dimanche 19 septembre 2021

Mila


Il y a deux jours, j'ai eu la visite d'une ancienne maman de l'école, Mila, et de sa fille Héloïse. J'ai eu les trois enfants de cette famille qui m'a, en plus, acheté mes meilleures aquarelles. Quand je suis revenue en Russie, passant un jour près de l'ambassade, j'ai vu venir à ma rencontre, sur le passage piéton, une femme qui m'ouvrait les bras, c'était Mila. Elle est venue visiter Pereslavl et me rencontrer. 

Tous ces enfants font maintenant de brillantes études à Paris. Le garçon, Anton, était plutôt un emmerdeur. Il avait un côté taquin. Il lui arrivait de dire à ses petits camarades des choses qu'il aurait mieux fait de garder pour lui, mais je n'en faisais pas une affaire d'état non plus. Et là, j'apprends que lorsqu'il était déjà au collège, sur dénonciation d'une jeune fille de sa classe, qui n'était pas directement concernée par l'incident, on l'avait exclu trois jours pour "propos racistes et homophobes"....

Comme il courait derrière une élève africaine et qu'elle n'allait pas assez vite, en éducation physique, il lui avait dit: "Si on te mettait un steak au bout d'une canne à pêche, peut-être que tu te dépêcherais?" Si la fille avait été blanche, aurait-il été dénoncé et exclus? Mila ne m'a pas précisée en quoi consistaient les propos homophobes...

Lorsque j'avais des problèmes de "racisme", et il arrivait, par exemple, que des petites filles russes ne voulussent pas s'asseoir auprès de l'enfant "marron", ou autres réactions de ce genre, je disais: "Il y a des petits chats blancs et des petits chats noirs et on les aime tous bien quand même." 

D'un autre côté, je n'ai jamais pu souffrir les cafards. Sur Facebook, je n'ai jamais dénoncé personne, même quand la vilenie des commentaires me donne envie de vomir. La dénonciation en soi me paraît quelque chose d'insupportable. C'est la marque du régime totalitaire. Le régime totalitaire encourage et récompense la dénonciation. Et les gens qui la pratiquent se prennent pour des justiciers.

En dehors de ce détail, j'étais très heureuse de revoir cette dame, avec qui je m'entendais bien, qui avait de l'humour, et d'évoquer ma classe d'alors. Elle était très étonnée d'apprendre que je n'avais pas la grande vocation d'institutrice et que j'aurais bien préféré ne pas travailler. J'ai pris de l'intérêt à mon métier, j'aurais pu faire pire, mais cela me surmenait beaucoup, car je suis du genre nerveux et distrait, je déteste le bruit depuis mon enfance. Lorsque je devais faire plusieurs choses à la fois, j'étais complètement stressée, et c'est précisément le sort de la maîtresse d'école. Il me fallait surveiller les enfants, les aider, répondre aux parents, ramasser tous les papiers administratifs qu'on distribuait sans arrêt pour les récupérer signés, et naturellement, je les perdais tout le temps, ainsi que mes lunettes. Et puis tout le reste, la hiérarchie, les réunions, la mentalité, je ne peux pas dire que j'étais bien dans mon élément.

J'expliquais à Nil que la plupart du temps, le travail qu'on fait n'a pour nous pas de sens. Ce qui a un sens, c'est de travailler sa terre pour en vivre, mais on nous explique depuis 200 ans que c'est juste pour les imbéciles, que les gens intelligents travaillent "de toutes leurs forces pour leur patron" selon l'expression du célèbre monsieur de Maesmeker, ou bien sont eux-mêmes patrons ou ministres. Mon travail d'institutrice, heureusement pour moi, avait quand même du sens, car il me permettait de donner aux enfants des choses dont ils sont généralement privés, il avait une dimension humaine et spirituelle. Du reste, mon père Valentin me l'avait dit. Il m'a fait grandir. 


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