vendredi 24 novembre 2023

Enfin la neige

 


Enfin la neige.  Je dis "enfin la neige", parce que c’est plus gai, plus lumineux et plus vivifiant, quoiqu'à vrai dire, je verrais bien, en ce moment, chez nous, une aurore boréale pour faire plus festif. Mais d’un autre côté, c’est plus périlleux pour les vieilles qui ne tiennent plus bien sur leurs jambes. Mardi, je suis allée à la liturgie de la fête de l’Archange saint Michel et des milices célestes. Il y avait ensuite un office d’intercession dans la chapelle inférieure de l’église du saint métropolite Pierre de Moscou qui est consacrée à saint Michel. Nous avons demandé son aide pour réparer l’église. Un architecte important s’y intéresse. Il voudrait obtenir que la rue qui passe juste devant fût piétonne, car le trafic ébranle les murs. Cependant, on a construit un hôtel en face, d’après ce que j’ai compris en violation des lois, car tout le centre historique est protégé, mais les lois, n’est-ce pas... Je pense qu’une rue piétonne n’arrangera pas cet hôtel, et il faudra prévoir aussi un parking pour les autobus de touristes.

J’ai senti malgré tout un vent d’espoir. Cette très belle église du XVI° siècle  pourrait être sauvée. Et il ne serait pas mal d'aménager les abords de ces monuments, malheureusement, je crains le pire, à moins que l'architecte soit vraiment bon et ne parvienne à calmer les sectateurs, souvent d'ailleurs des sectatrices, du petit massif idiot, de l'allée rectiligne et des réverbères.

On a installé une iconostase, très simple, en bois, qui m’a beaucoup plu. Les icônes sont pour l’instant des reproductions photographiques. Malgré le froid, j'ai éprouvé de la joie à recevoir, de la part d'un père Vassili malicieux, une pluie d'eau bénite.

Le lendemain, je suis partie avec la voiture de la chaîne SPAS, pour Moscou, où je devais participer à une émission. Elle avait lieu dans la nouvelle église du monastère Sretenski, c'est un si bel endroit, l'ancienne église est ravissante, blanche, avec une coupole centrale dorée et des coupoles périphériques d'un vert émaillé. Elle est environnée d'un jardin plein de charme, avec des conifères de petite taille, des buissons de cierges devant des icônes extérieures, et tout cela sous la neige qui commençait, on aurait dit une carte de Noël. La grande église contemporaine est plus officielle, à l'intérieur, c'est très luxueux. Mais tout est fait assez joliment, avec des couleurs harmonieuses, un réfectoire accueillant, où l'on m'a nourrie à mon arrivée. Je devais rencontrer "par hasard" l'écrivain et journaliste ukrainien Ian Illitch Taxior, orthodoxe, monarchiste, arrêté par le SBU, mais libéré à l'occasion d'un échange de prisonniers, et maintenant réfugié à Moscou. Il dirige un programme pour SPAS, et m'a expliqué, dans la cour du monastère, qu'après avoir vu mon interview par la même chaine, il avait trouvé mes propos si profonds et si justes qu'il avait souhaité m'inviter, ce sont je suis extrêmement touchée. J'en étais même un peu intimidée, car il ne m'a pas posé toujours des questions faciles. Je devine que les réactions pourront être un peu mouvementées. Cela portait sur l'idée du père Basile que la Russie devenait l'arche du christianisme, la Russie serait-elle à la hauteur de cette mission? Quelles en étaient les conditions? J'ai répondu d'abord le repentir et la réconciliation nationale, et ensuite un soutien réel à la renaissance culturelle de la civilisation russe. Sur les racines de la russophobie, j'ai dit que cette russophobie était aujourd'hui artificiellement instrumentalisée et suscitée, mais que dans les siècles passés il y avait eu la solidarité catholique avec la Pologne, et puis aussi, l'esprit bourgeois s'étant développé en Europe aux dépens de la spiritualité médiévale en voie de disparition dès la Renaissance, une incompréhension profonde et une hostilité pour un pays qui avait gardé cette spiritualité et se présentait comme un reproche vivant, un énorme truc qui existait autrement, sans mettre les valeurs de réussite matérielle et de travail vertueux au premier plan, avec des habitants "excessifs" qui paraissaient aux besogneux occidentaux complètement fous. Déjà au XVI° siècle, des voyageurs étrangers s'indignaient qu'il n' y eût pas, dans les églises russes, de bancs et de chaises pour "rendre la piété plus agréable". Avant la parenthèse communiste, il n'y avait pratiquement pas d'esprit bourgeois en Russie. De plus, lui ai-je précisé, en ajoutant que je pouvais me tromper et que c'était là une impression personnelle, derrière les bolcheviques, il y avait des empires financiers qui s'attendaient à toucher un gros butin après 17, et Staline, quoiqu'on put penser de lui par ailleurs, leur avait claqué le rideau de fer au nez, permettant une russification progressive du communisme qui ne faisait l'affaire de personne. Puis au moment de la perestroïka, ces prédateurs ont commencé à se servir, mais d'une certaine manière, l'arrivée de Poutine au pouvoir a mis un frein à leur rapacité, d'où leur rancoeur. 

L'interview s'est déroulée dans le sanctuaire du premier étage, près du baptistère, avec des fresques et des mosaïques partout. Evidemment, j'avais oublié de prendre avec moi l'année 17 de mes chroniques qui intéresserait sûrement cet homme, mais je vais trouver moyen de la lui transmettre. 

Je n'ai pas profité de la voiture de SPAS pour rentrer parce que je voulais voir le père Valentin, Dany, et je devais rencontrer un autre journaliste ukrainien, Igor Drouz, mais ce sera pour la prochaine fois. J'ai réussi à rencontrer Dany dans un salon de thé soi-disant français, c'est une chaîne, il y en a dans tout Moscou, mais moi qui suis la critique gastronomique des pâtisseries, je dirais que c'est mou, crémeux et sucré mais qu'on n'y sent aucun goût par ailleurs. C'est meilleur chez Gilles. Bon, mais au moins nous avons pu bavarder en français, dans un silence d'église, les autres clients solitaires n'ayant personne à qui parler, on n'entendait que nous, et une jeune fille se marrait visiblement, peut-être qu'elle comprenait la langue de Molière. 

Puis j'ai vu la toujours jolie Alla, dans son appartement kitsch, et son adorable petite chienne Iana, avec laquelle Rita a même joué. J'habitais dans ce quartier autrefois, et pour venir du métro je mettais de dix à vingt minutes, maintenant, je mets une bonne demie heure, j'ai quinze ans de plus dans les pattes. Tout a tellement changé, c'est devenu chic, classe, avec des jeux pour enfants, des allées, des grilles, j'aimais mieux avant. Alla m'a raconté que pour "ennoblir", comme on dit ici, les cours, on avait arraché tout ce que les habitants avaient planté. Ils avaient, avec le temps, orné leur espace de flox et de pivoines, de clématites, les fonctionnaires de la mairie et leurs hordes d'ouvriers exotiques ont tout exterminé et replanté dans le style petit massif à la con que ce genre de personnages adore.

Je suis rentrée par l'autobus, que je n'avais pas pris depuis des années. On a entièrement refait la gare routière, et j'étais complètement perdue, mais je dois dire que tout le monde a été extrêmement serviable et gentil, depuis les flics qui vérifiaient mon sac jusqu'au chauffeur du bus en passant par la caissière. Ce qui m'ennuie, avec le bus, c'est de ne pas être indépendante, d'un autre côté, pas besoin de garer la voiture, et au lieu de conduire dans les intempéries, je dors.

Au retour, le taxi s'est extasié sur le blochaus des voisins, ah  oui, c'est gros, c'est neuf, ca en impose. Je lui ai dit que je préférais ma maison.

Je m’attends toujours à trouver Chocha dans mon bureau.

Par moments, il me semble qu’en fait, elle est là. Pas dans la terre gelée, derrière le thuya, où se trouve sa pauvre dépouille. Mais ici, avec moi, sa maîtresse, dans sa maison, peut-être même font-ils tous partie intégrante de notre âme à leur mort, et participent-ils ainsi à notre éternité future.

D’après ma traductrice Nina, le saint évêque Luc de Crimée a dit que les animaux allaient au paradis, où plus personne ne les tourmentait ni ne les exploitait. J’espère les retrouver et me faire pardonner de ne pas avoir été à la hauteur de leur attachement inconditionnel et de leur confiance.

Georgette, qui était supplantée par Chocha, que je privilégiais depuis qu'elle déclinait, prend toute la place, elle est tout le temps près de mon clavier, là où se tenait sa rivale aveugle et cacochyme. Après tout, c'est elle, maintenant la doyenne. Pour l'instant, elle est encore en pleine forme.




1 commentaire:

  1. Magnifique photo de cinéma : un film de Ptouchko. Sinon, soyez heureuse : Aldo S. décommande l'émigration en Russie...
    https://www.youtube.com/watch?v=Mrjo3kvi24w&t=359s

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