vendredi 14 janvier 2022

La communauté saint Alexis

 






Skountsev m’a invitée à un concert au lycée orthodoxe de la communauté saint Alexis, sur la route de Moscou, à 20 km d’ici. Il m’a prévenue la veille. J’y suis allée volontiers

J’avais envisagé de m’installer dans cette communauté, et on m’avait fait l’offre de construire, le terrain était gratuit, la maison bâtie par l’équipe locale. Mais plusieurs choses m’avaient arrêtée : des animaux sauvages en cage (pour les gosses), des chiens à la chaîne (toujours pour les gosses), des animaux empaillés (encore pour les gosses). Or j’ai une idée differente de la pédagogie, les enfants doivent apprendre à aimer et respecter les animaux et la vie sauvage. Et puis j’avais cru comprendre que tout était géré par le prêtre fondateur, même l’argent des résidents, qu’il fallait remplir ses obédiences, et prendre ses repas en commun, une sorte de monastère laïc. Comme m’avait dit alors Sérioja : « C’est une belle petite prison que vous vous préparez là, Laura ! »

Cependant, ce concert a été pour moi un grand moment. Cela se passait dans le gymnase du lycée, et le cadre n’était pas précisément festif, Skountsev et son équipe ne ressortaient pas du tout sur ce fond tristounet. Mais comme d'habitude, le maître a dépoté un maximum, et les gosses ont réagi avec un enthousiasme que je n’attendais pas. A la fin, ils sont même allés danser, et pas n’importe comment, à la russe,  et même avec des sabres. Un garçon a fait une démonstration d’accordéon qui lui a valu les compliments de Skountsev. Comme quoi, quand les enfants reçoivent une éducation exigeante, ils sont sensibles à une thématique poétique et héroïque, à l’épopée, comme ce fut le cas pendant des millénaires. Et cette thématique héroïque et guerrière n’engendre pas la violence, comme le croient les imbéciles, mais apprennent à la canaliser, lui confèrent une noblesse, un code de comportement. Je ne pense pas que les enfants que j’ai vus applaudir Skountsev iraient torturer des animaux, tabasser un garçon seul à plusieurs ou violer une petite fille... Curieux d’ailleurs que ce que l’on n’accepte pas chez les cosaques soit admis dans le domaine des arts martiaux asiatiques.

Ce que je me demande en revanche, c’est comment ces jeunes gens normaux trouveront leur place dans un monde de plus en plus anormal, quand ils sortiront du vase clos de ce lycée en pleine campagne. Mais on ne peut plus envisager d’adapter des gosses à cet asile de fous sans s’associer à une entreprise criminelle de déshumanisation. Ma voisine Ania me dit qu’Aliocha n’a absolument pas le temps de faire quoi que ce soit d’autres que des milliers de devoirs et que l’école habituelle n’est plus un moyen d’instruire mais d’abrutir. Il ne peut ni jouer d’un instrument, ni faire du sport, ni même se promener ou jouer dehors.

Le prêtre qui dirige la communauté saint Alexis déplore que ses élèves, qui ont tous un haut niveau, se détournent des métiers manuels ou du travail de la terre, allant grossir les rangs des diplômés surabondants au lieu de les revaloriser pour le plus grand profit du peuple russe. Mon beau-père qui avait brillemment passé son bac latin grec avait préféré rester à la ferme, car il ne supportait pas la ville. J’ai eu de petits élèves dont je voyais clairement qu’ils n’entreraient pas dans le moule scolaire et universitaire, mais qui pouvaient trouver leur place dans les métiers manuels ou l’agriculture; et je le dis sans la nuance de mépris que mettaient dans ce genre d’observations tant d’instituteurs et de professeurs, plutôt avec le regret que la mentalité moderne leur impose obligatoirement ce qui pour eux est un carcan, un instrument de torture, au lieu de leur permettre de devenir ce qu’ils sont. Il est aussi des diplômés qui finalement retournent à la terre ou à l’artisanat, et le vivent comme une libération.

J’avais laissé tomber mon sac, et un de ces enfants me l’a obligemment ramassé. Tous ceux que nous croisions nous saluaient avec révérence, j’avais l’impression d’avoir changé d’époque.

Dans l’équipe de Skountsev, j’ai retrouvé, outre son fils Fédia, des gars de cet été, du festival « le Bouclier d’Or »,  notemment Sergueï, le mari de la belle Sacha. Ils m’ont embrassée comme si j’étais de leur famille, se sont pris en photo avec moi, et m'ont donné rendez-vous l'été prochain sur les bords de la rivière Khapior. Nous avons dîné avec le prêtre, et chanté des vers spirituels à sa table, c’était très beau, je partais dans une autre dimension et un autre temps, à travers ces chants nostalgiques et purs. Après quoi, les cosaques devaient revenir à Moscou, et moi à Pereslavl, au sein d’une tempête de neige comme j’en ai rarement vu. Je n’ose penser au temps qu’ils ont dû mettre à rejoindre leurs logements. De mon côté, peu de circulation, mais prise dans un tourbillon incessant de moucherons blancs, je ne voyais pas grand chose.

La neige n'arrête pas de tomber. J’ai déneigé aujourd’hui à grand peine, tout sera à recommencer demain. C’est impressionnant. La ville est complètement ensevelie sous les congères.

Vidéo et album de photos du concert par le directeur du lycée, Evgueni Iliouchine



















4 commentaires:

  1. En montagne, pas de maïs, pas de round up mais des prairies. Qu'en est-il de la biodiversité dans ces prairies ? comment vivent les paysans ? L'auteur, passionné par les oiseaux dès son enfance, est devenu ingénieur agronome, puis paysan, pour essayer de concilier agriculture et nature. Quarante ans après, il parle de sa ferme et de son territoire, la vallée . diagnostic difficile pour la biodiversité, mais les solutions existent ! L' agroécologie, des paysans avec la nature https://www.youtube.com/watch?v=P92NmsDkRZg je souhaite cette renaissance ici pour le maximum de jeunes,et j'ai en projet d'y prendre part dans ma mesure au plus vite...pour les jeunes d' "Alexeevski Pustin" il est vrai ecole assez speciale"la dicipline et la mere de l'ordre'ce serai un reel debouche d'autant plus qu'ils sont habitues a la tache quotidienne;j'y suis alle plusieur fois seul et avec les cosaques.J'ai aussi en revenant d'Ouglitch traverse cette tempete de neige ce soir.....Portes toi au mieux,et bon vieux nouvel an!!!

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  2. Comment la vie quotidienne est-elle possible dans ces conditions météo ?
    Tout fonctionne normalement ? Comment font les gens pour travailler ? Y a t il des activités extérieures ? N'y a t'il pas des personnes isolées ?Y.

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    1. Cela fait des siècles que les Russes vivent avec des conditions météorologiques difficiles. Qui plus est, ils aiment l'hiver, et sont contents quand il est rude. C'est vrai que lorsqu'il est rude, il passe mieux, car lorsqu'il ne l'est pas, ce n'est pas non plus la côte d'Azur, on patauge dans la neige fondue ou on dérape sur la glace, et on n'a pas de lumière. Nous avons tous des pneus d'hiver et des pneus d'été. Les grands axes sont déneigés assez vite. Les rues ou les chemins de campagne pas tellement. Mais on vit quand même. L'hiver, les gens font du ski, de la luge, du patin à glace, ils ont des motoneiges. ils vont pêcher aussi, par tous les temps.

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