samedi 26 juillet 2025

Fleur de Moscou

 


Mano est effarée par ce qui se passe en France et dans le monde, et il y a de quoi, elle est même loin, à mon avis, de réaliser à quel point c’est grave, car elle n’est pas aussi informée que moi, elle préfère inconsciemment ne pas l’être trop, d’ailleurs. La France est en train de mourir, minée par la caste, et submergée par les populations inassimilables et aggressives qu’on a encouragées à venir déferler sur nous. Je ne vois pas sans un serrement de coeur de vieux documents sur les années cinquante, soixante, soixante-dix et même quatre-vingt. Pourtant, le ver était déjà dans le fruit, mais on pouvait encore imaginer vivre normalement, alors que maintenant, les gens sont inquiets, désespérés, ils ont peur pour leurs enfants, débauchés et abrutis par l’école, violés et attaqués au couteau ou à la machette dans la rue. Paris est une sorte de cour des miracles où l’on voit tout ce que l’on veut mais très peu de ce qu'on appelait un Français, et quand je relis mes souvenirs, je réalise que tout cela, qui, dans les années 2000 me semblait encore plus ou moins dans la continuité de ma jeunesse, a disparu sans retour, comme le Moyen-âge ou la Rome antique.

Le gouvernement est un ramassis de minables, de salauds, de bandits, d'imbéciles et de traîtres, qui n’ont aucun souci de leurs administrés, on a l’impression qu’ils remplissent un contrat mafieux, consistant à nous éliminer, en tenant, comme des gourous de secte, des discours vides de sens et impudemment mensongers. Au delà de ce qui arrive à l’Europe, on peut dire que le monde entier est malade, que partout gagne la lèpre de la laideur hallucinante, de la vulgarité, de la confusion, de la bêtise et de la violence aveugle et vile. Tout est perverti, tout est transformé en cauchemar, les meilleurs sentiments et les meilleures intentions sont retournées pour nuire, comme dans le cas de l’écologie, où des pollueurs internationaux sans conscience et sans aucun respect de la vie, utilisent un discours idéologique creux pour asservir les gens et les faire marcher dans n’importe quoi : les éoliennes affreuses qui hachent les oiseaux et stérilisent la terre, les panneaux solaires qui transforment des régions entières en désert vitré; ou encore la santé, comme dans le cas du covid, ou bien des épidémies animales permettant de massacrer des troupeaux entiers. Je pourrais pleurer devant les témoignages de paysans qui doivent sacrifier leurs vaches pour une épidémie bénigne et limitée, parce que les nuisibles au pouvoir cherchent à les ruiner. Cela me rappelle en plus feutré, plus sournois, les horreurs de la collectivisation en Russie, d’ailleurs les malfaiteurs au travail sont de la même espèce et obéissent, au fond, au même motif : une haine sans limite et sans pitié pour toute espèce de société traditionnelle enracinée, surtout chrétienne. On dirait qu’un diable ricanant nous attend à tous les tournants, quel que soit le chemin emprunté. J’ai parfois le vertige, quand je songe que ce que je redoutais depuis plus de vingt ans, cette guerre entre la Russie et l’Ukraine, remake de la guerre civile des années vingt qui, au fond, n’a jamais pris fin, a tout de même eu lieu, et même si la Russie la gagne techniquement, nous sommes tous profondément perdants, plus encore que ceux qui ont réussi à nous l’organiser avec des ficelles grosses comme des câbles. Ils seront peut-être détruits au passage, mais ils nous auront jetés les uns sur les autres, ils auront déversé ici toute l’Afrique, et là toute l’Asie Centrale, créant une situation irréversible en se moquant de nous. Ils nous auront privés de notre culture, de notre dignité, de notre âme et de toute espèce d’espoir, en tous cas, pour ce qui concerne l’Europe, car la Russie est peut-être encore assez vivante pour surmonter, et même jouer le rôle de Constantinople, de la troisième Rome, si les gargouilles et les gnomes ne la mangent pas...

Je disais au père Valentin que néanmoins, mon voyage au Donbass m’avait apporté une sorte de sérénité, m’avait donné une direction de vie. Mon champ d’action s’est rétréci au père Nikita, et à son entourage, à Fédia et ses camarades là-bas, et ici aux villages miraculés où les jeunes femmes de ma connaissance soufflent sur les braises de la Tradition. Et puis aux gens qui veulent venir ici et que je peux aider, aux animaux, devant lesquels nous sommes si terriblement coupables, quand cela n’est pas trop au dessus de mes forces. Je n’ai aucun pouvoir sur le reste.


Je n’ai pas non plus beaucoup d’élan pour les prières et offices interminables. Ni pour les jeûnes. Il me semble que lorsqu’on a mal partout et que l’on supporte un climat affreux qui vous rend malade, c’est en soi suffisant, comme ascèse. Quand je lis que je ne devrais pas faire de différences entre les gens et les aimer tous du même amour, eh bien c’est raté, je n’y arrive pas du tout. Je suis plus indulgente à mes contemporains, mais je suis loin de tous les aimer comme moi-même, ou simplement, comme mes proches. C’est à cela que je constate que je ne suis pas une sainte: je n’ai pas l’amour universel. A vrai dire, j’objecte souvent aux athées primitifs que ce n’est pas Dieu qui est responsable des horreurs fantasmagoriques de l’humanité, mais tout de même, je finis par trouver qu’Il devrait bien quelque peu intervenir. Ce qu’on a fait de l’Ukraine est tellement immonde, je sais bien qu’une partie de la population a versé dans une haine antirusse délirante et stupide, et cela se paie, au plan de la justice divine comme de la justice immanente, mais quand même... Plus de 500 000 morts, ces cimetières à perte de vue, ces hommes enlevés en pleine rue, arrachés à leurs femmes, à leurs enfants, au landau du nouveau-né qui reste seul sur le trottoir, au chien qu’ils promènent ; et aussi les pertes russes de garçons qui ne demandaient qu’à vivre, et qui reviennent affreusement mutilés, tout cela méthodiquement préparé pendant des années, dans l'indifférence générale, par une poignée de salauds, tandis qu’une poignée de gens lucides criaient dans le désert...

Invitée par la chaîne orthodoxe SPAS, j'ai fait un petit tour à Moscou. J’ai dormi chez Xioucha, car Liéna a installé quelqu'un chez son père, et celui-ci n’a pas pensé à me proposer le divan du salon, à défaut du réduit que j’occupe d’habitude, derrière la cuisine. Du coup, il est venu me voir à huit heures du matin le jour de mon départ, mais comme je m’étais réveillée à cinq heures moins le quart et qu’il faisait grand jour, j’ai décidé de m’en aller pour voyager tranquille et à la fraîche. J’étais à peine arrivée que Xioucha m’appelait : « Lolo, vous êtes où ?

- A Pereslavl....

- Papa vous cherche partout dans l’appartement ! »

J’étais consternée, si j’avais su, je l’aurais attendu...

J’ai dû faire un minimum de ménage, à cause des affreux chats, et puis tondre le jardin, et ceuillir les framboises, et dégager les fleurs des liserons qui les envahissent. En réalité, je n’ai presque pas arrêté. J’ai juste fait une sieste dans le hamac pour profiter de la vue sur mon jardin, mais les astilbes se fanent, et je ne les ai pas vraiment vu fleurir. Les floxs commencent déjà, et les boules jaunes... Nous aurons sans doute un mois d’août tiède et ensoleillé, mais cela sent déjà l’automne.

Je cours à nouveau comme un lapin. J’ai marché à Moscou sans problèmes, dans le joli quartier de Zamoskvorietchié, je suis allée voir Dany et Iouri, puis un taxi est venu me prendre pour m’emmener rue Sergueï Eisenstein pour l’émission à laquelle j’étais invitée par la chaîne SPAS. La journaliste était très gentille, une jeune femme qui a épousé un Espagnol, Angelika. L’interview n’a pas duré plus de dix minutes, elle le regrettait, et envisage une autre émission. Une de ses collaboratrices est venue me dire : «Vous êtes belle... Quels yeux vous avez, et puis votre allure, vos cheveux argentés, je n’en reviens pas ! »

Moi non plus, parce que ce n’est pas ainsi que je me perçois mais ça fait plaisir.

En traversant, à cinq heures du matin, le passage à côté de chez Xioucha, j’ai croisé un parfait inconnu qui m’a aimablement dit bonjour, ce qui est inattendu et agréable dans une grande ville. Plus loin, j’ai vu, au feu rouge du carrefour, une bande de jeunes sur des trottinettes, bruyants, et visiblement bourrés, sinon pire. Et marchant à leur rencontre, j’étais légèrement sur mes gardes, or voici que l’un d’eux m’arrête, et me tend une ombelle de carotte, ramassée le long du trottoir : «Tenez, c’est pour vous, » me dit-il , souriant, la casquette de travers.

Il m’a semblé que toute ma journée était bénie par ces deux rencontres, que j’ai bénies à mon tour. Comme si la Russie me rendait mon amour, souvent exaspéré, mais jamais découragé.




Crépuscule

 

Souffles éparpillés de la lumière bruissante

Au gouffre bleu ténèbre d’une journée torride,

Où la brise ébahie murmure et s’extasie,

Dansant d’un pied sur l’autre au travers des corolles...

Que la beauté s’arrête un instant de courir,

Loin du criard désastre de notre fin minable

Qui craque et se fracasse en milliers d’oiseaux noirs,

Et nous laisse la trace de ses pas adorables,

Au sein gris du brouillard où virent les couleurs,

Où hurlent, bigarrées, d’indistinctes horreurs

Où rampent entêtantes d’infernales odeurs.

 

Quand monte douce la lune

Au velours gris du soir

Et que s’étend léger le chant du rossignol

Vrombissent menaçants les démons surchauffés

Et les anges les fuient dans les couloirs du vent,

Gagnant à tire d’ailes les astres préservés.

 

Les lentes rêveries et les feux sur les rives

Des fleuves noirs glissant sous l’oeil rouge des nuits,

Les tournoyantes voix qui s’enlacent et s’érigent

Au gré s’élargissant du silence ébahi...

La barque tourne et dérive et brasse les étoiles

Où vont à petits pas des âmes égarées,

Les voilà qui filent et s’envolent, effrayées,

Les voilà qui fusent et s’étirent, éveillées,

Et de colossaux archanges

Les avalent dans leur énorme lumière.

 

A l’horizon pousse l’arbre et ses fruits stellaires,

Irisé, chatoyant, immobile,

Mais le vent qui claque bouscule la nuit,

Hurlant dans les rues bleues,

Où brûlent des terrasses jaunes,

Les voix s’entrecoupent et chuchotent,

Les trajets claudiquants s’entrechoquent

Et je vais dans la douceur du soir,

Vieille fiancée d’un roi mort,

Druidesse muette des dieux oubliés.


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