mercredi 15 février 2017

A la recherche de la source.




 Aujourd'hui, en promenant le chien, je tombe sur une brave dame, des bouteilles de plastic à la main. Je l'interroge sur la source, elle me dit que c'est loin, par là, elle m'explique. C'est une grande femme à la maigreur burinée et chamanique. Elle m'évoque tante Frossia, la guérisseuse, accoucheuse qu'embauche le héros de mon roman. Et justement, la voici qui me dit que maintenant que je suis en Russie, je dois m'intéresser aux simples, qu'on ne peut pas vivre et se soigner ici sans connaître les vertus du millepertuis ou de la calendula. Malgré son air chamanique, c'est sûrement une intellectuelle, elle paraît assez cultivée.Il souffle un vent glacial, elle m'explique que le climat a changé depuis qu'on a fait le lac artificiel de Rybinsk, qui a entraîné beaucoup d'autres ravages et catastrophes, l'engloutissement d'une très ancienne et très belle région de Russie et la déportation de sa population. Je rentre chez moi m'habiller plus chaudement et prendre ma poussette à roulettes et une bouteille vide de cinq litres. 
Arrivée au bout de la route qui longe l'ancienne rive escarpée du lac, je ne sais s'il faut aller à gauche à droite ou tout droit. Tout droit me paraissant très accidenté, je prends à droite et voit surgir les coupoles du monastère saint Nicétas au dessus de l'escarpement, comme une vision étrange, une ouverture sur un autre temps. Un papa et sa fille me disent que je me trompe de chemin. Je repars en arrière, prends à gauche, et traverse des bois. Un défilé de roseaux me mène par un chemin immaculé jusqu'au lac qui se dévoile soudain, immense, sous des nuages colossaux, pleins d'ombre, de lumière et de neige. J'avance sur la glace et vois à gauche le monastère Goretski, au dessus de la ville, et à droite le village de Gorodichtché, son haut clocher sur la berge bleue, en face, le large, une grande nuée foncée rapiécée de turquoise, dont les franges effleurent la mystérieuse, lointaine et sombre rive opposée. Le double de tante Frossia m'avait comparé le lac à un diamant, et c'est ainsi qu'il m'apparaît, un énorme et lisse diamant, sur lequel courent de brusques illuminations et des reflets laiteux. Le vent me tourne la tête, l'espace m'absorbe, tout ce que je vois est si beau et si étrange, si magnifiquement étrange, dommage que des ovnis contemporains affreux défigurent l'escarpement, grosses maisons prétentieuses, antennes pour diffuser internet partout, et bien que j'en fasse grand usage, il faut bien trouver quelque chose de bon aux mauvaises choses, je me prends à rêver de voir cette beauté telle qu'elle était, sans ces excroissances, ces tumeurs, ces ordures, quand tout était intégralement intact et que le prince Alexandre posait ses filets dans une eau non polluée.
Au retour, sans avoir trouvé la source, je rencontre ma nouvelle connaissance, avec une copine. Elle s'appelle Olga, la copine Natacha. Olga fait des objets en feutre, bottes, gants, sacs, elle est déjà allée en Italie, elle est née à Pereslavl et y a passé sa vie.
Je suis heureuse d'avoir trouvé, sinon la source, du moins cet accès sauvage au lac dans toute sa splendeur. C'est une promenade que je pourrai faire régulièrement, et je pourrai aussi accéder au beau monastère saint Nicétas sans passer par toutes les zones construites où abondent les châteaux américains. Pour la source, il fallait prendre ni à gauche, ni à droite, ni tout droit, mais légèrement en biais, le long de l'escarpement.



Le chemin de la source commence ici. La maison à gauche est à vendre, elle
est grande, neuve et pas finie, mais l'endroit assez planant, quand même.


Le côté de Gorodichtché

Le côté de Pereslavl 

les bois


Un pêcheur solitaire


Gorodichtché



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