samedi 4 janvier 2020

chez "oncle Vassia"

Ce masque a été fabriqué par un ami de Vassia
dans un morceau de bois de bouleau
Vassia Evkhimovitch m'avait fait il y a plusieurs années une vielle-à-roue qui était un compromis entre la veille française et la vielle russe. Plus simple que la vielle française, dont on joue avec virtuosité pour faire danser les gens, mais pourvue d'un "chien"pour introduire un rythme. Il se trouve aussi que les vielles de Vassia gardent le côté profond et émouvant de la vielle russe, destinée non à la danse, mais à l'accompagnement du chant. En France, je ne m'en servais pas, j'avais l'impression de ne partager tout cela avec personne, mon passage dans un stage de musique traditionnelle m'avait fait fuir en courant. Et puis, il fallait la mettre au point par rapport à la tonalité de ma voix, il me semblait qu'elle m'obligeait à chanter trop haut. Depuis plus de trois ans, j'attendais l'arrivée de mon déménagement et de la vielle de Vassia. Après, j'ai attendu que Vassia fût disponible.Il fallait aller le voir hors saison en Carélie, dans une base touristique, à 900km d'ici. Et puis finalement, il a déménagé dans un village près de Tver, cela ne faisait plus que 280 km. Mais on ne peut, pratiquement sur tout le trajet, dépasser les 60km/h, et j'ai mis cinq heures. A cause des villages qui se suivent les uns après les autres, des passages piétons qui traversent des routes à quatre voies; de la perversité des gens qui conçoivent des limitations destinées à faire payer l'automobiliste. Plus le temps... A l'aller, tempête de neige jusqu'à l'embranchement de Dmitrov, au retour depuis Dmitrov, jusqu'à Pereslavl.
Tous ces villages, ainsi que Dmitrov, vieille ville russe qui devait être pittoresque, sont ravagés par la modernité, le mauvais goût, les clôtures en prophylastil, le siding, les constructions anarchiques sans proportions ni style; les dégâts opérés sur la Russie par les effets successifs du communisme et du libéralisme ont fait partie des nombreux sujets de conversation avec Vassia, que cela traumatise autant que moi, il était autrefois designer. Originaire de Kazan, il m'a raconté comment cette ville ancienne et ravissante avait été entièrement dévastée en cinq ans par les mafias locales et les affairistes moscovites, avec, cerise sur le gâteau, l'immonde mosquée mastoque qui écrabouille le kremlin, pourtant classé par l'UNESCO. Il paraît que Poutine, malgré son discours sur les ciments culturels et spirituels de la Russie, cite ce massacre en exemple de réussite...
Vassia, tout comme le peintre Alexandre Pesterev, pense que tôt ou tard, tout va y passer et que de la Russie poétique, féerique que nous aimons ne restera absolument rien, à part des églises ou des sites touristiques isolés et dépaysés au milieu des monstres. Malheureusement, c'est ce qui est en train d'arriver au monde entier, puisque ce sont les pires éléments qui se sont emparé partout du pouvoir, et que nous ne pouvons qu'assister impuissants aux effets de leur cupidité et de leur bêtise, de leur folie des grandeurs et de leur cynisme; de leur vulgarité et de leur noirceur.
On ne peut pas dire que Vassia ait choisi le plus bel endroit pour s'installer, la région de Tver est sinistre, et le village de Pouchkino n'a rien pour lui. Même son église n'est pas bien belle, elle est énorme, disproportionnée, un truc du XIX° siècle qu'on a de plus coiffé de tôle métallique bleu pétard reluisant, "bleu comme le ciel" me disent les adeptes de cet infect matériau criard qu'ils affectionnent tellement...
La maison de Vassia est au bord d'une route passante, et le confort y est sommaire. Mais il ne l'a pas payée cher, et puis surtout, dans ce village, il y a le "monde des gousli", qui fabrique toutes sortes d'instruments du même nom. Nous y sommes allés. Cette affaire a été montée par un jeune homme du coin, Sergueï. Il fait travailler dix personnes. Ses gousli sont la gloire de Pouchkino. Ils sont accessibles et de bonne qualité, et il en vend même en Amérique et en Australie. Quand sa fabrique a brûlé, il a pu reconstruire grâce aux souscriptions de ses admirateurs et à l'aide matérielle de la mairie et du village. "Pour choisir ton lieu de résidence, me dit Vassia, regarde si tu peux y travailler, s'il y a des gens à fréquenter, s'il y a des infrastructures, et après, occupe-toi de la beauté du site!"
Vassia a quitté sa base touristique parce qu'il commençait à se "dégrader", tout était trop facile, nourri, logé, un superbe atelier à sa disposition, mais les patrons étaient tyranniques et détestaient particulièrement les gens qui travaillaient bien et avec coeur, ils commençaient aussitôt à les brimer. Et en plus, évidemment, ils avaient un goût immonde, ils aimaient le kitsch, le tape-à-l'oeil, le toc, comme tous les gens qui font du fric de nos jours.
Or si Vassia n'a pas un radis et ne fait pas attention à la déco de sa maison à l'heure actuelle, il a été designer à 2000 dollars par mois. Jusqu'au moment où découvrant la vanité de son existence à Moscou et le caractère profondément aliénant de la vie urbaine, en même temps que la veille-à-roue et le folklore, il a tout laissé tomber, il est allé vivre dans un village et des conditions vraiment spartiates. Puis il a trouvé la base touristique. Et maintenant, il se lance à Pouchkino.
Vassia a l'air d'un gros nounours exubérant, et il s'habille tout le temps à la russe, il trouve cela plus pratique. Il a énormément de personnalité et de talent et il est très sensible au côté comique et absurde de l'existence. Nous avons bien rigolé, un peu bu, et nous nous sommes quittés les meilleurs amis du monde.
Nous avons chanté ensemble, et il a fait un enregistrement. Je dois dire que je me suis sentie beaucoup plus à mon aise et dans mon élément qu'avec mon ensemble féminin. Comme Skountsev et comme Micha, il ne me casse pas les pieds avec des remarques à tous propos, il me laisse chanter, et nous trouvons naturellement un accord. J'espère que j'arriverai à me servir de sa vielle, elle est plus fiable et plus intéressante à utiliser, on peut vraiment jouer dessus, elle a des possibilités plus larges.
Vassia est allé en Europe, mais il a eu l'impression qu'on la lui avait volée, qu'elle n'était plus ce qu'elle était, ce qu'un Russe pouvait autrefois y chercher; et je comprends bien ce qu'il veut dire. Il est allé plusieurs fois au Donbass donner des concerts gratuits. Le Donbass lui a fait une forte impression par l'incroyable dévastation des zones soumises aux bombardements ukrainiens et par l'héroïsme de la population, des gens qui n'ont pas ou plus l'âge de se battre ou dont ce n'était pas le métier et qui se retrouvent en armes.

Vassia présente ses vielles


Où t'envoles-tu petit coucou? 
Je m'envole vers cet envol
Où mon âme pourra trouver le repos
Trouve-toi toi-même,
Va aux pieds du Seigneur
Verse devant lui une source de larmes
Et demande lui de t'aider
De t'aider à trouver le repos

3 commentaires:

  1. Magnifique ! La deuxième vidéo est superbe sur tout les plans. Beauté des personnes, du lieu, des instruments, de la musique, des vêtements, de la douce lumière, une atmosphère aujourd'hui disparue de notre monde criard, métallique et laid, où tout est faux comme le disait Brassens dans sa chanson " Le faussaire " je crois...
    Un monde perdu que l'on aimerait tant retrouver, cet universalité de la beauté et pas leur mondialisme grossier et satanique dans lequel personne ne communie à rien, le NEANT !!!
    Merci infiniment...

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  2. Bonne et très sainte fête de la Nativité !

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    1. Bonne fête à vous aussi, je suis contente que vous soyez sensible à cette chanson et à ces artistes...

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