mercredi 5 juin 2024

Grosse caisse

 


Gilles est parti en France, je l’ai vu hier au café. Il m’a dit, à propos des moustiques particulièrement virulents cette année : « Ils ont mis longtemps à arriver, à cause du froid, mais ils sont maintenant complètement déchaînés. Avant, avec des prises, j’avais la paix dans la maison, cette année, ils s’en fichent. On dirait qu’ils ont des quotas à remplir, et qu’apparus en retard, il leur faut mettre les bouchées doubles »...

Pour une fois, j’ai une belle histoire d’animaux à raconter. Mon voisin avait loué pour six mois à des gens qui faisaient construire ici, et qui avaient un chien, genre husky, un beau chien. La chienne de Nadia la chevrière, courte sur pattes et sans aucune beauté, mais très intelligente et amusante, s’était prise de passion pour le nouveau venu, elle venait tous les jours le voir, ils avaient une grande amitié, je me demandais avec angoisse comment elle prendrait son départ imminent, et ne les voyant plus ni les uns ni les autres, j’ai demandé à ma voisine Ania ce qu’il en était. Les patrons du chien ont adopté la chienne de Nadia, avec son accord, et l’ont emmenée avec eux et avec son copain.

Je suis repartie me baigner à la rivière, tant que le temps le permet, car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Hier, il pleuvait et quelqu'un, au café, a déclaré que cela serait comme ça jusqu'à la neige! De sorte que voyant du soleil, je me suis hâtée d'aller nager. L'eau était très fraîche, à cause de la pluie, sans doute. Je pensais aux paroles d'un moine copte que j'avais vu sur la page d'un ami, la veille. Il parlait de la transfiguration du cosmos, de la beauté de la nature qui nous apparaissait, comme si notre regard était nettoyé et voyait ce qui d'ordinaire nous est caché. "Le fait de voir toute la création transfigurée, c'est l'expérience que nous avons de l'Incarnation". Cela m'est arrivé quelquefois dans ma vie, avec une grande intensité, et c'est arrivé à une amie devenue ensuite orthodoxe, à une époque où elle ignorait tout de la religion. Ces expériences me sont souvent tombées dessus, comme une grâce, sans que j'eusse fait grand chose pour les provoquer. D'ailleurs, le regard poétique y conduit directement. Au fil des ans, c'est devenu un état permanent atténué et subtil, c'est la meilleure façon que je connais de communiquer avec Dieu, c'est-à-dire de prier, et je me signe devant la pleine lune ou quand j'écoute, dans le vent nocturne, les rossignols. Or, quand je me suis retrouvée dans l'eau fraîche, j'ai commencé à réciter mes prières matinales, et j'ai vu, avec une intensité étrange et merveilleuse, l'azur hanté de blanches présences, ce léger rayon bleu au tournant de la rivière, puis au ras de l'eau, les lampes de nénuphars jaunes en bouton qui projetaient de brillants reflets dans le miroir plissé où se mirait le ciel, et sur la berge, les dentelles dansantes et froissées des égopodes, si allègres et légères. Et puis cet énorme saule, majestueux, avec au sein de ses branches, une sorte d'ouverture, de porte qui semblait m'appeler à la franchir. C'était comme si, dans ce monde où j'étais, j'avais changé de monde, parce que ce monde était devenu autre, ou bien se montrait tel qu'il était et que plus personne ne le voit. Et tout m'est adorable de ce qui vole, glisse, frémit et scintille, de ce qui chante et joue, de ce qui existe. C'est sans doute la raison pour laquelle la laideur de notre vie contemporaine m'offense si profondément, je la ressens comme une véritable profanation, et n'arrive pas à surmonter cette peine pour atteindre la Source de cette beauté, qui est inaltérable. 






J'ai passé trois heures à faire le ménage, car j'ai bientôt des gens qui louent pour trois semaines mon petit studio, et je n'ai pas fini. Et puis après demain, j'ai toute une journée d'interview à Rostov, dont je pressens qu'elle sera pour moi assez fatigante. Si je fais cette interview avec ma nouvelle connaissance de l’église du père Ioann, c’est dans l’espoir de promouvoir Epitaphe, car cela ne décolle pas tellement, et si je veux tout republier chez cet éditeur, puis publier ce qui ne l’a pas été, il faut que quelque chose se passe. Je lui avais dit de changer le résumé d’introduction pour le remplacer par la pub qu’avait faite Katia sur sa page, plus racoleuse, mais je pense que c’est ce qu’il faut, bien que ce soit contraire à ma nature, et Katia, qui est jeune, le sent bien. J’ai vu qu’un livre tout ce qu’il y a de plus racoleur se vendait abondamment, même si les gens ne lisent plus, et pour susciter la curiosité d’acheter le mien, il faut ne pas hésiter à faire donner la grosse caisse dans le tohu-bohu général.

Je vais devoir à nouveau faire le représentant de commerce pour mon livre, ce qui me fatigue et n’est pas très gratifiant. J’ai envoyé un mot à deux amis qui l’avaient commandé : « Si vous l’avez lu, mettez une note et une appréciation sur le site d’Ozon ». Il y en a un qui a mis une note, mais pas d’appréciation, l’autre a promis et ne l’a pas fait. 

Un ami qui travaille dans une librairie dissidente à Paris a récupéré mon livre Parthène dans le stock d’une autre librairie dissidente qui a fermé. Il va essayer de vendre ce que je fais, et me dit que pour promouvoir des livres il faut avoir une audience par ailleurs, blog ou vidéos youtube. J’ai un blog, mais, alors que j’ai toute une colonne consacrée à mes livres à droite de ma page, avec les références, des gens me demandent parfois comment se les procurer ! Il me faudrait mettre autour un encart fluo et clignotant ?

Je vais faire une vidéo et lire moi-même des extraits, auront-ils la curiosité d’écouter ? Et s’ils commandent, auront-ils le réflexe de commenter et noter ? 

Naturellement, je n’attends pas des ventes colossales et n’espère même pas rentrer dans mes frais. Mais je voudrais pouvoir continuer à publier. Le pire est que ceux qui lisent ces livres les apprécient généralement beaucoup, à l’exception des toqués idéologiques qui me reprochent de ne pas donner d’Ivan le Terrible et de ses compagnons une image qui leur convient. Mais je suis presque obligée de faire la danse des septs voiles pour arriver à persuader les gens de faire la démarche de les commander et de les lire, or à mon âge, la danse des sept voiles, ce n’est plus trop dans mes cordes et je n’ai plus la silhouette requise.

Le journaliste Vladimir, qui me fait l’interview de Rostov, m’a dit que son copain lui avait piqué Epitaphe pour le lire, avant qu’il n’ait pu le faire lui-même, qu’il l’avait trouvé captivant et bien écrit et demandait comment se le procurer. Eh bien mais sur Ozon, et mettez-moi une appréciation, nom d’un chien ! Vladimir, en attendant, lit l’année 17 de mon blog, il est enthousiaste, mais l’année 17, pour se la procurer, il faut s’adresser à moi, et je voudrais qu’elle fut vendue sur Ozon, par mon éditeur, or elle le sera si Epitaphe ne stagne pas. Sinon, elle restera sur mes étagères et partira au compte-gouttes. Par moments, je me dis: "Et alors? L'important, c'est de délivrer ce que tu avais à donner, qu'ils en fassent tous ce qu'ils veulent, et s'ils ne veulent rien, ce n'est plus ton problème, tu l'as fait, tu l'as édité, et merde." 

J’ai vu, avec une horreur incrédule, que la fondation Georges Clooney proposait d’arrêter les journalistes russes ou prorusses. Une amie parle de maccarthysme, mais j’ai l’impression que c’est pire. Et parallèlement, on commet des attentats sur les chefs de gouvernement qui pensent mal. On en menace d’autres. C’est complètement fantasmagorique. Il faut que rien ni personne ne vienne compromettre le discours hallucinogène de tous ces malades cornaqués par des criminels.

Nous nous concentrons sur la poursuite des journalistes pro-russes les plus évidents, les plus en vue, mais je ne les nommerai pas car nous demandons aux procureurs de délivrer des mandats d'arrêt sous scellés.
- a déclaré Anna Neistat, directrice juridique du projet Docket de la Fondation Clooney pour la justice.

Selon Anna Neistat, contrairement aux militaires russes et à leurs commandants, de nombreux journalistes voyagent fréquemment en Europe, ont des permis de séjour, des parents et des biens à l'étranger et peuvent être détenus sur la base de mandats d'arrêt dans les États membres d'Europol.
 https://t.me/economica/1606

Georges Clooney, le chéri de ces dames! 

 




4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup les paroles du moine copte et votre description de l'expérience spirituelle que vous avez faite dans la rivière. J'ai connu ce genre de moment suspendu alors que j'étais allongée sous un grand chêne et que je suivais sans penser à rien les nuages que je voyais passer à travers le feuillage. Et soudain je me suis sentie reliée à tout, à la douceur de l'air, aux chants des oiseaux, aux couleurs, comme si je faisais partie de tout ça, comme si j'étais présente partout en même temps. Et j'ai entendu très fort ces paroles : 'JE SUIS'. Je savais que j'avais vécu un moment fondamental pour moi, mais ça ne m'est plus arrivé, du moins avec cette intensité. Je suis entrée le lendemain dans une église pour demander à être baptisée et des flots de larmes sont sortis, que je ne pouvais pas arrêter. Je crois que je n'ai pas été à la hauteur de ce cadeau par la suite. Anne-Laure.

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    1. On n'est jamais à la hauteur de ce cadeau! Il nous est fait pour nous encourager et nous montrer la bonne direction. Je trouve beau que cela nous soit donné de façon si gratuite, indépendamment de nos efforts ou de nos qualités.

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  2. Bonjour, sur la version mobile du blog que je consulte exclusivement, on ne voit pas les livres... pas du tout.

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    1. Ah oui, ça c'est vrai. Il n'y a pas la place. Je n'avais pas pensé à cela, car je me sers plus volontiers de l'ordinateur.

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