samedi 22 septembre 2018

La cigarette du condamné


Je savoure les douceurs de cet été indien comme un condamné sa dernière cigarette. Et pourtant, tout en sachant que cela va prendre fin après-demain, cela semble éternel, ce miracle, cet air doré qui déteint sur les arbres et emporte au dessus des fleurs qui s’attardent des feuilles éclatantes, et puis  ces jolis papillons, les jeux des canards sur les reflets de l’eau. On ne peut croire que très vite, vont venir les intempéries, les frimas, la glace, la neige, et pour longtemps, que deviendra la minuscule coccinelle qui rampe sur l’icône que je peins, et l’oiseau qui exulte encore, tant qu’il le peut. Moi aussi, j’exulte tant que je le peux, c’est ce que j’ai fait toute ma vie, à la moindre occasion.
J’ai décidé d’aller me promener, et Rosie m’a suivie. J’ai longé la rivière, enchantée par ses dorures, ses soies et ses satins glissants, bleus et verts, et les canards dérivants. J’ai escaladé le « val » : que de lumière, et malgré tous les monstres bâtis ça et là, encore de beaux points de vue sur les églises. Ce qui sauve Pereslavl, malgré le saccage qu’en ont fait ses habitants, c’est la verdure l’été et la neige en hiver…
J’aurais voulu voir la ville quand le prince Alexandre y vivait, quand là où je marchais se dressaient les remparts de bois… Que la ville est ses habitants devaient alors être beaux, oui, il est difficile d'imaginer une telle beauté de nos jours, encore que moi, je l'imagine, ou la retrouve, je ne sais, c'est ce qui me rend la hideur et la cacophonie de notre époque si odieuses.
Je voulais finir ma promenade au café français, mais Rosie n’est pas du genre à m’attendre à la porte, et j’ai dû rentrer à la maison, avec plein de photos. Encore une journée, une journée d’été dans l’automne, de soleil dans tous ses trésors. 
Les gens du voisinage travaillaient dehors avec la fichue radio. Platon disait que pour connaître un peuple, il fallait écouter sa musique. La musique du peuple russe était la plus belle du monde, et il y a encore cent ans, elle devait bruire partout avec le  vent et les oiseaux, en harmonie avec ce qui brille, scintille, s’élance, dans l’eau et dans les airs. On l’a fait taire depuis, et parce qu’il a perdu sa musique, ce peuple a perdu une bonne partie de son âme, comme le peuple français, comme tous les peuples victimes de la modernité et de la mondialisation. 
Mais ici, malgré tout, dans l'air rose et blond du soir, on entend encore les carillons des cloches... Et c'est déjà quelque chose. 














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