vendredi 2 mai 2025

Premier Mai

 


Au réveil, le premier mai, j’ouvre les rideaux : tempête de neige... J’ai poussé littéralement un cri d’horreur. Je pressens un printemps et un été de merde. C’est vrai que l’aménagement des combles me coûte un peu cher, mais au moins, là haut, c’est clair, je m’y ferai une tour d’ivoire pour oublier le climat, les mobylettes, la guerre et les animaux maltraités ; je ferai un espace joli et agréable, avec des coins pour les chats, mes objets, des tableaux, les plantes qui dépérissent dans les ténèbres et qui là haut, pourront peut-être se rétablir, car lorsque je les mets sur le bord des fenêtres, le chauffage les déssèche, et ailleurs, comme moi, elles manquent de lumière.J'ai appelé ma soeur pour son anniversaire, elle faisait son jogging dans la plaine de Pierrelatte, du côté de la ferme de mon beau-père, et il me rayonnait dessus, par le petit écran oblong, un ciel bleu profond et une vive lumière, dont le souvenir m'étourdissait.

J'ai vu, pour des amis, une petite maison qui vaut 6 millions de roubles, sans grands travaux, elle est habitable immédiatement, la déco est épouvantable, mais il suffit de la refaire, et ce ne sera ni cher, ni difficile. Changer la cuisine intégrée, restaurer les murs de rondins équarris, mettre un parquet flottant à la place du lino horrible. Mais tout est propre et en bon état, le toit refait, chauffage gazprom. J’y ai vu entrer, devant nous, une petite chatte, j’ai demandé à la propriétaire si elle l’emmenait avec elle. «Non, c’est elle qui entre ici, mais je ne lui ai rien demandé, c’est une chatte des rues.

- Il n’y a pas de chattes des rues, ai-je rétorqué, il n’y a que des chattes qui ont perdu leur maison ou qui en cherchent une. Celles qu’on laisse entrer, il faut les garder ».

Pour moi, cela revient à remettre dehors un enfant qui aurait cru trouver un asile. C'est ce qui était arrivé à ma chatte Georgette, hébergée toute petite par une vacancière qui l'avait ensuite laissée sur place quand elle était rentrée à Moscou. Et j'avais vu arriver, par un week-end pluvieux et glacial, cette adolescente tricolore réfugiée dans mon grenier que j'ai fini par adopter, parce que de l'avoir laissé dormir sur mon épaule et manger dans la gamelle de mes autres animaux lui avait donné un espoir que je ne pouvais pas décevoir. 

Panne d’électricité géante en Espagne, panique totale, Ravages de Barjavel. Dany évoque notre dépendance à l’électricité et à la technologie. Ca fait longtemps que je le pense, et j’aurais trente ans que j’irais m’installer dans une communauté perdue, il est évident que retrouver son autonomie alimentaire et énergétique devrait être une priorité pour toute personne consciente. Actuellement, il n’en est plus question pour moi, hier, en faisant le jardin, j’étais au bord de l’évanouissement.  Alors je prie pour avoir le temps de vieillir et de mourir sans que cela tourne au cauchemar total, en comptant sur gazprom et mossenergo. La planète devient invivable, à cause de nous, et je souffre avec elle, je souffre avec tout ce qui vit.

Le Monde raconte toutes sortes d’histoires de brigands sur la Russie, les traitements barbares infligés aux prisonniers ukrainiens, alors que c’est exactement le contraire qui se produit. A la limite, je me demande si on ne traite pas mieux les prisonniers ukrainiens que les soldats, dans l’armée russe. Les prisonniers russes ont été massacrés, battus, torturés, mutilés par les Ukrainiens, et je ne parle pas des civils, soumis à des exactions infâmes. Je me demande comment les journalistes qui mentent sans cesse depuis le maïdan et même avant, si l’on pense à la Yougoslavie, peuvent se regarder dans la glace. Ce n’est plus du mépris que j’éprouve pour eux, c’est un profond dégoût, et je l’éprouve également pour les imbéciles qui les écoutent. Je n’ai même plus envie d’intervenir et de lancer un scud, car il me rejaillit dessus des fontaines de merde. Au moins ici, j’ai de la neige au mois de mai, mais je me sens solidaire des gens, c'est du reste en grande partie ce qui avait motivé mon départ. 

A vrai dire, le malheur est que je me sens solidaire des Français quand même ; du moins de ceux qui comprennent et, impuissants, exclus de la vie sociale, ne peuvent rien faire, tandis qu’on détruit leur pays et le déshonore.

 Par ce temps immonde, je suis partie chez Volodia Bourlakov et sa femme, c’était l’anniversaire du premier. La route était horrible, la boue glissait autant que la glace et la neige en plein hiver.

La soirée, très chaleureuse, me rappela celles du temps de l’URSS ou de la perestroïka, grandes discussions philosophiques, guitare et chansons, toasts enthousiastes portés aux uns et aux autres, y compris celui, suscité par les gens que nous connaissons au front, à la victoire. Il y avait des Tcherkesses, le père, avec un bourrelet susorbital prononcé et une carrure impressionnante, et le fils, même modèle en version gracile, tous deux fervents orthodoxes. Un couple de Rybinsk, Victor le Blogueur, et un vieil évêque à la retraite, qui officie dans un village du coin, monseigneur Anatoli. Ce dernier pétillait d’intelligence et de malice et rayonnait de bonté. Il a transformé le dîner en conversation sur des thèmes religieux, d’autant plus qu’il avait beaucoup de questions du côté des deux Tcherkesses. Dany m’a dit ce matin que les Russes avaient quelque chose de pur. Au cours d’une interview, j’avais surpris la journaliste qui m’avait demandé ce qui me paraissait leur principale qualité, en lui répondant la même chose. Et en effet, à part des esprits forts qui ressemblent beaucoup trop à l’occidental boboïde, les Russes ont une espèce de fraîcheur, de gravité, de pureté qui me frappait déjà dans leur littérature, et aussi dans les films soviétiques. C’est ce que nous aimons chez eux.

L’évêque Anatoli a une façon très intéressante de commenter les saintes Ecritures, une approche spirituelle et poétique, symbolique, à laquelle je suis très sensible, alors que beaucoup de discours religieux m’ennuient profondément. Et il fait le lien entre elles et tous les évenements et les gestes de la liturgie, c'est précisément ce qui m'avait attirée dans l'Orthodoxie, cette permanente symphonie en Dieu de tout ce qui est et qui fut, et probablement sera qui se manifeste dans l'iconographie et dans le rituel, moins dans le chant religieux, contaminé par les fioritures occidentales. Il aime les animaux, qu'il considère comme les serviteurs de la Terre qui entretiennent la vie.






Vladimir Bourlakov






5 commentaires:

  1. Vous avez dit le mot "solidaire"! Ici en Belgique ds ma rue ça n existe pas! 3 mois de mobilité réduite pour cause de fracture pied et pas un voisin aux nouvelles!! C est ça la décadence humaine: perte de liens, isolement, perte de spiritualité... j imagine déjà leur tête si je parlais de religion ou même du conflit que vs vivez...ils sont tous otanoukrainiens vs pensez bien...j entretiens ma lumière ici chez moi, mon jardin, mes loulous, mon chat...l isolement se fait aussi de plus en plus par le coût de la vie...ségrégation sociale...

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    1. Ici, les voisins sont secourables, j'en ai une qui vient dès que j'ai besoin de quelque chose, l'autre m'emmerde avec sa radio mais m'aide à sortir la voiture des congères. Je conçois cet isolement, qui a été longtemps le mien. Je ne dis pas qu'ici, je sois d'accord avec tout le monde, mais quand même, fondamentalement, je suis plus en phase.

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  2. C'est une amie qui m'envoie régulièrement votre chronique (je suis, comme elle, né de parents russes - maman était de Saint-Pétersbourg, papa de Moscou, la famille de maman était originaire de la région de Rybinsk) Le style et le contenu de vos chroniques me touchent beaucoup.
    Vos goûts sont sur bien des points proches des miens.
    Merci.
    Dimitri Pavlovitch

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    1. Bonjour Dmitri Pavlovitch. Je suis très touchée. Dima et Svetlana, le couple de Rybinsk, m'invite à venir dans cette ville donner une "soirée créative", comme on dit ici, j'aurai une pensée pour vous. Il paraît que la ville a été très bien restaurée, contrairement à Pereslavl, et on y conserve beaucoup de traditions.

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    2. Merci de m'avoir si gentiment répondu. Je me permets de me présenter. Mon nom de famille est Dourdine Mak. Dourdine est le nom de maman, dont le prénom est Lydia. Sa maman fut artiste au Alexandrisky tester de St-Pétersbourg ; Mak est le nom d'artiste de papa dont le prénom est Paul. La brasserie à Rybinsk à été construite par un Dourdine ; dans le musée de Rybinsk, il y a des objets ayant appartenu à la famille. Paul Mak est artiste peintre. Il a été un caricaturiste très apprécié dans le milieu des artistes (acteurs de théâtre, peintres, musiciens). Entre 1911 et 1915, ses dessins ont été régulièrement publiés dans des hebdomadaires centrés sur les productions artistiques.
      Mon site : www.dourdine-mak.be
      J'attends votre prochaine chronique.

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