vendredi 23 mars 2018

Giboulées



Petrovskoïe
Là, tout de suite, tempête de neige. Mais dans la journée, de brusques déploiements de lumière à travers les flocons, à travers des nuages majestueux, vêtus d’ombre profonde et coiffés de crinières aveuglantes. C’est beau, c’est magique, le combat de l’hiver qui résiste et du printemps jeune et doré qui le provoque, se retire et revient à la charge. Il serait temps qu'arrive sa victoire définitive. Mais ces lumières mouillées, ces vibrations et ces reflets me captivent, et ce paysage, ces forêts, si étranges et si prenantes. Je les traversais avec une sorte d'exaltation apaisée, comme si j'étais passée au dessus de moi-même.
Rosie avait disparu pendant deux jours, elle est revenue roupiller toute la soirée et toute la nuit, je me demande bien ce qu’elle fabrique, la louve des steppes... 
Après l'enregistrement du visa,  je me suis rendue à Petrovskoïé pour recommencer tout le cirque de celui de ma bagnole. On m’avait dit que je n’aurais pas à changer mes plaques et que ce serait moins cher mais pas du tout, il m’aurait fallu faire cette procédure avant l’expiration de mon visa car le jour où il a expiré et où je suis partie en France, ma voiture a perdu son enregistrement et son numéro. Seulement je ne pouvais pas refaire son immatriculation sans avoir le nouvel enregistrement de mon nouveau visa. J’ai dû aller payer une somme complémentaire à la Sberbank locale. L’église de Petrovskoïé est ravissante, dommage qu’autour, les maisons deviennent toutes des emballages de plastique géant  avec des lettres criardes et des trucs qui clignotent.
J’ai passé trois heures à Petrovskoïé, on remplit des tas de papiers, puis on m’envoie de l’autre côté de l’immeuble faire examiner la bagnole (neuve) par l’inspecteur, et celui-ci  remplit des papiers, puis me réexpédie au bureau précédent, où on remplit des papiers, puis on me donne de nouvelles plaques et démerde-toi pour les poser. La dernière fois, l’inspecteur m’avait regardée comme une habitante de la planète Mars, mais il m’avait aidée, cette fois, il a été à la limite de la grossièreté, peut-être même carrément en plein milieu, mais j’avais des liens en plastique achetés chez le quincaillier serbe, et j’ai pu me débrouiller sans ce malotru.
Il m’a fait attendre tellement longtemps le contrôle technique (purement symbolique) que j’ai même pu faire la sieste. Et dans le bureau ensuite, j'ai eu droit au discours de Poutine.
En partant pour Pétrovskoïé, à la sortie de Pereslavl, j’ai pris un bonhomme en stop. C’était un moscovite qui avait fait le retour à la terre, il y a dix ans « a lia ferm » (en français dans le texte !). Sa voiture était en réparation depuis des temps, car la boîte de vitesse sophistiquée et électronique est difficile à réparer. «Je suis pour un retour à l’antiquité profonde, me dit-il. Si vous saviez comme je suis bien là où je suis… C’est une autre dimension. Je passe mon portail, et c’est un autre monde. Mes gosses ont des joues rouges comme des pommes, ils sont heureux comme des rois. Le matin, j’ai fréquemment un élan qui vient dire bonjour, il vient nous regarder par la fenêtre. Vous rammassez de la canneberge ?
- Je n’en ai pas encore eu l’occasion.
- Je vais vous donner ma carte, venez, j’ai un marais au bout de ma terre, et plein de canneberge, surtout ne vous gênez pas ! »


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