On fêtait ce jour les 800 ans de la naissance du saint prince Alexandre Nevsky, qui défendit à l'âge de dix-neuf ans la Russie contre les Suédois et les chevaliers teutons et préféra la soumission aux Tatars qu'aux occidentaux catholiques. Les Tatars s'intéressaient au tribut qu'on leur versait, pas à l'âme des peuples conquis. Alexandre mourut à la quarantaine, probablement empoisonné, au cours de l'un des épuisants voyages qu'il faisait sans arrêt pour se rendre auprès du khan de la Horde. Il naquit il y a 800 ans à Pereslavl. L'église où il fut baptisé est encore debout. Elle est en pierres, d'un style très pur. La coupole, trop lourde, est plus tardive. A son époque, elles étaient plus discrètes et pareilles aux casques que portaient les guerriers, c'étaient des églises simples, pures, douces et guerrières.
On a du mal à se représenter Alexandre autrement que sous les traits de Tcherkassov dans le film d'Eisenstein, destiné à galvaniser le patriotisme des Russes, pendant la seconde guerre mondiale, après l'avoir combattu au cours des décennies communistes précédentes. Je pense que c'était un beau prince russe, d'abord, les Russes jeunes sont souvent beaux, voire très beaux, et à l'époque, ils devaient l'être encore plus: ils étaient entraînés au métier des armes dès six ans, dans la noblesse, ils vivaient au grand air et proches de la nature. Je le vois donc, comme son église, simple, pur, doux et guerrier, avec un casque sur la tête.
Jeune fille, j'avais la fibre épique, en fait, je l'ai toujours gardée, comme toute personne normale que n'a pas détruite la modernité. J'étais donc amoureuse d'Alexandre Nevski, en concurrence avec Ivan le Terrible, et à la suite d'Hector, de l'Iliade.
J'aime beaucoup la phrase chevaleresque d'Alexandre Nevsky que les Russes citent abondamment: "Dieu n'est pas dans la force, mais dans le droit".
Je me suis rendue au service solennel dans le monastère "riche" de Pereslavl, saint Nicolas. Belles fresques, belles icônes, beau choeur sans doute invité pour l'occasion; tous les cosaques au grand complet, avec les bannières de la procession précédente. Romane était sur son trente et un, habillé à la russe.
Devant saint Nicolas, on a installé pour l'occasion un monument à Dostoievski qui m'a paru très honorable, et beaucoup plus à sa place que l'énorme copie de sainte Sophie de Constantinople que ce même monastère va édifier au village de Godenovo...
Pour le reste des festivités, j'ai décidé de m'en passer. Pendant la liturgie, je priais saint Alexandre d'intercéder pour sa ville, qui devait être si pittoresque et fantastique à son époque, qui l'était encore quand je l'ai connue, et qu'on a transformée en agglomération "moderne", comparable à un amas fortuit de briquettes de lego, jetées n'importe comment au bord d'une flaque. J'aurais souhaité que pour son anniversaire, l'argent des restaurations ne fût pas réservé à Saint-Pétersbourg, où Pierre le Grand a exilé ses reliques, mais où il n'avait jamais mis les pieds de son vivant. Que la coupole de son église fut rétablie dans le style qu'elle avait, ou au moins repeinte en sombre comme autrefois, et non dans cet horrible ton verdâtre de hall de gare que lui a choisi un esthète local. Que la cathédrale qui porte son nom bénéficiât aussi d'une restauration décente, extérieure et intérieure, sans parler de ses voisines, l'église saint Vladimir et la malheureuse et ravissante église du saint métropolite Pierre... Que les rues adjacentes à l'artère principale fussent pour l'occasion rendues praticables; et les trottoirs également.
J'ai davantage fêté saint Alexandre le jour de la procession radieuse du sixième dimanche de Pâques.
Depuis ma maison, j'ai assisté avec la voisine Ania, son mari et son fils, au ballet d'avions à réaction qui avait lieu dans le ciel de la ville. Cela faisait un bruit terrible, et je pensais à l'effet produit par ces oiseaux de fer rugissants, quand ils ne font pas de parade militaire mais déversent des bombes sur ceux qu'ils survolent. Mes chats étaient terrorisés, je voyais des flêches poilues de différentes nuances passer dans tous les sens.
Hier soir, le voisin Alexandre est venu me donner des conseils pour le drainage. D'après lui, la glaise déversée à côté n'est pas seule en cause, ce que je crois volontiers. Comme tout le monde fait pareil, et que tout le mois d'août dernier les camions de glaise se succédaient dans la direction du marécage, il suggère d'envoyer une pétition à l'administration, car tout le système de canaux qui existait depuis la nuit des temps a été bouché par ces interventions brutales. Cependant, il est d'avis qu'il faut bien faire quelque chose du côté du tuyau déjà à moitié bouché, et c'est lui qui parlera au responsable. Pour le reste, il me faudra faire une tranchée le long de la palissade, créer une pente, et nettoyer les canaux autour de la maison.
J'ai une sorte d'églantier que je vois souvent en Russie, il ressemblerait plus à un rosier, par la fleur, mais il est buissonnant et vivace. C'est la première année qu'il fleurit vraiment, et il sent merveilleusement bon. Celui que j'avais prélevé dans le jardin de l'église du père Valentin s'est également installé, et il m'a fait sa première fleur blanche.
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