L’évêque Emmanuel
est venu inaugurer la nouvelle église de Solan. Je me tenais sur le parvis,
dans le mistral, sa petite chanson aigre et désolée jouait avec les beaux
chants byzantins graves et chauds comme l’or qui se déroulaient devant le
porche de pierre, orné d’une représentation sculptée de la Protection de la
Mère de Dieu, et je voyais les sœurs et tous mes orthodoxes d’ici, Hélène,
Michel, Paul-Serge et Lydia, Annamaria et Giovanni, Emmanuelle, Claire, Denise,
Madeleine et son mari, tout le monde était là, les Roumains, le vieux-croyant
russe, et beaucoup d’autres que je ne connaissais pas, des catholiques, des
protestants. Comme cette église s’inscrit naturellement dans les bâtiments de
cet ancien mas, devenu monastère, et transformé par des éléments de décoration
en bois qui viennent de Grèce, de Serbie ou de Roumanie, et dans le paysage
environnant, comme tout cela est organique, harmonieux... Les bas-reliefs qui
courent autour de la façade, sculptés en guise de travaux pratiques par les
élèves tailleurs de pierre d’un lycée technique d’Avignon, sont de très jolies
copies d’originaux romans, mais qu’adviendra-t-il des originaux dans l’époque
qui vient ? L’église de Solan les récapitule, les prend avec elle…
Au moment de l’ouverture
officielle des portes, on lut le psaume 23 : «Levez vos portes, princes,
et élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Qui est ce Roi
de gloire ? Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le
combat. Levez vos portes, princes, et élevez-vous portes éternelles, et le Roi
de gloire entrera. Qui est ce Roi de gloire ? Le Seigneur des Puissances,
c’est lui, le Roi de gloire. »
Quelle étrange miracle
que le mont Athos accomplit là, en nous rendant dans notre langue contemporaine
tout un enracinement dans le plus profond de la tradition méditerranéenne
perdue, et dans notre passé roman, à travers Byzance qui en était la source…
A l’intérieur, tout
était si beau, si pur, ces colonnes de pierre, aux chapiteaux sculptés par le
père Séraphin, et l’acoustique merveilleuse. L’église ayant utilisé des pierres
glanées ça et là, à la faveur de carrières qui fermaient ou de granges qu’on
détruisait, différents tons de gris ou d’ocre jaune se marient en une
harmonieuse mosaïque, reflet de notre terre locale, complétée par des poutres
décorées à la roumaine, puisque les ouvriers venaient de Roumanie. La seule
fausse note était les icônes, dont j’ai appris que Dieu merci, elles étaient
provisoires, une iconographe géorgienne travaillant à la version définitive.
La sècheresse nous a
donné un automne exceptionnel, et je regardais en partant cette liturgie des
peupliers d’or et des vignes rouges, chasubles de brocart, vin et sang répandu,
sous les brumes irisées qui encensaient le Ventoux et les villages portés
doucement par leurs collines, comme des reliquaires par des princesses en
vêtements de velours. La France mourait sous mes yeux en beauté, dans l’indifférence
aveugle ou parfois sourdement inquiète de ses habitants qui ne connaissent plus
ni leurs chants, ni leurs prières.
Mais Dieu sème encore
ses graines dans ce terreau ingrat, et qui sait ? Il donnera peut-être
encore de beaux fruits… ou peut-être, dans l’universel désastre, la nourriture
spirituelle, l’orientation et le réconfort qui nous permettront de nous
regrouper dans l’attente du Second Avènement : ne crains pas, petit
troupeau…
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