dimanche 8 septembre 2024

Incognito

 


Jeudi, j’ai manqué la fête du métropolite Pierre de Moscou, qui avait lieu dans l’église en voie de restauration, parce que l’office était à sept heures du matin, et je ne me suis pas revéillée à temps, ce qui est très rare. Hier soir, le père Alexeï me demande qui a fait l’icône de ce saint, qu’il avait bénie à cette occasion ? Je lui ai répondu, morte de honte et complètement désolée d’avoir raté cet évènement, que c’était moi. En fait, je pensais que l’icône n’avait pas plu à notre évêque et qu’il l’avait remisée dans un coin.

Cela m’a vraiment affectée mais il ne m’en faut pas beaucoup, en ce moment. Ce matin, j’ai parlé de tout cela au jeune prêtre qui confessait, je lui ai dit aussi que je maudissais régulièrement ceux qui nous avaient préparé la situation où nous sommes, que je ne pouvais pas les aimer ou prier pour eux. « Pourtant, c’est ce que le Christ nous demande.. » Oui, en effet, mais ce n’est pas facile. Je dis à Dieu : « Pour ceux-ci, c’est Toi qui vois, moi, je ne peux pas... »

Ma Georgette mange toujours très peu, elle dort tout le temps et maigrit, et j’essaie de ne pas me laisser aller au chagrin qui me submerge. J’espère que la communion de ce matin m’aidera. Je pense à la façon dont elle est apparue brusquement dans ma datcha, où j’étais venue passer le week-end, en 2009, par une pluie d'automne glaciale. C’était presque un chaton. Elle s’était installée sur le poêle, loin de mes autres animaux. Et pendant la nuit, elle était venue occuper la place qu’elle a prise par la suite pour le reste de sa vie, contre mon épaule, la patte posée sur moi. Avant de l’adopter, j’avais essayé pendant trois semaines de la caser sur Moscou, et j’avais laissé pour elle des croquettes aux ouvriers qui refaisaient le toit. Puis un ami avait proposé de la prendre. J’avais donc apporté un panier à chat, et elle avait protesté quand je l’y avais enfermée, mais aussitôt que la voiture avait démarré, elle avait cessé de miauler, elle comprenait que je l’emmenais.

Chez mon ami Sérioja, elle avait été si mal aimable qu’il n’avait pas voulu d’elle, soutenant qu’elle m’avait choisie. Je l’avais portée chez le vétérinaire, elle avait beaucoup de gale des oreilles, mais elle supportait les soins sans griffer ni mordre, elle grognait seulement, elle s’est toujours montrée, comme moi, râleuse, mais bonne pâte, elle aime qu’on lui fiche la paix et ne va pas au conflit, elle attend juste son moment. Après, dans l’appartement, elle était complètement euphorique, Georgette déteste le froid, c’est une petite chatte très domestique, et elle m’a toujours suivie comme mon ombre. En cela, elle était en compétition avec Chocha, elles ne pouvaient d’ailleurs pas se voir.

Au printemps, quand j’étais retournée à la datcha, elle était terrifiée de se retrouver dans ce lieu qui lui avait laissé de si mauvais souvenirs, elle me suivait pas à pas en grognant, puis, voyant que je restais sur place avec elle, elle s’était calmée. Une vieille qui passait ses vacances au village me dit qu’elle l’avait vue arriver un matin et nourrie tout l’été, mais qu’en repartant pour Moscou, elle ne l’avait pas prise. Et elle l’appelait : «Maroussia, Maroussia... » Georgette faisait comme si elle ne la connaissait pas. Mais je suis sûre qu’elle s’en souvenait autant que de sa misère automnale, au sein de laquelle j’étais venue avec ma ménagerie chauffer le poêle et distribuer les croquettes...

Georgette m’a suivie en France, puis elle est revenue avec moi en Russie. Dans le taxi qui nous amenait à Pereslavl, après le difficile voyage en avion, elle avait passé sa petite patte à travers la grille de son panier et l'avait posée sur moi, pour se rassurer : j’étais bien là, avec elle.

Elle aura passé toute sa vie avec moi, elle n’aura plus connu l’abandon, la peur, la faim, et je suis beaucoup plus angoissée qu’elle par la situation, de cela, je devrais rendre grâce, mais j’ai quand même un chagrin terrible.

A moins que finalement, elle ne se remette... mais je n’ai pas l’impression. Elle ne lutte pas...



premières photos de Georgette, quand je l'ai trouvée. Octobre 2009...

Au café, où j'étais allée prendre un petit-déjeuner croissant, deux dames qui semblaient très bien me connaître se sont assises à ma table, nous avons parlé de l'Europe, de la Russie et de la France, des forces de destruction à l'oeuvre partout, du caractère étrange de cette guerre transversale...  Elles considèrent que ce qui différencie la Russie de l'Europe, c'est que les dégâts sont moins avancés, mais d'après elle, les jeunes accros au téléphone sont devenus complètement abrutis et ont moins de mémoire que des vieillards qui ont lu toute leur vie. Une amie française, devenue prof de lettres sur le tard, me dit que ses élèves sont des sous-développés culturels, et spirituels bien évidemment, complets, des enfants loups. Pourvus de noms étrangers stupides du genre Ryan ou Parker, ils n'ont plus aucun réferent culturel, et ne peuvent même plus comprendre non seulement Corto Maltese, bourré de références historiques européennes, mais même Astérix et Obélix. Elle trouve qu'à la limite, les enfants d'immigrés s'en sortent mieux, parce qu'ils sont issus de familles traditionnelles et croyantes, et ils sont plus structurés... Non seulement nous subissons un génocide sournois, mais les populations indigènes résiduelles vont, à l'issue de tout cela, finir en ramassis de dégénérés qui parleront un sabir et n'auront plus aucune notion de leur propre histoire.

Puis, dans la rue, j'ai rencontré un monsieur avec un spitz, une femelle, de l'âge de Rita, elles ont copiné volontiers. J'ai croisé des jeunes gens qui faisaient les fous, et me voyant sourire, ils m'ont fait de grands gestes dansants: "Passez une bonne journée"!. 

En fin d'après-midi, pour me changer les idées, je suis partie au lac, parce qu'il faisait très beau, et même étonnemment chaud, j'avais envie de me baigner. J'ai essayé de dessiner, mais j'étais au bord de l'insolation, et mes deux interlocutrices du matin avaient eu la même idée que moi, et elles m'ont trouvée sur la rive. Pour fuir le soleil un peu trop brutal, je suis allée m'installer à l'ombre, et là, je suis tombée sur le monsieur du matin, avec son spitz. C'est un homme charmant, intelligent, plein d'humour, nous avons longuement parlé des dégâts opérés sur la ville de Pereslavl, devenue méconnaissable et, je le crains, irrécupérable. Il m'a dit qu'avant la révolution, elle comptait dix monastères et trente-sept églises, il reste cinq monastères et peut-être une petite dizaines de paroisses. Mais le pire est que l'environnement de ces églises est complètement saccagé par des constructions anarchiques et disgracieuses. Ce monsieur est historien et ingénieur en mécanique. Il m'a complimentée sur mes dessins et les a pris en photo. C'est le Moyen-âge qui l'intéresse, Ivan le Terrible, pour lui, c'est trop récent!

Tout ça pour dire que circuler incognito à Pereslavl devient compliqué.  

4 commentaires:

  1. Bonjour Madame Guillon.
    Vous faisiez l'autre jour référence à un article du blog sur l'Orthodoxie de Maxime qui se dit minime.
    Il le ferme aujourd'hui.
    J'y ai cependant trouvé force et courage et espoir.
    Comment, si ce n'est le remplacer, vers qui aller maintenant, à votre avis ? Merci.

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    1. Ah bon???? Mais pourquoi? Il y a celui de Claude Ginisty Lopez, Orthodoxologie...

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