jeudi 26 septembre 2019

Une visite


Saint Nicolas, icône émaillée de Tatiana Kissileva
J’ai vu arriver hier les Lochakov, Sérioja et Tania, lui est architecte, elle fait des icônes émaillées. Ils habitent dans la région de Moscou, ce sont des amis du père Valéri et de Soutiaguine, leur fils Thimothée était venu à Cavillargues, où il avait noué amitié avec le boucher local. Sérioja a été très beau, d’après ses photos de jeunesse, et maintenant, il a l’air d’un digne boyard à grande barbe. C’est un bon vivant ! Je les ai emmenés au café Montpensier, où la cuisine est russe, comme on pourrait ne pas le penser.  De la bonne cuisine russe, Tania et Sérioja étaient contents ! Auparavant, ils s’étaient pris un petit déjeuner au café la Forêt…

Ritoulia est comme chez elle, au café Montpensier. Chaque fois qu'elle vient, on lui donne du blanc de poulet, et elle va le réclamer avec beaucoup d'impudence.

Nous avons discuté restaurations d’églises et de monuments, puisque après les déprédations soviétiques, tout ce qui reste s’écroule, ou est détruit, ou défiguré ou « reconstruit à l’identique ».  Les fonctionnaires russes méprisent leur pays et sa culture, mais pas seulement eux. D’après Sérioja, une partie des prêtres bée d’admiration devant les Grecs  et méprise l’architecture russe ancienne si originale que nous aimons tous les trois. Il fait remonter cela au schisme du XVII° siècle, et il a probablement raison. Chose étrange, j’ai eu un échange avec le rédacteur de « Thomas, la revue orthodoxe à l’usage de ceux qui doutent », Vladimir Gourbolikov, sur le même thème ; à savoir que le massacre de la Russie a commencé avant les soviétiques. D’une certaine manière, nous avons eu aussi cela en France, où après la Renaissance, on s’est mis à mépriser le moyen âge au nom de l’imitation imbécile des antiquailles retrouvées, alors que celles-ci avaient été absorbées et transfigurées par les siècles chrétiens ultérieurs.  Il semble que pour certains prêtres, toute l’Eglise russe antérieure au schisme soit un peu devenue schismatique; alors que c'est en partie probablement le contraire. Au XVII° siècle, la Petite-Russie, sur le territoire de l’actuelle Ukraine, s’est rattachée à la Russie avec deux siècles de domination polonaise derrière elle et la regrettable influence catholique qui allait avec, et qui s’est reflétée dans la théologie et l’art religieux de la Russie orthodoxe. On fit venir massivement des prêtres de là bas, qui ne connaissaient plus rien à l’iconographie et raffolaient des compositions musicales occidentales. L’un de ces prêtres a ouvert une fenêtre au milieu du jugement dernier de Dionysi à Ferapontovo. On y a aussi remplacé les coupoles d’origine, pures et simples, par des bulbes contournés qui rappellent le baroque autrichien, et supprimé les rangées de « kakochniks », de décorations qui rappellent les coiffes traditionnelles russes. Serioja m’a fait observer que le même traitement avait été infligé au XIX° siècle à une église du monastère saint Daniel, qu’il a visité avec moi, mais à ce moment-là, c’était un peu une mesure d’urgence destinée à sauver les vieilles églises en leur mettant  un toit en zinc pour leur éviter de s'écrouler. D’après lui, les Romanov voulant incarner la troisième Rome, ont effectué les réformes à l’origine du schisme pour se rapprocher des Grecs. Pierre le Grand ne s’intéressait qu’à l’étranger et aux étrangers, d'ailleurs, c'est le seul souverain européen à avoir donné un nom étranger à sa capitale créée de toutes pièces... Alors qu’Ivan le Terrible avait beaucoup construit, et avec goût, dans le style russe, lui n’a fait que copier de façon servile son occident tellement envié et admiré. Il a humilié et asservi l’Eglise, considérablement aggravé le servage ; indifférent aux arts, il ne s’intéressait qu’à la technique, et si sa légitimité n’avait pas tenu à sa qualité de tsar orthodoxe, je pense, et Sérioja aussi, qu’il serait devenu protestant. Dans la foulée, la Russie a été pratiquement colonisée par les allemands, le XVIII° siècle russe a été peut-être aussi destructeur pour la culture du pays que la période bolchevique, l’iconographie était oubliée, et la liturgie infestée de chants religieux italianisants, pleins de fioritures. La grande Catherine ne prisait que l’art académique et baroque, elle avait mis au rebut une iconostase d’Andreï Roubliov et voulait entièrement, d’après Gourbolikov , refaire le Kremlin de Moscou à l’occidentale. Bref tout cela préparait admirablement la révolution, avec une aristocratie coupée de son peuple et méprisant sa propre tradition. Il est vrai que le XIX° siècle a peu à peu renoué avec cette tradition, et l’art populaire russe était devenu une grande source d’inspiration chez les peintres et décorateurs de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, mais après, la révolution a éclaté…
On peut dire en somme que les Russes, protégés finalement par l’invasion mongole et le blocus polonais et hanséatique, ont chopé nos virus à la fin du XVII°, et que leur pays est tombé gravement malade du progressisme matérialiste  un siècle et des poussières après le nôtre.
La tradition russe se conservait dans le folklore, et dans le nord. Dans le nord, au XVIII° siècle, quand Pétersbourg alignait les pâtisseries baroques, on construisait encore des merveilles comme Khiji.  C’est pourquoi j’aime le nord, plus fidèle à lui-même. Serioja et Tania le parcourent régulièrement et m’ont donné des directions touristiques.

Sérioja, Tania et Ritoulia au café Montpensier


2 commentaires:

  1. Une passion de l'histoire de votre pays toute faite de nostalgie avec, en arrière-plan, les jours qui s'égrènent, partagés avec quelques amis, c'est bien plaisant à lire.

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  2. Спасибо, дорогая Лоранс, за тот день, проведенный с Вами в Переславле, и за этот замечательный рассказ!

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