dimanche 24 juin 2018

Solstice

intérieur de l'église de la Protection
de la Mère de Dieu

Le solstice fait les nuits très courtes et donne une lumière particulière, éblouissante et douce, mystérieuse. Je passe beaucoup de temps dans le jardin à travailler et à bousiller ce qu'il me reste de cartilage mais aussi à rêvasser et à dormir.  Merveille de cet été du nord, lumineux et léger, plein de vent et de cris de mouette, avec encore quelques rossignols le soir, et grâce au vent, le souffle bienfaisant du lac, finalement assez peu de moustiques, ils arrivent le soir, ou par temps orageux, mais je peux passer de si heureux moments sur mon hamac, à regarder bouger les feuillages, les nuages, les fleurs encore trop peu nombreuses, les roseaux... J'ai chaud, après un tel hiver, porter une robe d'été dans une douce tiédeur est un plaisir rare, mais pas trop, sauf quand je m'agite, évidemment. Et je profite de chaque instant de douceur, de verdure, de chaque gorgée de vie. Dommage que Rosie ne me laisse pas faire de vélo tranquille... Mais elle me garde, étendue dans l'herbe, les chats aussi. Je l'ai vue hier, en ouvrant mon portillon, faire des amabilités à un jeune homme tatoué, balèze, rouge comme un homard, le crâne rasé. Mais dès qu'il est venu me parler, elle lui a montré qu'attention, pas touche! L'âge me met un peu à l'abri de ça (quoique...) mais avec Rosie, pas de problème, je ne risque pas de me faire violer!
Ce matin, à l'église de la Protection de la Mère de Dieu, je me suis fait encore une copine, une dame qui s'appelle Svetlana et qui m'a abordée, parce qu'elle était à ma soirée gousli de cet hiver. Elle m'a chanté les louanges de cette église et de son clergé, le père Alexandre et le père Pavel. C'est vrai qu'ils me plaisent bien l'un et l'autre, le "mystique" et le "bon vivant". Le père Alexandre, me dit-elle, est le surintendent des paroisses du coin pour l'évêque Théodore. Svetlana, comme d'ailleurs mon père Valentin, apprécie que l'église n'ai jamais été fermée, elle a traversé toute la période soviétique. "La Mère de Dieu, dit le père Valentin, dont la paroisse est aussi dédiée à la Protection de celle-ci, comme d'ailleurs, soit dit en passant, le monastère de Solan, protège bien les siens!" Cette église est donc une espèce de capsule spatio-temporelle. "Vous comprenez, me dit Svetlana, les églises qu'on refait, elles n'ont pas le même esprit, on dirait des musées. Ici tout à été fait par nos ancêtres. Si vous voulez, je pourrais vous emmener dans une église à 20 km d'ici qui n'a jamais fermé non plus, elle a conservé son magnifique iconostase en bois sculpté, et même des statues, c'est une merveille...
- Je serais heureuse de voir cela, car ce pays a été épouvantablement ravagé et cela continue... Que cette église ait été épargnée est bien un miracle.
- Oui, c'est terrible ce qui se passe avec Pereslavl, le maire n'aime pas ce qui est ancien...
- A mon avis, il n'aime que le fric..."
Le maire m'a l'air du mutant post-soviétique parfait, il est "du passé faisons table rase et place au business". Il se fout éperdument de ce qui est beau, d'ailleurs il ne le voit pas, il ne voit que ce qui fait riche. Il se fout complètement d'Alexandre Nevski, dont on va fêter le jubilé. Et encore plus de saint Nicétas le stylite. D'après les commentaires des artistes et collaborateurs des musées locaux, à Pereslavl, outre les destructions systématiques de vieilles maisons, et l'affreux projet de la berge du lac, on passe son temps à défoncer d'anciens cimetières et des sites archéologiques vite ravagés avant que ne débarquent des équipes de fouille, pour édifier des merdouilles rentables. Son mépris du passé s'étend également à la musique traditionnelle. Il préfère le tintamarre bien vulgaire, comme je l'ai constaté à la fête nationale.
Il paraît qu'à Ouglitch, c'est tout à fait différent, on restaure avec amour ce qui subsiste. Par moments, je regrette de ne pas avoir choisi un endroit plus préservé, Souzdal par exemple, ou Toutaïev. Mais d'un autre côté, si je suis tombée ici, c'est sans doute la volonté de Dieu, comme me le disait le père Valentin à propos de regrets d'un autre ordre. Je prie tous les jours Alexandre Nevski et le métropolite Philippe de débarrasser cette ville vénérable des brutes qui la défigurent et la vendent à l'encan.




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