire et à ses traditions.
Je n’aime d’ailleurs pas davantage, à Paris, la tour Maine-Montparnasse ni Beaubourg, ni la snobinarde Pyramide du Louvre que les architectes du Louvre eux-mêmes n’avaient pas prévue et qui tranche toutes les façades d’époque… Ce n'est pas la France à mes yeux. La France, c'est tout, sauf ce que la République en a fait.
Je n’aime pas la modernité, elle est laide, la laideur et la contrefaçon sont les signatures infaillibles du diable. Elle est laide, et ne nous laisse plus aucune consolation, notre seul refuge est dans l’abrutissement, sous toutes les formes à notre disposition, des médias à la drogue en passant par la débauche, nos civilisations progressistes et consuméristes ressemblent à de gros crétins enrichis par des moyens répréhensibles qui retombent peu à peu dans une débine pire que l’honnête pauvreté précédente, et s’enivrent comme des porcs pour ne pas voir ce qui les attend à l’issue de tout cela.
Pour la même raison, je ne suis pas davantage pro-libérale que pro-communiste, je suis juste prorusse et aussi profrançaise. Même si actuellement, à choisir entre les deux, je préfèrerais le communisme, ou ce qui en tiendrait lieu, car ce qui se prépare à l'ouest sera plus ravageur physiquement, moralement et  spirituellement que tout ce que nous avons connu auparavant. Je préfère m’allier aux communistes qu’aux néo-trotskistes oligarchiques occidentaux, mais il m’est impossible d’oublier les victimes des répressions, les martyrs de l’Eglise, ni les ravages culturels, pardonner oui, oublier non, calomnier encore moins.
Certains, justement, accusent ceux qui ne veulent pas oublier de ne pas vouloir pardonner, et citent à ce propos impudemment l'Evangile pour lequel ils n'ont aucune considération. D'autres encore veulent recruter le Christ dans la révolution, car il stigmatisait les riches. Le Christ apportait un message spirituel, son Royaume n'est pas de ce monde, et ne s'impose pas par la force. Ceux qui le suivent sont miséricordieux et connaissent la valeur du partage. Les marchands russes chrétiens faisaient bon usage de leur argent à l'inverse des oligarques internationaux sans foi ni loi. Or c'est à ces derniers qu'appartient maintenant le monde, à l'issue de tout ce que nous avons tous traversé comme horreurs, sous diverses bannières illusoires, et nous ne savons pas comment nous en débarrasser. L'hydre a pris de la force dans notre sang, elle entretient la confusion, la calomnie et les faux-semblants qui perpétuent les dissensions et les massacres, et je vois avec effroi qu'aucune voix juste ne pourra bientôt plus se faire entendre. Le moment est sans doute venu du retrait et de la prière, dans l'attente des derniers temps.

Ilya Glazounov: le mystère du XX° siècle

9 commentaires:

  1. La plupart des Russes contemporains sont les petits-enfants ou les arrière-petits-enfants des sbires de Lénine-Trotsky-Staline: tous ne se salissaient pas les mains, mais tous à divers stade ont été complices, actifs ou passifs... sinon ils n'auraient tout simplement pas survécu. Les victimes n'ont pas eu de descendance, du moins en Russie. Donc, certains essayent de faire face à la réalité, et de prier pour les péchés de leurs aïeux.. les autres sont dans le déni. J'ai beaucoup aimé les Russes blancs de mon enfance, je n'ai jamais eu de sympathie pour les soviétiques, et aujourd'hui je m'émerveille sur la magnifique résilience des amis russes de mes enfants... je crois qu'il faut regarder dans cette direction: les moins de trente ans... qui font leur vie, qui étudient, qui innovent et qui se foutent complètement des attentes des politiques les concernant. Les Russes ont une grande créativité, du moment qu'on leur fout la paix.

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  2. PS Les Russes sont les premiers artisans de la présumée russophobie... il suffit de ne pas les approuver pour être russophobes. D'ailleurs, il doit y avoir beaucoup d'authentiques Russes, eux-mêmes russophobes: tous ceux qui vivent en France ou en Allemagne, parce qu'ils en ont marre qu'on leur dicte leur vie, pas par intérêt matériel ni par fascination dela société de consommation, juste pour être eux-même.

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  3. PS 2... les moins de trente ans;.. j'exagère un peu...
    Voici un ami très idéaliste de mes enfants:
    -à 10 ans: https://www.youtube.com/watch?v=cVJhvxoD0KM,
    -aujod'hui, à 34 ans:https://www.youtube.com/watch?v=azQygpyVebo&t=1172s

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  4. Je connais beaucoup de Russes qui ont eu des victimes de répressions dans leurs familles, il est donc abusif de réduire toute la Russie à des descendants de gardes rouges ou de gardes chiourmes, maintenant, peut-être ceux qui tiennent ce genre de discours le sont-ils mais pas sûr. J'en ai connu qui reniaient l'ancêtre "antisoviétique", mais j'ai connu aussi des descendants de soviétiques purs et durs qui reniaient le communisme. J'ai connu aussi des dissidents devenus rétroactivement communistes et même staliniens devant les années Eltsine et la trahison libérale permanente. Pour ce qui est des moins de trente ans, je les trouve souvent américanisés et coupés des sources traditionnelles de la Russie, des machins comparables à nos bobos, dont on fait ce qu'on veut et qui n'ont plus aucun intérêt, enfin cela dépend de quels milieux ils sont issus, naturellement.La russophobie russe naît souvent chez ceux-là, c'est celle des occidentalistes qui ont déjà précipité leur pays dans le chaos en 17. Je suis en désaccord avec ce que vous dites de la paranoïa des Russes qu trouvent russophobe den epas els approuver, d'abord parce qu'ils se dénigrent trop souvent eux-mêmes et ensuite parce que cetet russophobie est réelle, qu'elle est le résultat d'une propagande active de la part des médias et des politiques occidentaux, qui mentent de façon éhontée et font tout pour recréer artificiellement un climat de méfiance et de guerre froide. Enfin je ne comprends pas trop les Russes qui vont en Europe parce qu'ils en ont marre qu'on leur dicte leur vie, car à mon avis, on est beaucoup plus libre d'être soi-même actuellement en Russie qu'en occident, où depuis quarante ans règne une pensée unique politiquement correcte tyrannique qui devient de plus en plus étouffante. Peut-être que c'est justement dans le reniement de leur pays qu'ils se sentent eux-mêmes et dans toutes les conneries dont on fait la promotion en occident? J'ai émigré en Russie, mais je ne renie pas la France, telle qu'elle était autrefois, pas la colonie américaine gangrenée qu'elle est aujourd'hui.

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  5. Merci Laurence pour vos magnifiques réflexions que je partage totalement. Vous êtes douée d’un excellent sens de discernement, Que Dieu vous protége!

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  6. Les Russes qui vivent en France retournent aux vacances dans leurs familles...Bien sûr que toutes les évolutions sont possibles individuellement... mais le résultat est collectif... Peut-être que les Russes contemporains sont arrivés à un consensus national, mais malheureusement en Occident, puisque c'est l'Occident que les Russes rêvent de convaincre, ce consensus n'a pas le succès escompté, même auprès de ceux qui s'opposent aux valeurs à la mode socialo-libérale. Je n'ai pas la télé, je me fiche complètement des discours officiels... En revanche je scrute sur internet les moindres témoignages, dans différents styles, je fais des recoupements, j'analyse, et je me fais mon opinion...
    Sinon être soi-même cela signifie aussi entreprendre sans avoir des bâtons dans les roues... Quand je lie vos démêlés avec l'administration et les fournisseurs d'énergie, ça fait pas envie. On crève du même modèle en France, donc si je voulais respirer c'est pas en Russie que j'irai aux vues de vos tribulations... En fait chacun a des projets, ils sont réalisables ou pas à l'endroit où on vit... Un artiste , par exemple n'a certainement pas besoin qu'on lui dicte ses productions ou qu'on lui impose des collaborations... Il peut vouloir explorer de nouvelles formes d'expression.. et surtout qu'on ne viennent pas le faire chier avec un service obligatoire...Quand ma fille me dit qu'elle partira, à la fin de ces études, je sais qu'elle veut expérimenter une autre société, avec d'autres modes d'expression d'autres solidarités, d'autres types de relations que ce que la société françaises lui offre, et je respecte son choix. C'est déjà bien d'avoir analyser son environnement , d'avoir vu dans ses voyages des ouvertures qu'on ne pouvait pas imaginer pour elle. Rester serait subir. Et quand on est jeune et normalement constitué, on ne veut pas subir. Et puis , on peut partir et revenir.

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    1. Je ne crois pas que les Russes rêvent de convaincre l'Occident, en revanche, l'Occident cherche à leur imposer son modèle actuel. Les artistes créent ici en toute liberté, ceux que je connais, en tous cas. Ils ont du mal à survivre, comme tous les artistes dans tous les pays, pas pire qu'en France , et la culture n'est pas encore confisquée par une caste qui exige l'adhésion à ses thèses unilatérales. Je ne sais pas de quelles productions imposées ou de quel service obligatoire vous parlez, je n'ai jamais entendu mes amis peintres ou musiciens se plaindre de telles choses. On subit partout, le tout est de déterminer ce qu'on subit le plus facilement ou de la manière la plus profitable. On a des obstacles, en Russie, des tracas administratifs, en France aussi, pas de la même manière. La différence est qu'en Russie, on peut arriver à les contourner, alors qu'en France, c'est plus dur. En Russie, sans parler des pots de vin, auxquels je n'ai pas eu recours, le facteur humain compte pas mal, et je rencontre autour de moi une grande solidarité. Je n'ai jamais prétendu que tout y était parfait, mais il y a des reproches qu'on fait à la Russie et qui sont injustes, ou calomnieux. J'adhère en Russie à la sainte Russie, à ce qu'il en reste, car il en reste quelque chose. Et j'estime que l'Occident n'a désormais plus rien à lui apporter, à part peut-être une population de réfugiés qui a des savoir-faire particuliers que le communisme a détruits.

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  7. PS et avant internet, pendants des décennies, je m'étais constitué toute une bibliothèque "russe", certains bouquins, confidentiels ou pas n'ont jamais été réédités.

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