Ce soir, je jouais des gousli dans le jardin, la lumière du soir allumait un à un les iris comme des lampes précieuses, une brise légère soufflait, et je me sentais dans une harmonie profonde avec tout ce qui m'entourait, quand j'ai entendu un bruit déchirant. Quelqu'un était en train de saccager le jeune bouleau ravissant qu'avait planté oncle Kolia, et que j'admirais tous les jours. J'étais si bouleversée, que j'ai poussé les hauts cris et je suis partie chez la voisine Olga. C'est l'héritier de Kolia qui fait cela. La brute contemporaine ne peut supporter la beauté naturelle et vivante. Après le bouleau, il va saccager la maison, j'en suis certaine. C'est comme si le pauvre Kolia mourait deux fois. Il était si délicat, si attentif, et il nourrissait les oiseaux... c'était la vieille Russie, la Russie paysanne.
Je suis rentrée finir le fond de bordeaux qui restait depuis la visite d'Olga et Ghislain. Je ne me ferai jamais à toute cette barbarie stupide qui profane sans relâche la Création avec tant de bonne conscience. C'était si brutal, à ce moment doré et béni de la journée où tout exulte doucement, et cet arbre doit être plein de nids et de petites créatures, un monde à lui tout seul. D'un côté celui qui bétonne tout ce qui vit sous des tonnes de glaise, en face, celui qui saccage un arbre sans aucune nécessité, peut-être pour planter à la place un truc merdique qui ne soit surtout pas russe. Ou juste comme ça, pour faire "propre"...
J'ai fait un court séjour à Moscou pour ouvrir un compte à la Raiffeisen bank, seul moyen de recevoir ici l'argent de ma retraite, il paraît que tout le monde se sucre bien au passage, d'ailleurs. Mon père Valentin était seul avec son fils Kolia, j'ai pu lui parler de diverses questions. Nous avons évoqué le métropolite Onuphre, il est du même avis que le père Andreï Tkatchov. On ne peut juger ce saint homme qui subit des pressions terribles et doit protéger son clergé et ses fidèles. Et du reste personne ne le fait. Je lui ai parlé de la mort de mon petit chien Doggie et des remords qui me poursuivent à son sujet. "Je voudrais non seulement savoir que Dieu m'a pardonnée, ça je pense qu'Il la fait, mais que cela sera réparé d'une façon ou d'une autre, car cela ne me laisse pas en paix...
- On ne peut pas savoir ce que Dieu fait des animaux et ce qu'Il a prévu pour eux, on n'en sait rien. C'est la raison pour laquelle je n'en veux plus. Cela laisse au coeur trop de remords et de chagrin".
On n'en sait rien, mais moi, je ne peux pas croire qu'Il ne s'en préoccupe pas. Je Lui demande obstinément un signe...
Avant la Raiffeisen bank, le père Valentin m'a emmenée à Peredelkino, voir Macha. Nous sommes allés visiter la datcha des parents du père Valentin, où vivait sa soeur récemment décédée. Son chat orphelin y vit toujours, le pauvre, Macha vient le nourrir, et cela sent terriblement la pisse, l’odeur sui generis. Je me suis demandé si chez moi, cela puait autant, j’ai eu la réponse au retour: oui, ça pue. Mais ça puait beaucoup moins après lavage. Le parquet flottant s’imprègne moins que le bois naturel !
La maison des
parents m’a ravie, c’est une vraie datcha ancienne, avec de jolies verandas ajourées, des
murs et des parquets de bois. Il y avait une merveilleuse pièce tapissée de livres, que le père Valentin
consultait avec des gestes amoureux. Quand je pense au nombre de livres qu’il
garde dans son appartement, et à tous ceux qui sont dans cette maison... en
français, en allemand, en russe, des livres grecs et latins, des livres
anciens, cela sent la véritable culture comme on n'en fait plus, une culture immense, que je suis loin d’avoir
moi-même.
Macha a trouvé
des lettres de son grand-père, philosophe connu de l’époque soviétique,
adressées à ses enfants. Il prenait la peine d’écrire quelque chose de spécial
à chacun, c’était plein d’humour et de tendresse, et de conseils judicieux,
c’était un père attentif et remarquablement intelligent. Cela me fait penser un
peu, sans le côté poignant, aux lettres
qu’envoyait le père Paul Florenski à ses enfants depuis les Solovki, où il avait
été enfermé par les communistes.
La soeur aînée du
père Valentin étant morte en bas âge, sa mère avait gardé toutes ses affaires,
toutes, Macha a même retrouvé un paquet de biscuits entamé que l’on ne s’était
pas résolu à jeter et qui était avec le reste depuis des décennies. Cela me
rappelait mon grand-père, sa maison devenue le mausolée de sa vie, et le
porte-monnaie de ma grand-mère dans le tiroir de la table de la cuisine, avec
dedans de l’argent et sa dernière liste de courses.
Macha m'a envoyé ensuite des photos d'une petite exposition qu'elle a faite, pour les amis de la famille, des affaires du bébé défunt. C'est si touchant et si extraordinaire, comme un voyage dans le temps: les petits vêtements, les jouets, les livres, la poussette, la dinette, les biscuits! Je lui ai dit qu'il fallait organiser une véritable exposition, avec un album qui rassemblerait les photos des items exposés et les lettres du grand-père Asmus, parce que c'est un témoignage sur une époque disparue, et que tout cet amour ne doit pas disparaître sans laisser de traces.
Cette petite fille est morte deux ans avant ma naissance, en 1950. Ses affaires dormaient dans cette maison depuis lors.
Merci posur ces moments partagés
RépondreSupprimerLolo, merci pour ces moments partagés
RépondreSupprimerLa destruction d'un arbre me fait toujours atrocement mal, même plus que celui d'un animal, j'ai dû en être un dans une autre dimension
RépondreSupprimerMoi aussi, enfin c'est les deux. Je me souviens avoir vu dans ma petite enfance un documentaire sur les bûcherons du Canada, qui abattaient des arbres immenses et ceux-ci tombaient avec un bruit déchirant. Je pleurais tellement que papi et mamie ne savainet pas comment me consoler.
SupprimerMême Ovide en parle (on ne coupe pas les arbres à l'âge d'or - la déforestation est une profanation) ; sinon relire Ronsard : https://www.bonjourpoesie.fr/lesgrandsclassiques/poemes/pierre_de_ronsard/contre_les_bucherons_de_la_forest_de_gastine
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