vendredi 7 septembre 2018

Le fruit mûr de l'été


Je pense si souvent à Doggie, je revois tout ce qui s’est passé, je crois que de toutes mes hsitoires d’animaux, c’est celle qui m’a le plus brisé le cœur. Lorsque je lis ce que j’ai traduit sur Grégoire Palamas, je ne vois pas dans cet au-delà sans espace ni rien de sensoriel, de place pour mes petits chiens, et pourtant, je suis sûre qu’il doit y en avoir une, sinon, tout serait trop injuste, et d’ailleurs, n’en déplaise aux moines, nous avons 99% de gènes en commun avec les animaux (et les végétaux), et à mes yeux, le salut et la transfiguration seront forcément cosmiques.
Le beau temps apporté par Henri et Patricia s’éternise, l'automne approchant semble le fuit mûrissant de l'été. Hier, je suis allée au lac, près de Godenovo, et je me suis baignée. Il était lisse comme un miroir, frais, mais pas froid ; j’y suis entrée, le silence aurait été parfait, sans les voitures qui passaient de temps en temps sur la route proche, un silence immense, mystique, où chantait un oiseau, quelque part. De petits nuages subtils se reflétaient dans la surface immobile, dans l’azur dédoublé, un azur pâle et tiède.  Le paysage était à la fois modeste, sans rien de spectaculaire, mais captivant, absorbant, avec une sorte de grandiose douceur. Je ne finis pas mes jours au bord de la mer, mais je retrouve la possibilité de me baigner dans des endroits beaux, à peu près intacts, pas surpeuplés. Et lorsque je nage, je n’arrive plus à sortir de l’eau. Je l’épouse, elle me régénère et le ciel me dévore.
Je pensais à l’Ardèche, où j’allais enfant avec maman, les pierres plates et brûlantes de Sauze, l’eau verte et mouvante, rapide, les falaises, en face, prêtes à bondir, les odeurs balsamiques des plantes du midi. Ou à la mer, la mer à Sainte-Maxime, à Saint-Tropez, dans les années 60, les gens beaux, éduqués et distingués que je voyais sur la plage, avec cette rumeur de conversations, de cris d’enfants et de mouettes, de vagues murmurantes, de vent iodé. C’était le début de ma vie, sous le soleil, avec tous les élans de mon corps enfantin, et de mon âme contemplative, qui cherchait l’éloignement, et je nageais, pour le trouver, je m’éloignais dans l’infini bleu, celui du ciel reflété par la mer, et j’entamais un silencieux dialogue, un dialogue sans mots…
Les lacs du nord où je finis ma vie sont d’une autre nature, leurs eaux plus étales, ils jouent avec les nuages, dont le ciel est toujours plus ou moins hanté, discrètes présences angéliques sur eux penchés, ou grandioses architectures de lumière, troupeaux de cavales nomades et de sombres guerriers bleus, interminables et fascinants défilés… L’air est plein de fantômes russes et de saintes présences.
Je ne peux pas dire que dans cette Russie que j’aime si profondément, comme un rêve poursuivi et accompli, je n’ai pas le mal du pays, le mal de la France, ce sentiment poignant et sournois qui jette de vives images dans notre esprit, vives images d’un passé mort.
Le long de la route, les arbres se dorent comme les motifs anciens d’une grande iconostase.






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