mercredi 31 octobre 2018

Propagande de guerre


Pour une personne atteinte de procrastination chronique, arriver à faire trois corvées le même jour est plutôt satisfaisant. Donc, j’ai fait les courses (en oubliant plein de trucs, quand même…), je suis allée à la banque, et j’ai changé les pneus de la bagnole.
Il souffle une bise glaciale, les flaques sont gelées, hier, il y avait du soleil, je suis allée acheter des légumes chez Aladin (cela ne s’invente pas !). Avec Rita dans son sac et Rosie qui nous gardait. Tous ses copains chiens venaient à sa rencontre, avec sa sœur Eva, mais elle leur montrait les dents : il ne fallait surtout pas nous approcher. Rita, depuis son sac, grognait pour l’encourager.
Au matin, quand j’ai sorti Rita, car elle ne sortirait pas seule, j’avais un ciel pur comme une eau profonde, et des étoiles glacées autour d’une demi-lune resplendissante. A l’horizon, l’aube pointait, l’escalier givré étincelait.
J’ai sorti la doudoune longue. On attend la neige. Il nous faut de la neige, il fait trop froid sans manteau blanc.
Puis j’ai bricolé un peu, j’ai horreur de bricoler, mais bien obligée… Je vais m’attaquer cette année à la partie que je n’occupe pas, celle où je mets les amis. J’espère qu’on ne salopera pas complètement Pereslavl, car lorsque je vois le temps qu’il faut pour arranger une maison et son jardin, je n’ai plus trop de forces ni d’années devant moi pour recommencer encore cela ailleurs.
Je n’arrive pas à aller à Moscou, reprendre mes cours avec Skountsev, car Rita n’est pas propre et je ne peux pas la laisser, Rosie vit sa vie et peut se défendre, mais Rita tombe dans la panique quand je la laisse et bien que teigneuse, à certains égards, chipie, elle est complètement désarmée. J’essaie de l’éduquer mais c’est peut-être trop tard. A Moscou, je ne suis pas aussi vite sortie qu’ici, et elle peut s’oublier dans les appartements…
Je suis tombée sur ce qu’écrit dans son blog un ancien collègue du lycée. Je ne l’ouvre jamais, je ne sais par quelle curiosité j’y ai mis le nez. J’aurais mieux fait de m’abstenir. Le gars est depuis 20 ans à Moscou avec une femme russe, mais il ne peut se faire une idée sans la grille d’interprétation de Libération ou le Nouvel Obs, de toute façon, tous nos journaux sont pareils. Alors il est parti faire à travers Moscou des photos dénonçant la « propagande de guerre », je veux dire la russe, évidemment, pas la nôtre ! Il voit une peinture patriotique sur un mur avec des héros de l’ancienne Russie : propagande de guerre ! Il voit une affiche où des ecclésiastiques participent à une commémoration patriotique : propagande de guerre ! Saloperie d’Eglise russe belliciste ! De toute manière, pour ce gars-là, rien que le mot « patriotique » ou «héros », « prince », « roi » ou « chevalier », c’est de la propagande de guerre. A la limite, je pourrais aussi aller photographier des statues de Jeanne d’Arc, de Du Guesclin, de Turenne, le défilé du 14 juillet, et dire que les Français sont revanchards, militaristes et avides d’en découdre ; il est vrai que cela devient difficile, car nos symboles historiques et culturels sont systématiquement profanés et vilipendés, c’est sans doute beaucoup mieux, beaucoup plus civilisé. Les Russes sont patriotes, et cela se voit, et même leur clergé est bêtement patriote, il prie à chaque liturgie pour ce pays, son gouvernement et ses armées, par principe, quel que soit le gouvernement, car ainsi que me l’avait expliqué le père Barsanuphe, plus il est mauvais et plus il est nécessaire de prier pour lui ! Bon, toute une frange d’intellectuels et de journalistes libéraux s’efforce de battre ce patriotisme en brèche, et je suppose que mon collègue les soutient de toute son âme qui n’a jamais connu l’eucharistie… Et du reste, ils y arrivent dans une certaine mesure, avec les ados destructurés élevés aux écrans et au rap.
Plutôt que de chercher à prouver que ses journaux favoris ont raison de dire des conneries, il pourrait critiquer la Russie sur les plans où elle est critiquable, malheureusement, il y en a. Le mépris du patrimoine, l’impunité des riches, les « rénovations » et leur cortège d’expulsions arbitraires et de spoliations. La pollution, les ravages des Chinois sur la forêt sibérienne. Les abus des fonctionnaires.
Car j’en suis de plus en plus convaincue, le patriotisme russe est avant tout défensif, et si la Russie va à la guerre à présent, c’est on ne peut plus à reculons, parce qu’on l’y accule, et en cherchant à se donner le temps de s’y préparer. C’est vraiment méconnaître la mentalité russe et la situation réelle du pays que de penser le contraire.
Rosie et ses potes

Ma voiture sur le point d'être chaussée pour l'hiver

ça sent la neige, mais elle ne vient pas

Les dernières fleurs se cramponnent...

Le restau des oiseaux


2 commentaires:

  1. «Le mépris du patrimoine »… C'est étonnant pour des Russes, non ? Autre chose : donc, on s'en une préparation pour la guerre en Russie ? C'est général ? Je dirais qu'ici en France, le citoyen lambda est totalement à côté tout ça. C'est la médiocrité de la politique qui l'intéresse : les « petites phrases », le prix de l'essence, la popularité de Macron, etc. De mon côté, je ne sais pas. On sent, certes, qu'on s'acharne contre la Russie de tous les côtés et sous tous les prétextes mais je ne sais pas si la population adhère ou pas. Je dirais plutôt que oui puisque la propagande continue et même enfle à vue d'œil. Intéressante votre chronique. Continuez !

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    1. Ce n'est pas étonnant parce que 70 ans de communisme ont voulu avec acharnement faire du passé table rase. On a répété aux gens que tout ce qui avait précédé l'année 17 n'était que ténèbres. Beaucoup d'intellectuels russes connaissent mal la culture populaire parce que seule la culture classique, académique avait droit de cité. Je vois des libéraux éructer sur la Russie, ils rejettent l'Union soviétique, mais restent quand même persuadés, comme on le leur a appris, qu'avant ce n'était pas mieux et que leur pays est pourri de A à Z. Cela arrange un certain nombre de gens qu'ils le pensent. Le folklore renaît, mais le ministre de la culture ferme le centre de folklore de Moscou et ne donne plus de subventions pour le festival "la Tradition Vivante". Ou bien il consent à classer une ville menacée de destruction par les promoteurs, mais "seulement dans deux ans", quand le massacre sera accompli. Au niveau individuel, des gens grandis dans le béton, habillés de tristes oripeaux et entourés d'objets hideux perdent le sens de l'harmonie, cela est universel, mais ici, le communisme a particulièrement travaillé en ce sens. ainsi j'ai appris que jusque dans les années 50, les paysans venaient ici vendre au marché des objets artisanaux magnifiques, mais on le leur a interdit, et les traditions ont plus ou moins disparues, les objets aussi. Il y a ici une boutique qui vend de jolies choses anciennes ou authentiques, elle va fermer. Les gens vont acheter des "souvenirs" affreux complètement trafiqués, on leur donne l'habitude de ce genre d'objets dès le jardin d'enfants. J'ai travaillé dans un jardin d'enfants russe, je voyais ce qu'on leur faisait produire... Les Russes s'attendent à une guerre, ils sentent l'hostilité de l'extérieur, à part une frange de gens qui me rappellent les bobos français et qui prétendent que personne ne les menace, que c'est une manipulation du pouvoir. Ceux-là sont d'ailleurs prêts à donner leur pays à ceux qui le veulent, j'ai vu et traduit une vidéo d'une émission de Nikita Milhalkov où on les voit en congrès évoquer la partition de la Russie, sa mise sous tutelle internationale, enfin tout à fait ce que les occidentaux rêveraient de faire. Forcément, puisque c'est un pays pourri et moche, peuplé d'abrutis qui ne savent rien faire, et cela de toute éternité... Les gens qui pratiquent ce dénigrement sont souvent ceux qui sont à l'origine de cet état de chose, placent leur fric à l'étranger, y envoient étudier leurs enfants, et, après avoir laissé détruire tout ce qui était beau dans les villes, vont passer leurs vacances à Prague. Je ne sens pas une "propagande" déchaînée, comme chez nous, mais plutôt une certaine mobilisation: beaucoup en ont marre de se faire insulter. A part le bobo russe, les autres comprennent où cela mène. Personne n'a envie de se battre, mais on commence à se dire qu'il le faudra peut-être bien. Mon ancien collègue avait pour propos de traquer tout ce qui pouvait corroborer sa thèse, mais les peintures murales patriotiques et les défilés militaires n'ont jamais cessé en Russie, enfin depuis plusieurs décennies, c'est une tradition. Il paraît que les ados moscovites travaillés par d'habiles rééducateurs commencent à railler les "patriotes". Mais dans l'ensemble, le patriotisme est beaucoup plus présent qu'en Europe, et cela ne veut pas dire qu'il soit offensif, à mon avis, il est surtout défensif.

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