La petite-fille du père Valentin, Nastia, vient de mourir du cancer qui la rongeait depuis plus de deux ans, après toutes les péripéties des soins pénibles et des faux espoirs. Elle venait d’avoir neuf ans. Je me suis donc rendue à Moscou, pour les funérailles. Cette famille est largement devenue la mienne. J’ai d’ailleurs régulièrement prié et fait prier pour cette petite fille...
Son grand-père officiait avec tous ses prêtres en blanc et doré, le cerceuil de Nastia aussi était blanc, jonché de fleurs et veillé par un petit chien en peluche. Je voyais le frère aîné de Nastia, Valia, dans sa tunique byzantine de servant d'autel, il avait l'air sombre, un peu perdu, presque en colère. J'ai embrassé le père de la petite morte, Kolia, et sa maman m'est aussi tombée dans les bras. "Elle a l'air si petite, dans ce cerceuil, cette pauvre Nastia" me dit plus tard Liéna qui dirigeait le choeur. Oui, trop petite pour un tel écrin, avec sur le front, un bandeau brodé d'icônes, et un visage de poupée, complètement fixe, à vrai dire, une poupée ou une statue aurait paru plus vivante.
Yana, la maman, me dit: "Je suis contente que cet office soit si lumineux." Et en effet, il l'était, il était plein de la lumière de Pâques, qui se prolonge encore, c'est une fête qui dure quarante jours. On chantait de toutes parts la Résurrection, on criait de toutes parts "Christ est ressuscité".
J'étais peut-être celle qui avait le plus de mal à retenir ses larmes. Cela me bouleversait de voir cette petite poupée dans son cerceuil, avec son chien en peluche. Mais j'observais que si tout le monde était triste, cela ne prenait pas du tout un caractère dramatique. Chacun faisait ce qu'il avait à faire. Le père Valentin et son équipe officiaient, Liéna et Kolia chantaient avec le choeur. J'imaginais ce qu'aurait donné dans ma famille l'enterrement de l'un de mes cousins, ou le mien, cela aurait été absolument terrible. La maladie et la mort de ma jeune tante Baby me revenaient en mémoire, son calvaire, nos moments d'espoir et de désespoir, et notre refus d'envisager que cette jeune femme ravissante pût mourir, notre Baby, c'était une chose absolument impossible à imaginer, et c'est pourtant arrivé. Je revivais ces obsèques sinistres au son de l'Adagio d'Albinoni, j'en ai gardé deux images: ma cousine Françoise, arrivée avec la même expression que le jeune Valia, qui éclatait brusquement en sanglots déchirants. Et ma tante Renée, en manteau de vison, qui allait, soutenue par ses deux filles, bénir le cercueil sur des jambes pliées, sur des chevilles cassées au dessus de ses escarpins qui partaient en biais. Nous n'étions tous que douleur abîmée, totale incompréhension, révolte impuissante, chagrin inconsolable. Ma grand-mère en est d'ailleurs morte deux ans plus tard.
La petite Nastia devait être enterrée au "cimetière allemand", où repose l'arrière-grand-mère du père Valentin. Il faisait un de ces temps russes paisibles où la brise émet de mystérieux murmures sous les ailes croisées d'une lumière somnolente et étale. Les hommes de la famille portaient le cercueil sur leurs épaules; nous allions tous en procession vers la tombe, chantant sans interruption, comme auparavant à l'église, le tropaire de Pâques:
Le Christ est ressuscité des morts
Par sa mort Il a terrassé la mort
Et à ceux qui gisaient au tombeau
Il a fait don de la vie.
Les oiseaux chantaient aussi de toutes parts dans les frondaisons encore translucides des arbres qui recouvrent cet immense cimetière, et des rayons fusaient sur les tombes. Nous marchions dans des odeurs d'encens et de sous-bois, au son du vent, derrière cet esquif blanc et sa petite passagère. Nous portions toutes les fleurs apportées en hommage. Avant d'ensevelir l'enfant, ceux qui n'avaient pas eu le temps de lui dire adieu sont venus le faire. Macha a fondu en larmes avec l'un de ses petits garçons. On a recouvert le corps d'une étoffe blanche imprimée du calvaire, et de prières, et l'on a fermé le cercueil; puis on l'a enseveli, et tout ce temps, les hymnes de Pâques se succédaient. Les fleurs ont toutes été piquées sur le tumulus par les femmes de la famille, jusqu'à ce qu'il soit complètement recouvert, avec une croix comme dessin central.
Ensuite, nous nous sommes tous retrouvés pour le repas des funérailles, dans la cour fleurie de l'église, sous le soleil, dans le fil de la brise. Les photos encadrées de Nastia étaient partout disposées, et tout le monde pouvait en emporter en souvenir. Nastia savait qu'elle allait mourir. Elle avait demandé: "Pourquoi moi?" et le père Mikhaïl lui avait répondu: "Parce que Dieu t'aime particulièrement et ne veut pas attendre quatre-vingts-ans pour t'avoir avec Lui". Il l'a confessée et lui a donné la communion. Elle disait qu'elle avait très envie de dormir, car elle était bourrée de morphine. Mais elle échangeait des câlins et des adieux avec les siens.
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RépondreSupprimerMes prières ce soir lui seront consacrées ainsi que pour sa famille 🙏 amen
RépondreSupprimerVotre récit est très émouvant .
RépondreSupprimerRIP
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RépondreSupprimerSagesse 4 7–15
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