dimanche 13 mai 2018

Potion magique

Ce matin, liturgie au monastère saint Théodore, où j'ai retrouvé ma nouvelle copine, la belle Nina. Elle est venue me rejoindre chez moi par la suite, après avoir aidé les soeurs à nettoyer l'église. Elle m'avait apporté, pour soigner mon genou, ou plutôt pour soulager la douleur, une décoction d'amanites tue-mouches. Que voici:

la décoction d'ammanites tue-mouches

La chose marine dans l'alcool. Cela ne se boit pas, je vous rassure, on l'applique sur la région douloureuse. 
La réalité dépasse vraiment la fiction, car dans mon livre, Fédia rencontre une sorcière de village, à Pereslavl-Zalesski, et elle lui prépare une potion du même champignon: 

Il fit passionnément l’amour avec la rouquine, puis passa aux choses sérieuses: « Dis-moi, Paracha, tu m’as parlé des puissances cachées et du sachet qui les faisait voir...
- Oui, oui, barine chéri, ce sont des champignons… Tu sais le rouge, avec des petits points blancs…
- Le tue-mouches ?
- Ne te trompe pas dans les doses. Dans un sachet, tu as juste la dose, avec d’autres ingrédients qui tempèrent. Tu veux essayer ? »
Elle lui confectionna une potion. Fédia était un peu anxieux, mais il lui faisait confiance. Il l’ingurgita, elle aussi, et ils sortirent dans la prairie, sous les étoiles. Ils s’éloignèrent vers le lac, à travers le bois. Fédia entendait les moindres bruits avec une netteté inhabituelle, et il voyait les visages frustes et bosselés des arbres qui tanguaient à sa rencontre, leurs prunelles d’ombre mouvante, leurs multiples mains dansantes, leurs bouches qui ruminaient le vent, et la lune aveuglante, et les ponts de lumière que se lançaient de l’un à l’autre les astres dans la nuit. Tout cela fonctionnait ensemble, le ciel et la clairière, les arbres et le lac, dont il s’approchait fasciné, et qui le regardait de ses innombrables yeux fugaces, bleuâtres sur l’eau noire, et étrangement  malicieux, presque impudents

Ensuite, Nina m'a engagée à tout vendre pour aller m'installer à Kostroma, où les gens, instruits de mon existence par ses soins, voudraient m'attirer: Kostroma, c'est le nord, la vraie Russie, les sales pattes du libéralisme à l'affût de toujours plus de pognon n'ont pas encore trouvé là bas grand chose de rentable. Elle compte me présenter un vieux-croyant de Yaroslavl qui aime les vers spirituels et en écrit. Puis elle m'explique comment le domovoï lui avait caché ses gants de jardinage et joué toutes sortes de tours, dans la maison de ses parents: "C'était pour me faire comprendre que je ne peux pas la laisser plus longtemps à l'abandon, il n'est pas heureux dans ce foyer vide."

Là encore, je me suis souvenue de mon livre:

Il disparut, et le jeune homme entendit la voix chuchotante de la tante Frossia invectiver le domovoï, tandis qu’elle remettait du bois dans le poêle : «Tu as presque laissé mourir le feu, infection ! Alors que notre barine est malade ! Tu ne veux pas de nous, ici ? »
Elle se tourna vers les icônes et marmonna ses prières matinales, puis recommença ses jérémiades à l’endroit de l’esprit domestique mal disposé : «Ah maudit, qu’as-tu fait de ma cuillère en bois, la grosse, celle qui est pratique ? Rends-la-moi, nous te donnerons du lait ! »
Fédia sourit et vit que Vania le regardait d’un air malicieux. Il faisait encore bon, sur le poêle. Fédia enlaça le petit garçon et respira la merveilleuse odeur enfantine de ses boucles soyeuses : «Monseigneur Philippe est venu nous bénir, ce matin, lui souffla-t-il.
- C’est vrai ?
- Oui, juste avant que tu ne te réveilles…
- J’aurais tellement voulu le voir…
- Il avait sur sa coiffe un séraphin qui brillait comme une étoile…
- Oh papa… La prochaine fois, réveille-moi ! »
Fédia le berça contre lui : « Quand il le faudra, tu seras réveillé… »

C'est toujours une grande émotion pour moi que de voir la réalité russe contemporaine recouper ce que je raconte dans mon histoire du XVI° siècle... D'autant plus qu'il s'agit plus d'intuition que d'érudition...
Nina m'a dit que je ne devais absolument pas mettre mon champignon du thé au réfrigérateur, car le froid l'empêchait de travailler et la fermentation ne se produisait pas. Et alors il n'avait pas le même goût.
Elle est la fille d'une kolkhosienne et d'un mauvais sujet, mais elle a la grande classe. Elle approche la soixantaine, on lui en donne facile dix de moins, et jeune, elle devait être absolument superbe.
Nous avons fait le tour du jardin, et elle m'a donné des tas de conseils utiles, le premier d'entre eux, ne surtout pas laisser mes entrepreneurs me débarrasser des planches de l'ancienne clôture: "Tout est utile, vous allez pouvoir tracer des chemins avec ces planches, où l'herbe ne vous gênera pas, et esquisser ainsi le plan de votre potager. Ensuite, vous assemblez avec des vis quatre planches et vous avez le cadre de vos futurs carrés de légumes. Puis ne vous embêtez pas à faire venir de la terre: tous vos déchets organiques, vous les jetez dans vos carrés. Oh tiens, vous avez déjà un superbe plant d'oseille qui pousse ici... Moi vous savez, souvent, je plante aussi n'importe où, et je regarde ce que ça donne. Tous ces petits bouts de bois qui sont restés quand ils ont égalisé votre clôture, vous pouvez les placer entre vos fleurs, pour délimiter l'endroit où elles se trouvent, l'herbe pousse moins, et on a moins tendance à leur marcher dessus. Et puis le carton, par exemple, vous faites des trous dedans, vous le posez, et hop, une pomme de terre dans chaque trou!"
Je me suis rendu compte qu'elle pratiquait une sorte de permaculture empirique à elle, et cela semble être sa passion. Elle a toutes sortes de recettes à base d'herbes sauvages, culinaires ou médicinales.
Elle me paraît très intelligente et originale. 
"Vous voyez, me dit-elle, parfois, j'aimerais retourner au moyen âge.
- Je vous comprends, moi aussi. La vie était dans un sens beaucoup plus dure, mais...
- Mais il y avait la communauté, les liens familiaux, la société paysanne, la foi, les rites, les chants... Tout le monde chantait.
- Oui, tout le monde chantait."
Et le poète a beau dire que les chants désespérés sont toujours les plus beaux, les sociétés qui ne chantent pas ne sont pas des sociétés heureuses et saines et réciproquement. Les folkloristes chantent, ils ont tous une communauté, celle des folkloristes, ils se connaissent tous, se retrouvent à travers le pays à diverses occasions, ce qui recrée l'équivalent de la communauté paysanne, car de même qu'in paysan n'existe pas seul, un folkloriste non plus, car on ne fait pas longtemps de musique tout seul, la musique doit se partager, c'est un échange. 

Le champignon du thé

Ca marche, la décoction d'amanites, j'avais vraiment mal ce matin, ce soir, je ne sens presque plus rien.


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