lundi 26 mars 2018

Une douce douleur et de dures conclusions

Le père Andreï Tkatchov  photo Tsargrad


L’archiprêtre Andreï Tkatchov à propos de la tragédie de Kemerovo. Une interview de la chaîne  Tsargrad
Ce jour où toute la Russie suit avec épouvante et douleur la tragédie qui a emporté des dizaines de vies enfantines, « Tsargrad » a discuté de l’attitude chrétienne devant ce malheur avec  notre auteur permanent, le pasteur et prêcheur orthodoxe bien connu, clerc de l’église saint Basile le Grand à Zaïtsevo, l’archiprêtre Andreï Tkatchov.
Tsargrad : Aujourd’hui, des millions de gens dans notre pays et au-delà se posent les questions : comment une tragédie d’une telle ampleur, dans laquelle a péri une énorme quantité d’enfants, a-t-elle pu se produire ? Pour quoi le Seigneur permet-il ou, comme disent les croyants, laisse advenir des événements aussi terribles ?
L’archiprêtre Andreï Tkatchov : Depuis l’époque du meurtre d’Abel par Caïn, il ne convient plus de s’étonner de la mort en tant que telle. Sans conteste, elle effraie les gens, elle met nos sentiments moraux à l’épreuve. Mais si nous réflechissons plus profondément à la question, nous comprendrons qu’envers la mort elle-même nous nous trouvons dans l’illusion. Elle s’accomplit constemment, mais ce sont seulement ce genre de tragédies massives qui éveillent la conscience sociale. Prêtez attention aux statistiques des accidents de voiture aux issues fatales, à celles des accients du travail ou des règlements de compte criminels. Tout cela nous montre le « royaume de la mort » sous un aspect dévoilé. Et cela sans parler des hospices, des hôpitaux, des réanimations, des maladies, des opérations et ainsi de suite.
Ts : Mais tout cela ne nous épouvante pas autant qu’une mort d’enfants aussi massive et aussi terrible. Comment le comprendre d’une façon chrétienne ?
A.T. Bien sûr, il faut ici frémir et se rappeler que l’homme n’est pas seulement mortel, il peut l’être subitement, et c’est précisément là le plus terrible. Ce qui ajoute de la peur, c’est que l’endroit de la catastrophe était un endroit de repos et de réjouissances.  De telles choses se produisent quand coule un bateau de croisière, où les gens s’étaient réunis pour s’amuser, danser, regarder depuis la mer ou la rivière des couchers ou levers de soleil, et il faut tout à coup aller par le fond avec le bateau. Ou bien quand un parc d’attractions passe de lieu de rires d’enfants à un lieu de cris, de sang, et de cheveux blancs pour les parents.  Et là, on ne peut en tirer qu’une conclusion : il ne faut jamais abandonenr la prière nulle part, même là où l’on est venu s’amuser. Il n’y a aucun endroit sur la terre, où l’on puisse se laisser aller jusqu’à se sentir en sécurité, où que l’on soit. Et je ne parle même pas du terrorisme, mais juste de cette civilisation qui nous entoure.  La quantité  de dangers pour l’homme s’est augmenté en proportion égale à celle du confort. L’électricité éclaire magnifiquement notre maison, mais elle nous électrocute ou crée des courts-circuits. Et tous ces plastiques contemporains brûlent plus vite et sont plus dangereux que le bois. Et tout ce qui nous entoure par ailleurs : l’énergie atomique, la production de voitures, et beaucoup d’autres choses prévues pour notre confort qui nous frappent, comme un esclave qui échappe à notre contrôle. Et tout cela réclame une prise de conscience de la faiblesse de l’homme et du danger d’uen civilisation conçue pour certains buts, mais apporte autre chose de secondaire. C’est dans l’ensemble tout le problème du monde contemporain.
Ts . Et comment expliquer cela aux parents qui en l’espace d’une heure ont perdu leurs enfants ? Quels mots trouver pour eux ?
Dans la période de douleur aiguë de la personne en état de choc qui a perdu ses proches, il ne faut rien expliquer. Il faut permettre au temps de faire son travail thérapeutique. On peut l’expliquer seulement à ceux qui posent cette question de manière philosophique et qui n’ont perdu personne. A celui qu’inquiète le tableau d’ensemble du monde : la compréhension de Dieu et de la place de la souffrance dans notre monde. Mais aux parents et aux proches de ceux qui ont péri, il ne faut rien expliquer. Il faut se taire. Et même plus, une conversation superflue peut seulement aggraver leur traumatisme. C’est pourquoi ici, il faut le tact que n’avaient pas, disons, les amis du juste Job aux multiple souffrances, dans l’Ancien Testament. Il souffrait, et ils lui en parlaient, ce qui ne faisait qu’ajouter à sa douleur.  C’est pourquoi que celui qui a la foi prie. Et que celui qui ne l’a pas réfléchisse. Dieu a créé l’un et l’autre pour que l’homme n’ai pas de justification. « Aux jours du malheur réfléchis », ainsi parle l’Ecclésiaste. Le malheur rapproche Dieu de l’homme et l’homme de Dieu. Car aux périodes de confort et dans la zone de confort, les gens oublient Dieu.
TS. Mais tout de même en quoi aujourd’hui l’Eglise peut-elle aider les parents et les proches de ceux qui ont péri ?
 A.T.L’Eglise ne doit pas faire double emploi avec le gouvernement qui va aider matériellement et recruter, mobiliser le travail des psychologues et autes services. L’Eglise peut faire ce qu’elle doit toujours faire : en appeler au Dieu Vivant pour le salut des âmes de ceux qui ont péri dans la fumée et les flammes, pour le soutien du cœur déchiré des parents en deuil, pour que ne se répètent pas de pareils cauchemars. C’est-à-dire que notre affaire principale est de converser avec Dieu, de converser en pleurant avec Dieu sur ce qui se passe.
TS : L’un des péchés qu’il est convenu d’appeler « mortels », c’est la cupidité. Et c’est justement de quoi  l’on parle beaucoup en ce moment, car il est évident que beaucoup de ces tragédies du genre de Kemerovo s’enracinent dans ce péché, dans cette passion.
 A.T Sans aucun doute. Nous vivons dans un monde dans lequel le profit est le sens de la vie pour la plupart des gens. Et cela autant pour ceux qui font des affaires que pour ceux qui n’en font pas. Le bénéfice maximum devient la justification de toute activité « par défaut ». C’est pourquoi se retournent les vaisseaux que des passeurs surchargent avec toujours plus de matériel technique et de gens pour vendre davantage de billets.
C’est pourquoi se créent des situations favorables aux incendies là où on ne s’occupe qu’en tout dernier lieu des installations de sécurité, c’est pourquoi brûlent des boîtes de nuit et des centres commerciaux. Notre époque ne nous apprend pas à penser à l’être humain, nous devons l’apprendre nous-mêmes. Et la tendance mondiale générale, dans laquelle nous sommes submergés et dans laquelle nous suivons le courant,  c’est gagne de l’argent, tant que tu en as la possibilité, et on se débrouillera bien avec le reste.
Ts. Quelle conclusion devons-nous en tirer ? A quoi réfléchir en premier lieu, au vu de ce qui s’est passé à Kemerovo ?
A.T A nouveau, sans doubler l’action du gouvernement, nous devons attendre de lui un contrôle sérieux et une vérification de la sécurité de tous les endroits où s’accumulent des masses de gens. Cela concerne la prévention des incendies et bien d’autres choses (ce qui est particulièrement important à la veille de la coupe du monde de football). Nous sommes des chrétiens orthodoxes et, je le répète, nous devons comprendre qu’on ne peut jamais délaisser la prière, surtout dans les endroits où s’amassent beaucoup de gens.
L’insouciance nous est contre-indiquée partout, car même là où l’on est venu se reposer simplement, se vautrer sur la plage, on se trouve dans la même zone à risques que, par exemple, dans un lieu de production technique. C’est pourquoi prenez soin de vos proches, de vos enfants, de vous-même, soyez vigilants. Et ne croyez pas que le monde moderne est  devenu un paradis grâce au progrès technique. Au contraire, il est devenu plus dangereux, plus menteur, plus ambiguë. Le masque de ce monde s’arrache peu à peu, dans toutes les parties du monde et ici, nous ne faisons pas exception.

Mikhaïl Tiourenkov
trad. Laurence Guillon

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