jeudi 29 août 2019

Fier drakkar

le père Andreï, le père Constantin et Ritoulia

Il m’est tombé sous les yeux une citation de saint Païssios concernant les tentations dont les chrétiens sont les victimes au moment des fêtes, je suis tout-à-fait dans ce cas. Les carêmes me cassent les pieds, j’ai besoin de faire un régime, pas de manger des céréales-sucreries, c’est-à-dire de surmonter ma gourmandise et de manger peu, mais équilibré, je suis dans un pays étranger où la médecine n’est pas forcément au top, j’ai intérêt à rester valide. D’ailleurs je ne suis pas du tout ascétique, j’aime la vie, et je n’ai jamais supporté les pisse-froids et les frigides, les rabat-joies, les imprécateurs et les Savonarole. Et depuis quelques temps, chaque fois que je dois aller à l’église, je suis la proie de luttes intérieures inimaginables avec un refus catégorique de m’infliger cette contrainte. Peut-être parce que j’ai trop de contraintes, d’ailleurs, pour mon âge avancé, il va falloir y mettre bon ordre. Me remémorant le père Valentin, m’invitant à communier, prête ou pas, et le père Dmitri, auquel j’ai eu affaire à Vologda, avec ses propos sur le non-conformisme de la divinité, je suis allée morte de honte, à la cathédrale en ce jour de la Dormition, exhiber mes caprices au père Constantin, et j’ai communié. J’ai considéré que cette communion avait été le résultat d’une lutte acharnée jusqu’au dernier moment, que je sois ou non une petite nature. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, ou ce qu’on est. Mais j’ai senti  que mon Dieu non conformiste était sensible à cet effort, et qu’Il m’accueillait telle que j’étais, j’étais heureuse, paisible, émue, et j’aimais tous les paroissiens qui me faisaient de grands sourires. Je pense souvent à mon héros, Fédia Basmanov. Nous avons vraiment beaucoup de points communs, et j’espère passer du bon côté, comme lui, en contrebande, par piston, cachée sous la mante du métropolite Philippe.
J’ai remis ça ce matin, car c’était les 20 ans de la chirotonie du père Constantin. Les petites dames qui s’occupent de l’intendance lui ont fait de petits cadeaux, elles étaient tellement touchantes.. J’y ai ajouté un paquet de thé. Nous avons tous pris le café ensemble, ensuite, dans l’annexe. Le père Andreï était venu pour l’occasion. J’ai l’impression que sa famille est du genre arche de Noé.  Il a pris Rita sur ses genoux, elle semblait s’y trouver très bien.
Tout le monde adore notre évêque, monseigneur Théoctyste, mais on pense qu’il ne restera pas très longtemps, parce qu’il est trop intelligent et capable pour le poste qu’il occupe, et moi, je pense que c’est justement de gens comme lui qu’aurait besoin la province, avec tous ses problèmes. Il paraît qu’il dit : «Dans mon éparchie, j’ai pléthore de ruines et de popes fauchés… »
Depuis quelques temps, je survole Facebook, je survole plus qu’avant, on est obligé de survoler, d’ailleurs, comment digérer autant d’articles et de nouvelles, de commentaires, et il y a tant d’événements sinistres, absurdes, horribles… Le pire étant de voir une partie des gens trouver normales des choses inimaginables, qui auraient mis tout le monde dans la rue avec des carabines et des fourches il y a quarante ans. 
Le gosse des voisins est revenu me demander de l’inviter. Je lui ai servi le thé sous le poirier, car il fait si beau qu’il faut en profiter pour rester dehors, si ça se trouve dans quinze jours on est au bord de la neige… Il a huit ans et s’appelle Ivan. Il m’a demandé si j’avais visité la tour Eiffel et si j’étais montée au dernier étage. « Je l’ai visitée, j’avais cinq ou six ans, et je m’étais arrêtée au premier.
- Les Français doivent être très élégants…
- Ils l’ont été, mais c’est en train de changer. Ma mère était très élégante et très jolie, elle cousait elle-même ses vêtements et les miens. »
Mon problème, c'est qu'Ivan veut sans arrêt venir, avec un petit copain, et qu'il va dans toutes les pièces, sans cérémonies. Ce soir, j'avais envie de rester sur le perron, au soleil, mais j'y ai renoncé, parce que j'avais peur d'une invasion enfantine, et j'avais envie d'avoir la paix.
Je lui ai demandé ce qu'il aimait dans la vie, la question avait l'air de l'embarasser, il a fini par répondre: "les voitures..." Sa soeur ainée aime dessiner mais uniquement les mangas japonais.
Ce matin, je suis retournée dans le seul magasin de Pereslavl où je trouve de jolies choses, « le lin russe », que je croyais fermé. En fait, il ferme l’hiver, et il a une antenne dans un endroit où je n’aurais jamais eu l’idée de mettre les pieds, le » Musée des farces et attrapes », un de ces petits musées idiots que l’on ouvre ici pour justifier l’appellation « Anneau d’Or », alors qu’on détruit tout ce qui est pittoresque autour. Au « lin russe », il y a de belles choses anciennes, de beaux tissus, des nappes et dessus de lit, j’ai acheté des draps magnifiques, en lin, simples et de bon goût, et de bonne qualité, qui vont très bien dans ma chambre, et je ne pensais pas pouvoir trouver cela ici. En plus, c’est moins cher que dans les boutiques de souvenirs horribles.Je suis en très bons termes avec les vendeuses, et celle d'aujourd'hui me dit: "le vieux qui balaie devant chez nous apprend le français tout seul, il rêve d'aller en France, je lui ai parlé de vous!"
J’ai pensé au petit Ivan qui, à huit ans,  a déjà dans la tête que la France est un pays mirifique de beauté, d’élégance et de douceur de vivre, comme le vieux balayeur et la plupart des Russes, et à ce qu’ont fait de notre pays nos gouvernements félons successifs, au bidonville du tiers-monde que devient Paris, et j’en ai eu le cœur chaviré.
Des voisins ayant décidé de couper le grand peuplier qui me faisait face, je suis partie dessiner au bord de la rivière, pour ne pas voir ça, mais dans mon émotion; j'ai oublié mon bloc. J'ai fait juste une petite "carte postale"... Sur le chemin, j'ai vu un fier drakkar, que j'ai photographié: 






4 commentaires:

  1. Laurence, est-ce que vous vendez vos aquarelles? (question intéressée)...: )

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  2. Eh! ça va me faire cher le tableau si je dois venir en Russie : )!... J'aime beaucoup votre aquarelle aux moustiques et celle avec la maison et le jardin. Vous avez étudié dans une école d'art?

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  3. Non, ce n'est pas si cher... Les aquarelles sont moins cheres que l'huile, et je ne suis pas cotee au marche de l'art. Je suis plus ou moins autodidacte. J'ai fait un peu les Beaux-Arts et j'ai travaille dans des ateliers de gravure, a Paris puis New-York. Quand je suis devenue institutrice, je n'ai rien pu faire pendant 8 ans. C'est a Moscou que je m'y suis remise et depuis lors je ne fait pratiquement que des paysages a l'aquarelle.

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