mercredi 25 août 2021

Choix.

 


Je suis allée voir hier de vieux amis folkloristes, Sacha Joukovski et sa femme. Je les connais depuis presque aussi longtemps que Skountsev. Et ils le connaissent bien aussi, d'ailleurs nous avons beaucoup parlé de lui. Sacha a écouté avec délices le récit de mon voyage dans le Don, en s'esclaffant aux exploits de notre étoile du folklore cosaque: "C'est Skountsev! Il faut le prendre comme il est, et je n'ai jamais vu rassembler en une seule personne tant de traits contradictoires!"

Sacha avait trouvé sa datcha, dans un village perdu à  40 km de Pereslavl le même jour que moi la mienne, près de cette même ville. C'est lui qui a fait mes gousli, dont il est très fier, car ils sonnent très bien, et l'une de mes vielles. 

Ils enseignaient tous deux le folklore et les traditions populaires dans une maison de la culture aux limites de Moscou, mais on leur a fermé tout cela, ce qui me prouve une fois de plus que le respect des traditions russes n'existe que dans les discours de Poutine. Les députés et les fonctionnaires s'en foutent, et même, leurs sont carrément hostiles.

Ils ont cinq enfants, et vivaient dans un deux pièces, jusqu'à ce que ce même Poutine leur fournit un grand appartement dans une barre en béton. Ils avaient été invités au Kremlin à cette occasion, avec d'autres familles nombreuses qui avaient bénéficié des mêmes largesses.

Ces enfants étaient et sont restés extrêmement attachants, toujours contents de voir un invité, en tous cas, toujours accueillants à mon égard, enjoués, spontanés, caressants, agréables. Sacha était pourtant sévère, mais c'était peut-être ce qui les rendait ainsi. Un père sévère, une mère attentive, une famille traditionnelle, la musique qui va avec.

L'ambiance est devenue résolument automnale, avec d'énormes nuages qui roulent sur la campagne des ombres bleues. Je me réjouis chaque jour de voir encore le soleil, en espérant que cela va durer, le principal, pour moi, c'est la lumière. 

Un ami a posté un texte magnifique de Léon Bloy:

« Le Moyen Âge, c’était une immense église comme on n’en verra plus jusqu’à ce que Dieu revienne sur terre, – un lieu de prières aussi vaste que tout l’Occident et bâti sur dix siècles d’extase qui font penser aux Dix Commandements du Sabaoth ! C’était l’agenouillement universel dans l’adoration ou dans la terreur. Les blasphémateurs eux-mêmes et les sanguinaires étaient à genoux, parce qu’il n’y avait pas d’autre attitude en la présence du Crucifié redoutable qui devait juger tous les hommes... Au dehors, il n’y avait que les ténèbres pleines de dragons et de cérémonies infernales. On était toujours à la Mort du Christ et le soleil ne se montrait pas. Les pauvres gens des campagnes labouraient le sol en tremblant, comme s’ils avaient craint d’éveiller les trépassés avant l’heure. Les chevaliers et leurs serviteurs de guerre chevauchaient silencieusement au loin, sur les horizons, dans le crépuscule. Tout le monde pleurait en demandant grâce. Quelquefois une rafale subite ouvrait les portes, poussant les sombres figures de l’extérieur jusqu’au fond du sanctuaire, dont tous les flambeaux s’éteignaient, et on n’entendait plus qu’un très long cri d’épouvante répercuté dans les deux mondes angéliques, en attendant que le Vicaire du Rédempteur eût élevé ses terribles Mains conjuratrices. Les mille ans du Moyen Âge ont été la durée du grand deuil chrétien, de sainte Clotilde à Christophe Colomb, qui emporta l’enthousiasme de la charité dans son cercueil, – car il n’y a que les Saints ou les antagonistes des Saints capables de délimiter l’histoire. Dix siècles ! cent soixante papes, six cents rois ou empereurs, sans compter les princes barbares, trente ou quarante dynasties et à peu près autant de révolutions qu’il y eut de batailles ! Allez donc vous y reconnaître, fussiez- vous archange ! Il me suffit de croire que tant de souffrances furent endurées pour que vînt un jour la merveilleuse passiflore du Moyen Âge qui s’est appelée Jeanne d’Arc, après laquelle, vraiment, le Moyen Âge pouvait bien mourir. »

Je suis comme lui persuadée que le moyen âge était notre âge d'or et la Renaissance le début de la fin. Cependant, bien que dans les faits, le moyen âge français eût été plus souriant, décontracté, et disons le mot, hédoniste que le moyen âge russe, que les femmes y eussent été plus respectées et les moeurs plus policées, j'ai pensé à la lecture de ces lignes, à la comparaison que j'avais établie dans mon jeune temps, au moment où j'avais vu l'un et l'autre, entre le moyen âge d'Ingmar Bergman dans le "Septième Sceau" et celui de Tarkovski dans "Andreï Roubliov". J'avais choisi Andreï Roubliov. 

4 commentaires:

  1. C'est une photo en haut ? On dirait une peinture. Magnifique !

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  2. Bergman, ce grand démoralisateur de l'Europe, peut crever avec son sceau ; la Source vaut mieux que son sinistre et cynique Septième sceau.. Sur la Renaissance Tolstoï est très bon dans son livre sur l'art (Renaissance = dégénérescence romaine. Point). Les extraits de Bloy (j'ai un livre à publier sur lui) sont de la Femme pauvre. Le texte est ici : http://www.bouquineux.com/index.php?telecharger=377&Bloy-La_Femme_pauvre

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  3. Tolstoï est ici : ouvrage indispensable sur le déclin de l'art moderne, y compris à la fin du dix-neuvième. https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Tolstoi%20-%20Qu'est-ce%20que%20l'art.pdf

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