vendredi 10 novembre 2017

Élevez-vous, portes éternelles...


 L’évêque Emmanuel est venu inaugurer la nouvelle église de Solan. Je me tenais sur le parvis, dans le mistral, sa petite chanson aigre et désolée jouait avec les beaux chants byzantins graves et chauds comme l’or qui se déroulaient devant le porche de pierre, orné d’une représentation sculptée de la Protection de la Mère de Dieu, et je voyais les sœurs et tous mes orthodoxes d’ici, Hélène, Michel, Paul-Serge et Lydia, Annamaria et Giovanni, Emmanuelle, Claire, Denise, Madeleine et son mari, tout le monde était là, les Roumains, le vieux-croyant russe, et beaucoup d’autres que je ne connaissais pas, des catholiques, des protestants. Comme cette église s’inscrit naturellement dans les bâtiments de cet ancien mas, devenu monastère, et transformé par des éléments de décoration en bois qui viennent de Grèce, de Serbie ou de Roumanie, et dans le paysage environnant, comme tout cela est organique, harmonieux... Les bas-reliefs qui courent autour de la façade, sculptés en guise de travaux pratiques par les élèves tailleurs de pierre d’un lycée technique d’Avignon, sont de très jolies copies d’originaux romans, mais qu’adviendra-t-il des originaux dans l’époque qui vient ? L’église de Solan les récapitule, les prend avec elle…
Au moment de l’ouverture officielle des portes, on lut le psaume 23 : «Levez vos portes, princes, et élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Qui est ce Roi de gloire ? Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat. Levez vos portes, princes, et élevez-vous portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Qui est ce Roi de gloire ? Le Seigneur des Puissances, c’est lui, le Roi de gloire. »
Quelle étrange miracle que le mont Athos accomplit là, en nous rendant dans notre langue contemporaine tout un enracinement dans le plus profond de la tradition méditerranéenne perdue, et dans notre passé roman, à travers Byzance qui en était la source…
A l’intérieur, tout était si beau, si pur, ces colonnes de pierre, aux chapiteaux sculptés par le père Séraphin, et l’acoustique merveilleuse. L’église ayant utilisé des pierres glanées ça et là, à la faveur de carrières qui fermaient ou de granges qu’on détruisait, différents tons de gris ou d’ocre jaune se marient en une harmonieuse mosaïque, reflet de notre terre locale, complétée par des poutres décorées à la roumaine, puisque les ouvriers venaient de Roumanie. La seule fausse note était les icônes, dont j’ai appris que Dieu merci, elles étaient provisoires, une iconographe géorgienne travaillant à la version définitive.
La sècheresse nous a donné un automne exceptionnel, et je regardais en partant cette liturgie des peupliers d’or et des vignes rouges, chasubles de brocart, vin et sang répandu, sous les brumes irisées qui encensaient le Ventoux et les villages portés doucement par leurs collines, comme des reliquaires par des princesses en vêtements de velours. La France mourait sous mes yeux en beauté, dans l’indifférence aveugle ou parfois sourdement inquiète de ses habitants qui ne connaissent plus ni leurs chants, ni leurs prières.

Mais Dieu sème encore ses graines dans ce terreau ingrat, et qui sait ? Il donnera peut-être encore de beaux fruits… ou peut-être, dans l’universel désastre, la nourriture spirituelle, l’orientation et le réconfort qui nous permettront de nous regrouper dans l’attente du Second Avènement : ne crains pas, petit troupeau…

 






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