lundi 5 février 2018

Anniversaire cosaque

Iouri et Dany m'ont permis de restaurer ma tradition des anniversaires cosaques, car ils ont un appartement conçu pour cela, avec un théâtre domestique. Quand je travaillais au lycée, des parents d'élèves m'ont parfois procuré le leur pour pourvoir organiser de telles manifestations, qui leur apportaient de la couleur locale. Mais cela n'allait pas sans incidents. Ainsi, un jour, un jeune ami complètement bourré avait dégueulé dans le placard d'où les cosaques l'avaient extrait pour l'emporter ailleurs, et alors que, gantée de plastique, la maîtresse de maison s'affairait avec moi pour nettoyer cette horreur, une ambassade de deux ou trois cosaques était revenue se jeter à ses pieds et lui baiser la main en lui disant: "Pardonnez-lui, madame, n'importe lequel d'entre nous aurait pu se trouver à sa place!"
Dieu merci rien de tel n'est advenu chez Iouri et Dany, bien que Skountsev se soit bourré la gueule aussi, et m'ai passé le téléphone quand sa femme a appelé, pour que l'engueulade tombe sur moi plutôt que sur lui... Or je suis persuadée qu'il ne m'était pas arrivé sobre.
La soirée a été remarquablement chaleureuse et homogène, tout le monde en phase et sur la même longueur d'ondes, alors que beaucoup d'invités se voyaient pour la première fois. Nous avons chanté non seulement du folklore, mais des chansons de Boulat Okoudjava, et Iouri a interprété pour moi une très belle chanson de son cru. "Tu sais, Ioura, a décrété alors Skountsev avec un air connaisseur, elle est vraiment bien, cette chanson, tu devrais écrire des poèmes!" J'ai explosé de rire. "Oui, lui a glissé Kolia Trifilov, en effet, c'est une bonne idée, il l'a d'ailleurs eue depuis longtemps, il en a déjà publié plusieurs tomes...
- Bon, alors j'ai l'air d'un parfait crétin?
- Tu as des excuses, Volodia, tu n'étais pas là quand il a parlé de tout cela..."
Volodia était très remonté; à un certain moment, dans ces cas-là, c'est le dieu Pan. Il est en proie à une sorte d'énergie tellurique contagieuse, il met une ambiance extraordinaire, mais quelques verres de trop, et ça peut se gâter!
Les invités étaient très divers, et pourtant, nous fondions tous sur place d'affection et de connivence dans les chansons et les rires. Il y avait là Xioucha, sa petite fille, et ma juriste Tania. Les Soutiaguine avec Yana qui voulait me présenter une amie. Alla, une jolie dame que j'avais connue quand nous promenions nos spitz respectifs, une jolie dame blonde et rose, très bonne, avec des goûts très kitsch. Nous n'avons rien en commun, excepté notre inclination pour les spitz, mais j'apprécie son extrême gentillesse. Le père Valéri et sa "matouchka" Olia, qui est peintre, et aussi les Lochakov, Sergueï, architecte, et Tania, qui fait des icônes émaillées. Et puis les cosaques. Skountsev, Kolia Trifilov et sa femme Olga, Vladimir Ivanov.
Pour le dessert, nous avions des gâteaux du pâtissier Didier, l'almeria, pistache et mousse au chocolat, le douceur, un truc qui mérite bien son nom avec des fruits rouges au milieu. Le succès n'a pas été entamé, Xioucha, qui nous avait préparé la viande, l'a emporté comme butin de guerre.
J'ai porté un toast aux cosaques: "Dans ma vie, j'ai eu deux grands événements, ma conversion à l'orthodoxie et ma rencontre avec les cosaques et avec leurs chants: j'ai compris quelle mutilation nous avions tous subie en perdant cet héritage, et je ferais tout pour aider à le restituer au maximum de gens. Quand j'ai trouvé le disque de Skountsev, je l'écoutais en boucle et je rêvais de le rencontrer. Or voilà qu'un ami russe installé à Paris chez sa fille, m'a donné l'adresse de Skountsev, qui m'a invitée à une de vos répétitions: quel miracle... Personne ne dirigeait, et pourtant, toutes les voix s'accordaient, trouvaient leur place, mais ce n'était pas le plus merveilleux, le plus merveilleux, c'était votre extase, la joie profonde qui vous transfigurait tous, votre mystérieuse communion, dans cette maison de la culture ruinée, lépreuse, glaciale et dégueulasse où avaient lieu vos rencontres. Je voyais des bonshommes fauchés, malmenés par la vie, plus tous jeunes, chassés par leurs femmes, recueillis par des amis, devenir tout à coup des cosaques, libres et fiers, en vous, lorsque vous chantiez, se réincarnaient tous vos ancêtres!"
A la suite de cela, Volodia Skountsev m'a répété toute la soirée que je ne vieillirais jamais et que j'étais leur étoile.

photo Dany

Photo et légende Dany:"Dehors la neige tombait,les cosaques chantaient,Laurence à joué de la vielle et chanté une très ancienne chanson du XV ème siècle en vieux françois,assez difficile à comprendre même pour moi,(seule française de la bande),à la fin de laquelle tout le monde mourait .Laurence leur avait fait un résumé et donc tout le monde savait que c’était très triste,mais comme c’était une soirée d’anniversaire extrêmement chaleureuse où nous nous aimions tous ,même si pour certains ,nous nous voyions pour la première fois,au moment de la chanson,nous étions tous, à la fois gais et tristes,ce qui n’est si facile ,même dans un théâtre !Puis les cosaques ont à nouveau fait résonner ces murs du XVIIIème siècle qui en résonnent encore..."
Kolia Trifilov, Skountsev, Vladimir Ivanov

Avec Skountsev qui fait le bourdon du roi Renaud!

Avec Kostia Soutiaguine

La vielle déconnait pas mal, hélas.... il paraît que c'était toujours
comme ça chez les vielleux russes.

Dany, Ioura, a gauche Xioucha et Nina qui a été très sage

En une nuit, il est tombé la norme de précipitation de tout le mois de février, mois le plus neigeux de l'année! Je ne sais pas comment j'ai sorti ma voiture de sa congère... Le retour a été épique. Avant hier il pleuvait sur la glace, puis la neige en quantité énorme, puis à nouveau le gel... La route était terrible, pas nettoyée, glissante. Les arbres entièrement nappés de blanc, d'un blanc lourd qui les courbait dans son étreinte étincelante, des brumes mauves laissaient surgir un soleil intermittent. J'ai voulu m'arrêter, pour boire un café, j'étais très fatiguée. Mais je me suis enlisée dans la station essence, car il ne serait venu à l'idée de personne soit de fermer la station, soit de la nettoyer. Dès que j'ai pu retrouver la terre ferme, j'ai oublié le café et poursuivi ma route.
A Pereslavl, les quantités de neige étaient impressionnantes, et seule la grande route dégagée. Du côté de chez moi, j'ai davantage vogué que roulé sur un tapis épais et mou. Je ne pouvais pas garer, ni ouvrir ensuite mon portillon. Il m'a fallu déneiger à tour de bras pour faire avancer ma voiture d'abord, et ensuite pour gagner ma maison, on ne voyait même plus les marches de l'escalier. Il paraît que demain ça recommence et qu'il vaut mieux ne pas sortir.
Je crois que désormais, il n'y aura plus d'anniversaire cosaque, maintenant que je suis en province, c'est vraiment trop risqué de braver les éléments en février. Il me faudra choisir un autre prétexte pour nous rassembler à une autre date.


Moscou sous la neige
Dany dans son quartier

deux Françaises dans la tourmente!


2 commentaires:

  1. Génial!
    Petit truc effrayant (je pense à un éventuel départ-avec je ne sais quels moyens d'ailleurs...-en Russie) tout de même, l'alcool et les russes c'est tout un poème! et j'ai déjà donné dans les vomis de placard hebdomadaires (pas les miens!). Pour l'instant, Dieu merci, la météo est plutôt calme mais je sais que la tempête n'est jamais loin.

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    1. Oh je n'ai eu cela qu'une fois, Dieu merci! Je trouve qu'ils se sont calmés, quand même, enfin ceux que je côtoie. Mais de temps en temps, c'est leur côté dionysiaque, il leur faut se faire exploser la tête. J'avais lu autrefois une nouvelle de Leskov où un sévère et pieux marchand vieux-croyant faisait une fois l'an, pour le jour de l'an, justement, une bringue terrible avec les tsiganes, puis reprenait le cours de sa vie impeccable jusqu'à la fois prochaine!

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