Il faut ici se dépêcher de profiter des floraisons printanières, car elles passent à toute vitesse. Le poirier et les pruniers se hâtent d'épanouir leurs corolles blanches qui seront bien vite fanées. De même le stade des jeunes feuilles transparentes, celui que je préfère, ne dure pas longtemps.
Après la relecture de la lettre de la soeur Marie-Rose, j'ai traîné une sorte de nostalgie dolente toute la journée. Je pensais à papi et mamie, à Annonay, à cette douce vie provinciale française à jamais perdue, à ce soleil de l'enfance qui se perd derrière nous. Puis aujourd'hui, je suis tombée sur mes dessins d'alors, que mes grands-parents avaient pieusement gardés, un bloc Canson Montgolfier, et aussi du papier pelure qui devait provenir du magasin de papi, où j'attendais en dessinant le moment où nous allions rentrer, les courses de Mamie et la journée terminée, à l'Armençon. Je me suis arrêtée sur deux d'entre eux. L'un montre une "petite fille triste" (elle pleure) sous les étoiles et la lune (auxquelles j'étais très sensible), environnée de toutes sortes d'animaux, elle en a même un sur elle, sans doute un chat. Il y a aussi un éléphant, à trois ans, j'avais été subjuguée par Babar. Un cheval, un oiseau, un chien. Et aussi un dessin apocryphe qui n'est pas de mon style et qu'a pu ajouter un cousin ou une cousine. J'ai toujours beaucoup aimé les animaux, je me souviens d'un chiot spitz tout blanc avec lequel on m'avait prise en photo dans un restaurant, je crois que si j'ai acheté un spitz à un moment de ma vie, c'était en souvenir de l'émerveillement causé par ce chiot ravissant, et je ne sais pas ce que cette photo est devenue. Elle était restée jusqu'à la mort de mon grand-père sur le radiateur de la chambre verte. Tout restait à sa place, chez lui, depuis des décennies, même le porte-monnaie de ma grand-mère dans le tiroir de la table de la cuisine, table qui m'avait suivie ici, d'ailleurs, quand j'étais partie pour Moscou et que l'acheteur de mon isba m'a rendue. Et puis, à sa mort, les traces de sa vie se sont défaites et éparpillées en quelques jours.
L'autre dessin me touche bien davantage, car je crois y reconnaître une scène de notre vie. Les deux petites filles, une blonde et une brune, dans le jardin, probablement de l'Armençon, car il y a des tulipes le long de la façade, celles où nous cherchions les œufs de Pâques, et il me semble que c'est justement ce qu'elles font, le truc devant elles, c'est un œuf de Pâques, pas un ballon de rugby, sont bien évidemment Françoise et Laurence; et l'élégante silhouette tutélaire qui tient un sac sur le seuil, c'est maman, je dirais que cela lui ressemble étonnamment, l'allure, le style de fringues, la coiffure. Le sac, ce doit être pour les œufs, justement.
Dans la même boîte, il y a les lettres que mon père écrivait à maman, et qu'elle avait gardées pour que j'ai une idée de l'homme qu'il était. Je dois dire que je n'ai pas le courage de m'y replonger, c'est top déchirant. Enfin, pas pour l'instant. Un jour sans doute, avant de mourir, il me faudra restituer tout cela, sous une forme ou une autre.
Il me vient d’autrefois
des souvenirs fanés,
Les bruits et les
odeurs de nos anciens étés,
Leur charme désuet et
leur jeune soleil
Qui venait en dansant
dans ma chambre, au réveil.
Se mirer, malicieux,
dans l’ovale miroir
Qu’au matin lui tendait
la vénérable armoire.
Sur ses pas résonnaient
les trompettes des coqs,
Jetant de tous côtés de
rauques entrechocs.
Dans ses brillants
cheveux, le vent jouait, joyeux,
Paissant le blanc
troupeau des nuées au pré bleu
Qu’au travers des
rideaux me découvraient les cieux.
Je me souviens de
toutes les roses
De ce jardin où j’ai
grandi,
Où mon âme encore se
repose
Avant de s’en aller
d’ici.
La vie, c’était bien
autre chose
Que ce qui finit
aujourd’hui.
Les pâquerettes, les
primevères,
Les bleus iris et les
soucis,
Les robes sur l’herbe
épanouies
Des sœurs si gaies et
si jolies.
Je me souviens du
cimetière
Où penchée sur son
tombeau gris
Je rendais visite à mon
père
Priant que ni maman
chérie,
Ni moi n’allions jamais
sous terre.
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La petite fille triste et ses animaux |
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La quête des œufs |
Filet d’eau dans le vide
Qu’est-il
donc advenu du lointain ruisselet
Le long
duquel jadis j’allais me promener
Des jaunes
primevères dedans le tendre pré
Où son long
corps glissant coulait en murmurant
Sous la voûte
sonore des peupliers d’argent ?
De ces nuages
blancs comme des agnelets
Qui dans
l’azur profond couraient et gambadaient
Et du vent
qui passait dans mes cheveux d’enfant,
Dans la jupe
à carreaux de ma jeune maman ?
Celle-là qui
m’ouvrait le chemin de la vie
Me précède à
présent sur celui de la mort.
Le fil qui
toutes deux à jamais nous relie
Ne pourra
retenir son pâle esquif au port
D’où elle
prendra le large sur l’éternelle mer
Qui roule
dans la brume ses vagues séculaires
Et restée sur
la grève pour quelques temps encor
En attendant
mon tour, que deviendrai-je alors ?
Ne me
resteront plus que des souvenirs clairs
Et de tendres
regrets et de cuisants remords.
Que n’ai-je
pu lui rendre cet amour bien trop grand
Qu’elle nous
dispensa sans compter si longtemps ?
Que n’ai-je
réchauffé dans son esprit détruit
Son âme qui craignait la tombée de la nuit ?
Que n’ai-je
su chasser les démons embusqués
Les visions,
les délires, les absurdes terreurs,
Que n’ai-je
réprimé les sursauts révoltés
De cet amour
de soi qui nous rend si rageurs
Devant nos
vieux parents retombés en enfance
Et venus nous
gâcher nos dernières années
Avec le poids
ingrat de leur triste existence ?
Et pourtant
cette croix, il fallait la porter,
Sans faillir
avec foi et toute la patience
Que l’Amour
absolu mit à nous rédimer.
Hélas, je ne
le puis et devant ma faiblesse,
A ta
compassion, mon Dieu, je m’en remets,
Je te confie
mon âme et la sienne sans cesse,
Quand mon
irritation fait place à la tristesse
De nous voir
ici-bas séparées désormais
Par les masques
divers que revêt sa démence.