mercredi 7 février 2018

Aube froide


Quand je me suis confessée dimanche au père Dmitri, je lui ai dit que j'avais une dépendance au sucre, à Internet et à mon roman. Pour les deux premières, il m'a dit de profiter du carême pour m'en occuper, pour la troisième, il a  objecté que d'être obsédé par son travail, d'autant plus créatif, était une chose normale. "Oui, lui dis-je, mais je pense plus à Ivan le Terrible qu'au Christ.
- Vous écrivez sur Ivan le Terrible?
- Oui, et il me semble que cette âme m'accompagne et me plaint, et j'ai terriblement pitié d'elle, de mon côté, et en même temps, elle a trop de pouvoir sur moi. Je prie pour Ivan le Terrible.
- Eh bien il y a au moins au monde quelqu'un qui le plaint et qui prie pour lui, d'ailleurs du coup je crois que je vais le faire aussi!"
Mon plombier Rouslane me soutient que le communisme a épuré la Russie et permis qu'elle connaisse à présent un renouveau spirituel, et il espère que la société reviendra à une forme de communisme. Il pense que Pierre le Grand avait saccagé la société russe, c'est une opinion que je partage entièrement, il est en grande partie responsable de ce qui s'est passé ensuite, avec son prédécesseur Alexis et le schisme des vieux croyants, et ses successeurs également. Les derniers tsars de cette dynastie, qui ont fait ce qu'ils ont pu avec la situation vicieuse dont ils avaient héritée, étant les seuls qui trouvent vraiment grâce à mes yeux.
Je trouve très cher payée l'épuration que revendique Rouslane, et elle a frappé les meilleurs éléments du pays. Elle a été opérée par des gens qui détestaient la Russie, son génie propre, sa foi, ses traditions, sa culture, à l'exception de cette culture de musée et de conservatoire qui pourrit la cervelle des intellectuels encore aujourd'hui, chez eux comme chez nous, résultat de cet appauvrissement organisé de la culture populaire, au profit de celle des élites passées. Pratiquement tout ce qui pensait et créait est passé par les camps ou par les armes, ainsi que beaucoup de paysans et d'artisans, sans parler évidemment des ecclésiastiques et croyants. Il s'est institué un esclavage d'état qui ne disait pas son nom, avec des quotas d'arrestations pour fournir des travailleurs gratuits corvéables à merci, et un servage d'état pour les paysans, soumis aux instructions absurdes de fonctionnaires déconnectés de la terre et hostiles à la nature. D'innombrables monuments d'une fabuleuse beauté ont été détruits, ce qui permet à certains intellectuels d'affirmer aujourd'hui que les Russes n'ont jamais rien créé de bon ni d'original et de continuer à mépriser ce qui subsiste. Je pense avec Dostoïevski que le bonheur de l'humanité ne vaut pas une larme d'enfant, et du reste, à l'issue de tout cela, n'est pas venu le bonheur mais l'effondrement de la Perestroïka et la mise à sac libérale du pays.
Cette mise à sac libérale, la complicité  de hauts fonctionnaires pourris avec des puissances étrangères avides d'achever le pays et de le dépecer, sont à l'origine de beaucoup de réactions du genre de celle de Rouslane.
Nous sommes tombés d'accord sur le fait que le communisme a eu parfois des effets secondaires bénéfiques, le principal étant d'avoir protégé la Russie du consumérisme occidental et de ses idéologies sociétales délétères jusqu'en 90. Cela a sans doute été providentiel, et d'ailleurs rien n'est jamais totalement négatif...
En l'absence d'un monarque, et face à la formidable et infâme dictature mondialiste qui se met en place, il est actuellement possible que le seul moyen d'échapper à cela, et de retrouver ce sentiment de communauté (sobornost) qui faisait du peuple russe une famille sacrée pénétrée de sa mission chrétienne, une reprise en main collective du pays, accompagnée de l'expulsion de sa pourriture libérale soit la seule solution. Entre une forme de collectivisme réactionnel et le libéralisme mondialiste, mon choix serait tout de suite fait. Et cela d'autant plus que l'ultra capitalisme bancaire nous spolie aussi bien que le communisme, il y a un moment que je l'ai compris, la propriété chez nous est devenue une illusion.
En revanche, je ne peux absolument pas blanchir le communisme du sang versé et des destructions culturelles irrémédiables qui ont été son oeuvre.
Rouslane m'a proposé de faire mon bricolage: "Vous êtes quelqu'un de trop modeste, je vous l'avais proposé, et vous n'en profitez pas."
Je vois arriver mon départ avec une véritable terreur. Rosie sera casée auprès de la dresseuse de chiens. Mais laisser les chats, et la maison en plein hiver... J'aurais préféré partir en mars, mais je n'ai pas le choix.

L'aube, la lune, le lampadaire


5 commentaires:

  1. Oh! Quand partez-vous?
    J'aimerais tant vous rencontrer à Solan (ou ailleurs je ne sais pas)!

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  2. Ce qui est dit du communisme de la part de toi et Rouslan est très intéressant. Cette folie meurtrière peut être vue en effet comme une sorte de purification morbide et destructrice de la part de gens sans doute poussés à la folie par la montée du libéralisme dont on voit aujourd'hui les effets délétères. Si j'en juge par les quelques personnes originaires de Russie et des ex "démocraties populaires" que j'ai rencontré juste après l'effondrement du mur de Berlin, ils étaient tous bien éduqués, cultivés avec des valeurs de base et ils contrastaient grandement avec les Français de l'époque qui faisaient des études supérieures comme eux. Au fond, notre société actuelle est à bien des égards pire que le régime soviétique qui en effet, ne faisaient pas l'apologie de comportements déviants et de la défense des "minorités" au détriment des gens normaux. De quoi se demander ce que nous allons devenir et si des gens écoeurés (j'en lis sur Facebook et ils sont plus jeunes que moi le plus souvent!) ne vont pas aussi rêver d'une "purification"... Pensée à tes chats et bon voyage en France. Marie-Hélène Gauthier

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    1. Le libéralisme a été un tel choc pour la société russe, ce libéralisme rapace qui ressemble à celui du gouvernement ukrainien actuel, que beaucoup, avec en plus l'agressivité et la mauvaise foi atlantiste à leur égard, voient l'URSS comme un paradis perdu. Je n'en garde pas du tout ce souvenir, et à l'époque, malgré mon amour de la Russie, je n'aurais pas déménagé à Pereslavl Zalesski. A présent, je me fous un peu d'un retour éventuel du communisme, si ma maison est la propriété de l'état mais que j'en ai l'usufruit, qu'est-ce que cela change pour moi? En France, le premier politicard ou le premier affairiste ou le premier squatter venu peut me priver de mon logement ou des impôts iniques me forcer à le vendre. Mais débarrasser la Russie des banquiers, des firmes internationales et des libéraux à leur solde me semble une telle priorité que j'accepterais n'importe quoi , sauf la falsification de l'histoire et la calomnie des martyrs.

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